Super Game Lab Turbo

Super Game Lab Turbo : retour sur le colloque « penser (avec) la culture vidéoludique »

Pour citer cet article : Giner, E., 2017, Super Game Lab Turbo : Retour sur le colloque « penser avec la culture vidéoludique », Carnet des jeunes chercheurs du Crem, https://ajccrem.hypotheses.org/380

Les 4, 5 et 6 octobres s’est déroulé le colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique » organisé par le gamelab et l’université de Lausanne. Cela a permis de cristalliser l’état de la recherche mais aussi des expérimentations liées de près ou de loin au jeu vidéo et ce, au niveau de la francophonie européenne et nord-américaine puisque les participant·e·s venaient du Canada, de la Belgique, de la Suisse et enfin de la France. La conférence inaugurale de Krichane et Javet (2017) notent aussi que cet événement est un jalon pour la légitimation du jeu vidéo en tant qu’objet de recherche en Suisse mais aussi en Europe francophone.

Le colloque a proposé plusieurs axes exploratoires afin d’illustrer la pluralité des recherches actuelles sur le jeu vidéo. Le premier, que nous déterminons a posteriori du colloque, concerne l’évolution des discours et de la légitimation progressive de l’objet au niveau scientifique et politique. Ainsi, Perret et Maître (2017) ont chacun évoqué les représentations négatives des jeux vidéo dans les médias suisses. Maître note qu’à la décennie 90, « en Suisse, la Nes est devenue tellement importante que le mot Nintendo était utilisé comme synonyme de « jeux vidéo » ». Le champ lexical du jeu vidéo était alors employé pour définir une génération : « génération Nintendo, génération Game Boy ». Michael Perret déconstruit dans son intervention le lexique et les discours contenus dans certaines émissions. La conclusion de ces deux interventions fait écho à ce que postulait déjà Mc Luhan concernant le « dernier des médias » : la dernière forme médiatique est toujours l’objet de critiques virulentes. Cependant, il est nécessaire de contraster les recherches de Perret et Maître en évoquant les communications de Coville et Meunier (2017). Leurs exposés ont pour leur part évoqué la légitimation historique dans les discours politiques du jeu vidéo (Coville) et l’évolution d’une communauté scientifique organisée autour de l’objet (Meunier).  Coville constate notamment qu’un récit tenu par les acteurs économiques sur la fuite des cerveaux et la concurrence internationale a permis de mobiliser les acteurs institutionnels et politiques dans les années 2000. Cela a conduit à la création d’un crédit d’impôt pour la création de jeu vidéo géré par le CNC, marqueur pragmatique permettant de considérer le jeu vidéo comme un objet culturel. Meunier interroge la circulation des savoirs vidéoludiques. Elle constate que cette circulation est due à de nombreux acteurs universitaires, techniques et privés. Etant donné la pluralité des acteurs, elle note que « Les Game Jams sont des endroits propices pour le savoir » (2017). Ces quatre interventions ont été l’occasion de montrer l’évolution du jeu vidéo : d’abord média décrié par les journalistes, il est reconnu par le politique dans les années 2000. La recherche quant à elle produit de plus en plus de connaissances sur cet objet et s’il n’est pas encore définitivement reconnu institutionnellement, les chercheur·se·s se mobilisent dans le but de l’introduire à l’université. A cela s’ajoute les interventions de Xanthos et Jacquin (2017) et de Dozo et Krywicki (2017) qui interrogent respectivement 1/ la complexité linguistique des jeux de cartes et 2/ l’apparition des « beaux livres » consacrés aux jeux vidéo et souvent écrits par des journalistes. L’existence de ces derniers objets nous conforte dans l’idée que le jeu vidéo est un objet artistique. Enfin, Hurel (2017) constate l’importance des sphères amatrices dans la compréhension du jeu vidéo comme objet culturel ainsi que dans sa diffusion auprès de communautés parfois très restreintes.

Le jeu vidéo, lorsqu’il n’est pas une activité aliénante reproduisant des systèmes de production – Vetel, dans sa communication, évoque les activités lucratives liées à la gestion de serveurs « Dofus » privé, (2017) – est aussi devenu un enjeu pour l’éducation nationale et la pédagogie de manière générale. Nous avons donc pu écouter des retours d’expériences de plusieurs expérimentations. Philipette (2017) a proposé un retour d’expérience sur la ludification qu’il a pratiqué dans ses cours notamment en utilisant des outils comme « ClassCraft », un service qui permet la scénarisation de cours en implémentant des mécaniques de jeux de rôle. Par ailleurs, deux axes se sont distingués et illustrent les utilisations du jeu vidéo comme un support d’apprentissage.

Le premier axe fait l’hypothèse que le jeu vidéo peut être un support utilisable par des enseignants. En ce sens, il s’agit de réutiliser des jeux déjà existants et de créer des scénarios pédagogiques applicables dans des contextes particulièrement hétérogènes. Ainsi, Vincent et Lalu (2017) avaient une communication à propos de l’utilisation de jeux vidéo dans la cadre de l’apprentissage de l’histoire au collège. Vincent a notamment alerté sur l’intérêt d’évoquer les jeux vidéo en classe puisque il a observé que les élèves questionnent la véracité des propos tenus dans les jeux vidéo et par les enseignants en comparant les deux entre eux. Ils soutiennent aussi l’hypothèse de Berry, à savoir que les jeux vidéo ne sont pas des dispositifs d’apprentissage mais des activités qui peuvent générer des situations d’apprentissages. Dès lors, c’est à l’enseignant que revient la tâche de faire émerger ces dernières par la création de scénarios pédagogiques par exemple. El Mansouri et Biagioli (2017) sont intervenues sur la création et l’utilisation d’un jeu sérieux afin de sensibiliser les apprenants (dans ce cas plutôt des enfants) aux questions de nutritions. Leur présentation a offert un post-mortem intéressant dans la réalisation du jeu créé par elles-mêmes. Biagioli a rappelé l’importance d’équilibrer, ou plutôt d’aligner, les objectifs didactiques, pédagogiques avec les objectifs financiers. Enfin, Thiaux, Andlauer et Bolka-Tabary (2017) ont présenté une évaluation d’une expérimentation pédagogique mobilisant le jeu Minecraft. Ce dernier trouve sa place justifiée notamment par le fait qu’il mobiliser le « build », l’acte de construire et de modéliser l’environnement vidéoludique comme mode d’engagement du joueur ou de la joueuse (Lucas, 2017). Pour reprendre Houssaye (1993), nous retenons que les observations qu’elles ont faites constatent les changements de rôles que peuvent avoir les élèves dans un processus pédagogiques. Si la majorité considère avoir appris, les chercheuses notent aussi des cas où certains élèves prennent la position du fou ou du mort dans le triangle pédagogique. Dès lors, le non-respect des règles du jeu par ces élèves peut devenir perturbateurs, sans pour autant que cela soit incorrigible. Par ailleurs et comme l’énonce Barnabé et Delbouille (2017), le jeu vidéo montre un intérêt de par l’invitation à la réflexivité qu’il suscite. Ces dernières constatent notamment que l’avatar, considéré comme un pont vers le monde fictionnel oblige le ou la joueuse à prendre ou laisser le contrôle du jeu, l’invitant alors à questionner sa posture. Dès lors, il semble que ce soit une piste une de réflexion dans l’usage pédagogique qui peut être fait d’un jeu vidéo.

Le deuxième axe d’utilisation du jeu vidéo comme objet pédagogique concerne cette fois non pas l’utilisation mais la création d’objet vidéoludique. C’est alors de ce processus de création qu’émergent les apprentissages.  Dans ce cadre, la création de jeux est alors mobilisée afin de permettre des apprentissages propres à la matière enseignée mais aussi parfois avec l’espoir de permettre d’autres apprentissages sous formes d’externalités. Piñeros et Zabban (2017) ont notamment constaté les intérêts d’adopter une telle démarche à l’université Paris 13 avec la création d’un FabLab dédié à la création de jeux. Cet espace est utilisé de manière formelle, dans un cadre pédagogique précis, mais aussi informelle afin de créer une communauté de pratiques et d’intérêts avec les étudiants notamment. Lorsque le cadre géographique ne convient pas, c’est alors sur la temporalité que peuvent jouer les enseignants comme le montrent Quinche (2017), Chollet (2017) et Congy (2017). Balli (2017) énonce aussi que les game jams peuvent aussi servir de terrain et de méthodologie dans un cadre de recherche-action. Ces chercheur·e·s ont mobilisé la création de jeu dans des temporalités différentes en allant du très court (gamejam) au très long (sur un semestre) pour Congy. Ce dernier profita de son expérimentation pour sensibiliser ses étudiants en game design à d’autres disciplines comme l’histoire. Verbesselt et Hurel (2017) notent aussi l’intérêt de la création de jeux dans les actions citoyennes ou militantes, parfois avec une emphase sur l’importance des amateurs (Hurel, 2017) dans ce type de créations. Ces dernières sont alors le support d’échanges, de débats et de partages.

Il apparait que des grandes thématiques se sont dégagées de ce colloque autour de la pédagogie mais aussi de manière assez large autour de la légitimation de l’objet jeu vidéo comme objet culturel et de recherches. En tant qu’objet culturel, les différentes communications ont constaté les premières perceptions qu’avait le public à propos du jeu vidéo et la façon dont ses représentations associées ont évolué. D’un objet lointain voire dangereux, il a été récupéré par les communautés institutionnelles, politiques, scientifiques et amatrices pour aujourd’hui s’affirmer comme un objet culturel pleinement intégré aux loisirs et aux fictions. La présence de 4 pays francophones réunis au même endroit laisse présager un avenir intéressant et optimiste pour la recherche et la légitimation du jeu vidéo, en espérant que les prochaines éditions de ce colloque puissent aussi accueillir encore plus de pays francophones. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Bibliographie

Balli, F., 2017, Les game jams comme méthode d’apprentissage expérientiel et de co-création interdisciplinaire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Barnabé, F ., Delbouille, J., 2017, Jeu, narration et réflexivité: le rôle de l’avatar, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Chollet, A., 2017, Quand «Game Dev Tycoon» s’invite à l’Université : retour d’expérience sur le concours de programmation «Code Game Jam», Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Congy, A., 2017, Le visual novel historique comme champ d’expérimentation du game design et de la fictionnalisation de l’Histoire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Coville, M., 2017, Formuler le jeu vidéo comme un « bien culturel ». Politiques publiques françaises & reconnaissance culturelle des jeux vidéo, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Dozo, B-O., Krywicki, B., 2017, «Beaux livres» sur les jeux vidéo et presse vidéoludique: transferts et transformations du capital ludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

El Mansouri, M., Biagioli, N., 2017, Concevoir un jeu vidéo éducatif: quels enjeux culturels, didactiques et ludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Hurel, P-Y., 2017, L’amateurisme comme processus au cœur de la culture vidéoludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Lalu, J., Vincent, R., 2017, Et si on jouait à l’Histoire, histoire de jouer? , Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Lucas, J-F., 2017, Le «build», mode d’engagement et médiateur de l’expérience narrative spatialisée dans les univers vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Maître, A., 2017, Entre dénonciation et éloge de la «Nintendomanie»: les représentations des jeux vidéo dans les médias romands durant les années 1990, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Perret, M., 2017, « Parlons-en de ces problèmes » : la configuration de l’addiction et de la violence dans les jeux vidéo immersifs dans Temps Présent, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Philippette, T., 2017, Ludicisation dans l’enseignement supérieur: travaux de groupe et évaluation continue à travers Classcraft, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Quinche, F., 2017, Processus de création de serious games, recherche de critères de conception pour favoriser l’intégration dans l’enseignement, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Meunier, S., 2017, Questionner les circulations internationales des savoirs vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Thiault, F., Andlauer, L., Bolka-Tabary, L., 2017, Utilisation pédagogique du jeu Minecraft.edu dans un dispositif interdisciplinaire en collège, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Verbesselt, M., Hurel, P-Y., 2017, Ateliers de (dé)construction de jeux vidéo : une question de démocratie culturelle, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Vétel, B., 2017, De l’émulation d’un jeu en ligne au travail des gérants de serveurs illégaux, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Xanthos, A., Jacquin, J., 2017, Approche de l’évolution de la complexité linguistique dans un jeu de cartes numérique: l’exemple d’Hearthstone, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Zabban, V., Pineros, N., 2017, Ce que le jeu fait au travail et à la relation pédagogique: créer et utiliser un jeu à l’université. Le cas d’Erasmus Hispanicus, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

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Les boloss des belles games – Majora’s Mask

Les boloss des belles games – Majora’s Mask

C’est l’histoire de Skull Kid, un ptit keum qui essaie de se placer lead singer dans son groupe de rap.

Sauf qu’il se fait tej car son crew en a trop marre de le voir chier des textes péraves.

Le gonz, il se retrouve dans la misère sociale : pas d’alloc, pas de chômage, en mode cigale chez La Fontaine.

En plus il en grave sur le caillou car il vit dans une société ultralibérale qui le traite comme un schlague des familles à la rue et qui l’empêche d’avoir une mutuelle étudiante.

Du coup, lui, il a grave la rage et commence à mettre des balayettes dans toutes les coucougnettes. Et là, il trouve une arme, un masque qui lui donne des pouvoirs de bombes atomiques.

Le p’tit gonz, il se sent plus pisser, se fout sur le clocher et se met à gueuler : « Ah, vous m’avez regardé crever, je vais tous vous niquer ! »

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Toi, t’incarnes un immigré, le genre à faire des 3/8 avec tous les métiers du monde mais à quand même te faire traiter de feignant par des blaireaux incapables de faire ton boulot. En plus, en passant la frontière, tu te fais racketter en mode « papier s’il vous plait ».

Alors toi, t’arrives à bourg-clocher en loozdé et tu veux t’intégrer, du coup tu fais les pires jobs : tu commences par nettoyer les chiottes du roi mojo. Le salaud, c’était bien crado, du coup, tu nettoies ça façon « écuries d’Augias ». Puis, tu fais de la plomberie façon Mario, puis tu répares le chauffage des Goron pour enfin faire quoi ? Enterrer des morts au lieu de les manger.

Bref, tu crèves au boulot comme un galérien pendant que les habitants de bourg clocher, qui ont des papiers d’identité se touchent la bite en préparer une grande messe capitaliste même si un missile de taille intersidérale s’apprête à leur péter à la gueule, ces bâtards. Tout ça, c’est à cause de ce p’tit con de Skull Kid qui s’est fait avoir par un gourou du nom de Majora.

Majora, c’est un dictateur façon Trump ou Kim Jung-un. Il zehef grave de la vie, son seul délire, c’est de toucher le zizi de p’tits garçons qui sont séquestrés sur la lune.

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Alors toi, tu décides qu’il y en marre et tu mets des claques à ce branleur de Skull Kid. Tu lui dis : « hey, sale schlague, maintenant tu vas arrêter de chialer et te mettre à bosser. Y’a des gens qui t’aiment quand même et que maintenant tu peux sortir un skeud sur le fait d’être devenu méchant puis gentil façon PNL ».

Majora, tu lui défourailles la gueule à coup d’épée. Son délire avec les p’tits enfants, ça doit cesser.

Pendant ce temps, la société, elle, elle s’en bat les couilles de ton combat de vegan féministe. Ils sont tous en train de s’enjailler dans la tripaille de leur délire néolibéral du style « ah bah tu vois, y’avait pas besoin de s’inquiéter, consommons les ressources de la planète, jusqu’à en crever, de toutes façon, on sera sauvé ! ».

Ces fascistes en plus, ils t’ont même pas invité à leur fête, t’as même pas droit à un p’tit cocktail. Alors toi, tu te casses, de toute façon, tout le monde t’a déjà oublié.

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C’est l’abandon de soi à une cause plus grande

C’est l’histoire d’un Jean qui danse pour se moquer de la société

C’est comprendre que même si on fait des choses importantes, nous ne sommes pas des héros

C’est la fin des temps, répétée, avec acharnement

C’est Zelda Majora’s Mask.

Esteban Grine, 2017.

 

Sisyphe, l’enfer et Scanner Sombre

Sisyphe, l’enfer et Scanner Sombre

Scanner Sombre est un jeu qui pose la question suivante : serions-nous plus heureux si comme Sisyphe, nous parvenions à comprendre que notre monde est absurde, à accepter notre destin et pourtant à rester heureux ? Dans ce jeu, notre avatar est un géologue professionnel ou amateur qui explore un ensemble de grottes. La découverte progressive de l’environnement nous permet de comprendre ce qu’il s’est passé : nous incarnons une personne morte a côté de son dernier campement après être descendu trop profondément. Notre progression en tant que joueur est en fait le chemin qu’a parcouru ce géologue avant de mourir : le jeu illustre par son level design le regret de notre incarnation en nous proposant donc revenir sur nos pas, de parcourir à rebours notre dernier voyage, loin de notre famille.

C’est donc son regret qui l’enchaîne au lieu de sa mort et il essaie tant bien que mal a obtenir une forme de rédemption. En tout cas, le jeu nous met a sa place lors d’une de ses tentatives de libération dont la sortie de la grotte en est la métaphore. le souvenir de sa famille est l’incarnation de son regret, de son attache matérielle et cela qui lui ferme les portes de sa rédemption.

Il n’y a pas grand chose d’autre à dire sur ce jeu mais ce qui m’a frappé, c’est que l’on y voit ici une illustration du mythe de Cisyphe, motif récurrent dans les jeux vidéo. A la fin du jeu, une cinématique se déclenche et vient nous suggérer qu’une force divine nous oblige a retourner au point de notre mort. Le paradis nous est interdit, lecture mythologique qui donne sens à nos actions effectuées lors de notre parcours. Tout ce que nous avions fait est vain puisque soumis à un éternel recommencement.

Les jeux vidéo mettent ponctuellement cette idée de cycle au cœur de leur narration. Le joueur a une action qui déroule une narration linéaire mais qui s’intègre dans une boucle répétitive : c’est linéaire pour nous mais cyclique lorsque l’on prend du recul. Il n’y a donc ni début ni fin à ces jeux. En tant que joueur, nous attrapons le train en marche, pensant qu’il s’agit du dernier, alors que les concepts de « début » et de « fin » ne s’appliquent plus depuis bien longtemps.

The Witness propose lui aussi cette lecture d’éternel recommencement, de nirvana interdit au joueur. Arrivé à l’une des fins du jeu, la première pour la majorité, le jeu nous place dans un état similaire à celui de Scanner Sombre, notre avatar flotte et traverse l’ensemble des environnements que nous avons parcouru, défait tout ce que nous avons fait puis nous replace à notre point de départ.

Dans cette perspective, il apparait que certains jeux vidéo reproduisent des systèmes aliénants dans lesquels des sujets-joueurs sont obligés de recommencer inlassablement les mêmes actions, les mêmes tâches. Nous pourrions aller plus loin en supposant que c’est finalement le cas de tous les jeux vidéo : à chaque nouvelle partie, nous recommençons, toujours, inlassablement, les mêmes actions avec quelques différences dont nous sommes les seuls à pouvoir observer. Pour ces deux jeux, c’est clairement explicite et cela nous pousse à nous interroger sur ce que c’est finalement que de jouer. Scanner Sombre et The Witness nous suggèrent que ce comportement n’est finalement pas si éloigné de ce que faisait Sisyphe, voué à amener une pierre en haut d’une colline pour qu’elle redescende immédiatement, l’obligeant alors à recommencer.

Continuer à jouer à un jeu vidéo n’est finalement rien d’autre que cela : des comportements répétitifs mais sur lesquels on décide arbitrairement d’y associer un sens ludique, comme si cela excusait notre incapacité à accepter nos aliénations. Le fait que cela soit explicite dans Scanner Sombre et The Witness nous fait comprendre pourquoi il devient nécessaire de s’arrêter de jouer : nos actions sont vouées à être défaites puis répétées comme dans un enfer dans lequel nous serions obligés d’effectuer encore et toujours les mêmes travaux. ■

Esteban Grine, 2017.

Vidéo, poésie et jeux vidéo

Ce billet est un complément à un futur article à paraître à la suite d’un colloque auquel je participe.

Vidéo, poésie et jeux vidéo

L’une des ouvertures que je fais dans mon article sur les vidéastes francophones se consacrant au jeu vidéo est l’une des évolutions que je nomme bêtement : « la vidéo poétique sur le jeu vidéo ». Je définis cette dernière comme une vidéo présentant un éthos particulier et dont la caractéristique centrale est que des moments de gameplay sont considérés comme de la matière plastique. Le ou la vidéaste joue alors avec cette matière dans l’objectif de susciter certaines émotions chez son audience observatrice. Jusque-là, rien de nouveau, ou du moins, rien de distinguable par rapport à d’autres vidéos tenant des discours sur les jeux vidéo. C’est pourquoi j’ajoute à cela une caractéristique lyrique directement identifiable et reconnaissable aux paroles tenues par le ou la vidéaste. Ce n’est donc plus simplement un discours pour convaincre mais aussi un discours « pour parler », « pour le plaisir de parler ». Il s’agit donc à mon sens de formes textuelles proches de la poésie en vers ou en prose voire même d’autres formes poétiques : rap, slam, etc.

C’est véritablement pour moi une piste de réflexion très intéressante que je vais poursuivre. Pouvons-nous parler de discours lyrique sur le jeu vidéo ? Je pense, après quelques recherches que j’ai effectuées, que l’on pourrait considérer 2017 comme une année charnière. La scène francophone des vidéastes semblent aujourd’hui mature pour tester de nouvelles expérimentations vidéo et vidéoludiques. Alors, bien sûr, je pourrais évoquer les vidéos de rap à propos de Call Of Duty et il faudra probablement que je m’y consacre un jour mais disons que je fais l’hypothèse dans ce billet que jamais auparavant il n’y a eu autant de discours métatextuels, métacommunicationnels à propos du jeu vidéo dans les vidéos parlant de jeu vidéo ou dans les vidéos parlant d’autre chose mais avec le vocabulaire et un discours au premier degré sur les jeux vidéo.

Avec cette année qui se termine, il y a deux auteurs que je vais retenir et qui je pense, ont ouvert cette voie en 2017. Pier-re a toujours proposé des formats expérimentaux mais sa vidéo « Un vide — pensées de mes idéaux » (qui joue d’ailleurs déjà très bien sur le double sens avec son trait d’union ici écrit en tiret) fait partie des premiers, je crois, « slams vidéoludiques » (à défaut d’un autre terme plus approprié). La seconde, plus personnelle est celle du créateur Pierre Olbius qui partage un texte à propos de la dépression et qui est mis en récit, mêlant informations hyper objectives (heures précises énoncées à la voix), alternances de rythmes par la musique (suscitant l’immergence et l’émergence pour assurer une posture réflexive chez l’audience), fin brutale, images oppressives/apaisantes. Je pense que nous pourrions aussi remonter plus tôt cette année, notamment avec le texte de Tifor pour les « madeleines vidéoludiques », mis en forme par ce dernier et lu par Damastès. Je fais avec ces trois exemples le constat que certains vidéastes, aujourd’hui, veulent « esthétiser » leurs productions vidéo, leur discours et le reste. C’est pour moi annonciateur de la légitimation totale du jeu vidéo. L’une des pistes que je veux maintenant exploiter, si j’ai le temps, est donc la suivante : j’observe un transfert d’intérêt des créateur.ice.s présent.e.s sur les plateformes vidéos. Auparavant, la vidéo servait un propos sur le jeu vidéo, je constate que l’inverse est très facilement observable aujourd’hui et cela mérite d’y attacher de l’importance puisque dans ce dernier cas, le jeu vidéo est implicitement considéré comme légitime. ■

Esteban Grine, 2017.

Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur.

Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur

Undertale est un jeu sorti il y a bientôt deux ans maintenant. A la suite d’une campagne réussie sur Kickstarter, son créateur, Toby Fox, a pu se lancer pleinement dans la réalisation de son jeu. Le développement aboutit alors sur l’objet que l’on connait aujourd’hui. Sitôt sorti, sitôt encensé, le jeu a connu un succès immédiat et sa communauté a très vite grandit jusqu’à être aujourd’hui l’une des plus bavardes sur son jeu de prédilection autant sur les réseaux qu’en termes de création de contenus « fanmade ».

Pourtant, aujourd’hui, je ne vois toujours pas d’analyse approfondie du jeu hormis quelques théories sérieuses ou complotistes venant étayer certaines représentations que certains joueurs ont sur le jeu. Plutôt que d’attaquer ces théories, je préfère donc proposer la mienne qui comme cela fut le cas pour mes articles sur Majora’s Mask (2001) ou The Witness (2016) ne vient pas imposer une vision ou une compréhension du jeu. Ainsi, dans ce papier je vais soutenir la thèse suivante : pour Undertale (et Toby Fox), l’humain est bon, mais pas le joueur. Je présente la thèse sous cette forme paradoxale (le joueur est forcément humain donc bon et mauvais) car il me semble que cela incarne au plus profond ce que le jeu veut transmettre et questionner : l’éthique et la morale des joueurs. Ce faisant, je me positionne en contradiction des personnes l’ayant attaqué sur sa simplicité scénaristique. Je soutiens au contraire que le jeu est bien plus subtil et bien plus doux-amer que laisse paraitre sa première lecture, son premier parcours.

Pour argumenter ma position, je vais principalement m’appuyer sur des textes et articles de pédagogie et de game design. Ainsi, dans une première partie de cet article, nous verrons la façon qu’Undertale  a de diffuser les systèmes de représentations et de valeurs. Dans une deuxième partie, il sera nécessaire d’illustrer la façon qu’a le jeu d’orienter le comportement réflexif du joueur : comment celui-ci, en jouant au jeu, réfléchit sur ses comportements et sur sa façon d’interagir en société ? Enfin, nous verrons dans une dernière partie par quelle méthode le jeu manipule le joueur pour lui faire ressentir le regret et le remord.

Entre expressivité et persuasion, l’objectif de Toby Fox

Undertale est un jeu dont les inspirations remontent aux jeux de rôle japonais. Nombreuses sont les personnes à avoir déjà pointé du doigt earthbound comme étant le père spirituel du jeu. Toby Fox est originaire d’une communauté de fan et de modders. Dans un entretien donné Joël Couture, Toby Fow expliquait qu’en plus de mother, l’auteur s’inspirait aussi de Shin Megami Tensei. Les prémisses de l’aventure sont simples : un ou une héro amnésique se retrouve dans un donjon (l’underworld) et doit le parcourir afin de terminer l’aventure.

Undertale est un jeu qui est à cheval entre son côté expressif et son côté persuasif. En effet, il propose au joueur de ne pas combattre, ou plutôt d’éviter les conflits avec les différents monstres composant le bestiaire du jeu. Pour ce faire, l’option Act lors des moments de combats propose un menu avec des choix plutôt humoristiques afin de résoudre les combats de manière pacifiste. Ce faisant, le gameplay du jeu se rapproche alors du genre expressif dans le sens où il n’impose pas un discours particulier au joueur et n’oblige à aucun moment ce dernier de se comporter d’une façon précise. Cependant, cela vient en contradiction avec le discours tenu par certains personnages dont Toriel, deuxième PNJ rencontré après l’antagoniste principal du jeu qui nous demande de manière plutôt formelle de ne pas tuer de monstres vivant dans l’underworld. D’entrée de jeux donc, undertale enseigne au joueur selon une approche réceptive (Leclerc & Poumay, 2008) de ne pas commettre de crime puis nous laisse expérimenter et faire l’exercice de cela de manière libre. De même tout au long du jeu, il n’y aura pas véritablement de punition ou de game over lié à un mauvais choix à un mauvais moment du joueur. Les seuls moments véritables de mort vidéoludique ont lieu durant les combats rencontrés et ceux-ci sont directement liés à la compétence du joueur. Une fois, la première proposition faite par Toriel de ne pas tuer, le game design ne revient plus sur cela et laisse le joueur faire comme bon lui semble. C’est là où le côté procédural et algorithmique de l’histoire devient particulièrement intéressant puisque le joueur se retrouve sanctionné positivement ou négativement sans que cela soit clairement formel. De même, la punition n’est pas immédiate. Cela a pour conséquence de duper le joueur jusqu’au moment où un twist scénaristique apparait tout en le faisant prendre conscience que plus durement de son comportement. Nous avons déjà montré dans un précédent article sur la réflexivité la façon qu’avait le game design de responsabiliser le joueur de ses actes vidéoludiques.

Undertale est un jeu profondément humaniste. Il nous invite à interroger notre façon de jouer et ce que nous considérons de ludique. En ce sens, finalement, Toby Fox développe un game design et une pensée proche de celle de Miguel Sicart notamment. Ce dernier considère le fait de jouer comme un acte moral et éthique pour le joueur, non pas forcément que le jeu change le système moral du joueur mais plutôt que ce dernier engage son système éthique et moral dans sa façon de jouer. Ainsi, les actions qui ont lieu durant le jeu sont le reflet, le constat visible et observable de l’éthique et de la morale du joueur. Dès lors, l’idée centrale d’undertale en se présentant comme un RPG dans lequel nous pouvons éviter le meurtre d’ennemis est de dresser une critique générale sur les jeux vidéo actuels. Ces derniers, au contraire, engagent le joueur dans des actions immorales (même si elles n’ont aucun impact). L’objectif du game designer dans undertale est alors de proposer autre chose que la ludoformation de la mise à mort.

Undertale comme critique du comportement de joueur

Ainsi, dans ce jeu, il y a une première critique de notre façon de jouer. Toby Fox, volontairement ou involontairement, critique le fait que nous, joueurs et joueuses, puissions-nous amuser à mettre à mort des personnages fictifs sous prétexte que le côté ludique de l’activité excuse la morbidité de cet acte. Mais ce n’est pas tout. Une deuxième critique de notre façon de jouer se dresse de manière plus fine en filigrane de nos actions dans le jeu. En effet, si cela aura échappé au joueur, il apparait tout de même important de mentionner que le jeu undertale invite son joueur à ne pas accumuler. Autrement dit, undertale est aussi un jeu de rôle qui rejette toute forme d’accumulation capitalistique. Cela est particulièrement intéressant notamment lorsque l’on s’aperçoit que les jeux critiquant le capitalisme, de près ou de loin, reproduisent des schèmes et des modèles de fonctionnement (des règles structurées dans ce cadre-là) reproduisant notre société capitalistique. Undertale nous invite donc à ne pas conserver particulièrement de l’argent, où en tout cas à le dépenser régulièrement et uniquement sur ce qui est nécessaire : de la nourriture principalement et qui en plus est produite localement (on saluera ici la prise en compte des circuits courts mais aussi du respect de la saisonnalité des produits). Par ailleurs, deux fois dans le jeu, il nous est proposé de financer des causes humanitaires : la protection des araignées. Enfin, Fox profite d’un rapide passage pour dresser une critique du coût exorbitant des études aux Etats-Unis, de la précarité des étudiants mais aussi du manque de débouchés à la sortie du diplôme en présentant le personnage du vendeur Temmie. Celui-ci, ou celle-là, travaille pour financer ces études dans le magasin du village Temmie. Le joueur peut l’aider pour financer ses études (en payant un prix exorbitant et qui nécessite que le joueur effectue des tâches répétitives pendant un certain temps). A son retour des études, Temmie reprend son poste de vendeur comme si de rien n’était : aucune progression sociale ne semble permise alors, malgré l’obtention d’un diplôme.

Ces deux critiques faites à l’encontre des jeux vidéo se retrouve tout d’abord dans les combats que nous verrons plus loin mais surtout dans un seul élément du jeu qui pour nous vient constater cela. Undertale cristallise ses critiques de la violence vidéoludique et des logiques capitalistiques dans sa gestion des points d’expérience. En effet, in fine, avec tous les messages qui nous sont envoyés lors du jeu mais principalement par Toriel, au tout début, on nous invite à ne pas commettre de meurtre. Or, en règle générale, le fait de combattre des ennemis apportent de l’expérience si on les tue. Le fait de passer des niveaux relève en effet d’une logique d’accumulation (de points). Mais dans undertale, le fait de résoudre des conflits de manière pacifique n’en n’apporte pas. Ainsi, si l’on souhaite mener une « route pacifiste », notre avatar restera toujours au premier niveau sans franchir le second. Avec cette lecture, le message est clair : être pacifiste, c’est ne pas accumuler plus que nécessaire. On pourrait même pousser cette réflexion en rapprochant le gameplay du jeu comme l’un des premiers gameplay incarnant des logiques de décroissance. Dans cette perspective, le jeu de Toby Fox prend alors une dimension bien plus importante dans l’histoire du jeu vidéo.

Un dernier point qui semble constater notre hypothèse  sur cette lecture anticapitaliste concerne les différents impacts que peut avoir le joueur sur l’environnement vidéoludique par rapport aux RPGs orthodoxes et les jeux vidéo en général. En effet, dans la plupart des jeux, les joueurs peuvent explorer des univers mis à leur disposition en tant que potentielle ressource exploitable. Par exemple, dans les jeux Final Fantasy, un joueur peut entrer dans la maison d’un PNJ, fouiller les rangements disposés ici et là (on peut supposer un lien de propriété en calquant les règles régissant notre réalité à la diégèse du jeu) et, finalement, obtenir des objets. Dans les jeux Oblivion & Skyrim, le joueur peut faire du commerce avec n’importe quel marchand, peu importe le besoin de ce dernier. Enfin, les ressources s’inscrivent généralement dans des mécanismes de développement durable et de non exclusivité : dans Pokémon Go, il n’y a pas un nombre fini de pokémons par exemple. Cependant, dans undertale, quasiment tous les objets, hormis les objets de restauration de la santé (hamburgers, nourriture variées), sont contenus dans un ensemble fini de ressources. Dès lors, le joueur ne peut exploiter son environnement comme bon lui semble et comme dans tout autre jeu vidéo. Très tôt, en début de partie, le joueur va arriver devant un saladier rempli de bonbons. Le jeu fait la demande de n’en prendre qu’un seul, or, il est possible de se resservir. Le jeu va alors graduellement faire comprendre que ce n’est pas un bon comportement à avoir jusqu’à ce que le saladier se renverse sur le sol, rendant la ressource inutilisable. Il est ici intéressant de reformuler ce qu’il se passe dans cette situation de la façon suivante : la surexploitation d’une ressource la rend à terme inexploitable de manière durable et détériore l’environnement dans lequel elle se trouve. On retrouve aussi cet ensemble fini de ressources dans le nombre de monstres par zone du jeu : il n’y a pas de griding possible dans undertale. Au bout d’un certain nombre de combat, les zones deviennent vides : voici un nouvel exemple de la surexploitation du joueur sur l’environnement vidéoludique. C’est aussi à ce moment que le game design doit nous interroger sur la morale et l’éthique des comportements que nous avons en jouant : de quoi ces comportements sont-ils le reflet ? Une première interprétation serait qu’ils reflètent nos us et coutumes capitalistique et d’exploitation dans le monde physique.

Nous venons donc de proposer une interprétation décroissante d’undertale dans le sens où le gameplay illustre une critique de la violence et de certaines logiques capitalistiques. Ainsi, il ne faut pas non plus trop se soucier du terme employé de « décroissance ». Au contraire, il faut simplement retenir qu’undertale se pose comme l’un des représentants, peut-être le parangon ultime, d’une façon de jouer « hétérodoxe » dans le sens où le jeu propose autre chose que ce qui forme l’orthodoxie vidéoludique, à savoir la reproduction ludifiée des schèmes et des logiques néo-libérales et capitalistiques.

Combats, mises à mort & empathie pour notre prochain

Nous avons constaté notamment qu’undertale critique les comportements habituels des joueurs dans le sens où ceux-ci s’inscrivent dans des logiques oppressives. Il convient maintenant de revenir plus en détail sur  son système de combat et comment celui-ci diffuse les valeurs souhaitées par Toby Fox. Encore mieux, il convient de revenir sur la mise en récit, précisément, de l’antagonisme vidéoludique. Encore une fois, undertale dresse une critique des systèmes de combat usuels des RPGs. Le premier élément qui doit sauter aux yeux est qu’à aucun moment le jeu oblige le joueur à agir d’une certaine façon. Mieux, le game design met l’ensemble des éléments à égalité en affichant les quatre boutons d’actions sur une même ligne et de taille égale. Par exemple, c’est le contraire de ce que l’on trouve dans les jeux Pokémon récents qui mettent clairement en avant le choix d’attaquer. Ici, les options sont d’égals à égals et seul le bouton « Mercy » changera de couleur pour nous signaler que le combat peut se terminer en épargnant le ou les antagonistes. Par ailleurs et comme je l’ai déjà montré dans mon article scientifique sur la réflexivité (Giner, 2017), le jeu alterne les rythmes des séquences dans ces combats en misant sur l’humour et le potache lorsqu’il s’agit de résoudre les conflits de manière pacifique. C’est pourquoi nous n’allons pas nous y attarder outre mesure ici. Par contre, il convient d’aborder plus en détail l’attitude du joueur et la façon qu’a ce dernier de se refermer sur ses vieilles habitudes. Undertale est un jeu qui dès le début a été présenté comme un RPG dont les combats peuvent se conclure par la non-violence du joueur. Or, comme le rappelle Joël Couture dans son livre « Fallen Down » (2017), les joueurs n’arrivent pas forcément à voir les opportunités et les possibilités puisque ceux-ci n’arrivent pas forcément à sortir de leurs habitudes. Cela est particulièrement flagrant à la fin de zone de didacticiel lorsque nous devons affronter Toriel (qui est un jeu de mots pour « tutorial », « ‘torial », « Toriel »). Lors de ce combat, le joueur doit sans cesse choisir l’option « mercy » pour enfin avoir la possibilité d’épargner ce personnage. Le problème est que l’on ne voit pas immédiatement l’impact que le choix répété de « mercy » : autrement dit, il n’y a pas de feedbacks immédiats. Ainsi, malgré tous les paratextes que l’on a pu avoir ainsi que les messages dans le jeu, on a l’impression de se retrouver bloqué et d’être obligé à tuer Toriel. L’échec ressenti par le joueur jouant en souhaitant appliquer la proposition d’undertale  n’est donc pas de « perdre un combat » mais de solder un combat par la mort de son opposant. Chose qui arrive malgré tout fréquemment lors des premières runs se concluant en « neutral route ».

Encore une fois, il s’agit là d’illustrer la critique que fait undertale des habitudes et des réflexes des joueurs. Couture (2017) soutient la thèse, avec laquelle je suis d’accord, que le jeu et son game design parviennent à créer des liens affectifs envers les personnages non-joueurs. Il s’agit là bien entendu à une affection éprouvée pour des personnages de fiction, chose finalement assez banalisée dans les œuvres culturelles. Or, là où le jeu se distingue concerne la façon dont il arrive à faire ressentir une douleur émotionnelle réelle liée à un comportement du joueur se concluant sur la mort d’un personnage apprécié. Le jeu a ce génie de construire tout son game design sur la notion de regret, émotion ressentie par le joueur.

Le regret comme moteur de la thèse du jeu

Le regret est une émotion importante dans les jeux vidéo puisque c’est l’une des seules émotions qui peut être uniquement ressentie en jouant. Cependant, il convient de spécifier un peu ce que nous entendons par « regret ». Ainsi, nous considérons uniquement le regret uniquement en rapport à la fiction. Cela signifie que la personne ressentant cette émotion doit avoir eu un comportement formalisé dans la fiction qu’il parcoure. De plus, il faut que ce comportement et ses conséquences soient irréversibles. Or, généralement dans les jeux vidéo, toute action peut être rendue nulle. C’est alors à partir de ce point de départ et de ce qui a précédemment été constaté dans ce papier que Toby Fox a bâti son piège.  

Undertale est un jeu qui piège son joueur à cause de ses réflexes et de son attitude ludique et grâce au regret que cela va lui causer. Pour construire mon raisonnement cependant, nous avons besoin d’étayer mon propos autour de la construction narrative du jeu. Undertale propose une histoire qui ne se découvre que de manière très progressive et sur plusieurs runs, c’est-à-dire sur une répétition du début à la fin du jeu – nous reviendrons dans un prochain papier sur l’utilisation des cycles et des répétitions dans les jeux vidéo pour diffuser des messages et des discours. Autrement formulé, il faut comprendre que le récit, la narration, dévoile l’histoire générale sur trois parcours du jeu. Le joueur doit donc refaire le jeu au minimum deux fois et selon certaines spécificités pour atteindre les 100% de complétion et véritablement pouvoir dire « j’ai fini le jeu ». Ainsi, généralement, la première run se conclut par une fin neutre. Le jeu nous propose ensuite de refaire le parcours pour atteindre la « true pacifist ending ». A la toute fin de cette route, Flowey, l’antagoniste principal du jeu, apparait pour prévenir le joueur de ne pas poursuivre sa complétion du jeu sous prétexte que les personnages sont maintenant heureux. Recommencer n’aurait alors pas d’impact et qu’il y aura un reset complet. Il s’agit là du véritable test du jeu. Tout le game design et la critique du jeu vidéo orthodoxe qui est faite progressivement conduit à ce moment fatidique du choix. Ce choix peut être formulé de la manière suivante : le jeu nous demande de manière quasi formelle d’arrêter d’être joueur, ou du moins, d’être un joueur normal dont la pratique s’inscrit dans l’orthodoxie vidéoludique. J’avais déjà constaté, à travers les Sessions Innocentes (des sessions de jeu durant lesquelles je filme des personnes jouant peu à des jeux vidéo), qu’il était plus facile pour une personne de respecter son système de valeurs durant l’activité vidéoludique. Ainsi, l’hypothèse que je formule ici et que lorsque le discours d’un jeu entre en conflit avec le système de valeur d’un non-joueur relatif (dans le sens où il ou elle joue très peu), ce dernier va facilement terminer sa session de jeu avec l’idée qu’il ne veut pas aller dans le sens du jeu : le conflit entre le joueur et le game designer (à travers le jeu) se solde par le refus du joueur à poursuivre / à jouer.

Pour résumer ma pensée, ou plutôt la reformuler, j’interprète undertale comme une critique de nos habitudes vidéoludiques. Celles-ci sont orthodoxes car elles dérivent de notre société orientée capitaliste et néo-libérale, ce qui se retrouve dans les jeux vidéo mainstream mais aussi malgré tout dans les plus petites productions. Le moment durant lequel Flowey nous invite à ne plus jouer, le joueur sait déjà plus ou moins que pour continuer à dévoiler l’histoire, il devra exécuter la genocide route. Or, cela signifie faire table rase de tout ce qui a été déjà parcouru et surtout, cela signifie revenir à une conception orthodoxe du jeu vidéo où les personnages ne sont rien de plus que des ressources exploitables par le joueur. Si ce dernier choisit de parcourir la genocide route, alors il émet une préférence pour son plaisir vidéoludique plutôt que pour le respect d’une demande formelle (et indirecte de la part du game designer). Le test que présente Toby Fox est donc fait pour savoir si, après la true pacifist ending, le joueur va reprendre un comportement oppressif et habituel dans les jeux vidéo.

La Genocide Route, ultime alerte avant la punition finale

Ainsi, dans la lecture que je propose, la genocide route n’existe finalement que pour piéger un certain profil de joueur de jeu vidéo : ceux qui font preuve et qui maintienne leur attitude ludique malgré tous les messages et les invitations faites au joueur pour justement ne pas poursuivre  l’aventure. En ce sens, chacun des nouveaux éléments de gameplay amenés lors de ce parcours peuvent être interprétés comme des éléments testant la volonté du joueur à poursuivre et que nous pouvons lister. Premièrement, le maintien de ce parcours nécessite la mise à mort de tous les monstres de chaque zone. De même, il faudra aussi mettre en terme aux vies des personnages secondaires de l’intrigue : Toriel, Papyrus, Undyne et Sans qui sont chacun des pics de difficulté obligeant le joueur à essayer à de multiples reprises pour enfin réussir. « Stay determined » est le message apparaissant à chacune des morts et si lors des neutral routes et de la true pacifist run, cela pouvait nous remplir d’espoir, lors de la genocide route, il cache un piège pervers puisqu’il nourrit l’esprit guerrier et ludique du joueur : il doit battre les bosses se présentant devant lui, peu importe le coût que cela aura. Deuxièmement, l’ambiance proposée devient pénible et lourde à supporter : les décors sont vide, plus aucun PNJ ne se présente et tout ce qui faisait la saveur des runs neutres et pacifistes disparait : le joueur est laissé seul à lui-même avec pour seule mécanique de se battre de manière répétée et perpétuelle. Undertale devient un jeu orthodoxe et ce, dans sa plus simple expression : coloniser des territoires et abattre des éléments considérés « ennemis ».

Pourtant, il ne s’agit pas non plus pour Toby Fox de critiquer uniquement les jeux mainstream mais plutôt d’atteindre le joueur autrement. Pour rappel, l’objectif de Fox est, dans notre lecture de l’œuvre,  de critiquer les pratiques normées, standardisées des joueurs. Pour ce faire, il nous propose de parcourir une première fois le jeu. A la fin de celle-ci, un premier groupe de joueur totalement convaincu peut s’arrêter après avoir compris le message, un deuxième groupe continu. Ce groupe parcours une seconde fois le jeu en rendant tout « mieux » lors de la true pacifist route, objectif alors visé par ce groupe. A la fin de cette run, il y a à nouveau deux groupes : ceux qui vont arrêter de jouer car ils ont été suffisamment touchés par le message proposé par le jeu (qui pour rappel est que jouer est un acte moral et avec des conséquences) et ceux qui malgré toutes les mises en garde, veulent poursuivre et parcourir la genocide route. La seule stratégie, et à notre sens la plus pertinente à ce niveau de Toby Fox, est alors de faire ressentir à ces joueurs (ceux qui n’ont jamais arrêté) les émotions les plus fortes pouvant être ressenties en jouant : le regret et la culpabilité.

Cycles et châtiment du joueur pour ses méfaits

La genocide route n’existe que pour culpabiliser et susciter le regret chez les joueurs n’ayant toujours pas compris le message de Toby Fox. Le piège dressé par ce dernier pour leur faire comprendre n’en devient que plus intéressant et pertinent à étudier d’un point de vue critique et scientifique puisque cela interroge directement le rapport que peut avoir une audience à la fiction elle-même. L’une des caractéristiques les plus intéressantes des jeux vidéo, par rapport à d’autres médias, est sa capacité à nous faire ressentir soit de la fierté, soit du regret par rapport aux éléments d’une fiction. En effet, en nous obligeant à prendre part à l’action, les émotions suscitées sont différentes. L’une des spécificités des jeux vidéo (si elles existent) serait alors de penser ces objets comme des outils créant des passerelles émotionnelles directes avec les éléments fictionnels. Autrement formulé, l’une des spécificités du jeu vidéo serait de créer un sentiment de responsabilité de l’audience vis-à-vis de la fiction. Ainsi, si undertale avait été un film, le meurtre de Toriel nous aurait probablement peinés, attristés, sans plus. Or, le fait que nous soyons l’auteur de ce meurtre transforme l‘expérience et notre rapport à la fiction. l’objectif serait de créer un rapport à la fiction différent du cinéma ou de la littérature ou de toutes formes narratives. Les émotions suscitées sont alors différentes. « Nous » sommes les meurtriers qui perpétuons des comportements oppressifs dans les jeux vidéo.  De notre point de vue cependant et malgré la puissance de ces émotions et leur capacité à nous toucher, les jeux vidéo orthodoxes nous déresponsabilise vis-à-vis de ce qui se produit dans la fiction – les jeux sont comme des cercles magiques dans lesquels les actions produites n’ont pas d’impact en dehors. Là où se distingue undertale, encore une fois, réside dans le fait qu’il ne déresponsabilise pas ses joueurs et ce, en intégrant la notion d’héritage, presque au sens schumpétérien du terme : nous laissons des traces et le jeu se souvient de toutes nos actions, même celles que nous regrettons et que nous aimerions bien effacer. Sur ce sujet, Joël Couture explique bien le sentiment de regret qu’ont pu avoir les joueurs en tuant certains personnages non-joueurs. Si le joueur ne comprend pas le message de Toby Fox pendant le jeu, la genocide route existe pour lui faire comprendre a posteriori. Contrairement à d’autres jeux, notamment les titres de Telltales, qui ôte le poids de la culpabilité à son joueur en l’invitant à rejouer la fiction autrement, undertale ne pardonne jamais les crimes commis par le joueur. Après la genocide¸ le joueur ne pourra plus jamais atteindre la true pacifist ending. A la toute fin de cette dernière, si elle est parcourue après une la genocide, l’avatar change et nous observe par un regard camera glaçant : le jeu se souvient de nos actions, de nos torts. Toby Fox fait alors de son jeu un véritable miroir de l’âme du joueur. Au fond, celui-ci est un monstre et n’accédera pas à la rédemption généralement offerte par les jeux orthodoxes.

Le joueur, cette monstruosité aux yeux d’Undertale

Alors le joueur, empli de regret, se retrouve devant un choix. Soit il décide de défausser le message du jeu sous prétexte que « ceci est un jeu » (Bateson, 1977), auquel cas le game design du jeu aura définitivement échoué à transmettre le message de Fox. Soit le joueur accepte son statut de « monstre » et décide de remédier à cela et changeant son comportement dans les futurs jeux auxquels il jouera. En commençant notre article, nous avions pour objectif de soutenir la thèse qu’undertale questionne le comportement éthique du joueur. Reformulé, undertale nous interroge et propose une réponse à la question : « qu’est-ce que jouer de manière éthique ? ». La réponse que nous pourrions ébaucher serait alors la suivante : jouer de manière éthique à undertale, c’est parcourir le jeu en respectant les exigences de la true pacifist route. Plus généralement, Toby Fox nous invite à interroger la façon dont nous jouons et les comportements que nous avons lors de nos sessions vidéoludiques. Les conclusions de Fox semblent proches de celles de Miguel Sicart lorsque ce dernier, dans Play Matters, dit que nous transposons nos systèmes éthiques et moraux dans les façons que nous avons de jouer. Partant de ce propos, si nous jouons à tuer des cibles considérées ennemis dans un jeu, c’est parce que finalement nous reconnaissons une certaine forme ludique au meurtre dans notre société. Fox et Sicart reconnaissent donc les jeux vidéo comme des supports d’expression de nos systèmes de valeurs. Il ne s’agit alors pas de questionner les impacts que peuvent avoir les jeux vidéo mais plutôt de faire éclater au grand jour les vérités fondamentales du jeu vidéo. Pour Fox, ces dernières reposent sur la violence, l’oppression, la pensée capitaliste et les comportements coloniaux. Si les Humains, malgré cela, restent bons, c’est parce qu’en l’absence d’une attitude ludique fortement marquée, ils arrêtent de jouer lorsqu’ils comprennent le message du jeu ou lorsque celui-ci entre en contradiction avec leur système de valeurs. Les joueurs, par contre, maintienne leur attitude ludique et ce, peu importent les comportements atroces commis ou qu’ils s’apprêtent à commettre. C’est en ce sens, que je pense pouvoir affirmer que pour undertale¸ l’humain et bon, pas le joueur. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Le sens caché de The Last Of Us – CT05

Que ferons-nous le jour de la fin du monde ? En supposant déjà que nous survivions les premiers de ces derniers jours. Comment la vie s’organiserait dans les anciennes villes conquises par la végétation ?

S’il y a bien eu une catastrophe dans The last of us, celle-ci s’est terminée il y a bien longtemps après le début de notre périple. On découvre alors une société humaine qui tente, tant bien que mal, de se réorganiser. On se retrouve alors dans une dystopie dans laquelle les civils doivent jongler entre le peur de l’armée et la peur des bandes organisées. Ce n’est pas cela qui me frappé, ni même ces nouvelles créatures vraisemblablement apparues pour venger la planète de l’espèce humaine.

The last of us est tâché de ce motif de fiction récurrent autant dans les œuvres occidentales qu’orientales. Je parle ici du voyage en Occident ou du moins vers l’ouest, le Far West de l’Amérique. C’est cette recherche d’une terre d’asile, d’un Eldorado qui ancre le récit de Joël et Élie dans un imaginaire prophétique puisque il s’agit aussi de deux noms évocateurs de la mythologie biblique. Élie est le prophète qui annonce le retour du messie à la fin des temps et Joël est lui aussi porteur d’un parole religieuse. Puis vient le motif de la rédemption. Joël, ayant échoué à protéger sa fille lors du démarrage de l’épidémie se retrouve avec une nouvelle personne à protéger, métaphore du parent qui doit assurer le futur de sa progéniture. Enfin, le dernier motif est celui de l’héritage. Deux générations dont l’une qui doit promettre et permettre un monde meilleur à la suivante. L’échec d’une génération humaine à fournir un niveau de vie durable à la suivante.

On retrouve ainsi donc les éléments qui font les récits à succès. Une quête, intergénérationnelle, d’un être protégeant un autre et in fine le sort du monde. Plus encore que cette quête de rédemption, the last of us est un récit qui raconte la fin d’une ère. Malgré toutes ces créatures étranges, horrifiques et zombifères, il s’agit du récit de l’affaissement de notre civilisation sur elle-même. Et l façon dont les humains restants ont tenté vainement du survivre alors que tout repère disparaissait.

Durant notre voyage vers l’ouest, nous traversons des dizaines de maisons et de lieux. Tous racontent qui étaient leurs occupants et comment ils tentèrent vainement de fuir.

Tout au long du jeu, des éléments symbolisant la traversée vont marquer notre voyage et en être les objectifs. Dès le début du jeu, le pont est le symbole de cet objectif. Il faut traverser le fleuve, qu’il soit le Styx ou un autre. Sarah dans ses bras, le pont devient l’objectif du joueur. Mais il n’y arrive pas à ce moment. Plus tard dans le jeu, nous retrouvons ce pont, à nouveau objectif des protagonistes. Le jeu fait de nombreuses références à son propre récit. On l’aperçoit en fond puis, on le revoit dans un cabinet d’architecture, probablement celui qui l’a construit. Puis nous y arrivons enfin mais celui-ci est cassé, l’empêchant de remplir son office. À de nombreuses reprises, le joueur doit bâtir et traverse des cours d’eau : il oscille entre la vie et la mort. D’abord à la centrale où la coopération est nécessaire pour le traverser puis à l’hôpital. Moment clef de l’intrigue puisque Élie y perd connaissance. Elle passe alors de l’autre côté. Puis à la toute fin du jeu, en l’incarnant, nous traversons un ruisseau ridicule comme si le jeu nous narguait : « ce n’était pas si compliqué vois-tu ». Nous revenons alors dans le monde des vivants, auprès de la ville de Tommy, seul bastion autonome et pérenne que l’on croise. Le jeu joue beaucoup sur cette idée de cours d’eau à traverser. Impossible de ne pas y voir une métaphore des allers et retours que font Joël et Élie entre le monde des vivants et celui des morts.

Impossible aussi de ne pas voir que les cours d’eau que l’on veut traverser se font de plus en plus petits au fur et à mesure de notre avancée dans le jeu. On peut y voir l’évolution psychologique des personnages. En voyageant ensembles, les obstacles auparavant insurmontables redeviennent envisageables. Ce n’est qu’une lecture d’un détail, critiquable mais qui fait sens dans cette analyse.

Les morts, nous en croisons des centaines. Comme ces cadavres que l’on trouve dans les maisons, dans les salles de bains mais aussi parfois dans leur lit ou dans l’une des pièces de leur ancienne maison. Et ces monstres difformes, qui étaient-ils ? Probablement les habitants mêmes des lieux que nous traversons. Le jeu nous donne des indices sur qui ils étaient. Comme ce cadavre que l’on découvre à la fin de l’automne devant un égout que l’on s’apprête à traverser. En regardant ce corps misérable, on s’interroge sur la personne qui mourut de cette manière,  isolée. Puis l’on se souvient que plus tôt, nous avions visité une épave dans laquelle une note nous indiquait que son propriétaire s’était décidé à revenir sur terre. Voilà un mystère résolu, le pauvre marin a du se faire attaquer par des bandits ou des claqueurs et son histoire s’est arrêtée de manière brutale, immédiate.

The last of us peut d’ailleurs se résumer à cela : nous explorons des lieux qui ont auparavant été vivants. En voyageant, nous découvrons leurs histoires et celles de leurs occupants. Difficile de ne pas s’imaginer quelles ont pu être les personnes y ayant vécu ? En s’arrêtant pour observer les environnements, on découvre l’histoire de ces familles décomposées. On remarque que ce couple venait ou allait avoir un nouveau-né. On comprend que cette chambre appartenait à un adolescent. On en vient à ressentir de l’empathie pour ces personnes qui ont disparu. On remarque que cela bureau appartenait à quelqu’un affirmant un côté lubrique. On remarque sur cet autre bureau qu’il appartenait à une personne aimant sa conjointe. On remarque qu’Elie récupère un jouet afin de l’offrir à un enfant qu’elle rencontre. On finit par comprendre que de nombreux monstres que nous tuons sur le chemin étaient probablement les occupants originels de ces lieux, de ces maisons que nous traversons.

En ce sens, la traversée des égouts habités devient l’une des séquences les plus poignants que le jeu nous offre. En arrivant, on découvre une poupée. On se demande immédiatement comment elle a pu atterrir ici. Le jeu nous prépare à la découverte d’un campement. Arrivé devant une porte colorée et bariolée, on s’imagine qu’il s’agissait d’un campement d’enfants. Les règles du groupe nous confortent à ce moment dans cette lecture : mal écrire et sur des détails qui peuvent paraître insouciant. Très vite, les environnements et les quelques bribes d’informations que nous trouvions ici et là nous font comprendre que des adultes étaient présents et que ce campement reproduisait une organisation sociale avant l’épidémie. Il devient alors possible de récolter les morceaux de l’histoire de ces lieux uniquement par l’observation. Le travail devait probablement être organisé de manière collective entre l’alimentation, l’entretien des vêtements, la récupération de l’eau et l’éducation des enfants.

C’est dans ce mieux que sont clairement évoqué des enfants ayant survécu à l’épidémie. De plus, vu les lieux, ils avaient probablement la tâche d’assurer la cohésion sociale : c’était le lien qui maintenait les adultes et leur donner un objectif commun.

On découvre plus tard que cette tentative a été un échec puisqu’en entrant dans une salle, proche de la sortie, on découvre les cadavres des enfants à côté de l’adulte leur ayant donné la mort avant de lui-même se suicider. Encore une fois, cela conforte la lecture de ce jeu comme une lettre d’excuse d’une génération humaine n’ayant pas réussi à protéger la suivante.

La fin de cette séquence est tout aussi marquante et mode de sens. Nous rentrons dans ces lieux par une grille qui ne peut être ouverte par quelqu’un d’autre qu’un humain. On s’aperçoit que la sortie à elle aussi être condamnée par d’autres survivants. Cela nous suggère que les monstres que nous tuons sont en réalité les anciens habitants de ces lieux. Rien ne se perd, tout ce transforme. C’est l’une des observations les plus importantes à prendre en compte. Tous les claqueurs et les coureurs que nous abattons ont été des êtres humains et pour la plupart, les habitants, les propriétaires ou les locataires de ces maisons que nous traversons.

L’imagerie est d’autant plus forte que nous incarnons des personnes porteuses de noms bibliques. Sans aller dans la surinterprétation, il y a un certain goût d’expiation des péchés que l’homme a commis. Comme s’il était temps, non pas de perpétuer ou de guérir un monde en ruine mais plutôt, tel que Noé, bâtir une arche afin de protéger quelques individus choisis comme Élie dont la miraculeuse guérison n’est jamais expliquée : intervention du divin dans un monde brutal et sanglant.

Cette lecture est constatée par le choix que fait Joël à la toute fin du jeu. En mentant à Élie, il faut le choix d’abandonner l’ancien monde. On peut d’ailleurs y voir une référence à la bande dessinée « the watchmen » qui se conclut aussi par un mensonge sur lequel sera bâtie la nouvelle organisation humaine. Bref, l’humain a échoué, il ne sert à rien de vouloir rafistoler les morceaux restants. En ce sens, pour une rare fois dans le jeu vidéo, on voit une proposition progressiste si rompt avec le conservatisme ambiant. En mentant Joël fait le choix de rompre avec l’ancienne civilisation qui est dans le jeu incarné par l’autocratie au début du jeu et par les lucioles dont la logique manichéenne créé des doubles standards : pour eux, c’est par le meurtre que l’on sauvera l’humanité.

L’histoire de the last of us dépasse donc un manichéisme orthodoxe pour offrir une vision plus pessimiste mais aussi plus nuancée de la nature humaine. Il faut avancer, peu importe les pertes, une espèce de grands Bond en avant, obligatoire et destructeur. Chaque saison se conclut par la mort ou la disparition d’un personnage clef de l’intrigue. Le monde des vivants se referme petite à petit sur le duo central qui ne survit qu’à travers une relation symbiotique : la vie de l’un n’a pas de sens si l’autre meurt. Une génération humaine n’a de sens que si la suivante survit. On comprend alors pourquoi Joël fait le choix de sauver Elie tout en lui mentant. Jusqu’au bout, il la protégera.

The Last Of Us raconte donc cette histoire. Une génération qui acceptera de vivre moins bien que ce qu’elle a connue pour sauver et protéger la suivante. Sans concession, Joël réalise cela avec son périple. Etre parent n’a pas de sens si nos enfants vivront plus mal. Il y a beaucoup de chose à critiquer dans The Last Of Us, mais son message, le sens caché que je lui trouve, en font une fable de notre époque, de la façon dont les dernières générations humaines ont tiré un trait sur les suivantes et leur recherche de rédemption quand il sera trop tard, dans 100 ans, quand nous serons tous morts. ■

Esteban Grine, 2017.