Quelques pensées à propos de Shin Megami Tensei

Au cours du dernier mois, j’ai beaucoup joué à la série Shin Megami Tensei. En particulier j’ai découvert cette série avec le 5e épisode sortie sur switch et que j’ai dévoré en un peu moins d’une semaine. Dans la foulée, j’ai réussi à me dégoter une copie du 3e opus de la série, opus que je viens également de terminer. Etant donné que j’ai beaucoup de choses à dire sur ce jeu mais qu’il me manque également beaucoup de temps pour pouvoir les rédiger, je me suis dit qu’un billet comprenant quelques notes et pensées à propos de ces jeux serait déjà un bon exercice si un jour je veux entamer une véritable réflexion sur la série d’Atlus.

Avant toute chose, il semble quand même important de mentionner que ce billet contient principalement des débuts de réflexion. C’est pourquoi il ne peut m’être tenu rigueur de ne pas avoir poussé l’ensemble de ces réflexions plus loin que ce qui est présenté ici.

1. une superposition des réalités postapocalyptiques

Ce qui m’a frappé dans les 2 jeux auxquels j’ai joués, dans un premier temps, c’est le fait que la temporalité dans laquelle se déroule leurs récits n’est pas celle à laquelle on est habitué en tant que joueur et joueuse occidentaux. En effet, dans SMT5, le présent se déroule à la fois sur un plan où Tokyo est détruite et un plan ou Tokyo ne l’est pas. En parcourant le récit, on apprend que le Tokyo encore debout est en réalité une reproduction d’un Tokyo déjà détruit. Cependant, ce qui est intéressant, c’est de voir et de positionner non pas les diégèses de ces jeux comme étant des périodes linéaires mais fondamentalement comme étant des réalités qui se superposent. Les héros et héroïnes peuvent alors voyager entre ces réalités mais il n’y a pas fondamentalement de réalité plus importante qu’une autre toutes sont sur un même plan d’existence. Et C’est pourquoi je parle de réalité postapocalyptique ici plutôt que de monde ou de récits où d’histoire. Dans SMT3, le monde explorable est une bulle, un seuil ou encore une zone intermédiaire entre un monde qui vient d’être détruit et un nouveau monde au bord de la création.

Ce que je trouve de fondamentalement intéressant à travers cette conception de la temporalité, c’est qu’elle met d’égal à égal des réalités qui dans une conception peut être plus occidentale n’auraient pas les mêmes degrés d’importance. fondamentalement, il n’est pas question de discerner le vrai du faux dans la série Shin Megami Tensei. Cependant, il est question de se positionner par rapport à une vérité, ou plutôt une Raison (pour reprendre les notions présentées ans le jeu), afin d’orienter la destinée du monde.

2. De SMT3 à SMT5, faire le choix d’un rapport au monde

Dans SMT3, l’audience joueuse doit se positionner par rapport à la création d’un nouveau monde. Cette création nécessite le choix d’une raison. Cette raison orientera et structurera le nouveau monde. Ainsi, derrière des conflits armés, ce sont des raisons qui s’affrontent. Dans le jeu, 3 raisons sont proposées aux audiences. La première, Yosuga, est la raison du plus fort. Un monde créé à partir de cette raison serait un monde chaotique ou la loi du plus fort règne. La 2e, Shijima, est une raison qui prône l’ordre, où l’humanité ne fait plus état de ses émotions. Enfin la dernière raison, Musubi, valorise l’individualité avant tout Et où chacun et chacune vie de manière isolée sans l’influence d’autres personnes. Par rapport à ces 3 raisons, il est également possible de choisir de ne souscrire à aucune d’elles afin de réinstaurer un monde fait d’incertitudes. Dans SMT5, On retrouve un positionnement similaire avec une raison favorisant l’ordre (ce qui dans le jeu signifie le choix d’un seul et unique Dieu), une raison favorisant le chaos (ce qui dans le jeu fait émerger une infinité de déités en compétition les unes avec les autres) ou enfin une raison neutre qui aboutit à la fin de ce cycle de création et de destruction de monde.

Ce qui est particulièrement intéressant avec cette série de jeux vidéo, c’est qu’ils proposent à leurs audiences d’exercer leur croyances et leur morale au sein d’un espace vidéoludique à propos de ce à quoi souscrire une organisation sociale. Même si l’on ne voit jamais ce nouveau monde arriver, toute la progression du jeu et orientée de sorte à aider l’audience dans cet ultime choix en l’exposant à diverses explications légitimant ou critiquant ses raisons. À travers ce choix, la série permet à son audience de faire l’expérience d’une société idéale. De fait, Bien que les raisons exposées soient simplistes, elles permettent métaphoriquement à l’audience de modéliser un système social structurant les relations des individus qui en font partie.

On pourrait également aller plus loin dans Une interprétation socio-anthropologique dans le sens où SMT5 positionne de manière assez clair un conflit entre une religion monothéiste et une religion polythéiste. Le jeu nous laisse choisir alors vers quelle organisation religieuse pencher. Cependant, il serait difficile de ne pas voir ici, en extrapolant un peu, alors certains rapports de force entre le Japon et l’Occident, au moins depuis une perspective culturelle. Certains éléments du lore évoquent également ce rapport de force comme par exemple le fait que le Japon ne dispose pas de sa propre faction lui permettant de se protéger en dehors de l’organisation Bethel ce qui n’est pas sans rappeler la situation dans laquelle le pays s’est retrouvé après la 2nde guerre mondiale. Il est cependant nécessaire de noter que restreindre la lecture du jeu à cela ce serait qu’une erreur réductrice bien entendu.

Ouverture

Finalement ce qui est intéressant avec la série, c’est frontalement qu’elle propose un autre regard sur les récits postapocalyptiques. Plutôt que de représenter une humanité au bord de l’effondrement, plutôt que de se concentrer sur des enjeux interpersonnels, les deux jeux auxquels j’ai pu jouer ce mois-ci fondent leurs dilemmes sur l’Après. Pour cela, ces quelques notes font état de deux principes au coeur d’une certaine recette. Premièrement, c’est la simultanéité des temporalités qui permet de faire l’expérience de plusieurs réalités. Il n’est pas seulement question de recréer un monde, il est davantage question de proposer une nouvelle réalité. Dans SMT3, il s’agit d’un entre-deux. Dans SMT5, Il s’agit de plans d’existence différents mais tous réels., on pourrait reprocher au jeu de ne pas développer leurs personnages mais ce serait un reproche fait à tort tant ceux-ci ne sont que les vecteurs de discours sur la forme que devrait prendre la réalité à laquelle l’audience souscrit. Ultimement, cette série m’a marqué pour sa proposition à l’égard du postapocalyptique ainsi que les réflexions qu’elle propose à l’égard de la responsabilité de l’audience sur la diégèse. Peut-être qu’un jour je continuerais le développement de ces deux axes.