Des game studies façon BINGO ! Retour d’expérience d’une journée de formation

J’ai organisé le 17 janvier 2018 ma première journée de formation en dehors du cadre de mon emploi. Pendant 6 heures de formation, j’ai pu discuter avec une quinzaine d’enseignants chercheurs sur l’utilisation des jeux dans des contextes pédagogiques. Pour ce faire, j’avais organisé l’ensemble en trois parties : une première au format « conférence », une deuxième permettant aux enseignants de jouer en prenant des notes et dernièrement, une session de création de scénarios pédagogiques ayant des jeux pour supports. Je prends donc le temps de raconter cette première journée afin de laisser une trace à un moment donné de ce qu’il s’est passé, de la façon dont je l’ai préparée et la façon dont je l’ai vécue.

De la conférence au bingo

Avec les organisatrices des journées de formations dans laquelle la mienne s’insérait, nous avons défini un cahier des charges avec un ensemble d’objectifs pédagogiques auxquels je devais me tenir. J’avais donc une responsabilité pédagogique auprès des enseignants participant et une responsabilité contractuelle. Les deux premières heures étaient donc consacrées à la transmission d’un savoir théorique sur les jeux. Mes engagements étaient de proposer un état de l’art des game studies. Plutôt qu’un traditionnel « Play » VS « game » ainsi qu’un faux débat sur la narratologie et la ludologie, j’ai opté pour une présentation du débat entre catharsis et apprentissage social. J’ai ensuite proposé un historique des relations entre jeux vidéo principalement et utilisations pédagogiques. Cela m’a permis de faire un crochet par les ludiciels des années 1990 avec Adi et Adibu. J’ai par la suite enchainé avec des formes de serious games (l’extraordinaire PepsiMan notamment !) jusqu’aujourd’hui où l’on pense plutôt les jeux comme support de scénarios pédagogiques.

Après cela, Je m’étais engagé à transmettre des connaissances sur la posture de l’accompagnateur ou de l’accompagnatrice lors d’une activité pédagogique mobilisant un jeu. Cela comprend notamment l’importance d’analyser les game designs et les gameplays des jeux de sorte à déterminer les situations potentielles d’apprentissage qu’ils contiennent ainsi que les événements d’apprentissage. Pour expliquer tout cela, j’ai eu la possibilité de présenter une courte séquence d’Undertale (Fox, 2015) dans laquelle Toriel explique au joueur ou à la joueuse le système de combat. Cette situation contient plusieurs événements, j’en ai identifié trois : 1/ une phase de transmission-réception 2/ une phase d’expérimentation et 3/ une phase de restitution.

Sans poursuivre dans les détails, ces deux premières heures se sont bien déroulées. Cependant, il convient de revenir maintenant sur la méthode que j’avais employée pour scénariser mon contenu. Ainsi, plutôt que de proposer un contenu linéaire dans lequel tout est prévu selon une chronologie unique, je me suis plutôt inspiré des « bingos conférences » d’Alexis Blanchet, notamment celle qu’il a réalisée avec Mathieu Triclot, Ginger Force et mea. J’ai donc préparé un support de formation avec une vingtaine de diapositives toutes reliées les unes aux autres par des liens hypertextes. Les règles étaient simples, un ou une participante pioche un numéro, celui-ci fait référence à une diapositive. Une fois arrivés sur ladite diapo, nous réalisons ensemble l’activité qui peut être : (1) une transmission de ma part d’un contenu théorique, (2) une activité à réaliser de manière collective comme un débat, (3) une analyse d’un jeu (monopoly, « papers, please », trivial pursuit, Undertale, etc.) ou (4) une citation à discuter.

De manière générale, cette façon de scénariser un contenu pédagogique nécessite un équilibrage. J’ai eu pendant mon intervention une remarque me demandant si la structuration de la séance était vraiment aléatoire ou s’il s’agissait simplement d’un voile d’ignorance cachant une structure linéaire. Sur le coup, j’ai botté en touche pour maintenir l’intérêt. Si le contenu avait vraiment été linéaire, l’équilibrage n’aurait pas posé de problème. Or, le format de « bingo-formation » entraine une part de risque de mon côté puisque je ne savais pas de quoi j’allais parler ou de la façon dont j’allais animer une séquence ainsi qu’une part de risque du côté de mon public : allaient-ils repartir avec l’ensemble des objectifs pédagogiques atteints ?

Sur la vingtaine de diapositives prévues, nous n’en avons finalement parcourues que sept. Je devais donc m’assurer que l’intégralité de mon propos et des apprentissages incontournables soient abordés, peu importe la diapo. Il me semble que c’est un exercice que j’ai réussi. Par contre, j’ai l’impression de ne pas être tombé sur des situations véritablement variées. Nous avons fait finalement beaucoup d’analyses de cas. De même, nous n’avons pas eu l’occasion de lire de citations. De même, nous n’avons pas eu l’occasion de jouer effectivement à des jeux afin de les étudier ensuite. Tout cela m’amène à penser qu’il est nécessaire que je revois l’ensemble de mon support afin de rééquilibrer les différentes activités entre elles. A posteriori, je pense qu’il sera nécessaire que je diminue le nombre d’études de cas en remplaçant certaines par des citations ou d’autres types d’extraits.

Cependant, comme je le disais plus haut, peu importaient véritablement les diapositives et les activités pourvu que j’atteigne les objectifs fixés en amont. C’est pourquoi finalement le support n’est resté qu’un support. Par contre, cela a généré un nouveau stress puisque régulièrement, je devais vérifier avoir présenté les éléments incontournables. Cela a donc réduit aussi l’importance du support par rapport à mon propos ainsi que par rapport aux activités.

Jouer puis détourner

L’après-midi a été consacré cette fois aux jeux, entièrement. Pour cela, j’ai scindé cette demi-journée (4 heures) en deux parties. La première permettait aux enseignants de jouer et la seconde avait pour objectif de créer des scénarios pédagogiques. Les deux premières heures ont donc été structurées de la façon suivante : environ 1H30 de jeu sérieux puis trente minutes de debrief collectif. Lorsque j’évoque « jeu sérieux », je fais plutôt référence à la posture ludique demandée et non aux objets en eux-mêmes. J’avais transmis des fiches d’analyse de jeux permettant d’identifier des objectifs pédagogiques observables, les éléments ludiques qui s’y rapportent et sa les événements d’apprentissage qui caractérisent la situation pédagogique. Pendant ce temps-là, il y a donc eu trois groupes d’enseignants en train de jouer à Paper Tales, Sushi Go, Dixit mais aussi Human Ressources Machine. Lors du compte-rendu collectif, chacun des groupes a avancé des observations faites sur les jeux. J’ai été très content de voir les retours et les propositions d’observation. Par contre, il aurait mérité que je prenne plus de temps dans l’explication de la méthode d’analyse afin de ne pas gêner les enseignants lorsqu’il fallait remplir les documents.

Pour la dernière partie de la journée, j’avais prévu des problèmes à résoudre. Sommairement, les enseignants étaient missionnés pour « aider un·e collègue à résoudre un problème qu’il ou elle rencontre dans sa pratique » ; Pour ce faire, les enseignants devaient proposer des scénarios pédagogiques utilisant un ou des jeux comme support. Nous avons donc eu l’utilisation du Dixit pour la création d’un cours de langue, Human Ressources Machine pour des cours d’initiation à la logique algorithmique, la création d’un escape game pour la maitrise d’un système de recherches bibliographiques pour une bibliothèque universitaire, etc. Bref, cela permettait de prendre en compte les enjeux de l’utilisation des jeux dans un contexte pédagogique en pensant aussi l’attitude que doit avoir l’accompagnateur ou l’accompagnatrice. Cela permettait aussi de resituer les jeux pour ce qu’ils sont : des supports. Les enseignants devaient ensuite, à leur tour, présenter le problème et la solution imaginée. Les discussions qui suivirent étaient vraiment passionnantes.

Pour terminer

Voilà donc la façon dont j’ai géré cette première journée de formation que j’ai menée en totale autonomie du début à la fin. Il s’agit d’un premier jet nécessitant des ajustements mais nul doute que cela a plutôt bien fonctionné. Je suis aujourd’hui en train de rédiger un support post-formation qui sera envoyé à l’ensemble du groupe ayant participé à ma journée. Celui-ci comporte l’ensemble des diapositives commentées et augmentées de ressources ainsi que d’une bibliographie plus complète. J’ai hâte de voir la suite et j’espère pouvoir à nouveau organiser ce type de format. ■

Esteban Grine, 2018.

La décroissance passera par le slow play

J’avais écrit il y a maintenant plus d’un an une première réflexion décroissante sur les jeux vidéo. Bâtie sur des hypothèses et quelques propositions théoriques, celle-ci fait dorénavant pâle figure face à certaines nouvelles propositions dont bien sûr la réflexion que développe TomV dans son documentaire « les jeux vidéo vont-ils disparaitre ? ». Ces réflexions, nécessaires, amènent malgré tout un malaise et peut-être un mal-être chez les joueurs et les joueuses déjà sensibles aux questions écologiques. Comme le dit très bien Thomas, il ne s’agit pas de « faire culpabiliser » bien que j’ai l’impression que c’est précisément ce sentiment qui nous poussa – lui à faire une vidéo et moi un premier billet.

Entre la survie de l’espèce humaine et les jeux, tous confondus, certains soutiennent qu’il faudra choisir. Je ne suis pas d’accord avec cela. Je pense que le jeu et le fait de jouer vont être cruciaux dans les prochaines années afin de ne pas devenir fous à cause des famines et du reste. Ce que nous vivons actuellement ne peut m’empêcher de penser à Hérodote qui attribue l’invention des jeux à la Lydie et ce, non pas pour répondre à quelques plaisirs :

« Sous le règne d’Atys, fils de Manès, toute la Lydie fut affligée d’une grande famine, que les Lydiens supportèrent quelque temps avec patience. Mais, voyant que le mal ne cessait point, ils y cherchèrent remède, et chacun en imagina à sa manière. Ce fut à cette occasion qu’ils inventèrent les dés, les osselets, la balle, et toutes les autres sortes de jeux, excepté les dames, dont ils ne s’attribuent pas la découverte. Or, voici l’usage qu’ils firent de cette invention pour tromper la faim qui les pressait. On jouait alternativement pendant un jour entier, afin de se distraire du besoin de manger ; et, le jour suivant, on mangeait au lieu de jouer. Ils menèrent cette vie pendant dix-huit ans » (Hérodote, traduit par Debure, 1802).

J’ai la sincère et paradoxale conviction que les jeux et les jeux vidéo vont devenir de plus en plus important, même pour celles et ceux qui vont voir leur niveau de vie diminuer avec le temps, le manque de ressources et la finitude du monde. Cependant, ce paradoxe entre besoin plus prégnant et volonté de rejet de cet objet vidéoludique reste présent. Vouloir le résoudre revient à reproduire l’expérience de Schrödinger.

Malgré tout, s’il semble inenvisageable de se passer des jeux vidéo, en bons petits bourgeois et bourgeoises, il est possible de procéder par étape. Comme le suggère la vidéo de Thomas, commencer par une sobriété du jeu vidéo est une première étape. Je souhaite donc évoquer quelques pistes à propos de cette sobriété qui semble nécessaire. Dans tous les cas, je ne me présente pas comme un donneur de leçon. Il s’agit de réflexions que je partage et auxquelles je souhaiterai adhérer dans mes comportements futurs, rien de plus.

Lutter encore et toujours contre ses réflexes capitalistes

Il semble pertinent de lutter contre les comportements capitalistes que nous avons avec les jeux vidéo. Cela signifie, entre autres, ne plus chercher à accumuler des objets, que ces derniers fassent partie des jeux (les boîtes entre autres) ou non (les figurines de collection par exemple). Il ne faut pas voir cela de manière restrictive, disons plutôt qu’il faut jouer avec l’actuel. Ma bibliothèque Steam est remplie de jeux auxquels je n’ai jamais touchés et ma ludothèque matérielle aussi.

Il faut accepter de ne pas toujours avoir l’opportunité de jouer à tous les jeux qui sortent et il ne faut pas regretter les expériences que nous ne vivons pas effectivement. L’accumulation contre laquelle il faut lutter inclut aussi cela. Il est nécessaire de se détacher de ce besoin fictif. Je n’ai pas besoin de jouer à tous les jeux qui sortent et personne n’a pour obligation de jouer à un jeu en particulier pour se sentir intégré à une communauté. Accepter de « laisser filer des jeux » permet aussi de lutter contre certaines formes d’élitismes.

D’une manière générale, il faut se détacher des sentiments de propriété que nous pouvons avoir avec nos jeux vidéo. Ces objets sont des immobilisations qui aujourd’hui sortent du circuit. Or, voilà précisément une chose qu’il faut réactiver : il est nécessaire de faire circuler les objets actuels. Remettre au goût du jour les formes de prêt, recréer du lien social autour de ces échanges. Par exemple, on peut songer à partager le plus possible nos bibliothèques steam. Autre exemple, avoir le réflexe de télécharger un fichier d’installation pour chaque achat sur GOG permettrait de stocker l’ensemble sur un disque dur externe qui peut être prêté, déplacé. Ainsi, entre amis, plutôt que chacun fasse appel à un serveur à des milliers de kilomètres de chez lui, on réinstalle une diffusion locale des jeux. Dans un groupe d’ami·e·s, il n’y a alors qu’un seul téléchargement pour ensuite une diffusion de proximité des jeux.

Voilà un peu ce à quoi m’évoque ce besoin de lutter contre l’idée « d’accumulation » des jeux vidéo. Il faut utiliser le partage de proximité de jeux  afin de créer des tissus locaux de diffusion des jeux vidéo. La durée de vie de nos produits en tant qu’immobilisations n’en est alors que plus grande.

Le slow play comme mode de consommation

Voilà un peu plus de deux ans que je commence, avec plus ou moins grandes difficultés, à pratiquer ce que j’appelle le slow play. Cela consiste en premier lieu à résister à tout comportement compulsif dont les achats forcément. Je favorise aussi le marché de l’occasion autant que possible et je ne joue généralement qu’à un seul jeu en même temps. Je définis le slow play comme l’adotion d’un comportement en décalage du rythme typique des jeux vidéo en favorisant des jeux sortis il y a entre un et deux ans. Ce comportement passe aussi par un choix de jeux sur lesquels je vais me concentrer pendant une période d’environs un mois à deux mois. Par exemple, en 2017, j’ai exclusivement joué à Horizon Zero Dawn pendant un peu plus de deux mois. J’aime cette idée d’exclusivité dans le slow play. Il s’agit de se concentrer uniquement sur un seul jeu à la fois en s’obligeant à le terminer avant d’acheter le suivant. Dire que j’arrive à maintenir cette ligne de conduite serait une erreur prétentieuse mais c’est un comportement vers lequel je souhaite tendre à l’avenir.

Cette sobriété passe aussi par des sessions plus courtes. Je suis joueur, mais je joue peu. Jouer peu a cet avantage d’allonger artificiellement la durée de vie d’une œuvre. Le slow play passe aussi par une remise en question de la performativité de l’acte de jouer : pourquoi souhaiter finir un jeu le plus rapidement possible ? Peut-être que The Order 1886 deviendrait un jeu plaisant de la sorte.  Dans tous les cas, il me semble que cette façon de vivre une œuvre est un premier pas qui peut être effectué plus facilement que le reste. Dans tous les cas, pour le reste des œuvres auxquelles nous ne pouvons pas jouer, simplement regarder d’autres jouer n’est pas non plus une mauvaise chose. Réinventer des soirées thématiques entre amis ou dans des associations militantes, faire que le jeu vidéo regagne sa dimension sociale et populaire, voilà un programme que j’aimerais voir.

Ce ne sont que des pistes

Je m’arrête pour les pistes de réflexion ce soir, j’avais principalement besoin de partager ces deux-là. Pour le reste, il me semble encore nécessaire qu’elles murissent dans ma tête. Dans l’un de mes précédents billets, je critiquais ouvertement les jeux multijoueurs. Aujourd’hui, je ne souhaite pas à nouveaux retomber dans cette forme militante.

Ainsi, pour conclure, il me semble qu’un premier pas pour jouer et vivre le jeu vidéo de manière plus éthique consiste à se détacher du besoin d’accumulation que nous éprouvons pour ces objets. Cela consiste alors à faire circuler les œuvres le plus possibles pour que chaque unité ait la vie la plus longue possible. Créer des associations de prêt, télécharger pour ensuite partager des disques durs, tout cela permet de recréer du lien social. C’était des pratiques courantes au début des années 2000, il faut que cela ne redevienne. Secondement, il faut militer pour une nouvelle façon de consommer. Le slow play apparait alors comme une réponse : Favoriser des sessions courtes, ne plus chercher la performativité, se rendre exclusif le temps de vivre l’œuvre avant d’en changer et sortir du rythme imposé par l’agenda des sorties.

Dans tous les cas, je reviendrai préciser mes pensées dans le futur. Celles-ci s’en retrouvent alors éparpillées. Je souhaite aborder à nouveau la question des machines mais il faudra bien un jour questionner le code lui-même. Le mouvement pour la décroissance dans les jeux vidéo ne fait que commencer. ■

Esteban Grine, 2018.

 

Herodotus, et Ctesias. Histoire d’Hérodote,: Traduite du grec, avec des remarques historiques et critiques, un essai sur la chronologie d’Hérodote, et une table géographique. G. Debure l’aîné, 1802.

 

Pewds Review 👏👏 Pewds Review 👏👏 Pewds Review.

Pewdiepie est fascinant. Pewdiepie est terrible. Pewdiepie est raciste. Pewdiepie est magnanime. Pewdiepie est néolibéral. Pewdiepie est marxiste. Mais surtout, Pewdiepie est complexe. Et c’est cette complexité qui attire le regard du chercheur ou de la chercheuse.

Je suis Pewdiepie avec assiduité depuis maintenant 4 ans. Du moins, je suis abonné à sa chaîne depuis ce temps-là. C’est depuis 2016 surtout qu’il est devenu pour moi une source intarissable de réflexions sur YouTube. En effet à côté de mes recherches sur le jeu vidéo, je m’intéresse beaucoup à ce site internet en tant que système social complexe. Dans ce court billet de blog qui pourrait un jour aboutir à une véritable recherche, je souhaite proposer une vision personnelle et partielle de Pewdiepie en tant que phénomène médiatique. En ce sens, je vais tenter de limiter mon discours au personnage que j’observe sans prétendre comprendre par la même occasion la personnalité de son auteur : Felix Kjellberg. Dans un premier temps, je constate la transition qu’il effectue entre vidéos de gameplay et vidéos personnelles. Dans un deuxième temps, j’aborde certaines productions de Pewds sous l’angle de la science populaire. Enfin, j’aborde les discours populistes récurrents dans ses production.

J’espère qu’à l’issue de ce travail, Felix Kjellberg, Pewdiepie et leurs productions apparaitront différemment, sans pour autant l’excuser de ses écarts de conduite.

YouTube comme journal intime

Pewdiepie et ses dorénavant 60 millions d’abonnés offrent alors un contexte, un corpus et un objet de recherche particulièrement riche. En termes de contenus déjà, je suppose qu’il doit faite partie des artistes ayant le plus produit dans le monde. Il est un véritable produit de l’art à l’heure de sa reproductibilité technique (Benjamin, 1936). D’abord spécialisé dans la réalisation de vidéos de gameplay commentées : Let’s Play et walkthrough, il prit le chemin des vidéos « tranche de vie » sur YouTube. Pourtant, comment ne pas s’interroger sur cette trajectoire ? En 2015, je réalisais une vidéo sur Squeezie. Celui-ci n’a pas fondamentalement changé depuis. Markiplier, Jacksecpticeye sont plus ou moins restés fidèles à leur contenus originels. Pewds, en revanche, décida de totalement virer de bord sous prétexte que jouer à des jeux vidéo était une activité qui ne le satisfaisait plus (Pewdiepie, 2017a). Des prémisses de cette conscientisation de son changement pouvait déjà être observées en 2016 lorsque dans une vidéo, il explique les changements de sa chaîne. D’ailleurs, il est intéressant de noter qu’entre 2016 et aujourd’hui, Pewds commença à se référer à lui-même pour expliquer ses changements en créant des distinctions chronologiques (Pewdiepie, 2016a) :  Pewds2014 est différent de Pewds2015 qui est différent de Pewds2016 et ainsi de suite.

A l’instar des idées de certains auteurs comme Rémi Hess sur les mouvements diaristes, Pewdiepie utilise la vidéo, et par extension YouTube, comme un journal intime dans lequel il exprime, partage des opinions et des émotions. C’est en ce sens que je le trouve passionnant : au fil des années, Pewds a adopté une posture réflexive sur sa propre condition de « youtuber le plus populaire de la plateforme » mais aussi sur ses comportements et les comportements qu’il observe sur la plateforme. Le tout devient une espèce d’œuvre méta sur YouTube et les youtubers.

Au fil du temps, une certaine posture nihiliste s’est affirmée chez ce personnage. Je soutiens l’idée que Pewds rejette l’existence d’un sens pertinent aux actions des créateurs de contenus. La fin d’année 2017 et janvier 2018 nous permettent aussi de constater qu’il est devenu particulièrement critique vis-à-vis de l’idée « d’originalité », rejetant celle-ci sur la plateforme. Fin janvier, il réalise une vidéo faisant référence à un autre vidéaste, Jacksfilms, qu’il intitule : « stealing my content » (2018a). Après déconstruction et réponse de l’intéressé (Jacksfilms, 2018), il apparait qu’il s’agit d’une blague entre les deux vidéastes qui s’est autoalimentée. Le public, de Pewds n’ayant pas compris cela, obligea Jacksfilms à répondre (2018c). Cette anecdote est aussi révélatrice des déconvenues régulières de Felix Kjellberg et de sa relation plus ou moins toxique avec son public. EN 2017, des comportements racistes qu’il tint l’obligèrent à présenter des excuses (2017c). Enfin, j’ai observé cette critique de « l’original content » fin 2017 avec le lancement de sa série « meme review » qu’il définit comme la meilleure série de reviews de mèmes observables sur YouTube (2017d).

De manière générale, Pewds se montre dithyrambique et certaines de ses vidéos sont émotionnellement très fortes à l’instar de sa vidéo « is YouTube worth it » (2018b) dans laquelle il conclut avec son brofist, marque emblématique de sa chaine souvent accompagné d’un « stay awsome bros, I know you will ». Une interprétation de cette action pourrait être une illustration de sa volonté de renouer avec son public originel, sujet déjà évoqué sur sa chaîne notamment lorsqu’il décide de remettre des petits trophées à ses tous premiers abonnés. Une autre interprétation de la disparition de ce symbole pourrait être la perte de confiance de Pewds avec son public. Si ces deux propositions ne restent que des hypothèses personnelles, elles me semblent légitimes à la vue des contenus vidéo qu’il produit.

Expérimentations sociales et rejet de YouTube

Cette prise de conscience de ce qu’est YouTube, réduit à un ensemble d’algorithmes, est aussi l’occasion pour Felix Kjellberg de se moquer du site et de sa stupidité algorithmique. Je retiens trois vidéos à ce sujet. Il lance une première expérimentation en 2016 en créant une chaine secondaire qu’il intitule « jacksepticeye 2 » en référence à son amitié avérée de cette époque avec le vidéaste éponyme (2016b). La même année, il réalise une vidéo avec Jacksepticeye intitulée : « bottleflip challenge » (2016c) dans laquelle il lui remet le trophée « 1 million d’abonnés » en fin de vidéo. Dans un canular qu’il organise fin 2016 évoque la suppression de sa chaîne (2016d) une fois les 50 millions d’abonné·e·s atteint. Il finit par supprimer la chaine « Jacksepticeye 2 » (2016e). Ce qui est extraordinaire, c’est que ces vidéos se concentrent autour du mois de décembre 2016. En parallèle, il réalise deux vidéos : « can this video hit 1 million Likes ? » (10 décembre, 2016f) et « can this video hit 1 million dislikes ? » (2016g). Les vidéos, particulièrement intéressantes, montrent une personne critiquant ouvertement le système YouTube de valorisation de contenus. Au passage, il critique aussi les vidéastes demandant à leur audience de « liker la vidéo » avant d’avoir regardé, notamment en « créant » de faux challenges : « essayons de dépasser ensemble le nombre de likes de la vidéo précédentes ». Fait remarquable, Squeezie réalise dans la foulée une vidéo sur la même thématique (2016h) sur le même sujet en faisant explicitement référence à Pewdiepie.

Ces quelques exemples constatent la démarche d’expérimentation sociale dans laquelle s’inscrit Felix Kjellberg avec sa chaîne en proposant une forme de science populaire, critiquables par de nombreux aspects mais qui permettent aussi aux scientifiques de constater certains phénomènes : échange entre un leader d’opinion et sa communauté, taux de conversion en comportements effectifs de la part des viewers, etc.

Les discours populistes chez Pewds et Felix Kjellberg

Pewdiepie semble être particulièrement populiste à propos de la culture. Dans ses productions, on retrouve régulièrement des critiques de certaines communautés organisés autour d’un objet cuturel. En 2017, il titrait l’une de ses vidéo : « warning : only intelligent people can watch this » (2017b). il s’agit ici d’une critique des propos tenus par une part minoritaire de l’audience du show « Rick And Morty ». On retrouve une critique relativement typique, orthodoxe, des formes d’élitismes culturels. Il inscrit aussi certains de ses propos dans une certaine tradition conservatrice parfois proche de l’AltRight étasunienne. En témoigne une vidéo dans laquelle il s’amuse à dessiner « Pépé The Frog », un même devenu un symbole raciste d’abord sur 4Chan puis repris dans des communautés francophones dont une minorité des forums JVC (2017e). D’ailleurs, Felix Kjellberg propose une représentation dithyrambique de lui pendant les élections étasuniennes en tenant des propos dont il est difficile d’observer un second niveau communicationnel qui serait cynique ou simplement critique. Malgré une vidéo vlog dans laquelle il met feu à un mannequin à l’effigie de Trump (2016j), il n’en reste pas moins qu’il a instrumentalisé le candidat dans un possible but de renforcer l’un de ses cœurs de cible, à savoir des jeunes blancs cisgenres hétérosexuels.

Par ailleurs, sa critique du système YouTube s’étend aussi aux médias en général. Il se définit en guerre avec ces derniers qu’il accuse régulièrement dans ses vidéos. En soit, on reste dans des discours typiques (1) provenant de l’altright et (2) provenant de groupes sociaux conspirationnistes. Dans une vidéo publiée début janvier 2017, il accuse clairement les médias d’être « stupides » (2017f). Il est intéressant de noter alors la façon dont il titre les vidéos dans lesquelles il explique sa propre version des fait comme c’est le cas ici ou dans lesquelles il présente ses excuses comme ce fut le cas fin 2017 lorsque dans un livestream il utilisa le mot « nig**r » (2017g).

De cela je retiens deux constats. Premièrement, à l’instar de personnalités ambiguës (présentant des comportements conservateurs et oppressifs) comme Dieudonné en France, Felix Kjellberg s’adresse directement à son public afin de proposer sa version des faits. Parfois dans le but de renforcer une opinion, parfois pour exprimer un regret par rapport à un comportement toxique. On est alors dans une configuration typique de formes communautaristes dans lesquelles un « dirigeant » demande à son audience de rejetter tout messages provenant de l’extérieur. Ce comportement est toxique et nocif. En ce sens, il ne nous est pas possible de considérer les contenus de Felix comme dénués de représentations oppressives, toxiques, misogynes. Dans tous les cas, l’ambivalence de Felix Kjellberg rend difficile la diffusion de discours progressistes qu’il propose aussi régulièrement. Secondement, avec ce type de discours puis des divers rétropédalages effectués, Pewdiepie illustre à mon sens la complexité et les incohérences qui sont présentes chez de nombreuses personnes indépendamment de leur appartenance politique. La nocivité des discours portés par Felix Kjellberg est aussi imputable à son nombre d’abonnés qui rend la chose bien plus visible.

Pour conclure

Felix Kjellberg, Pewdiepie, est Truman. Celui du Truman Show. En prenant la trajectoire du vlog, Pewds documente sa vie, une vie humaine. J’ai l’impression d’observer une œuvre, un documentaire en permanente évolution et comprenant de nombreux messages contradictoires. Tantôt incarnant la lie de l’humanité, tantôt incarnant un chevalier luttant contre les GAFA, Pewdiepie est incohérent, comme tout être humain.

On a parfois l’impression de voir quelqu’un de progressiste et parfois l’impression de voir une personne qui n’a pas encore démarré un processus de déconstruction. Ce billet n’a pas pour objectif de le défendre mais force est de constater que la valeur documentaire de sa chaîne YouTube intrigue et interroge. Est-elle-même pertinente ? Dans tous les cas, la logique même du site rend l’œuvre parcellaire et incomplète, je m’interroge alors beaucoup sur la façon dont son audience se projette en Felix, pensant le connaitre. En tout cas, il est sûr que ma lecture doit comprendre une part de projection et peut-être que je l’excuse un peu trop facilement sur certains aspects car je me sens non-concerné. Chose que je souhaiterais corriger si le ou la lectrice observe ou note cela dans ce texte.

Au-delà de sa complexité, ce que je retiens et apprécie le plus sont justement ces incohérences et parfois les expériences sociales qu’il propose. Le nihilisme que j’observe dans ses propos est aussi quelque chose que j’aimerais explorer plus longuement. ■

Esteban Grine, 2017.

 

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Vidéographie

jacksfilms. I’m super sorry, Pewdiepie fans. (YOUR GRAMMAR SUCKS #115). Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=lXOf_eILyjg.

PewDiePie. BOTTLEFLIP CHALLENGE! Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=lyl6ibqnyis.

———. Can this video get 1 million dislikes? Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=wx9Jv5uxfac.

———. Can this video hit 1 million likes? Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=hHR9aM494rs.

———. DELETING MY CHANNEL. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=Y39LE5ZoKjw.

———. DELETING MY CHANNEL AT 50 MILLION. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=6-_4Uoo_7Y4.

———. HUGE UPDATE: MY NEW 2ND CHANNEL! Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=WTr5BQdIdbk.

———. In my defense.. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=9Jd1bHVYV2M.

———. My Response. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=cLdxuaxaQwc.

———. My Response. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=cLdxuaxaQwc.

———. OLD VS. NEW PEWDIEPIE! (Fridays With PewDiePie – Part 111). Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=X4dAPKYPhDQ.

———. ON ME VOLE MON CONTENU. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=H_Slw4xSJNo.

———. PLEASE BUY THIS! Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=NrWjXyGJzoI.

———. REACTING TO TRUMP BECOMING PRESIDENT! [10/22]. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=acyyWic-6JU.

———. Stolen Bike Meme [MEME REVIEW] 👏 👏 #1. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=-KE8v44VS_k.

———. THE RUBY PLAYBUTTON / YouTube 50 Mil Sub Reward Unbox. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=7Vj5M0qKh8g.

———. WARNING : ONLY INTELLEGENT PEOPLE CAN WATCH THIS. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=s26JfwmlIKc.

———. WHY I DON’T PLAY VIDEO GAMES ANYMORE.. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=osPKCm7jmeQ.

SQUEEZIE. JE SUPPRIME MA CHAÎNE SI TU LIKES PAS. Consulté le 26 janvier 2018. https://www.youtube.com/watch?v=YKsW6DSWMNg.

 

 

 

Et pour quelques runs de plus

J’ai beaucoup regardé la games done quick la semaine passée et comme je n’ai pas beaucoup de temps pour écrire en ce moment, je me suis dit qu’il fallait varier les plaisirs et ne proposer qu’une petite liste des speedruns qui m’auront le plus marqué pour l’itération 2018 de ce marathon. Je regarde des speedruns depuis les débuts du nesblog et c’est vers 2014 que j’ai commencé à sérieusement m’intéresser à cet événement. Cette année, j’ai de nouveaux été surpris par ce qu’il s’y passe. après les « Hype » criés par l’ensemblée de 2015, les « wouaaahhh » de 2016. Voici donc une petite sélection des faits que j’ai trouvés marquants cette année.

Densha de D.

Parce que. Pourquoi pas. Voici un jeu qui se base sur un pastiche du manga « Initial D ». Cette run n’offre rien de particuliers si ce n’est de voir un jeu à propos d’un conducteur de train qui drift. Si cela n’est pas suffisant, je ne comprends pas.

I wanna run the marathon

Il faut regarder ce jeu car il s’agit d’un moment presque meta sur les citations que se font les joueurs entre et les jeux entre eux. I wanna run the marathon est un jeu réalisé en référence aux jeux I wanna be the guy et I wanna be the boshi. Ces deux derniers sont déjà des pots-pourris de citation mais là, nous sommes dans un tout autre niveau puisque ce jeu, en plus de faire référence à des jeux célèbres, fait aussi référence à des jeux qui faisaient eux aussi référence à ces mêmes jeux célèbres.

Arabian nights

Arabian Nights est un jeu développé par Silmarils, une société française. Le résultat est à mourir de rire ! Cette run est particulièrement drôle notamment par les bruitages complétement ratés du jeu, tout comme son gameplay d’ailleurs. Pire encore, le jeu plante plusieurs fois pendant la run et oblige la régis de l’événement à devoir corriger le tir en temps réel. On se rend compte de la dimension live de la chose et tout cela offre un spectacle délicieux. Les représentations sont particulièrement exécrables et les situations, de part la façon dont elles sont codées, sont ridicules. Notons au passage le 13/20 que Romendil lui avait mis à l’époque. 

Resident Evil VII

Alors certes, Carcinogen est un runneur réputé pour sa bonhomie et son humour. Donc c’est plutôt facile de dire que la run est plaisante pour cela. Du coup, je dois avouer avoir particulièrement aimé tout cela. Premièrement parce que c’est un runneur qui ne joue pas seulement avec son public derrière lui mais aussi celui qui regarde le stream. Secondement, je retiens particulièrement les anecdotes sur le bayou qu’il fait pour qu’un donateur fasse un second versement. Par ailleurs, il se fait plusieurs fois déstabiliser par le jeu : zombis imprévus et autres scarejumps involontaires.

Donkey Kong Country

Cette run n’aurait pas été impressionnante si les boss n’avaient pas été faits dans le sens inverse ! Autant pour les Zelda ou les Metroid les reverse boss runs sont des tentatives intéressantes, autant pour un jeu de plateformes aussi dirigiste et linéaire que DK Country, c’est impressionnant. On voit alors énormément de techniques qui doivent être mobilisées pour permettre cela.

Ocarina Of Time

Il n’y a rien de particulier dans cette run. Je retiens surtout le comportement de ZFG, le runneur, et des gens sur le canapé pour le temps qu’ils ont pris afin d’expliquer l’ensemble de ce que l’on voit à l’écran. C’est très agréable de voir la qualité des explications proposées et cela rappelle à quel point les speedrunners s’inscrivent dans des logiques de partages et de collaborations. On a là un exemple flagrant de cela.

A Link To The Past

C’était pour moi la première fois que je voyais une randomized run en live et c’était particulièrement passionnant. Même si par moment, il y avait une forme de statu quo, il n’y avait aucun doute sur la personne qui allait gagner mais je retiens surtout les réactions incroyables du public à la découverte du moindre objet. C’est en cela que cette run fut géniale.

Metal Gear Solid 3

Cette run est chouette car le le runneur et le jeu sont chouettes. Certes. J’ai beaucoup été ému en regardant cette vidéo car il s’agit pour moi presque d’un cas d’école. Une run qui se passe mal ressemble exactement à cela : désespoir du joueur qui se confond en excuses. Obligations de redémarrer plusieurs fois le jeu en prenant des savestates, bref, le joueur en a bavé. Il me semble important de regarder cette vidéo car on y voit le désespoir du joueur qui n’arrive pas à offrir un spectacle qu’il considère acceptable.

Voilà !

Un billet léger pour contraster avec mes différents travaux qui me prennent du temps et me stressent. J’espère que cette sélection plaira et donnera envie de regarder les vidéos en entier. 🙂

Esteban Grine, 2018.

Thèse, Année 1.

Ca y est. Ma première année de thèse est terminée. Le début de la fin. C’est donc un moment intéressant pour faire le point sur mes recherches, mes projets et mes difficultés. Il se trouve que j’écris cette introduction après avoir rédigé cet article. En effet, celui-ci est particulièrement décousu. Je l’avais commencé pour une communication puis je l’ai poursuivi pour faire un bilan de l’année 2017. C’est pourquoi je prends le temps d’écrire maintenant cela : afin d’avertir le lecteur du changement de registre que j’effectue progressivement dans cet article. Nul doute qu’in fine, cela me fera rire. Bonne lecture !

L’avancée de mes recherches

La question de l’impact des jeux vidéo est récurrente dans les recherches portant sur cet objet.  Zagal (2010) revient dessus en expliquant que ce débat a lieu entre les tenants de la catharsis et les tenants de l’apprentissage social. Les premiers rejetteraient alors leur existence à travers des discours plus ou moins véhément. Les seconds considèrent ces objets comme des systèmes de représentations qui sont portés aux joueuses et joueurs. Dans le cadre de mes recherches, je considère les jeux vidéo comme les supports de discours et de représentations. Ainsi, l’une des hypothèses que je soutiens dans mes travaux est que les jeux vidéo peuvent être considérés comme des situations d’apprentissage et des supports d’apprentissage. J’aborde donc la question des impacts par la façon dont on apprend en jouant. Je cherche donc à modéliser les approches pédagogiques volontairement ou involontairement mobilisées dans la façon de game designer, c’est-à-dire de structurer, un gameplay. Pour cela, je rapproche le concept d’aire intermédiaire d’expérience (Winnicott, 1975) mobilisée par Genvo notamment pour décrire la situation de jeu (2013) de la zone proximale de développement de Vygotsky (1934). Cette dernière correspond au moment durant lequel, lorsqu’il est accompagné, un individu peut atteindre les objectifs qui ont été fixés.  Dès lors, le game design apparait comme un outil permettant au game designers et game designeuses de situer le ou la joueuse dans sa zone proximale afin d’atteindre un objectif donné. Je fais donc l’hypothèse qu’en observant le game design, il m’est possible de modéliser les différentes approches pédagogiques. Je catégorise alors les séquences de jeu en événements d’apprentissage-enseignement selon le modèle de Poumay & Leclerc (2008). Par exemple, il peut s’agir d’une situation d’apprentissage par exercisation. Dans ce cas, on peut supposer la volonté du game designer.euse à susciter l’acquisition d’un réflexe chez le ou la joueuse. Au contraire, s’il s’agit d’une situation d’apprentissage par exploration, alors le ou la joueuse sera plus libre dans les messages et les conclusions qu’il ou elle peut tirer d’une séquence de jeu.  En catégorisant de cette façon les situations rencontrées, il me semble possible de situer la façon dont le discours d’un jeu se présente aux joueuses et joueurs. Ainsi, mes travaux sont à la croisée de la discussion entre les persuasive games de Bogost (2006) et les expressive games de Sébastien Genvo (2016). Trépanier-Jobin (2016) voyait une limite à l’utilisation de ces concepts de manières exclusives, si c’est l’un ce n’est pas l’autre, puisqu’elle considérait alors que la distinction se faisait à partir des intentions des auteurs autant chez Bogost que chez Genvo. Il me semble possible de résoudre ce dilemme avec la méthodologie et la focale que je propose en observant les situations d’apprentissages composant les jeux vidéo. Dès lors, persuasive ou expressive ne seraient plus des genres se rapportant à l’éthos d’un jeu, c’est-à-dire la façon dont il présente son discours par son game design. Au contraire, ceux-ci seraient deux extrême d’un même continuum et ne se rapportant plus à un jeu dans son entièreté mais plutôt à des objectifs pédagogiques définis a posteriori par un ou une observatrice.

A travers cette proposition de modélisation, je compte retranscrire ce que des joueuses et des joueurs observent des jeux auxquels ils et elles jouent mais c’est un pan de mon travail que je n’ai pas encore pu entamer et que je compte faire cette année. L’intérêt de cela est d’observer les apprentissages observés en jouant.

Corpus & pistes de terrains

En parallèle de ce travail, j’ai démarré en 2017 une première méthodologie de terrain qui consiste au recueil de témoignages puis à leur traitement. Un premier appel à témoignage intitulé « Les Madeleines Vidéoludiques » m’a permis de réunir 14 témoignages écrits de joueurs. Il s’agissait dans cet appel de traiter du sentiment de nostalgie. Aujourd’hui, je prépare un appel sur un autre sentiment. La raison de ces recueils est que je m’intéresse aussi à la façon dont le fait de susciter un sentiment par rapport à quelque chose représenté dans un jeu vidéo peut venir modifier un système de représentations. Un exemple concret de cela peut-être le regret que l’on ressent du fait d’une action commise sur le monde. En ce sens, dans la veine des travaux de Frome (2006) à propos des émotions dans les jeux vidéo mais aussi des travaux de Barnabé et Delbouille (2017) à propos de l’agentivité des joueurs et joueuses. Dès lors, j’essaie d’observer les modifications de comportements et de systèmes de représentations et ce, par les sentiments que le game design nous suscite. J’essaie de faire une passerelle entre cela et les situations d’apprentissages que j’ai déjà présentées en faisant l’hypothèse suivante : un événement d’apprentissage suscite une émotion aux joueuses et joueurs en tant qu’agent et c’est par le biais de cette émotion suscitée qu’une modification du comportement peut s’opérer. L’émotion qui m’intéresse le plus et sur laquelle je pense que je me focaliserai à terme est le regret. Cette émotion a déjà été relevée par des auteurs issus des sciences académiques comme des journalistes, etc. Le regret est une émotion forte qui invite le ou la joueuse à adopter une attitude réflexive vis-à-vis de ce qu’il a commis en tant qu’agent agissant sur un monde représenté (la diégèse du jeu). On peut évoquer les célèbres scènes de Metal Gear Solid 3 lorsque le ou la joueuse doit abattre The Boss, la révélation de Sans dans Undertale (2015) à propos des « EXP » et des « LV ». Je pense qu’un troisième appel verra le jour entre 2018 et 2019 mais cette fois sur une émotion plus proche de l’empathie si ce n’est l’empathie elle-même. Ces terrains ont une dimension exploratoire particulièrement intéressante. En effet, ils permettent de constater, à travers divers témoignages, des formes d’impacts que les joueurs et les joueuses ont pris le temps de formuler et matérialiser à travers un texte. Les « madeleines vidéoludiques » montrent particulièrement la façon dont un jeu vidéo, ou du moins une expérience liée au jeu vidéo, peut marquer significativement le ou la joueuse et ce, sur une période de temps très longue. A travers un nouvel appel sur le regret, je suppose que des changements de comportements dans et hors les jeux sont possibles et dus à cause d’un phénomène ou d’un événement dans la diégèse du jeu et observable par le ou la joueuse. Autrement dit, je fais une hypothèse relativement typique puisqu’elle s’intègre dans une forme d’apprentissage social et plus généralement dans une pensée socioconstructiviste de la pédagogie. L’intérêt de cette appel, comme pour les « madeleines vidéoludiques », sera d’observer des joueuses et des joueurs dresser des liens de causalité entre leurs comportements et leurs systèmes de représentations aujourd’hui comme issus en partie de leurs sessions de jeu. Le regret permet aussi de potentiellement observer non pas des renforcements dans les comportements mais plutôt des contradictions, des changements et des revirements. Plus intéressant encore peut être l’observation de regrets sans modifications a posteriori du comportement mais en observant un questionnement autour des représentations. Inversement, il peut se produire des situations durant lesquelles les systèmes de représentations se modifient sans que les joueurs et joueuses modifient leurs comportements. Dans ces derniers cas, il faudra alors demander s’ils et elles ont une démarche réflexive sur cela et comment ils et elles le vivent ? Ainsi, il apparait que ces « recueils » deviennent une partie des terrains que je souhaite mobiliser pour mes travaux de thèse. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un stade très exploratoire. De même, j’ai aussi conscience des biais qu’ils impliquent. Il y a une dimension endogamique certaine que je n’ai pas encore réussi à dépasser. La réalisation d’une vidéo de lancement pour le prochain appel sera peut-être l’occasion d’observer plus d’hétérogénéité dans les réponses en termes de profils de joueurs et de joueuses.

Je pense avoir maintenant fait le point sur les terrains que je vais réaliser via internet et les réseaux sociaux. Ceux-ci ont un attrait pour moi puisque cela me permet de constater des situations informelles de jeux et durant lesquelles je ne suis pas présent en train d’observer via une forme d’observation participante comme Adrienne Shaw l’a fait par exemple en allant chez ses enquêté.e.s (2015). Une critique de ce travail est d’ailleurs le fait que je n’observe pas directement les choses et que je me repose sur des témoignages, ce qui a probablement le pire niveau de scientificité. Pour palier cela, j’ai tout de même tenté la mise en place d’un jury pour analyser les textes qui m’ont été soumis lors du premier appel. Il n’a pas très bien fonctionné mais les membres du jury ont pu lire les textes et répondre à un questionnaire afin de définir la pertinence des écrits par rapport au sujet, savoir s’ils étaient véritablement réflexifs ou s’il y avait des hors-sujets empêchant leur usage en tant que terrain. Pour les prochains appels, je proposerais quelque chose de bien plus abouti à ce niveau.

Par ailleurs, je compte aussi mener des terrains en situations formelles de jeu et les impacts que l’on pourra observer dans ces situations. Pour cela, je suis en train de monter des projets pédagogiques mobilisant des jeux et des jeux vidéo. L’intérêt sera dans ce cas de véritablement observer les personnes en train de jouer en groupe mais aussi de prendre en compte mon propre impact cette fois en tant qu’accompagnateur sur la situation de jeu. Normalement, je ne serais pas seul sur ces projets, c’est pourquoi il sera possible de mettre en place une réelle méthodologie d’observation. Je pense emprunter à l’anthropologie et les méthodes d’observations participantes mais pour cela, j’ai encore besoin de lire et de me former à ce sujet.

Les projets annexes

Au niveau des projets annexes, j’espère un jour avoir le temps de travailler un référentiel de compétence pour les joueuses et les joueurs de jeux vidéo. Ce travail repose sur l’approche de Jacques Tardif (2007, 2017) et sa définition de la compétence : un savoir-agir complexe mobilisant et combinant des ressources internes et externes au sein d’une même famille de situation. Ce travail répond à une interrogation qui me suit depuis que j’ai commencé à travailler sur les jeux vidéo, lire d’autres travaux et voir des contenus sur internet : à quel moment peut-on dire que nous sommes compétents pour parler des jeux vidéo ? Cette question peut sonner pédante et élitiste mais n’en reste pas moins valide. Plus généralement, je pense qui mieux formulée, cela donnerait : comment définir les compétences vidéoludiques ? L’intérêt que je vois ici serait de proposer autre chose que les modèles habituels de « types de joueurs et de joueuses » telle que la taxonomie de Bartle par exemple. Cela pourrait avoir un intérêt. Peut-être que cela pourra offrir un nouvel éclairage et une nouvelle compréhension de la réception d’un message en fonction des différents profils de joueuses et joueurs.

Enfin, il apparait que pour dépasser les classifications des joueuses et joueurs, il me semble pertinent d’interroger les différentes compétences qu’ils et elles développent au fur et à mesure de leurs sessions de jeu. Ainsi, plutôt que d’avoir des modèles théoriques limités par des temporalités : les alternances de profils dans l’avancement d’une partie entre autres, observer les compétences des joueurs et joueuses me permet de raccrocher à mon interrogation initiale qui porte plutôt sur ce que le « contexte pragmatique » définit.

Difficultés et conclusions

Voilà pour cette année relativement dense. Il apparait que je n’ai pas pu maintenir de nombreux rythmes tout au long des mois. J’ai dû abandonner certains projets (la numérisation de Henriot notamment), en décaler d’autres. Je n’ai pas assez lu, je rattrape comme je peux certains livres que j’aurais dû lire bien plus tôt. De même, je commence à ressentir maintenant l’insuffisance de mes connaissances et compétences en anthropologie. Vu le nombre de pistes que je lance et obtiens, il apparait que je vais devoir devenir bien meilleur dans ce domaine pour la suite. Il va aussi falloir que je diminue le rythme de propositions que je fais à droite à gauche sur un peu tout et n’importe quoi : papiers, communications & formations. En janvier 2018, j’ai deux papiers à envoyer, une formation à donner et deux communications. C’est beaucoup trop et cela m’a causé beaucoup de stress. De plus, il faut aussi que je me ménage du tout pour mon travail. Et oui, n’ayant pas de bourse d’étude, il me faut bien vivre comme la majorité des doctorants.

2018 semble donc une année de bonnes augures. Je vais normalement bouclé les terrains en situations formelles de jeux et je pourrais, grâce à ma présence sur les réseaux, compléter des corpus et réaliser des enquêtes. Je ne me sens pas trop stressé pour cela, je suppose que c’est une chance par rapport à d’autres doctorants. Les récents événements que j’ai vécu sur internet me font réfléchir de plus en plus sur ma posture de blogueur-doctorant. Il apparait que celle-ci est bien plus complexe que prévue. De fait, je compte bien plus rédiger à ce propos cette année. Je pense que méthodologiquement, cela sera pertinent.

 

Ce texte a connu une rédaction plus qu’étrange. Si au début, il s’agissait d’un support de communication pour une intervention, il s’est transformé en état des lieux de mes recherches pour au final nommer les difficultés que j’ai rencontrées et rencontre. Il est plus que temps d’y mettre en terme en vous souhaitant une bonne année. ■

Esteban Grine, 2018.

 

Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs

Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs : signatures et citations de comportements ludiques

Dans le cadre d’un numéro d’une revue qui se prépare, nous souhaitons écrire avec Jok un article qui porte sur les phénomènes de signatures et de citations des comportements qui ont lieu en jouant à des jeux vidéo et entre joueur.euse.s. En effet, Fanny Barnabé, dans ses travaux de thèses mais aussi dans des communications, a travaillé sur les détournements possibles avec les jeux vidéo. Dans une communication donnée à Ludovia en 2014, elle questionnait les speedrunneurs et leur potentiel statut d’auteurs (Barnabé, 2014). D’autres personnes ont aussi ces réflexions notamment ici. Nous proposons de poursuivre ces travaux en élargissant aux superplayers mais aussi à toutes les formes d’expression se faisant dans et avec les jeux vidéo. Si certains termes sont ici galvaudés, je souhaite préciser que le travail final se voudra bien plus respectueux à l’égard des concepts et des personnes ayant déjà travaillé sur ce sujet.

Le jeu vidéo, par sa double nature de comportement et de fiction (Juul, 2006), nous invite à questionner qui est l’auteur du déroulement des récits qu’il propose. Bien que le fait de mobiliser la notion d’interactivité comme élément distinctif des jeux vidéo par rapport à d’autres médias soit discutable, il semble malgré tout que leurs créateurs s’attachent particulièrement à illustrer cela comme une spécificité de ce médium. De facto, de nombreux éléments et marqueurs présents et directement observables font des jeux vidéo des objets particulièrement intéressants à étudier lorsqu’il s’agit de questionner qui sont les auteurs des récits qu’ils proposent. La question à laquelle nous souhaitons donc apporter des éléments de discussion est la suivante : qui sont les personnes qui sont auteurs ou autrices des actes et des comportements apparaissant en parcourant le récit d’un jeu vidéo.

Une première lecture de ce dilemme serait alors de penser les game designers comme les véritables créateurs de ces jeux. Ils définissent une structure et attribuent des rôles définis aux joueuses et joueurs. Ces derniers ne sont alors que des rouages d’une mécanique plus ou moins bien huilée. C’est plus ou moins le postulat formulés par les plus revêches des ludologues bien que cela rentre en contradiction avec les intentions initiales de Gonzalo Frasca lorsqu’il employa cette appellation pour la première fois (Frasca, 2003). Malgré tout, il apparait que les discours mettant en avant les développeurs et les game designers en tant qu’auteurs ont permis de légitimer les jeux vidéo en tant qu’objets culturels. Pour notre proposition, nous souhaitons prendre le contrepied de cette théorie sans la renier ni la critiquer.

En effet, d’autres ont déjà disserté sur ce sujet et nous souhaitons faire un pas de côté pour interroger le joueur ou la joueuse non pas comme un lecteur-modèle (Eco, 1985) mais comme un.e auteur.ice. En ce sens, nous excluons le statut d’objet culturel, d’œuvre afin de développer notre pensée. Dans cet article, nous souhaitons observer qu’une seule facette du jeu vidéo, à savoir sa nature de jeu au sens exprimé par Juul (2006). Pour observer cela, nous allons mettre en avant des phénomènes qui permettent de penser la chose en ce sens. Des exemples simples peuvent immédiatement être exprimés : système de highscores et leaderboards sont de cas durant lesquels les joueurs et les joueuses sont reconnu.e.s pour la façon dont ils se sont comporté.e.s. Par ailleurs, nous nous focaliserons aussi sur les communautés de speedruns et de productions de contenus culturels autour des speedruns. En effet, il est fréquent qu’un ou une speedrunneuse cite un ou une autres joueuses pour avoir découvert un trick ou une technique particulière. De facto, il y a déjà des pratiques effectives qui permettent de penser les joueuses et les joueurs comme des autrices et des auteurs.

Ce papier aura pour objectif d’explorer ces axes que nous proposons tout en proposant qualifiant les productions des joueurs et joueuses sans pour autant leur attribuer un rôle qui minimiserait le travail des game designers et des équipes créant effectivement la structure du jeu.

Bibliographie indicative

Barnabé, F., 2014. Le speedrun : pratique compétitive, ludique ou créative ? Trajectoire d’un détournement de jeu vidéo institué en nouveau game.
Cayatte, R., 2016. L’appropriation de contenus vidéoludiques : les mondes possibles du jeu vidéo. http://www.revue-interrogations.org.
Hughes, M.J., 2017. What motivates the authors of video game walkthroughs and FAQs? A study of six GameFAQs contributors. First Monday 23. https://doi.org/10.5210/fm.v23i1.7925

Explications et Inscriptions

Voilà pour la présentation du projet de travail, maintenant, vous vous demandez peut-être pourquoi j’écris tout cela ?

Avec Jok, nous souhaitons écrire de manière ouverte et collaborative cet article. Nous allons avoir à peu près 30 000 signes pour développer une pensée commune sur le joueur.euse – auteur.ice. Cela veut donc dire que tout intervention est accueillie chaleureusement !

Si vous souhaitez contribuer à un papier scientifique, à titre d’une première expérience parce que vous souhaitez faire de la recherche plus tard, ou tout simplement parce que oui, la recherche, ensemble, c’est vraiment amusant. Jok et moi vous proposons donc de vous inscrire en remplissant le formulaire ci-dessous. Seules les personnes ayant rempli le formulaire auront accès aux documents et seules les personnes ayant effectivement rédigé seront mentionnées dans le papier final qui sera publié dans la revue Le Pardaillan pendant l’année 2018.

Il y aura des ateliers d’écritures durant lesquels Jok et moi coordonnerons les actions de chacune et chacun. Le parcours est plutôt bien balisé, nous savons à peu près où nous souhaitons nous diriger mais, les références, les auteurs, les exemples, tout cela proviendra de nous en tant que communauté rédactrice d’un seul et unique document final.

Attention, il faudra donc que vous soyez disponibles lors des ateliers d’écritures. L’organisation de la rédaction se fait un peu comme une jam ! Bonne ambiance et sérénité pour écrire quelque chose de scientifiquement solide.

 

 

Les ponts dans les jeux vidéo

Et si on parlait des ponts dans les jeux vidéo ? Car des ponts dans le jeu vidéo, il y en a.

Des ponts sur lesquels on roule dans Mario Kart ou des ponts sous lesquels on passe dans Uncharted 4.

Des ponts qu’on traverse en solitaire comme Alan Wake dans la nuit, ou en groupe dans Pokemon Y, à condition qu’on nous laisse passer.

Des ponts pour passer au dessus de l’eau dans A Link to the Past, ou pour traverser la lave dans Super Mario Bros, qui même s’escamotent à notre avantage.

Des ponts qu’on hésite à franchir dans Dark Souls, ou qu’on traverse à toute vitesse dans Track Mania Stadium.

Des ponts routiers qu’on survole en zigzag dans DoDonPachi 2, et sous lesquels on passe dans GTAV.

Des ponts que l’on parcours à pieds dans Transistor, en calèche dans Assassin’s Creed Syndicate,

En vélo dans Pokemon émeraude, en voiture, en train et même en gondole dans Final Fantasy XV.

Des ponts desquels on se jette, dans Metal Gear Solid 2, et des ponts que l’on escalade dans Dying Light.

Des ponts qui servent de point de vue dans The Witcher 3, d’autres de point de repère dans The Last of Us.

Des ponts qu’on voit en fond dans Guilty Gear, et des ponts qu’on ne voit pas dans Mario Odyssey.

Des ponts futuristes dans Portal 2, de très vieux ponts dans Skyrim, voire carrément en ruine dans Hyper Light Drifter.

Des ponts qui s’effondrent sous nos pieds dans Uncharted 2, et qui même se transforment, en chauve-souris par exemple dans Castlevania IV,

Le Golden Gate dans Watch Dog 2, le Tower Bridge dans Midtown Madness 2, le pont de Brooklyn dans The Division,

Bref des ponts dans le jeu vidéo en veux-tu en voilà. De quoi, bien évidemment, faire un petit point sur la question.

On peut commencer par dire que l’omniprésence du pont dans le jeu vidéo est sans doute un peu l’héritage des sidescrollers 2D, qui lui ont donné quelques unes de ses plus célèbres habitudes, de déplacement d’abord, avec le saut, et d’organisation des espaces à traverser ensuite, avec les ponts comme autant de plateformes. De jolis ponts de bois dans Sonic Master System. Rapidement beaucoup moins sages, déstructurés dans Super Mario World, mouvants dans Metal Slug 2, parcellaires dans Wonder Boy.

Et donc sur les ponts de jeu vidéo on saute, mais aussi on se bat. Contre un hélicoptère dans Half Life 2, contre des guerriers squelettes dans Dungeons & Dragons – Tower of Doom. Le pont est souvent noeud de tension. En duel dans Prince of Persia 2, ou en affrontement de groupe dans Planetside 2. On cherche à le prendre ou à le défendre, dans Medal of Honor, et de nouveau dans Call of Duty WWII quelques années plus tard.

Si le pont est un lieu de passage, il se retrouve pourtant, dans le cadre du jeu, souvent entravé. Entravé, par le feu, dans Dragon Quest 8, par une énigme, dans Silent Hill Shattered Memories, voir même, par plusieurs dans The Witness. Le pont bloqué sert aussi à mettre en scène la confrontation, on l’a dit, résolue au mieux par la parole dans Divinity Original Sin. Ou le passage en force dans Tenchi o Kurau II

Le pont est parfois frontière: entre deux quartiers dans GTA 4,  entre deux îles dans Wind Waker où se décide le départ. Il est aussi point de passage avec d’autres mondes, horrifique au début de Résident Evil 4 par exemple.

Rarement très solides, les ponts de jeux vidéo semblent toujours vouloir s’effondrer sous nos pieds, qu’ils soient de bois dans Uncharted ou de pierre dans Three Wonders; nous interdisant tout retour en arrière. Et encore quand on ne les fait pas sauter nous-même, pour assurer sa fuite dans The Witcher 3, en résistance à l’occupant dans The Saboteur, ou par simple plaisir dans Just Cause 3. Heureusement il nous arrive aussi de les construire, dans City Skylines, dans Poly Bridge. De les révéler avec de l’encre dans The Unfinished Swan, ou du papier dans Paper Mario. Souvent des ponts de fortune, dans Snakebird ou Tomb Raider par exemple. Ils se construisent même tout seuls dans Mario Galaxy.

Bref, si on ajoute les ponts fractals de Manifold Garden, les ponts glitchés de Memory of a Broken Dimension et les ponts esheriens dans Fragments of Euclid, les ponts dans le sable de Journey, et le pont grand comme une ville dans Bravely Default, sans oublier les ponts de cartes dans les airs d’Alice Madness Returns, ni les ponts rubans, dans les airs toujours, de Bound, alors on peut dire que le pont est, dans les jeux vidéo, décidément partout; ce qui nous a donné des envies de classement. C’est donc parti pour un TOP 5 subjectif, celui de nos meilleures scènes liées de près ou de loin aux ponts dans les jeux vidéo.

Notre numéro 5. De tous les ponts rencontrés dans la série Zelda, le plus mémorable n’est peut-être pas le pont Gerudo qui reste encore à construire, ni le pont du duel où l’on s’affronte sur monture et devant soleil couchant, peut-être pas non plus le très intimidant pont Hylia, serein sur son lac, mais le bien plus modeste pont Kokiri où se joue à la fois la perte amoureuse et la sortie de l’enfance.

Notre numéro 4. Rayman Legends, ou plus précisément Castle Rock, niveau musical détonnant, sans doute plutôt une muraille qu’un pont, mais qui se traverse comme si elle en était un. D’ailleurs des ponts on en voit tout le long, qui s’effondrent, bien sûr, au rythme furieux de la traversée.

Pour notre numéro 3, on se devait d’évoquer les cruels défis lancés par les ponts de jeu vidéo. Dans Sonic 2, les passerelles capricieuses de Chemical Plant Zone, dans Adventure of Link aussi, des ponts terrifiants par dizaines, mais surtout et c’est pour nous une évidence Road to nowhere dans Crash Bandicoot. Ascenseur émotionnel de tous les instants, entre autres à cause de la rigidité de son personnage, ce niveau est pour nous un des ponts les plus douloureusement marquants du jeu vidéo

Notre numéro 2, Fumito Ueda, évidemment, dont l’obsession pour les ponts traverse toute sa production. Des ponts partout dans un forteresse de pierre, piège monumental et trompeur pour Ico et Yorda, ou long jusqu’au sublime, en passerelle tendue vers le fantastique dans Shadow of the Colossus. Et surtout des ponts à chaque instant dans The Last Guardian, souvent dans l’urgence et l’effondrement, ou dans la poésie de leur fragilité. Mais c’est quand ils sont fiables qu’ils nous plaisent le plus; lorsque déplié, et un peu par surprise, le pont se fait pont d’envol.

Finalement, les ponts qu’on préfère, ce sont peut-être ceux qu’on construit nous-même, dans Minecraft, qu’ils soient longuement planifiés ou improvisés dans l’instant, seul ou en coopération, dans toutes les matières, dans tous les espaces, pour traverser ou rejoindre… tout ce qu’on voudra.

Damastès, Weis & Baptiste, 2017.

La richesse des nations – Catane

Catane est un jeu dans lequel les joueuses et les joueurs doivent étendre leur territoire sur une île. Pour ce faire, ils et elles doivent utiliser des ressources qu’ils et elles peuvent récupérer des différents terrains et environnements présents sur le plateau du jeu. L’une des particularités du jeu est qu’au début de chaque partie, chaque joueur et joueuse place progressivement leurs colonies sur les terrains qu’il ou elle souhaite occuper. Le placement initial des premières colonies est donc crucial puisque c’est cet événement qui détermine alors les divers avantages de chacun des joueurs. Une colonie se place à l’intersection de plusieurs terrains sur lesquels sont indiqués des nombres entre 1 et 12. Un lancer de dés détermine alors à chaque tour quels terrains rapportent des ressources aux joueurs ayant une colonie limitrophe. Par exemple, une joueuse lance et obtient un 8 aux dés. L’ensemble des terrains étant associés à des 8 génère alors des ressources. Dès lors, il apparait que le placement initial des joueurs et des joueuses est décisif selon deux paramètres. Premièrement, les joueurs sont invités à occuper les meilleures places. Celles-ci doivent soit apporter des ressources nécessaires pour les constructions élémentaires, soit s’inscrire dans une stratégie de spécialisation : volonté de monopoliser une ressource par exemple, devenir particulièrement productif, etc. Secondement, les joueurs et les joueuses sont invité.e.s à se positionner en fonction des plus fortes probabilités de production. Pour cela, ils et elles doivent sélectionner des terrains associés à des nombre comme 6, 8, etc.

Smith et ses avantages

Dès lors généralement, la partie démarre avec un ensemble de déséquilibres entre les joueuses et les joueurs. Certains ont des avantages tandis que d’autres sont clairement désavantagés. Il est alors particulièrement intéressant de voir cela d’un point de vue économique pour expliquer les mécanismes ludiques. En effet, les situations qui apparaissent en chaque début de partie reflètent la répartition des ressources et plus généralement illustrent de nombreux principes théoriques énoncés dans « La Richesse des Nations » d’Adam Smith repris par la suite par David Ricardo. Il convient donc alors de les aborder ici. En effet, c’est amusant de remarquer que les règles constitutives de ce jeu sont une forme d’application ludique de théories économiques vielles de plus de deux cents ans.  Dans leurs ouvrages, Smith et Ricardo se sont attachés à expliquer, selon eux, les écarts de développement entre les pays. Ils abordent pour l’un les avantages absolus et pour l’autre les avantages comparatifs. Ces deux concepts font tout de même référence à une même idée que certain pays sont avantagés par rapport à d’autres. En fonction de leurs avantages, les pays se spécialisent dans certains domaines et non dans d’autres. Il y a donc une idée que ces avantages expliquent (1) la spécialisation des pays dans une économie mondialisée et (2) l’existence d’une division du travail à l’échelle internationale : deux pays ont intérêt à s’échanger les productions pour lesquelles ils sont respectivement les meilleurs. Ricardo va plus loin que Smith en postulant qu’un pays ne doit pas seulement se comparer à d’autres pays mais aussi par rapport à lui-même en observant les filières pour lesquelles il est meilleur. Dans ses écrits, c’est de cette de cette façon qu’il explique que même si le Portugal peut produire des machines-outils, il a plutôt intérêt à se spécialiser dans la production de vin. L’observateur.ice averti.e remarquera alors que la théorie des avantages de Ricardo qui sont alors « comparatifs » est un outil de justification d’une forme coloniale de l’économie puisque les pays développés ont tout intérêt à maintenir des pays émergents à un certain niveau technologique par exemple. Si Ricardo ne voyait pas de problème à maintenir un pays dans la production d’un bien technologiquement peu abouti, il est évident que les enjeux ne sont pas les mêmes entre la production de vin et la production de machines-outils.

Catane et Ricardo sont sur un bateau

Catane met en exergue cela. En début de partie, chaque joueuse et joueur a pour objectif d’obtenir un « avantage comparatif » car cela va permettre de générer des rapports de forces inégaux avec ses adversaires (nous respectons dans ce jeu logique de concurrence capitaliste bien entendu). L’exemple du bois et de l’argile est criant de vérité. Ces deux ressources sont nécessaires pour les premières constructions (des routes et des colonies). Il est donc crucial pour les joueuses et les joueurs d’acquérir ces ressources en début de partie. On pourrait même alors rapprocher le processus de développement d’une nation d’un ou une joueuse dans Catane de la théorie du décollage économique de Rostow mais c’est une autre histoire. Dès le début d’une partie, on peut alors immédiatement faire des prédictions sur les joueurs et les joueuses qui ont opté pour ce type de ressources (pourvues que les jets de dés soient bons). Les nations qui se développent le plus rapidement en début de partie sont celles (1) qui ont le plus de chances de gagner et (2) qui installent des rapports de force immédiatement avec les nations qui ne peuvent pas se développer. On retrouve donc des rapports Nord-Sud.

Le développement rapide permet deux choses aux joueuses et joueurs qui le vivent. Premièrement, dans un esprit colonialiste, leur objectif devient d’abord de privatiser les terres avant de les travailler. C’est ce qu’il s’est passé avec la colonisation européenne de l’Afrique et des Amériques. Secondement, il s’agit de réduire le potentiel de négociation des autres joueurs soit (1) en s’accaparant les zones d’échanges : les ports permettent d’échanger des ressources contre d’autres à moindre coût ou (2) en mettant en place des stratégies rendant les terres exclusives, c’est-à-dire inaccessible aux autres même si apparemment, le partage des ressources communes ne nuirait ni à l’un.e ni à l’autre. A propos des rapports entre joueur.euse.s , l’un des phénomènes passionnants à observer concerne uniquement le temps de jeu. Catane illustre à mon sens parfaitement ce qu’il se passe au niveau politique internationale : les joueur.euse.s les plus riches sont celles et ceux qui ont le temps de jeu le plus long allant jusqu’à plusieurs minutes tandis que les tours des joueurs et les joueuses les plus pauvres sont les plus expéditifs, voire ne se réduisent qu’au lancé de dés. Il y a pour moi un parallèle flagrant entre ce qu’il se produit dans Catane et les échanges internationaux. On peut même pousser cette lecture un peu plus loin, ou alors en resserrant notre focus en disant que Catane reflète les écarts de temps de parole entre différents groupes sociaux. Si Catane représentait la France, il deviendrait alors possible de faire des parallèles pour déterminer quels sont les joueurs qui remportent la partie.

L’oppression des riches

Observer le jeu Catane depuis l’économie est révélateur de ce qui fait sens ludique aujourd’hui en occident il me semble. Il s’agit dans ce jeu de reproduire des schémas colonialistes d’accaparement des ressources et de leur privatisation. Par ailleurs, les échanges et les relations entre les joueur.euse.s sont révélateurs des formes actuelles de rapports de force entre les pays. Pourtant, Catane est un jeu salué par la critique, les joueurs et les joueuses. La seule conclusion que je peux alors proposer est qu’il illustre particulièrement ce que nous sommes réellement.

Esteban Grine, 2018.