Link le mondialisé – Breath Of The Wild

Si dans ses représentations Zelda Breath Of The Wild s’inspire à mon sens énormément des sociétés japonaises, il en est tout autre de ses mécaniques de gameplay. S’il est définitivement japonais, il semble pertinent de le contextualiser dans des phénomènes de mondialisation de la création vidéoludique. En effet, beaucoup de personnes voient en ce Zelda un changement de paradigme pour le jeu vidéo, l’exploration, etc. Cependant, dans ses mécaniques et la proposition qu’il nous fait, ne s’agit-il pas plus d’un pont ? D’une passerelle entre une façon occidentale de game designer un jeu et une façon orientale ?

En effet, en posant les choses, on remarque que les précédents Zelda, malgré leur orientation résolument tournée vers l’action, proposaient des expériences relativement linéaires et dirigistes, du moins pour les épisodes 3D sur consoles de salon. Il s’agit là d’une philosophie très japonaise de penser la création d’un jeu de rôle. A chaque instant, les joueurs n’avaient en réalité qu’une seule chose à véritablement faire et ce, dans un certain ordre. Dans un sens, Breath Of The Wild fait la même chose lorsqu’il nous demande « d’abattre Ganon » dès la fin du plateau du prélude. Cependant, l’une des distinctions qui a toujours été observées dans les jeux de rôles japonais arrivés en France en fanfare concerne la mise en avant d’éléments constitutifs d’une narration fortement visible : soit des cinématiques avec l’exemple de Final Fantasy, soit des boîtes de dialogues longues, etc. A l’inverse et par facilité, les jeux de rôle occidentaux ont toujours été définis par les possibilités qu’ils offrent en terme de libertés et de choix dans la façon dont ils sont appréhendés. Les jeux Bethesda en sont les parangons, les archétypes. Il s’agit là bien entendu d’une facilité d’esprit pour celles et ceux souhaitant absolument marquer une distinction entre jeux orientaux (en incluant aussi les jeux chinois comme l’excellent Tales Of Wuxia) et les jeux occidentaux.

Alors, présenter Breath Of The Wild comme un changement de paradigme qui dépasse la série semble erroné. Tout d’abord parce que des précédents jeux de rôle japonais proposaient déjà des formes d’exploration relativement libres (en prenant en compte les limites techniques de l’époque). C’était le cas par exemple de Super Hydlide sorti sur Megadrive au début des années 1990. Dans ce jeu, le joueur est libre d’explorer le monde qui lui est proposé et le récit relativement difficile d’accès n’aidait pas à rendre l’expérience dirigiste (et digeste).

Ainsi donc, je note deux choses dont la première est finalement que les Zelda 3D ne se sont jamais véritablement démarqués d’une certaine tradition de conception orientale. Malgré leur côté exploration et action, leurs mises en récit restent chronologiquement linéaire : les joueurs n’ont qu’une seule chose à faire, à chaque fois, à chaque instant. Ce n’est plus le cas dans Breath Of The Wild qui opte pour une expérience proche des Elder Scrolls. La seconde est que Zelda Breath Of The Wild ne propose pas quelque chose de fondamentalement nouveau dans la liberté donnée aux joueurs et joueuses, tout au plus quelques incrémentations et améliorations bien réalisées (l’escalade est personnellement l’une des meilleures expériences que j’ai eu et Doc Géraud en parle mieux que moi). Comme dans Oblivion ou Skyrim, les joueurs et les joueuses peuvent choisir de faire avancer la ou les trames narratives, chacune de manière linéaire, à n’importe quelle rythme et dans l’ordre qu’ils ou elles veulent.

Toutes ces pensées m’amènent à considérer la dernière itération de Zelda plutôt comme un exemple flagrant d’une certaine mondialisation dans les propositions de gameplay. Je fais alors l’hypothèse ici qu’il s’agit alors plus d’une passerelle entre game designs orientaux et occidentaux que d’un véritable renouveau. A sa sortie, on pouvait l’imaginer comme un changement radical pour le jeu de rôle mais peut-être qu’il ne s’agit finalement que du plus occidental des Zelda. Il devient alors le reflet, comme d’autres jeux (Monster Hunter World semble aller dans cette direction), d’une idée mondialisée du jeu vidéo de rôle. L’expérience de jeu m’est particulièrement plaisante (mes 110h de jeux en sont témoins) mais je ne peux m’empêcher de me demander si ce n’est pas finalement parce qu’elle est plus proche d’une certaine norme, d’un certain standard ?

Esteban Grine, 2017.