Mon Intimité De Joueur.

Mon Intimité De Joueur.

Malo

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Figure 1 : « Quand j’ai pensé à une « madeleine vidéoludique », c’est cette jaquette un peu moche, qui m’est venue en tête. »

La simple vue de la jaquette du jeu « Bugs Bunny, voyage à travers le temps » via recherche google me ramène une bonne quinzaine d’années en arrière, à l’époque où il y avait toujours là où j’habitais une salle de jeu et quand mes parents étaient encore mariés. Ce jeu m’a beaucoup amusé.

Probablement l’un de ceux qui m’aura le plus amusé sur la première Playstation. Je me rappelle des couleurs vives et du niveau sur le quai. Il était frustrant, j’avais envie de jeter la manette mais je me retenais. Il y avait aussi cette zone où un cadran solaire nous indiquait je ne sais plus trop quoi. Peut être qu’on ne l’a jamais deviné. Ce jeu m’amusait.

Sur la première Playstation, je me souviens aussi de Driver. Je ne crois pas qu’on l’avait cracké, on devait nous l’avoir donné, la jaquette n’était pas la vraie, mais le jeu l’était. En tout cas, ce jeu m’amusait. Surtout les poursuites en voitures qui ne finissaient pas toujours bien. Le jeu permettait d’en faire des films et de les sauvegarder. C’était mon frère qui les faisait. Et d’ailleurs c’était mon frère qui jouait. Je crois bien que je n’avais pas le droit, moi, parce que mon père et ma mère, qui à l’époque s’aimaient encore, nous avaient mis en garde face à la violence qu’il représentait. Pourtant, et je m’en souviens, ce jeu m’amusait.

Et, à bien y réfléchir, je ne suis pas certain non plus d’avoir affronté Sam le Pirate par moi même. De manière générale, c’était mon grand frère qui appuyait sur les boutons. Et moi, je regardais. Et même si je me souviens fermement de l’envie de jeter ma manette par terre durant les niveaux les plus difficiles de Bugs Bunny, je n’ai pas vraiment le souvenir d’avoir réellement tenu le contrôleur dans mes mains.

Bien sûr, il m’arrivait aussi de jouer avec mes mains plutôt qu’avec mes yeux. Je me souviens avoir exploré le premier niveau, coloré, de Rayman 2 sur PC, et du Roi Lion sur Megadrive, je me souviens de la fierté éprouvée après avoir atteint tout seul le deuxième monde de Sonic the hedgehog. Mais ces souvenirs sont plus flous et moins marqués par la répétition que ceux où mon frère joue à ma place et où je le regarde passivement.

C’est donc par des let’s play en live que j’ai commencé ma vie de joueur. C’est en imaginant les interactions ludique, et non en les expérimentant par moi même, que j’ai eu mes premiers contacts avec le jeu vidéo, et probablement même, mes premières réflexions sur le game design en général. Pourtant aujourd’hui, il m’arrive de me surprendre à tomber en accord avec des discours supposant qu’un jeu se doit d’être apprécié manette en main. À croire que j’ai déjà oublié mes jeunes années où regarder jouer me permettait d’outrepasser mes compétences médiocre et de voir la fin des jeux que j’aimais. L’époque où être observateur du jeu me donnait un regard particulier sur ce dernier, qui était bien distinct pour moi d’un simple film, malgré l’absence d’interactivité directe. Je pouvais d’ailleurs interagir indirectement avec le jeu, à coup de « Fais ci », « Fais ça », « Pas comme ci », ou de « Pas comme ça ». Et surtout je pouvais m’identifier au joueur, souvent mon frère.

D’ailleurs, je pouvais m’identifier à lui sans voir l’écran. L’entendre crier « MES SOUS, J’AI PERDU MES SOUS » depuis les toilettes, la porte à demie-ouverte pour ne rien manquer du spectacle était largement équivalent à une réelle partie de Sonic manette en main (Peut-être dois-je préciser que dans le foyer familial, on ne parlait jamais « d’anneaux » mais bel et bien « de sous » pour parler de ces petits ronds que l’on ramasse et qui nous protègent dans Sonic the hedgehog). S’identifier à un joueur est une action ludique. Cela peut nécessiter de connaître le jeu, d’y avoir déjà joué, ou d’en comprendre le fonctionnement, tout simplement. Lorsque c’est le cas, on peut s’imaginer jouer. On ne bouge effectivement pas la caméra, mais on sait qu’il est possible de la bouger : on sait que lorsqu’elle bouge, c’est le joueur qui l’a bougé. On peut distinguer, même sans jouer, l’interactif et le reste.

Et puis, parfois, quand j’en avais marre de regarder mon frère jouer, on jouait à deux. Enfin… Pas vraiment. Là encore, mes souvenirs s’emmêlent. Je ne sais plus exactement. Je pense qu’il s’agit de deux périodes distinctes dans le temps. J’ai du mal à me souvenir de cette période où le contrôleur vidéo-ludique n’était pas mon ami. Il a pourtant bien fallu que j’apprivoise cet engin, a priori complexe, qui fait qu’il est souvent fascinant de regarder quelqu’un jouer quand on est non-joueur, ou parfois au contraire, qu’il peut être effrayant de ne pas le comprendre.

Au final, je suppose c’est en grandissant, lorsque j’ai eu mes propres jeux et que j’ai de plus en plus joué seul, que nous avons de plus en plus joué ensemble, soit chacun notre tour, soit en même temps. Bref, en multijoueur.

Le multijoueur, c’est un paramètre en plus dans le jeu qui, souvent, permet de s’émanciper un peu des règles. J’ai cru lire une fois que c’est pour cette raison que les jeux de société ont tant de variantes : une règle par famille. Je me souviens du niveau du casino dans Sonic 2. En mode un joueur, c’était un niveau normal. En mode deux joueurs, chez nous, les règles changeaient : il fallait avoir le plus de « sous » avant la fin du temps imparti (le « Tim oveur », comme on le prononçait chez nous) en jouant en boucle dans les machines à sous, priant pour ne pas tomber sur les trois Robotnik et les pics qu’ils rapportaient, réduisant nos gains à néant.

Les modes multijoueurs ont les règles changeantes et propres aux joueurs. Je crois qu’un jeu multijoueur ne vieillit jamais. C’est peut être eux, mes madeleines de Proust, finalement.

Je n’ai pas joué à Sonic en multijoueur depuis un bon bout de temps. Mais si mon frère et moi sommes ensemble chez mes parents, le temps d’un week-end, alors il est possible, voire probable, que l’on allume la Megadrive, en souvenir du bon vieux temps. Il est possible, voire probable, que nous lancions le niveau du casino, et dans ces conditions, impossible de changer les règles vieilles de 15 ans : On appellera toujours les anneaux des « sous ». On attendra toujours le « tim oveur » pour voir qui a amassé la plus grosse fortune.

Et si ce n’est pas à Sonic que nous jouerons, ce sera à d’autres jeux. Si nous jouons à « Ren & Stimpy, Time Warp » alors nous mimerons la danse des deux héros, se frappant la fesse de l’un contre celle de l’autre. Si nous jouons à Bit Trip Runner, qui est pourtant de base un jeu solo, je sais déjà qu’on aura le droit à 3 essais chacun avant de se passer la manette… Sauf  si l’un de nous oublie que c’est son tour, auquel cas… Tant pis pour lui !

Ces règles ne sont valables que pour moi et mon frère. Il est arrivé que je joue de manière différente avec d’autres joueurs, sur les mêmes jeux.

En repensant à ma vie de joueur, et particulièrement à la question du multijoueur, je me rend compte que plus je joue avec une personne proche de moi, que je connais et que je porte dans mon cœur, plus nous aurons tendance à tordre les règles. Ainsi, lorsque plus jeune j’invitais chez moi un ami pour la première fois, nous partagions souvent le même temps de jeu s’il s’agissait d’un jeu solo, et sur les jeux multijoueurs nous suivions les objectifs à la lettre.

Il semblerait que j’ai développé une intimité de joueur au fil de ma vie. Un espace de jeu plus créatif à l’intérieur duquel seuls ceux avec qui j’ai déjà joué peuvent pénétrer. Aujourd’hui encore, même si nous n’habitons plus ensemble, je pense que la personne qui est ludiquement la plus proche de moi reste mon frère.

Figure 2 : « Je crois que lorsque les fesses d’un joueur touchent celles d’un autre, c’est que ces deux joueurs sont intimes vidéoludiquement.»

Si les jaquettes des jeux que j’ai possédé étant enfant provoquent chez moi des sensations proches du souvenir, elles sont des madeleines trompeuses. Créant des souvenirs erronés dans ma tête. Me faisant croire que j’ai joué à des jeux que j’ai seulement possédé et regardé.

Voir un let’s play sur internet est une expérience proche de ce que je vivais en regardant, jeune, mon frère jouer. Cependant, l’expérience est totalement nouvelle, à l’instar des joueurs que, souvent, je ne connais pas. Et si je veux retrouver l’interaction indirecte que j’avais sur le joueur à l’époque, alors il me faut voir le let’s play en direct et me manifester sur le chat.

La nouvelle Playstation permet à quiconque, sans matériel, de streamer des parties de jeu. J’ai parfois vu certains amis streamer des parties dans le vide, sans spectateur. J’ai pu alors régulièrement devenir spectateur unique des parties d’un ami, appelons le Banane. Pendant un temps, je ne savais pas ce qui me fascinait, ce qui me faisait rester sur les streams de mon ami Banane. Mais maintenant je sais que voir Banane jouer, c’était un peu comme regarder mon frère jouer à l’époque où mes parents n’avaient pas encore divorcés. Banane, c’est un petit morceau de madeleine vidéoludique. Regarder Banane jouer, c’est une pratique agréable pour des raisons qui sur le moment, n’étaient pas évidentes. Regarder Banane jouer, c’est lui dire « Fais ci », « Fais ça », « Pas comme ci », « Pas comme ça ».

Récemment, mon frère est revenu chez mes parents le temps d’un week-end, et moi aussi. Chaque soir, la nuit venue, nous avons joué à Donkey Kong Country, sur Super NES, un jeu auquel nous n’avions jamais eu le temps de jouer. En une semaine, nous avons fini le jeu, en construisant chaque jours de micro-règles, tâtonnant sur l’intimité ludique de l’autre. Choisissant quel joueur commencerait quel niveau, quels seraient les objectifs, pour déterminer qui allait « gagner » ce jeu pourtant coopératif.

Et c’est en gagnant (Ici, en étant le dernier joueur vivant à la fin du plus de niveau et, souvent, de la manière la moins fair-play possible) que j’ai su que mon frère était l’une de mes plus grandes madeleines vidéoludiques. Que peu importe le jeu que je jouerai avec lui, je serais transporté dans les parties de mon enfance. Car il gardera toujours la même place dans mon intimité de joueur.

 


Merci à EstebanGrine sans qui je n’aurai pas écrit ce qui précède.

Merci à Mes frères et sœurs qui ont fait naître ma vie de joueur. A mes cousins et amis qui ont su la faire survivre.[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]