Chroniques de mon mépris du jeu vidéo

Chroniques de mon mépris  du jeu vidéo

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Si j’ai assez de considération aujourd’hui envers le jeu vidéo pour y consacrer une grande partie de mon temps, que ce soit par sa pratique, par sa création, ou pour réfléchir à son sujet, il n’en  a pas toujours été ainsi. Pour être tout à fait honnête, je peux même dire que c’est, d’une certaine manière, un média que je méprisais sans m’en rendre compte jusqu’à très récemment. Et n’ayant pas l’excuse de la méconnaissance, puisque j’ai eu le privilège d’y avoir accès très tôt dans ma vie, la préparation de cet article m’a amené à me pencher sur cette question : Comment ai-je pu, avec un parcours vidéo-ludique aussi riche, me méprendre autant sur ce média  ?

Je devais avoir trois ans lorsque j’ai eu ma première console, une Sega Master System. Si je conserve bien quelques souvenirs de mes sessions de jeu, il ne s’agit que de bribes, et les seules anecdotes concrètes qu’il me reste, sont les problème liés à la console elle-même ; les  lancements indésirables d’« Alex Kid », jeu intégré directement à la console,   qui démarrait dès lors qu’une cartouche était trop poussiéreuse , ou encore les tripatouillages répétés de  la prise péritel afin obtenir autre chose qu’un sonic en noir et vert.

Puis à 5 ans, j’ai  eu la Sega Megadrive Je ne manque pas de souvenir de cette période, que ce soit « Sonic the hedgehog 2 » dont je serais capable de faire une retranscription quasi-parfaite des musiques tellement elles m’ont marquées, « Les lemmings », dont la notice recouverte de centaines de mots de passe témoigne encore aujourd’hui de mon obsession pour ce jeu,  « le livre de la jungle » et ses  animations ou encore le beaucoup trop exigeant « Wolverine : Adamantium Rage » dont je recommençais le premier niveau en boucle.

Mais malgré l’empreinte qu’ont laissée ces œuvres sur moi, elles ne semblent pas avoir influé la construction de mon image de ce média autrement que par contraste avec ce qui a suivi.

Paradoxalement, la période qui a radicalement changé ma manière de percevoir l’objet vidéoludique,  de jouer, de choisir mes jeux, et qui a très certainement le plus influé sur ce qu’allait être mon avenir, est certainement celle pendant laquelle j’ai le moins joué, tout du moins,  de la manière dont on l’entend habituellement. Et cette période commence  par l’arrivée  chez moi de la Playstation de Sony . J’avais alors 8 ans.

Si jusqu’ici, tout le monde l’utilisait à la maison, il n’en reste pas moins que la console était principalement considérée comme un jouet, apanage de l’enfant. Et lorsque quelqu’un prenait une manette, c’était plus pour jouer avec moi que pour jouer au jeu lui-même. C’est avant tout cette image que la Playstation a révolutionnée: il ne s’agissait plus de mon jouet d’enfant mais de celui de la famille.

Au début, nous ne possédions pas la console. Nous la louions dans un vidéoclub, avec sa ou ses manettes, un jeux vidéo et  parfois une carte mémoire. Nous l’installions sur la télévision, invitions des amis et jouions parfois pour la soirée, parfois pour la nuit et souvent pour tout le week-end.  Jouer à un jeu vidéo était devenus un événement social éphémère, ce qui eut un fort impact sur nos habitudes de jeu.

Car on ne peut pas jouer en groupe de la même manière que l’on jouerait seul ; on doit se partager les rôles. Il y a d’une part le pilote, celui qui tient la manette et contrôle l’avatar, et de l’autre il y a les copilotes, qui l’assistent, l’aident à résoudre les énigmes et lui suggèrent les bonnes actions à exécuter, et tous, ensemble, profitent du développement narratif du jeu.

Si la manette me revenait régulièrement entre les mains , j’ai très vite préféré le rôle de copilote . Je ne pourrais dire exactement pourquoi,  même si j’imagine que mon manque de confiance en mes aptitudes physiques, héritage de la cour de récréation, devait y être pour quelque chose. Car jouer en publique, c’est aussi échouer en publique.Toujours est-il que j’ai pris énormément de plaisir à endosser ce rôle de joueur sans contrôleur, si bien que j’ai plus de souvenir de ces expériences-là que de celle en tant que pilote.

Ainsi, lorsque je repense au premier Tomb Raider, si je me souviens aussi des contrôles rigides, de la caméra pas toujours optimale et des phases de nage cauchemardesques, cela ne viens qu’après le souvenir de la fierté que j’ai pu éprouver à résoudre certaines des énigmes. Quant au premier Resident Evil, je n’ai quasiment aucun souvenir de gameplay, seulement des réminiscences de certaines cinématiques. Et quand dans les années qui suivirent on me demandait de citer mon jeu préféré, je répondais volontiers « Final Fantasy 7 » , un jeu auquel je n’avais, à cette époque, quasiment jamais joué la manette entre les mains, mais dont j’avais dévoré les plusieurs centaines d’heures de jeu en tant que copilote.

Et puis cette période à pris fin. Le jeu vidéo est redevenue pour moi une activité solitaire. Et c’est très certainement lorsqu’il m’a fallu recommencer à choisir mes jeux par moi-même que tout c’est joué.

Mon expérience du média se divisait donc en deux grandes périodes : la première, celle de ma prime enfance, une période pendant laquelle le jeu vidéo était synonyme de gameplay bien plus que de contenu narratif. La seconde, celle du jeu « adulte », dans laquelle le jeu vidéo était synonyme de cinématographie et de réflexion . Et la dernière chose que l’enfant que j’étais voulait c’était d’être perçus comme un enfant.

C’est ainsi que ma définition du jeu vidéo idéal s’est construite, par une opposition entre un type de jeu prétendument immature à un autre prétendument mature. Pour qu’il soit « bien », un jeu devait contenir une  narration proche du média cinématographique et devait privilégier les aptitudes cognitives aux aptitudes physiques. Cela signifiait que pour que je le considère, je demandais à un jeux vidéo de moins se définir par le jeu que par un autre média.

Ma consommation vidéoludique c’est  donc naturellement orientée vers des genres répondant à cette définition, avec en tête celui du point’n’click. Avec tout de même d’excellent souvenir, qu’il s’agisse de la saga des « Broken Sword », des « Monkeys Island » ou encore « Siberia ».

Cette vision réductrice du média n’allait pas évoluer avant  mes 14 ans, période à laquelle l’acquisition soudaine d’un esprit de compétition me poussa à une pratique intensive des jeux  Counter-Strike et Warcraft III, me réconciliant ainsi avec les jeux vidéo privilégiant le gameplay au scénario.  Mais  il ne s’agissait pas encore rendre ses lettres de noblesse au jeu électronique, car là encore je ne le considérais que comme le sous-genre d’une autre activité socialement reconnue; le sport.

C’est douzes années de plus qu’il m’aura fallu pour déconstruire cette association entre jeu et immaturité. Ça a commencé avec l’émergence du rétro-gaming, qui m’aura permis de redécouvrir les jeux vidéo de mon enfance et de celle des autres. Puis il y a eu l’apparition de la scène indépendante, suivie de près par la sortie de jeux d’auteurs qui m’auront profondément marqués dont pour ne citer que lui « PaperPlease ». Et c’est enfin la multiplication et la popularisation de contenus réflectifs sur ce média qui en me permettant de conscientiser mon erreur, m’ont permis de mettre un terme définitif à cette méprise.