Le reflet de cultures japonaises – Breath Of The Wild

Zelda Breath Of The Wild est une œuvre qui s’inscrit bien plus dans une lecture et une représentation de la société japonaise que les précédents opus de cette série. J’aimerais dans ce billet m’attacher plus précisément à parler des héros et de ce qu’ils et elles m’évoquent. En effet, je suis un lecteur assidu de mangas. Cela ne signifie pas que je suis compétent dans la façon de décoder Breath Of The Wild en tant qu’artefact issu d’une culture japonaise. Au contraire, je serais bien malin de vouloir prétendre à ce statut. Cependant, mon parcours d’Hyrule et les discussions que j’ai eues m’ont tout de même fait aboutir à la conclusion que ce jeu est reflète bien plus le Japon que les précédentes itérations de la série. De même, bon nombre de personnages sont évocateurs d’un style sino-japonais en termes de récit. Impossible de ne pas non plus voir certaines constructions typiques de récits chinois. Ainsi, je vais m’attacher ici à évoquer les références qu’il me semble avoir observé lors de mes sessions sur le dernier Zelda.

Un jeu ancré dans une narration traditionnelle

Le tout début du jeu est particulièrement fascinant. Link se réveillant et sortant d’un cocon de pierre et de métal m’ont évoqué la naissance du roi-singe, Sun Wukong en chinois, Son Goku en japonais. Le héros naissant sous la montagne pour sortir de son œuf, voilà un trope du conte sino-japonais. Le roi d’Hyrule, sous la forme d’un pauvre vieillard est le maitre de Link. Il va alors lui transmettre son savoir et ses compétences afin de permettre à son apprenti de sortir du plateau du prélude, havre de paix dans ce monde post apocalyptique. J’y retrouve un peu du maitre du Sun Wukong qui enseigna à ce dernier 72 transformations. J’aime beaucoup cette idée de rapprocher Link du personnage du « Voyage en occident ». En effet, Sun Wukong est le parangon du héros asiatique, c’est aussi quasiment le modèle de tous les personnages principaux des récits japonais prenant la forme de manga nekketsu. Quelqu’un de plus patient que moi pourrait se concentrer sur tous les parallèles qu’il y a à dresser entre les Zelda et le récit chinois que je mentionne.

Les 4 prodiges, archétypes du nekketsu

Je vais ici principalement me concentrer sur les archétypes des nekketsu que je retrouve dans BOTW, à commencer par 4 champions, prodiges dans la version française. Pour rappel, les nekketsu sont des récits mettant en exergue la résolution de conflits par un ou des héros. Ces conflits vont généralement crescendo dans leurs représentations. De nombreuses valeurs y sont généralement diffusées dont notamment l’amitié, l’esprit d’équipe (nakama et compagnie), la volonté de travailler dans un but commun où chacun connait sa place dans le groupe (souvenons-nous d’Usopp qui rentra en conflit avec Luffy à Water Seven pour immédiatement revenir, masqué cette fois), etc.  Mipha, Daruk, Urbosa et Revali sont à mon sens des parangons, des archétypes des membres que l’on retrouve en tant que personnages centraux dans un manga. Mipha est une jeune zora très attachante mais il s’agit là d’un des tropes les plus typiques à propos de la représentation féminine par certain.e.s auteur.ice.s japonais.e.s, à savoir : la bienveillance et la non prise de parole comme traits caractéristiques du personnage. Il doit s’agir du membre du groupe ayant le moins de lignes de dialogue, elle est aussi laissée à l’écart lors de scène montrant le collectif en train de discuter. Mipha a aussi tout de la caricature de « l’amie d’enfance amoureuse du protagoniste principal » que l’on retrouve dans de nombreux mangas. Si Mipha est adorable, c’est parce qu’il s’agit aussi d’une représentation de la culture Moe. A l’opposé, Urbosa apparait comme une femme distante mais tout de même concernée par les événements. Je retrouve personnellement beaucoup du personnage de Nico Robin de One Piece. De manière générale, j’observe de nombreux parallèles entre les personnages du manga et de Zelda. Urbosa montre aussi un attachement maternelle envers Link et Zelda comme le montre Damastès (2017) notamment. Personnellement, je vois en Urbosa une représentation vidéoludique de la femme Tsundere, distante mais qui devient progressivement attachante. Daruk quand à lui représente le « bon vivant », celui qui rigole, qui est heureux peu importe la situation. Il peut aussi dans une certaine mesure représenter une personne n’ayant pas de frontière dans ses relations sociales : il frappe notamment Link dans le dos lors d’un souvenir. Il peut être malvenu au Japon de se montrer trop expressif et Daruk vient incarner cela dans BOTW. Je n’y vois pas spécialement une critique mais cela me semble suffisamment visible pour l’évoquer. Enfin, Revali incarne le « gentil concurrent », le prétentieux attachant. Dans de nombreux mangas, ce genre de personnages est mis en avant pour être positionné en « faux antagoniste » du personnage principal. On y retrouve Sasuke du manga Naruto mais aussi Uriû Ishida du manga Bleach. Ce type de personnage est utilisé dans le but de renforcer la grandeur du héros. Dans Zelda, Revali finit par adouber Link puisque ce dernier parvient à le délivrer de l’emprise de Ganon.

Finalement, dans la constitution de ces héros, Zelda BOTW reste particulièrement proche des canons narratifs japonais à destination d’un public jeune. Là où se démarque franchement Nier automatA de Yoko Taro. Ce dernier dépasse largement le genre du nekketsu pour s’ancrer dans des récits définitivement plus seinen que shonen.

Les peuples comme les reflets de la société japonaise

D’une manière générale, il est aussi très intéressant d’observer les différentes races d’Hyrule comme des reflets de la société japonaise. Si Urbosa incarne une matriarche tsundere, son peuple, les Gerudo représente il me semble la culture Gyaru ou Kogaru, c’est-à-dire des jeunes femmes japonaises aux cheveux décolorés et bronzées. Les Gerudo regroupent à elles seules plusieurs fantasmes japonais autour des femmes. Il est évident que leur représentation dans BOTW est à associer aux divers phénomènes culturistes dont la muscular girl que l’on retrouve dans certains mangas du type pantsu. Aussi, il est intéressant de voir que les citadines de cette société matriarcale dirigent leurs forces vers le fait d’être une « bonne épouse » : cours de cuisine, cours de séduction. La femme y est aussi représentée comme tentatrice tandis que l’homme se doit de rester à l’écart ou naïf sur ces questions. Voir des Gerudo prendre des cours de cuisine m’évoque cette tendance que je vois dans les mangas à propos des Kogarus. Il s’agit dorénavant de les exposer en incluant des éléments de la culture moe : manque de confiance, crédulité, ignorance de certains faits et gestes. Je pense notamment au manga Gal Gohan dont le récit présente une gyaru prenant des cours de cuisine. Pour toutes ces raisons, les Gerudo de BOTW sont particulièrement d’actualité dans les sujets de représentations que l’on retrouve dans les productions culturelles japonaises. L’intérêt grandissant des japonais pour les Kogaru et les muscular girls explique leurs chara design ainsi que leurs traits de personnalités. Synonyme de légèreté, les Gerudos contrastent avec le reste des peuplades d’Hyrule.

A propos des relations amoureuses au Japon et surtout leur représentation dans les jeux vidéo, je serais très heureux d’avoir une discussion avec Léticia Andlauer qui travaille sur les visual-novels japonais de drague. Je reste très approximatif dans mes propos, c’est pourquoi, si vous êtes intéressés par ces sujets, je vous invite à découvrir son travail et la contacter directement ici =>

https://twitter.com/Leticiandlr

A l’extrême opposé, les Zoras m’évoquent le sérieux et l’esprit du travail d’équipe = l’antithèse complète des Gerudo en somme. Leur histoire indique qu’ils ont ensemble construit leur lieu de vie totalement décloisonné et non privatif, à l’instar des représentations que l’on peut avoir des environnements d’entreprises japonaises. Le collectif prend le pas sur l’individualité. Sidon, le prince de ce peuple, à l’inverse de la reine actuelle des Gerudo, se soucie d’abord de la collectivité avant de soucier de ce que cette dernière pense de lui. Il connait sa place et ne souhaite pas non plus interférer, remplacer dans les esprits, sa défunte sœur Mipha. Il y a chez les Zora une certaine volonté de protéger les traditions culturelles. Le rejet des hyliens de certains Zora ressemble fortement au Japon du début du XXème siècle qui interdisait l’entrée sur son sol d’immigrants ou tout simplement de marchands, coloniaux ou pas. On retrouve donc une forme de protectionnisme extrême qui se veut tout de même plus ouvert. En témoigne de cela le changement de posture du conseiller du roi Zora, réfractaire au début puis acceptant l’aide de Link. La mémoire de Mipha est aussi entretenue par la valorisation de ses actions. La relation qu’a Sidon avec sa sœur est d’ailleurs très emblématique de cela. Mipha est considérée comme un niveau de perfection inatteignable. Son statut d’icône ne peut être remis en cause par aucun Zora, elle l’est par définition.

Ainsi, les Zora représentent une certaine organisation sociale japonaise. Je considère qu’il s’agit là surtout des organisations valorisant le travail. Les Gorons sont quant à eux dans une organisation qui me fait penser aux systèmes mafieux. Il y a un fort respect hiérarchique, les gorons n’ont pas le droit de toucher aux canons du chef par exemple, et il y a un certain côté vénal de leur part à vouloir exploiter la montagne pour en tirer ses richesses. Le fait que les Gorons soient aussi esthétiquement proches des Sumos par leur vêtement rend l’ensemble extrêmement cohérent. Dans Freakonomics de Steven Levitt, les auteurs montraient un écosystème passionnant entre les jeux d’argent, la culture sumotori mais aussi les Yakuzas.  Les Piafs sont quand eux peut-être la représentation d’une forme d’élite. Ces deux derniers peuples me sont plus difficiles à définir puisque j’ai l’impression qu’ils sont moins nombreux que les Gerudos et les Zoras, particulièrement pour les Piafs que je n’ai côtoyés que très peu hormis Kass et celui qui nous conduit à la bête divine. Ces derniers sont tout de même intéressants puisqu’ils représentent des parents ayant quitté leurs familles afin de poursuivre un objectif de vie. J’ai l’impression que cela peut refléter plusieurs choses : traumatismes des familles séparées pendant la seconde guerre mondiale, travail du père dans une autre ville, expatriation d’un parent travaillant à l’étranger, etc. Il y a aussi des choses à voir dans ce cas-là. Il ne reste alors plus que les Hyliens et les descendants des Sheikas pour incarner la population japonaise réparti entre culture traditionnelle pour les Sheikas du village Kokorico et culture mixte pour les hyliens d’Hateno et du sud d’Hyrule (proches alors des régions du pacifique). Je ne vais pas m’attarder ici sur leur cas puisque les deux m’ont moins saisi. Cela se voit dans mon écriture : les Zoras et les Gerudos sont les peuples que j’ai le plus côtoyé étant donné que je n’ai pas encore pris le temps de réaliser les quêtes des populations du nord d’Hyrule. J’y reviendrais donc peut-être prochainement.

Conclusion

Pour conclure, j’ai apporté ici une lecture très personnelle du jeu. Je la suppose cependant fortement partagée par de nombreuses personnes dont celles avec qui j’ai discutées et qui se reconnaitront. Breath Of The Wild apparait comme un jeu reflétant la société japonaise tout en reproduisant avec facilités des codes du genre du nekketsu. Ainsi, plus que les opus précédents, il apparait comme un témoignage de ce qu’est la société japonaise aujourd’hui. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Cet article n’aurait jamais été possible sans les discussions et les échanges que j’ai eus avec les gens du discord LCV mais aussi des vidéos de Damastès et particulièrement sa lecture du peuple Gerudo que je reprends et agrémente ici. Sans ses avertissements, j’aurais aussi loupé de nombreuses choses.

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