Le chemin se fait en marchant.

Une question absolument incroyable à poser aux joueuses et joueurs de jeu vidéo est la suivante : « pourquoi cours-tu ? » Quel est l’impératif qui nous pousse à courir dans un jeu qui ne nous récompense pas pour la rapidité de nos actions ? La course semble être généralement la seule façon de se déplacer envisagée par le ou la joueuse, sauf dans de rares jeux comme ceux d’épouvantes.

Pourtant, avant de courir ou de voler, il faut marcher mais c’est une mécanique régulièrement délaissée autant par les créateurs et les créatrices que par les joueurs et les joueuses. Cependant, les observations qui peuvent être faites à partir de la façon dont la marche a été designée sont passionnantes. D’un point de vue purement pragmatique, « marcher » dans un jeu permet de tester ce qui est possible ou non de faire comme par exemple dans Mario Odyssey ou dans « a hat in time ». Autant dans l’un que dans l’autre, la plupart des combinaisons et des techniques sont réalisables uniquement en marchant et cela permet en particulier de comprendre pourquoi dans ces jeux « l’air control » est réellement au centre de leur gameplays respectifs. Par exemple dans « a hat in time » on s’aperçoit que la vitesse « en l’air » n’est pas uniquement conditionnée par l’inertie acquise au sol. Ce saut en est évocateur : bien que je sois en train de marcher, j’arrive à exécuter les actions nécessaires pour atteindre la plateforme d’en face.

« Marcher » permet aussi de tester les limites techniques des jeux. Dans le dernier Zelda, certaines choses n’ont pas été pensées pour la vitesse de marche. On se retrouve parfois coincé en souhaitant réaliser des actions au demeurant banales. On peut alors en marchant illustrer la façon dont sont codées certaines interactions. En effet, le rythme forcément lent invite le ou la joueuse à focaliser son attention sur le plus grand nombre de détails observables. Dans Horizon Zero Dawn, c’est en marchant que l’on peut s’apercevoir de la rotation saccadée de Aloy. Dans Zelda, c’est en marchant que l’on peut voir les errements du code pour ce qui est de la gestion des jambes de notre avatar lorsque nous montons les escaliers. Dans Metal Gear Solid, c’est en marchant que l’on s’aperçoit que même un petit rocher devient un obstacle insurmontable.

« Marcher » dans les jeux vidéo est passionnant. Les quelques exemples que je viens d’évoquer ne sont qu’une partie de la face visible de ce que cette action reflète. Pourtant c’est une mécanique laissée de côté alors qu’en prenant le temps de « marcher », on peut alors comprendre toutes les intentions des game designers sur l’ambiance qu’ils et elles veulent donner à leurs jeux. A partir de la marche, il est possible de comprendre et d’analyser les jeux. « Montre-moi ta façon de marcher, je te dirais qui tu es », voilà la proposition que je fais ici. A partir d’un corpus de jeux actuels, je vais donc proposer une série de constats permettant de conclure que le fait de marcher n’est absolument pas neutre dans les jeux vidéo et témoigne de l’atmosphère et de l’éthos du jeu, c’est-à-dire la façon dont il se présente au joueur.

Dans Metal Gear Solid, la posture de Snake lorsqu’il marche est celle d’un guerrier à l’affût. Dos penché, regard fixe, les bras balancent mais restent proches des armes. Marcher n’est ni plaisant, ni de tout repos. La posture est celle d’une personne prête à se cacher, à sauter au sol. En marchant, on remarque que les épaules de Snake ne sont pas dans l’axe du bassin, que le pied droit est plus ouvert que le pied gauche. Tout nous invite à penser qu’il s’agit d’un pas guerrier, sur le qui-vive. L’absence d’animations autres que celles décrites fait que tout apparaît calculé, dans un état de concentration militaire maximale. Tout cela nous est indiqué dans cette posture. Posture que l’on retrouve aussi chez Aloy qui se penche en avant aussi lorsqu’elle marche. Cependant, celle-ci laisse plus de place à la surprise et l’émerveillement. La tête qui regarde et suit des éléments, une prise de parole régulière et une finesse dans l’animation sont des constats de cela. L’exemple des mains d’Aloy caressant les hautes herbes témoigne de cette dualité entre guerrière investie d’une mission et exploratrice découvrant un nouveau monde.  A l’approche d’un ennemi, celle-ci se saisit automatiquement de son arc, rappelant alors son métier de chasseuse.

Il est intéressant de noter que ni Snake, ni Aloy, tous deux avatars du ou de la joueuse, avancent en terrain conquis. Il s’agit d’une posture de marche qui reste aux aguets. Cela rend l’ensemble cohérent avec les représentations contenues dans ces œuvres. Le ou la joueuse agit seul·e contre tous dans un territoire hostile et cela se retrouve complétement dans la façon de marcher. Cependant, tous les jeux nous mettant dans cette situation ne transmettent pas cela dans la façon de marcher des avatars. L’avatar du joueur dans Bloodborne, au contraire, avance d’un pas serein et assuré. Le léger mouvement d’ouverture des genoux donne une démarche étrangement similaire de l’imaginaire du film western. L’ouverture des bras et des mains gardant systématiquement des armes sans pression nécessaire de la part du joueur sur la manette ne transmettent pas la précision d’un Venom Snake ou la vivacité d’Aloy. Au contraire, il s’agit là d’une personne sûre d’elle, d’un tueur  avançant en terrain conquis à la recherche de ses proies. Si cette façon de marcher est incohérente avec le ou la joueuse commençant une partie, au fur et à mesure de la session, il ou elle acquière cette assurance déjà présente et observable dans son avatar. Cette posture de marche devient alors un objectif à atteindre : le joueur doit avancer de la même façon que son avatar, en terrain conquis.

Ainsi, ces trois premiers exemples nous permettent d’observer des propositions relativement guerrières de marcher. Ou plutôt ce sont des postures qui définissent la façon dont les joueurs et les joueuses interagissent avec le monde et ce, sur plusieurs gradients. Si « marcher » dans Bloodborne indique uniquement des intentions meurtrières plutôt romancées par une mise en scène empruntant au western, « marcher » dans Metal Gear Solid invite plutôt à la froideur chirurgicale de la méthode militaire. Enfin, « marcher » dans Horizon Zero Dawn présente plutôt un mélange entre exploration émerveillée et chasse sauvage.

Dans Breath Of The Wild, la façon de marcher est bien plus neutre dans le sens où elle ne sous-entend pas une recherche ou une attente de conflits. Le dos droit, les bras près du corps, les jambes n’indiquent pas un éveil des sens aux dangers environnants. On appréhende le monde tel qu’il se présente à nous. L’idée est véritablement de redécouvrir un Hyrule déjà foulé, avec un œil nouveau, celui d’une personne ayant perdu la mémoire. C’est une promenade sans jugement du monde qui nous entoure. Les chemins se dessinent en marchant : « Tout passe et tout demeure mais notre affaire est de passer en traçant des chemins » aurait pu dire Antonio Machado. Les armes toujours rangées, l’emphase est alors mise sur la découverte et l’exploration. « Marcher » dans Breath Of The Wild amène aussi à repenser le temps d’une manière plus longue. Ses vastes plaines, ses paysages dégagés sont une invitation à la réflexivité. De même, on se retrouve à observer de nombreux petits détails comme le sens du vent, les fleurs qui jonchent littéralement et complétement les hautes herbes. En marchant, les temporalités ne sont plus du tout les mêmes. Il m’a fallu un peu plus de deux jours ingame, soit environ une heure temps réel, pour atteindre le village Cocorico depuis le Grand Plateau. Cela laisse finalement beaucoup de temps à la réflexion. Des surprises nous rappellent parfois l’animosité des ennemis, d’autres nous rappellent l’état de nature dans lequel nous nous trouvons. La posture de Link se distingue en grande partie par cette façon de marcher, tel celui qui découvre et s’émerveille.

A la vue des jeux évoqués, « Marcher » est particulièrement propice aux jeux d’aventures ou du moins ceux qui proposent un contexte avec une grande liberté d’exploration. Pourtant, « marcher » peut amener à redécouvrir des jeux proposant des gameplays allant à l’opposé. C’est le cas de Mario Odyssey dans lequel le fait de « marcher » peut porter préjudice à la panoplie d’actions. La « marche » n’est pas particulièrement appropriée aux jeux de plateformes nécessitant réflexes mais aussi les phénomènes de momentum, d’inertie, etc. Dès lors, s’il est possible de marcher, le game design a plutôt intérêt à susciter aux joueuses et joueurs l’envie de courir. La posture de Mario dans Odyssey est particulièrement neutre. Cette neutralité apparaît comme une véritable invitation à ne pas marcher pour préférer la course. Cet exemple amène un constat ou plutôt une hypothèse : il est possible de définir ce qui est ludique de ce qui ne l’est pas en observant la façon dont est game designé le fait de marcher puis de le comparer au fait de courir. Dans Odyssey, « marcher » n’est pas ludique mais courir l’est. Dans Bloodborne, « marcher » n’est pas connoté négativement. Par contre, dans A Hat In Time, Hatkid marche en roulant un peu ses épaules. On ressent une sorte de sautillement : « marcher », c’est ludique. Dans la trilogie Crash Bandicoot sortie en 2017, l’animation de Crash constate aussi cela. Sautillements, balancement des bras : on retrouve un imaginaire autour du « mec cool » d’un lycée étasunien, prêt à sortir son manteau en cuir, son peigne et sa gomina. Dans ces deux derniers jeux, « marcher » suscite le ludique car les animations des avatars font référence non pas à l’appréhension du monde mais à des attitudes déjà considérées comme appartenant à un imaginaire collectif humoristique, caricatural et théâtral. De tout cela, l’animation de la marche de l’avatar apparaît donc comme un élément ludique supplémentaire. Contrairement à Metal Gear Solid V¸ Horizon Zero Dawn et Bloodborne, « marcher » est ici utilisé pour transmettre un constat supplémentaire de l’aspect ludique de l’expérience.

« Marcher » dans un jeu vidéo n’est pas neutre. A partir du corpus de jeux que j’ai mobilisé, je conclue que les façons de designer la marche sont des éléments importants servant à définir ce qui est ludique de ce qui ne l’est pas dans un jeu. En plus de l’atmosphère, le fait de marcher détermine aussi l’attitude et la personnalité des avatars que nous incarnons. Le pas des avatars dépasse alors la question de la part de réalisme dans le ludique ou la part de ludique dans des comportements précis et calculés. Au même titre que tout autre élément de la structure du jeu, « marcher » transmet des représentations et suscitent aux joueurs et joueuses d’adopter certains comportements plutôt que d’autres : froids et assurés dans Bloodborne, punk issu d’une comédie musicale façon Grease pour Crash Bandicoot ou encore la bonhomie de Hatkid.

« Marcher », plus généralement, invite à repenser la temporalité et le rythme des jeux. Si la question « pourquoi courons-nous dans les jeux vidéo » reste sans réponse, « pourquoi ne pas marcher »  semble proposer de nombreuses ouvertures sur la façon de penser ce qui est ludique, sur la façon de penser ce qui est jeu.

Esteban Grine, 2018.

La non-émergence des systemic games

La dernière vidéo de Mark Brown, au-delà de ses aspects plus ou moins intéressants, questionne à nouveaux la façon dont les vidéastes abordent les jeux vidéo et la façon dont ils et elles diffusent des discours sur le jeu vidéo en général. Mark Brown a eu, depuis le début de sa chaîne, le génie de récupérer des concepts en les popularisant mais contrairement à d’autres vidéastes qui proposent des interprétations sur leurs expériences, Mark Brown s’accapare et pose régulièrement des questions ontologiques à propos des jeux vidéo. J’estime que ces questions sont généralement plaisantes à l’oreille d’une audience. Cela donne des possibilités (limitées) de catégoriser des objets culturels tant que l’on ne questionne pas le cadre mais peu importe : Mark Brown donne le cadre, il donne le rythme et les grilles de lectures. Dans une volonté d’institutionnalisation d’une pensée, il s’agit là d’une des meilleures stratégies : donner les outils et les clefs de lecture. Il ne s’agit alors plus de vulgariser pour émanciper mais vulgariser pour mieux recadrer.

Immersive sims et aberrations

Sa vidéo à propos des immersive simulators (datant d’août 2016) est particulièrement évocatrice. S’appuyant lourdement sur l’article de Rick Lane publié en juillet de la même année sans le citer, il évoque le retour médiatique de ces jeux en transposant des éléments de définition tout en les illustrant. Ce fut à l’époque clairement une stratégie gagnante. Dans ma communication donnée lors du colloque « youtubers, youtubeuses » à Tours, j’avais constaté la façon dont ce concept avait, à la suite de sa vidéo, explosé en tant que mot-clef en étant repris et singés par de nombreux et nombreuses vidéastes.

La dernière vidéo publiée sur sa chaîne reprend les mêmes codes que celle-ci. Il ne s’agit alors plus d’un comeback mais de l’émergence et ce, non pas des immersive sims mais des systemic games. Déjà en termes de paratexte, le titre de la vidéo situe son auteur comme un « homme de la situation » prêt à poser un nouveau jalon de définitions permettant aux vidéastes suivant de « penser dans un même schème cognitif ». Le titre pose problème car il suppose un phénomène récent. Or plusieurs biais doivent être mis en exergue. Le premier concerne le corpus de 31 jeux dont seulement 7 remontent avant 2010. Le second repose sur la définition même proposée de systemic games qui fait référence à un degré placé sur un continuum du nombre d’interactions entre objets présents dans un jeu. Parler de « degré placé sur un continuum » est une façon polie de dire que la définition repose sur le « bon vouloir » de la personne qui l’utilise. A la fin de cette vidéo, il y a une idée relativement étrange de l’histoire du développement du jeu vidéo à savoir, qu’à un moment donné dans le temps, il y aurait eu une forme de rupture située autour de 2010 à la vue du corpus discutable malgré quelques éléments annonciateurs (les jeux précédents cette année). Je fais l’hypothèse qu’au contraire, nous avons sous les yeux un processus d’amélioration du développement et des machines permettant de prendre en compte de plus en plus d’interactions entre objets gérés par la machine. Dès lors, cette émergence chère à Mark Brown ne devient que l’un des sentiers technologiques empruntés par l’une des formes du jeu vidéo depuis ses débuts dans les années 1970. De même, revenant encore une fois sur le corpus, je n’y vois que des jeux occidentaux. J’avais observé en Chine des dizaines de jeux ne nécessitant à aucun moment un ou une joueuse. Sont-ils des systemic games  ou simplement des programmes informatiques lambda ?

Institutionnalisation, corpus biaisé

Au fur et à mesure de mon écriture, je remarque que le problème fondamental que j’ai aujourd’hui est le suivant : sur la base d’un corpus très restreint de jeux (et régulièrement cités dans plusieurs des vidéos de sa chaîne), nous avons là un phénomène d’institutionnalisation sans remise en question d’une parole. C’est un problème qui m’avait déjà été partagé par une personne qui se reconnaitra peut-être dans ces mots. De même, je m’aperçois aujourd’hui à quel point Game’s Maker ToolKit est régulièrement un vecteur d’un discours provenant directement de l’industrie vidéoludique : très peu de remises en cause des entreprises en situation de monopole, uniquement des paroles retransmises depuis l’intérieur du milieu sans jamais diffuser les discours sur l’industrie. Pour résumer, j’adresse à Mark Brown la même critique que Christian Metz pouvait faire à l’égard de certains théoriciens du cinéma :

« Les  conditions  objectives  qui donnent naissance  à  la  théorie  du cinéma  ne  font  qu’un avec  celles  qui rendent  cette  théorie précaire et  la  menacent en  permanence d’un dérapage  dans son  propre  contraire, où  le  discours  de l’objet  (le  discours indigène  de l’institution cinématographique)  vient  insidieusement  prendre  la  place du discours  sur l’objet » (Metz, 1975).

Le Corpus régulièrement cité par cette chaîne est un constat de cela : où sont les queer games, où sont les développeurs indépendants n’ayant pas les moyens de créer des systemic games dont le développement nécessite clairement des ressources financières colossales ? Il y a derrière les choix de Mark Brown une idée volontaire ou involontaire relativement conservatrice qui ne remet pas en cause l’industrie du jeu vidéo. Or, les discours dont nous avons besoin aujourd’hui doivent être critiques et sur cette industrie, non pas issus de celle-ci.

Esteban Grine, 2018.


Quelques papiers non cités par GMTK :

Sur les systemic games

https://www.gamasutra.com/blogs/MikeSellers/20150518/243708/Systems_Game_Systems_and_Systemic_Games.php

Sur les immersive sims

https://www.pcgamer.com/history-of-the-best-immersive-sims/


PS : Par rapport à ma pratique de vidéaste

Durant l’écriture de cet article, je me suis interrogé sur ma propre pratique : suis-je soumis aux mêmes critiques ? Etc.

La réponse est oui. Je la contraste cependant en énonçant ne pas avoir de volonté institutionnelle de diffusion de certains concepts que j’ai proposés. De même, régulièrement, j’énonce que j’essaie autant que possible de ne pas niveler ou préférer un genre de jeux même si finalement je propose des corpus tout aussi critiquable. Je rejette généralement les définitions fermées de ces objets. Cependant, je n’observe pas un comportement similaire chez Mark Brown. Enfin, je m’inscris plutôt dans une approche sémio-pragmatique tandis que MB propose plutôt une vision issu du game design en observant « des bonnes façons de créer des bons jeux », ce qui, dans d’autres contextes et d’autres mots pourraient être idéologiquement discutable.

Je slow-playe.Tu slow-playes? Slow-playons!

Note au lecteur : cet article est une contribution extérieure que LCV accueille.


Les soldes steam.

Les promotions hebdomadaires.

Les bundle mensuels.

Les sites de revente de clefs.

Les triple A offerts.

Il est aisé aujourd’hui de remplir sa bibliothèque Steam de dizaines de références sans pour autant avoir à débourser des sommes astronomiques. Il s’agit d’une réelle opportunité d’avoir toutes et tous accès à des pans culturels hors de notre portée sans toutes ces offres. Mais force est de constater qu’elles nous poussent également à sur-consommer. Accumuler. Collectionner. Télécharger. Archiver. Ranger. Oublier. Pour plus tard. Jamais.

Suite à la dernière vidéo parue sur la chaîne Game Spectrum et à l’article publié par Esteban Grine sur le blog LCV, j’ai décidé de m’intéresser au poids environnemental de ces jeux oubliés, téléchargés pour être effacés après quelques minutes ou même jamais lancés. L’un des premiers responsable du réchauffement climatique, avec la vapeur d’eau est le dioxyde de carbone (CO2), c’est pourquoi je me suis concentré sur ses rejets liés au transfert de données.

Je prendrai ici l’exemple de Fez, premier jeu auquel je me suis intéressé, mais je tenterai à l’avenir de dresser un constat plus général dans un autre article.

Le cas de Fez à ceci à de particulier que s’il a été téléchargé massivement (plus d’un million de propriétaires sur Steam) , peu de personnes ont dépassé une heure complète de jeu dessus. C’est un indicateur qu’il m’a semblé important de prendre en compte, considérant qu’il n’était pas possible en si peu de temps d’aborder, de cerner, ni de faire le tour de cette œuvre.

L’objectif n’est pas pour moi de culpabiliser qui que ce soit, mais de tenter d’apporter un autre éclairage permettant à toutes et tous d’être un peu plus armé.e.s en tant qu’ acteur.rice de sa consommation vidéo-ludique.

La consommation électrique de FEZ

A ce jour, il y a eu plus d’un million d’utilisateur.ice.s de Fez sur Steam. Sorti en 2013, il a été un véritable succès, incarnant aux côtés de Braid et de Super Meat Boy entre autres, l’explosion commercial de la scène indépendante. Malgré ses excellentes critiques, 44.69% des joueur.euse.s ( 447.939 exemplaires) n’ont jamais dépassé la première heure de jeu dessus.

D’un poids de 444MB, cela représente près de 200 TB de données téléchargées qui, dans le meilleur des cas, ont fait office de démo.

On utilise communément le kilowatt-heure pour calculer consommation et production électrique. Ainsi, à titre d’illustration, annuellement une ampoule LED consomme 7Kwh et un foyer sans chauffage électrique consomme 1500Kwh. Jonathan Koomey, professeur et chercheur en finance et politiques énergétiques estime que le poids en Kwh d’un GB de données téléchargées est estimé entre 9KWh et 16KWh. Je l’ai choisi comme référence en raison de son apparente absence de conflit d’intérêt ainsi que de sa qualification. Pour la suite de mon raisonnement une estimation basse et une estimation haute de ces chiffres seront utilisés.
Selon l’estimation basse, il y aurait eu 1.80GWh utilisés lors du transfert de ces données et 3.18GWh selon l’estimation haute. L’énergie utilisée pour télécharger ces copies de Fez inusitées aurait donc pu :
-Selon l’estimation basse, alimenter en électricité 255.709 ampoules LED ou 1.193 foyers de trois personnes durant une année complète.
-Selon l’estimation haute, alimenter en électricité 454.285 ampoules LED ou 2.121 foyers de trois personnes pendant une année complète.

Il m’a été difficile de trouver des sources intéressantes présentant des statistiques mondiales du poids en CO2 du KWh. Bernard Chabot, ingénieur agronome et consultant en énergie auprès d’entreprises estime que le poids d’un KWh est de 525g de CO2. En suivant cette estimation notre fourchette basse serait donc de 940 tonnes de CO2 et la fourchette haute serait quant à elle de 1.670 tonnes de CO2. Si ce chiffre est bien sûr une paille en comparaison des 40 milliards de tonnes de CO2 que nous rejetons chaque année, il faut malgré tout en saisir la dimension. Nous n’avons ici cité qu’un seul jeu, de faible poids par ailleurs, mais il est à mettre en perspective avec l’intégralité du catalogue Steam qui contient des milliers d’autres références, avec les autres acteurs de la vente dématérialisée ainsi que du téléchargement illégal.

Voilà un domaine sur lequel nous pouvons agir, dès aujourd’hui en ne cédant pas systématiquement à l’appel des promotions, en jouant plus lentement, lors de sessions plus courtes, en refusant de télécharger un bundle de 20 jeux quand un seul nous intéresse, en admettant l’idée que si quelque chose est gratuit, il n’en demeure pas moins qu’il a un coût.
Slow-playons. ■

Marc BoitSonEau, 2018.


Sources

 

Du Slow Play au slowrunning

Il faut bien avouer que je ne m’attendais pas particulièrement à ce que la proposition du « slow play » en tant que concept soit reçue avec tant de discussions mais aussi de dévoiements. Entre temps, j’ai pu découvrir de nouvelles pratiques notamment dans les communautés des superplayers dont celle du « slowrunning ».

Partant de ces constats, je souhaite réaffirmer en écrivant cette article mon intérêt pour les formes atypiques de jeux dont celle que je nomme le « slow play » et la façon dont je la distingue du « slowrunning ».

Contrairement à mon précédent article alors dont le « slow play » n’était qu’un élément, je vais focaliser pleinement mon attention à ce sujet ici. Ainsi, pour résumer brièvement, voici les éléments de définition que je propose pour définir cette pratique.

Slow Play :

Nom masculin

  1. Qui se dit d’une pratique « casual » et non performative du jeu vidéo ;
  2. Qui formalise de manière observable une intention du joueur ou de la joueuse de limiter l’acte de jouer dans le temps ;
  3. Qui instaure des sessions courtes de jeu tout en prenant compte du format de l’expérience proposée et jouée. Certains jeux ne nécessitent pas plusieurs sessions pour être parcourus.

Voilà les seuls éléments que je retiens aujourd’hui pour définir le « slow play ». Tout le reste n’est alors qu’interprétations ou alors hypothèses reposant sur mon propos et non confirmées.

Ainsi, jouer de cette façon signifie que le ou la joueuse rejette tout élément constitutif du jeu visant à instaurer une performativité de l’acte vidéoludique qui serait non nécessaire au parcours de l’œuvre (1). Par ailleurs, le ou la joueuse définit une plage horaire durant laquelle il ou elle peut jouer mais qui doit se conclure sans dépassement. Par exemple, je définis une plage maximale de 1h par jour de jeu et je limite mon acte par cette contrainte horaire (2 et 3). On pourrait supposer des variantes comme par exemple la volonté d’espacer le temps entre deux expériences vidéoludiques mais globalement, l’ensemble de mon propos se retrouvent dans cette définition et dans ce paragraphe.

Slow play et sobriété

Dans une certaine mesure, j’inscris le « slow play » dans le cadre d’une certaine forme de sobriété voire d’une forme d’ascèse, une manière de vie imposant certaines privations. L’une des idées que je défends dans ce cadre est de valoriser le plus possible chacune des expériences auxquelles nous jouons, si possible variées mais ce n’est pas à moi d’indiquer ce à quoi il faudrait jouer. Il y a alors derrière mon propos une volonté de mémoire, de souvenir de ces expériences vécues. L’instauration de sessions courtes sert aussi ce travail de mémoire puisque le temps entre ces sessions peut en partie être consacré à penser au jeu, à l’expérience. Par exemple, je me remémore l’expérience que j’ai eue en jouant à « Bury Me My Love ». Je pensais à Nour à chaque fois qu’elle se déconnectait. C’est entre mes sessions sur Horizon Zero Dawn que j’explorais le plus le monde d’Aloy. Il me semble que le « slow play » installe les conditions pour susciter cette réflexivité qui me plait. Ainsi, ce n’est pas seulement après avoir « fini » que je veux commencer à réfléchir au jeu mais pendant, à l’instar de mes billets sur Zelda Breath Of The Wild qui furent écrits entre mes sessions de jeu.

Dès lors, cette pratique que je nomme sans l’avoir créée ne porte pas sur les jeux joués mais plutôt sur le comportement que l’on a en tant que joueur. Je rejette toute forme de sélection et forme de calcul économique en amont du jeu visant à maximiser une forme de rentabilité subjective de l’acte de jouer. En effet, il y a une forme de recherche de la performance dans ce cadre-là, ce qui vient en contradiction avec sa définition. De plus, s’il y avait un calcul de la sorte, nous pourrions très bien supposer que certains jeux, plutôt typiques, seraient avantagés par rapport à des jeux en dehors des canons actuels.

les Slow runs comme détournements

Il me semble cette fois avoir proposé une définition plus cadrée que lors de mon précédent billet mais une distinction reste encore à faire entre le « slow play » et les « slowruns ». Il me semble que ces dernières s’inscrivent dans une recherche d’une performativité, du moins de performances vidéoludiques. Voici la proposition de définition que je fais :

Slow Run

Nom féminin

  1. Qui se dit d’un acte performatif visant à atteindre les objectifs fixés par le game design de la manière la plus lente possible sans pour autant aller à l’encontre de la réalisation de ces objectifs ;
  2. Performance vidéoludique s’inscrivant dans une forme de « superplay ».

Dès lors, le « slowrunning » nécessite un niveau de compréhension ainsi qu’une volonté de prendre le plus de temps possible pour atteindre les objectifs. Par exemple, dans le jeu « Super Mario Bros » sorti sur NES, une « slow run » serait d’attendre que chaque compteur de temps atteigne quasiment zéro avant de conclure chaque niveau. Dans Mario 64, il s’agirait d’obtenir chaque étoile (n’imposant pas une limite de temps) en marchant. L’idée du « slowrunning » est d’ajouter de nouvelles règles régulatives de sorte à limiter les actions du joueur pour que celui-ci prenne le plus de temps possible (voire le maximum). On pourrait rapprocher cela des formes de « nuzlock challenges » qui visent à imposer de nouvelles contraintes. Dès lors, on pourrait supposer que les « slow runs » sont des formes de détournements discutant la définition de ce qu’est une performance vidéoludique.

Quelques mots pour conclure

Avec ce nouveau texte, relativement court, il me semble avoir comblé certains manques de la première définition que je proposais il y a maintenant un peu plus d’une semaine. Avant toute autre remarque, je souhaite affirmer qu’il n’y a pas dans mon propos d’intention élitiste à l’égard de certains jeux qu’il faudrait privilégier. Je rejette ces accusations. Il n’y a pas non plus dans mon propos une intention de convaincre qui que ce soit d’adopter le « slow play » comme posture de jeu. Enfin, je me place ici dans une réflexion concernant l’audience des jeux : les joueuses et les joueurs. Je ne prends donc pas en compte ceux qui produisent, créent et inventent des jeux. Mes propos ne visent pas à empêcher ces personnes de vivre de leur art. Nul doute que ce type d’activité peut avoir un impact mais je fais l’hypothèse que de nombreux paramètres actuellement présents rendent déjà leur tâche complexe. Si cependant il y a encore des interrogations au sujet du « slow play » qui avouons-le, est un sujet relativement peu important, j’invite sincèrement à la discussion sans d’abord passer par des interprétations de mon propos qui ne refléteraient probablement pas ce que j’essaie d’exprimer.

Je ne vois pas le « Slow Play » comme un objectif ni un comportement à avoir. Cependant, j’aime penser que je tends vers cela, « je suis joueur mais je joue peu » aurait dit Henriot. Ma pratique ne correspond donc pas à ce terme mais je ne considère pas cela comme un problème. De même, je ne considère absolument pas cette notion comme issue d’un éclair de génie de ma part. Il s’agit bien plus probablement d’un concept qui est déjà beaucoup trop redondant avec celui de la sobriété ou de l’ascétisme. Cependant, son verni, anglophone, n’est pas pour me déplaire. Il ne me reste plus qu’à m’improviser « coach de vie » pour pouvoir en soustraire le denier. ■

Esteban Grine, 2018.