L’écriture inclusive et son usage dans mes travaux de thèse

L’écriture inclusive est actuellement un sujet de vif débats à propos de son usage dans les textes académiques francophones. Comme le rappellent Danièle Manesse et Gilles Siouffi, l’écriture inclusive vise à « “inclure” toutes les personnes qui peuvent se sentir non représentées par une désignation, qu’il s’agisse de sexe, d’ethnicité, de religion » (Manesse et Siouffi, 2019 : 7, cités par Steuckardt, 2020). Or, bien que cela ne soit pas une question centrale de ma thèse, mon corpus se retrouve concerné par cette problématique, en particulier parce que précisément, les équipes ayant travaillé sur ces jeux ont inclus des représentations variées et inclusives.

Ce billet est une version pour internet d’une section de mon manuscrit de thèse que je prépublie. Cet article est soumis au droit d’auteur comme l’intégralité de ce blog. Pour citer cet article, merci d’utiliser la citation suivante :
Grine., E., (2020).L’écriture inclusive et son usage dans mes travaux de thèse. Les Chroniques Vidéoludiques.

En effet, EarthBound, Mother3 et Undertale sont trois jeux qui incluent une grande diversité de représentations au sein de leurs personnages. Ces représentations font référence à un spectre très large et parfois intersectionnel. Par exemple, dans Earthbound, le personnage de Tony, ami avec Jeff (l’un des enfants du groupe de héros) a longtemps été l’objet de discussions au sein des communautés de fans à propos de son orientation sexuelle. Le traducteur du jeu pour la version américaine, Marcus Lindblom, a confirmé en interview l’orientation du personnage et a tenté d’intégrer cela avec finesse (Lindblom, 2015). Clyde Mandelin, auteur de la fan-trad de Mother3 et de l’ouvrage Legend of Localization Book 2: Earthbound, cite une interview de Shigesato Itoi dans laquelle ce dernier énonce :

Well, for example, there’s a gay person in MOTHER 2. A really passionate friend who lives in an England-like place. I designed him to be a gay child. In a normal, real-life society, there are gay children, and I have many gay friends as well. So I thought it would be nice to add one in the game, too. (Itoi, 2003, traduit par Mandelin, 2015)

Dans Mother 3, ce sont particulièrement le groupe des Magypsies qui cristallise l’importance de l’inclusivité étant donné qu’il s’agit d’un groupe de personnages non-binaires. Du moins, il est expliqué dans le jeux qu’iels ne s’inscrivent ni au genre masculin, ni au genre féminin. Plusieurs discussions entre fans ont porté sur la représentation des magypsies afin de déterminer si leur représentation s’inscrit dans un registre queerphobe, transphobe ou non. En effet, l’équipe créative s’est reposée sur des stéréotypes à l’égard des personnes transgenres et s’est inspirée de la culture drag. Il en résulte des interprétations variées au sein des communautés de joueurs et joueuses qui ont déjà été notamment discutées sur les forums historiques des joueurs et joueuses de la série comme earthboundcentral.com et Starmen.net. J’aurais le temps de revenir sur le sujet un jour dans un billet dans lequel j’aborderai plus en détail les formes de discursivités liées au character design. En tout état, j’utiliserai le pronom «iel» lorsque je leur ferai référence, ainsi qu’à tout personnage non-binaire afin d’assurer une continuité entre le lore du jeu et les propos tenus de cette thèse.

Enfin, Undertale et Deltarune offrent aussi une large variété de représentations. Tout d’abord, les avatars que sont Frisk et Chara dans le premier et Kris dans le second sont nommé·e·s en recourant au they épicène. Ensuite, les jeux proposent des personnages aux orientations sexuelles variées. Dans Undertale, Undyne et Alphys, deux deutéragonistes, forment un couple lesbien tandis que RG01 et RG02, deux gardes royaux s’avouent leurs sentiments (réciproques, tels que cela est suggéré) lors d’un combat que l’audience a avec eux. Deltarune ne fait pas non plus exception : il est possible de découvrir que Noelle Holiday, un personnage non-joueur mineur, développe « un crush », c’est-à-dire des sentiments amoureux, à l’égard de Susie.

Ainsi donc, je considère que le corpus de jeux que je mobilise pour cette thèse sont une invitation à faire un usage de l’écriture inclusive. Le Haut Conseil pour l’Egalité a proposé en 2015 un ensemble de dix recommandations afin d’effectuer une communication publique sans stéréotype de sexe (HCE, 2016 : 19). Mon interprétation de leur recommandations intègre aussi les stéréotype de genre. C’est pourquoi en général, les expressions neutres sont privilégiées («l’audience» à la place «des joueurs»). Si cet usage porte à confusion dans un contexte particulier, c’est l’usage du féminin et du masculin systématique («les joueurs et les joueuses» pour distinguer l’audience qui joue de l’audience qui regarde par exemple) qui s’impose. Enfin, le pronom «iel» est employé pour les personnes et personnages non-binaires ainsi qu’un usage systématique du point milieu pour les adjectifs les concernant. Ce point milieu, vaste sujet de débat, n’est par contre pas du tout constat dans ma pratique tellement cela varie d’un texte à un autre, d’un paragraphe à un autre.

Si je consacre tant de place à cette question et ce, même si mes travaux de thèse, de vulgarisation, de blogging,etc. ne s’inscrivent pas dans les études de genre, c’est parce que je considère mon manuscrit comme mon blog comme des formes de communications publiques. Cela fait donc référence aux recommandations du HCE. Aussi je souhaite que mon travail s’inscrive dans la période à laquelle il est produit et qu’il soit aussi un produit de cet époque ainsi que des débats se déroulant au moment de son écriture. Enfin, de par son contenu, mon travail n’aborde que très peu les questions liées aux genres. L’usage de l’écriture inclusive est donc pour moi aussi une façon de répondre à l’invitation proposée par Fanny Lignon dans l’introduction de l’ouvrage collectif Genre et jeux vidéo dans laquelle elle écrit :

Derrière cette démarche, la volonté d’ouvrir grand la porte sur un champ encore en friche et l’espoir que cette publication donnera envie à d’autres chercheur·e·s de s’engouffrer par cette ouverture pour explorer ce qu’il y a au-delà. Car il nous semble que le genre et les jeux vidéo, parce qu’ils ne sont pas encore tout à fait reconnus sur le plan académique, parce qu’ils sont le lieu où se déploient des enthousiasmes jeunes, ont tout à gagner à se rencontrer. (Lignon, 2015 : 9)

Je n’ai pas la prétention d’explorer un champ encore en friche sur lequel des collègues sont bien plus en avance, mais j’espère que l’emploi de l’écriture inclusive ici nourrira aussi et à sa mesure l’enthousiasme de futurs chercheurs et chercheuses pour ces questions et surtout, que cela participera à l’entretien de ce débat dans les sphères académiques.

Esteban Grine, 2020.


Bibliographie