Bonjour Internet ! Il s’agit juste d’un petit billet d’annonces car mon actualité de mai va être assez chargée. Comme je n’ai pas forcément le temps de faire de faire sérieusement une vidéo, au moins, il y aura quelque part, sur internet la liste des événements auxquels je vais participer en mai !
J’étais venu en 2018 et c’était merveilleux. Je reviens donc au moins cette année (moins sûr pour l’an prochain, faut savoir tourner). J’y serai donc pour 2 tables-rondes et une conférence et j’ai vraiment hâte de les voir se dérouler ! L’ensemble des événements se dérouleront à la maison des associations et j’y serai principalement je pense. Cependant, vous devriez pouvoir me trouver dans les couloirs du festival 😉
La conférence que je vais donner s’intitule : « didacticiels et politiques : les jeux vidéo comme systèmes d’apprentissage ». Il s’agira globalement ici d’une présentation de mes travaux de recherches publiés ou présentés. Je compte aussi montrer quelques jeux allant de Tomb Raider 3 (Core Design, 1998) à Breath Of The Wild (Nintendo, 2017) en passant par des jeux vidéo un peu plus obscures. La conférence aura lieu le dimanche 19 mai à 12:30 ! Wouhou !
Je participe aussi à deux tables-rondes :
« Jeux dangereux : les écueils de la gamification », vendredi 17 à 18h avec Elisabeth Maler et Romain Vincent.
« Le game design de la gentillesse » avec Edwige Lelièvre et Lola Guildou aka la Dév Du Dimanche, samedi 18 à 12h.
Et niveau scientifique ?
C’est là que les choses se gâtent puisqu’entre le CRACS et le Stunfest, je participe en bînome avec Rémi Cayatte à une communication sur le jeu vidéo Fiscal Kombat. J’espère pouvoir enregistrer la communication pour ensuite la publier sur la chaîne mais je reviendrai la partager si cela se fait ! Aussi, bien plus tard dans l’année, je vais communiquer sur le modèle de la narration à n-corps que j’ai ébauché à cette adresse : https://www.chroniquesvideoludiques.com/la-narration-videoludique-est-un-probleme-a-n-corps/ ! J’en reparlerai très probablement ici prochainement.
Si je regarde mon parcours, mon « itinéraire expérientiel » comme dirait Bernard Perron (2016), de ces quelques derniers mois, il est plutôt évident que j’ai été un joueur de mondes plus ou moins ouverts. Historiquement, cette période commença en septembre avec Shadow Of The Tomb Raider (2018), Spyro : The Reignited Trilogy (2018), Red Dead Redemption 2 (2018), Zelda Breath of The Wild (2017), et enfin Assassin’s Creed Odyssey (2018). J’ai aussi pu m’essayer aux derniers opus de Farcry, bien qu’il faille reconnaitre que ces derniers m’aient bien moins inspiré, même si j’y ai passé de très bons moments. Être joueur de ces mondes ouverts, c’est aussi une organisation temporelle puisque j’ai au minimum consacré 25h pour les plus courts (SOTTR et STRT) à la centaine d’heure pour Odyssey jusqu’à plusieurs centaines d’heures pour BOTW. De toute évidence, j’ai pu nourrir une réflexion pendant ce temps passé à jouer, pensées qui se sont largement cristallisées autour d’une critique des termes que nous employons aujourd’hui pour caractériser ces jeux. S’ils sont effectivement pertinents pour les catégoriser rapidement et par le plus grand nombre, les « triple AAA », « open-world » et consort sont des notions hautement critiquables car elles n’inscrivent finalement pasces jeux dans une histoire de l’art.
A travers ce billet de recherche, je vais donc aborder cette problématique en proposant de réencastrer ces productions culturelles et médiatiques au sein des Œuvres-Mondes.
Note du 22.04.2019 :
Un merci à toutes les personnes qui ont discuté avec moi pour ce billet, en particuliers Charles qui se reconnaitra.
Du monde ouvert au jeu-fleuve
Originellement, cette réflexion part d’une série de tweets répondant à une question plutôt simple : « pourquoi Assassin’s Creed Odyssey (ACOD) me plait autant ? » Etant donné que je n’ai jamais été un joueur de cette série, il est en effet intriguant que j’ai autant apprécié le dernier opus. Si le setting fut l’une des premières raisons avancées – l’antiquité grecque est une période et une topographie passionnante – j’ai bien vite dérivé en définissant ACOD comme un jeu-fleuve, pour faire le parallèle avec les récits-fleuves. Il s’agit alors de conceptualiser le jeu non pas comme un récit présentant une structure clairement identifiée (début, péripéties, dénouement), mais plutôt comme un monde proposant des arcs narratifs qui ne permettent pas au récit de se conclure. Au moment de la rédaction de ces tweets, je fais alors clairement référence au genre du nekketsu : une bande-dessinée japonaise présentant un groupe de héro·ine·s vivant perpétuellement des péripéties. Dans ces récits, le début et la fin importe généralement peu. Les fins sont particulièrement déceptives il me semble puisqu’elles consistent à perpétuer un statu quo, un contrat établit avec l’audience. C’est ainsi que Goku continue sa quête perpétuelle de puissance, Ranma change de genre au contact de l’eau, Inu Yasha poursuit ses aventures, détective Conan reste jeune, etc.
Si les termes open
world ou « monde ouvert » (dont certains, comme le vidéaste
francophone Pseudoless, distinguent les caractéristiques) sont
significativement pertinents pour une audience déjà connaisseuses des marqueurs
pragmatiques qui leurs sont associés, il me semble qu’ils ne transcrivent
finalement pas la réalité et la dimension artistique de ce que ces jeux
représentent. Par ailleurs, je ne souhaite pas non plus souscrire à un
vocabulaire qui me serait imposé par un marché des idées. C’est pourquoi
réencastrer ces objets à partir de la littérature me semble pertinent (et
avouons-le : poétique). Selon mes premières intuitions, les jeux auxquels
je joue en ce moment présentent des caractéristiques proches des
romans-fleuves.
un roman-fleuve contemporain composé pour répondre à cette demande et tirer parti du numérique devrait prendre en compte plusieurs facteurs : – Avec une narration proposée à la façon d’un flot ininterrompu, la question du début ou de la fin devient moins essentielle ; ce qui compte, c’est la durée de l’immersion ou l’intérêt immédiat. – La narration a besoin de susciter un effet d’accroche continuel, délivrant une récompense instantanée au lecteur à tout moment du récit. – La narration doit en outre comporter des dénouements à plus long terme, avec une échéance difficilement prévisible, incitant constamment à une poursuite de la lecture. (Bornet et al., 2014 : 15)
Un jeu-fleuve est donc un récit vidéoludique présentant une
narration ininterrompue suscitant une accroche perpétuelle et dont le dénouement
dépasse la fin pragmatique de l’objet. La fin d’ACOD n’a pas dans le jeu, tout comme la fin de RDR2
qui est en réalité présente dans le premier Red
Dead Redemption. Penser ces jeux comme des jeux-fleuves permet aussi de
nous détacher des incohérences propres aux récits qu’ils proposent puisqu’à l’instar
des nekketsu, le récit n’a d’importance
qu’au moment où il se déroule. Ce qui compte, c’est non pas le cadre ou la
globalité mais le moment présent qui se déroule devant le joueur ou la joueuse.
C’est durant ce moment que l’émotion doit être suscitée, quitte à ce qu’elle
devienne désuète dès la péripétie suivante. De même, c’est aussi par leurs
structures internes (les mondes représentés, les points de vue) et externes
(leur sérialisation derrière une même franchise ou derrière un même focus) que
les jeux proposant des mondes ouverts, particulièrement ceux d’Ubisoft et de
Rockstar, fonctionnent aussi bien avec les définitions du roman-fleuve.
La définition qu’elle [Lynette Felber, ndlr] fournit du roman-fleuve (puisqu’elle conserve le mot français, en l’absence d’un équivalent satisfaisant en anglais) rassemble les éléments suivants : étendue supérieure à trois volumes, unité thématique et narrative, « fluidité » du sujet qui conduit à une structure distendue, souvent digressive, et qui donne le sentiment d’un texte inachevé ou infini, extension du temps de la lecture, et enfin choix de sujets vastes comme l’apprentissage, la société, l’histoire, et le temps. (Leblond, 2010 : 14)
Dans tous les cas, ces œuvres (aux intentions créatives totalisantes)
ne peuvent qu’être soumises aux incohérences et autres problèmes structurels
étant donnée leur complexité. Ces problèmes étaient déjà identifiés dans d’autres
œuvres-mondes. Bornet et al notent
justement :
tous les écrivains qui ont pratiqué ce genre ont constaté cette difficulté et s’en expliquent souvent de manière directe : en témoignent les crises de découragement racontées aussi bien par Proust que par Martin du Gard ou par Sartre (de Roulet, 2013). Il s’agit de cas particulièrement visibles où le créateur est dépassé par son propre projet. Il cherche alors toutes sortes d’outils et de règles pour ne pas être emporté par la structure qu’il essaie de stabiliser. (Bornet et al., 2014 : 12)
Les jeux-fleuves dépassent largement les équipes qui les
créent. Pourtant, ils sont la reproduction au XXI siècles des ambitions démesurées
d’écrivains tels que Marcel Proust consacrant les quinze dernières années de sa
vie à écrire La Recherche. C’est pourquoi les jeux que j’ai mentionnés s’inscrivent
dans des temporalités qui dépassent largement les œuvres elles-mêmes : le
récit d’Assassin’s Creed est plus
vaste que la somme de ses épisodes. Tout comme les jeux vidéo développés par
Rockstar. Cependant, à l’instar des romans d’Emile Zola ou de Jules Verne, n’importe
quel lecteur peut commencer par n’importe quelle porte d’entrée sans que cela
soit pénalisé. Dans tous les cas – et c’est plus particulièrement vrai pour les
représentants clairement identifiés open-world
–, on retrouve un réalisme naturaliste jusqu’au-boutiste dans la représentation
des monde que l’on peut traverser. Ces quelques intuitions m’ont donc poussé à
préférer l’appellation de jeu-fleuve plutôt que de « triple A open world ». Il me semblait que cette
notion décrivait finalement mieux les objets auxquels je jouais. Tels des
fleuves, les récits que l’on parcourt peuvent être navigués à n’importe quel instant
de leur cours. D’autres récits les
précèdent et les succèdent. Enfin, ils sont indissociables de leur série, de
leur vue d’ensemble. Si je conçois RDR2 et
Odyssey comme deux jeux-fleuves, ces
opus sont indissociables des œuvres-mondes que Rockstar et Ubisoft ont créé et
continue de créer.
Du jeu-fleuve à l’œuvre-monde
Dans la continuité de ma pensée, il apparait donc que les jeux-fleuves sont les éléments constitutifs des œuvres-mondes vidéoludiques. Thérenty propose de conceptualiser l’œuvre-monde par rapport à l’intention de son auteur·ice :
L’idée d’une oeuvre-monde, d’une oeuvre littéraire qui tente de créer un monde clos, totalisant et complet, dans une volonté un peu mégalomane de représentation, de décryptage et d’élucidation du monde réel a cependant particulièrement fasciné le XIXe siècle. (Thérenty, 2007)
Dans ma pratique du jeu vidéo, je considère principalement Ubisoft et Rockstar comme les chefs de file, avec probablement l’antériorité attribuée au second. En effet, Rockstar a toujours fait prévaloir ses intentions de représenter l’histoire des Etats-Unis d’une manière plus ou moins réaliste et Grand Theft Auto 3 montre les signes précurseurs de cela. Ce que je retiens particulièrement du propos de Thérenty, c’est aussi l’intention des auteur·ice·s à représenter, formaliser ce qui pourrait être la réalité qu’ils et elles observent. C’est pourquoi je n’intègre finalement pas d’autres jeux qui ont aussi des prétentions à la formalisation d’un univers plus ou moins réalistes ou fantastiques. Par exemple, on pourrait finalement discuter des intentions totalisantes de Breath of the Wild dans la description qui est faite d’Hyrule. On pourrait aussi voir dans d’autres jeux des œuvres-mondes : la série Final Fantasy a toujours plus ou moins revendiqué des représentations complexes des mondes dans lesquels ses récits se déroulent : des systèmes politiques jusqu’à la vie de tous les jours.
C’est pourquoi pour l’instant, ce sont des jeux-fleuves tels
que les Assassins’ Creed et les productions
R* semble le plus coller aux éléments de définition que je propose. Bien que je
ne verrai aucun problème à inclure d’autres jeux tels que Horizon Zero Dawn (Guerilla Games, 2017). L’une des
caractéristiques que je note malgré tout est la récurrence des thèmes autour de
la famille ou du cercle restreint de socialité des protagonistes. Ainsi, la
majeure partie du récit d’ACOD porte sur la famille de Kassandra (ou Alexios)
et que les derniers GTA et RDR2 présente des familles (celle des De Santa, la
bande du Dutch, la famille spartiate de Kassandra). C’est encore plus
remarquable dans les AC puisque le postulat initial reposait sur une
potentielle mémoire génétique : c’est un descendant qui explore les vies
de ses aïeux. Nous ne sommes finalement pas éloignés de la proposition d’Emile
Zola qui par sa famille des Rougon-Macquart. Chacune de ces familles fonctionne
comme miroir représentatif du monde.
Zola est l’un des premiers à utiliser la famille comme synecdoque du monde, chaque membre de sa famille renvoyant, au mépris du vraisemblable, à une portion de la société (ce qui permet à Zola de garder encore pour sa part l’amplitude panoramique caractéristique de l’œuvre-monde). (Thérenty, 2007:13)
Autant RDR2 que Odyssey sont les constats des propositions sociographiques. Plutôt que de proposer des expériences centrées sur le récit (comme c’est le cas par exemple dans la série Uncharted où aucune topographie existe en dehors du récit), il donc avant tout question de mondes dans lesquels une foultitude de récits vont se dérouler. A l’instar de Thérenty pour Zola, j’observe des intentions sociographiques de la part des studios que je mentionne depuis le début de ce billet. Par « intentions sociographiques », j’entends la volonté des entreprises développeuses et éditrices de ces titres de représenter des réalités socialement définies dans une temporalité et une topographie.
L’idée d’une œuvre-monde, d’une œuvre littéraire qui tente de créer un monde clos, totalisant et complet, dans une volonté un peu mégalomane de représentation, de décryptage et d’élucidation du monde réel a cependant particulièrement fasciné le XIXe siècle (Thérenty 2007:4).
A partir de cela, on peut alors postuler que les ambitions
des œuvres-mondes d’Ubisoft et de Rockstar ne sont pas du tout les mêmes et
leur vision de l’histoire ne sont pas non plus les mêmes. Si Rockstar propose
des récits clairement centrées sur l’histoire des Etats-Unis du siècle dernier,
sans pour autant clairement représenter les localités (Los Santos plutôt que
Los Angeles par exemple), Ubisoft propose des jeux-fleuves bien plus éclatés
autant au niveau géographique que concernant les périodes historiques. Pour
maintenir les comparaisons avec le XIX siècle littéraire, il semble que
Rockstar ait une posture proche de celle de Zola tandis qu’Ubisoft présente
plutôt l’èthos d’un Jules Verne. Nous pourrions même pousser la réflexion en
considérant ces jeux comme des panoramas qui à l’instar de la daguerréotypomanie
à laquelle fait référence Matlock : « se fixent comme objectif de
rendre la ville visible – et ceci avec autant de plaisir que possible. Les plus
diffusées de ces oeuvres sont des petits livres illustrés vendus un franc
l’unité dès juin 1840 sous le nom de marque de Physiologies » (Matlcok,
2007).
.L’œuvre-Monde, l’œuvre-ouverte
Ainsi donc, il semble plus convenable de parler d’œuvre-monde
pour la globalité des œuvres de R* ou Ubisoft, tout en considérant les
incohérences inhérentes à ces productions médiatiques. L’éditeur de Jules Verne, Hetzel, définissait
l’œuvre de son auteur comme un ensemble de romans cosmographiques (Thérenty,
2007). Les jeux-fleuves et les œuvres-mondes vidéoludiques semble être les
représentations contemporaines de rêves d’auteur·ice bien plus anciens. Au
langage mercatique « d’open world »,
il mérite une contrepointe que je défendrai dorénavant.
L’idée d’œuvres totalisantes, babéliennes et inachevables
semblent être un aboutissement artistique recherché qui suscite chez l’audience
que je suis un émerveillement et l’interrogation de par l’épuisement et les
conditions de travail des artistes. En tout état, il me semble que la notion de
jeu-fleuve est bien plus révélatrice de toutes ces intentions artistiques et
créatrices. A l’instar de la littérature, le jeu vidéo fait œuvre-monde. ■
Esteban Grine, 2019.
Bibliographie
Bornet, Cyril, et al. « La simulation humaine : le roman-fleuve comme terrain d’expérimentation narrative ». Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, no 27, décembre 2014. journals.openedition.org, doi:10.4000/narratologie.7042.
Leblond, Aude. Poétique du roman-fleuve, de Jean-Christophe à Maumort. Paris 3, 2 décembre 2010. www.theses.fr, http://www.theses.fr/2010PA030138.
Matlock, Jann. « « Optique-monde » ». Romantisme, vol. n° 136, no 2, 2007, p. 39‑53.
Thérenty, Marie-Ève. « Avant-propos ». Romantisme, vol. n° 136, no 2, 2007, p. 3‑13.
Esteban Grine : Bonjour Pauline, merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien. Pour commencer simplement, est-ce que tu pourrais te présenter ? Ce que tu fais dans la vie, tes recherches, ton parcours…
Pauline Burny : C’est moi qui te remercie d’accorder autant d’intérêt à mon travail !
Je suis une grande passionnée de jeux vidéo, de dessin et de lecture depuis ma plus tendre enfance. De 2013 à 2016, j’ai fait un bachelier en traduction et interprétation à l’Institut Libre Marie Haps en russe/anglais vers le français. Ensuite, en septembre 2016, j’ai entamé un Master en traduction à finalité localisation et terminologie à L’Université de Louvain-la-Neuve (UCL, ndlr). Je suis diplômée depuis septembre 2018.
Tout de suite après être sortie de l’UCL, j’ai commencé à travailler en tant que traductrice. Je traduis à partir du russe, de l’anglais, du néerlandais et parfois du japonais vers le français. En parallèle, je fais également un Master complémentaire en sous-titrage russe/anglais vers le français à l’UCL et je continue de suivre des cours de japonais. J’adore !
Après l’université, j’ai fait mes premiers pas dans le monde de la localisation en participant en tant que localisatrice/relectrice/testeur à des projets de développeurs indépendants. J’ai par exemple localisé, révisé et testé « Aniscience-Little Mouse’s Encyclopedia » (en français : Ravouka la souris scientifique), un jeu éducatif qui apprend aux enfants à mieux connaître la nature. J’ai notamment travaillé sur « Lost Wing » et « Tales of a Spymaster », des jeux qui devraient bientôt paraître !
J’aurais vraiment adoré faire de la recherche dans le domaine des jeux vidéo après la publication de mon mémoire, mais l’occasion ne s’est jamais présentée. En attendant, j’aide des amis qui réalisent leur mémoire en localisation et je continue de dévorer les livres de Clyde Mandelin, Katherine Isbister ou encore Minako O’Hagan et Carmen Mangiron. Qui sait, la chance me sourira peut-être un jour !
EG : comment ton métier de traductrice t’a mené à travailler pour la localisation des jeux vidéo ?
PB : J’ai découvert le monde de la localisation en 3e année de bachelier, en rentrant d’Erasmus. Nous devions suivre un cours présentant l’ensemble des différents champs d’application de la traduction. Nous avons parlé de terminologie, d’adaptation audiovisuelle… et de localisation ! À ce moment-là, j’ai tout de suite su que ce domaine d’étude était fait pour moi. J’aime traduire, mais encore plus traduire en faisant appel à mon côté créatif. On ne s’en rend parfois pas compte, mais localiser un jeu vidéo demande énormément de réflexion et de créativité, que ce soit pour adapter le nom des objets, des personnages ou des monstres. Pokémon est, selon moi, un très bon exemple d’adaptation créative.
EG : Dans la première partie de ton mémoire, tu cites Mia Consalvo qui écrit “les contenus localisés ne sont jamais une image véritable d’un autre pays ou d’une culture. Il s’agit plus d’un pastiche de symboles, d’icônes et des références largement partagées” (Consalvo, 2016 in Burny, 2018:17). Est-ce que tu pourrais développer sur ce que signifie le travail de localisation d’un jeu ?
PB : La localisation est un procédé d’adaptation qui doit permettre au contenu de respecter les valeurs culturelles/idéologiques/sociales de la communauté cible, mais aussi de s’adapter aux formules propres à la langue de cette communauté. Quand un contenu ne convient pas, il peut carrément être censuré. La localisation peut être linguistique et extralinguistique.
Elle est dite « linguistique » lorsque les modifications sont apportées au texte source, et elle est dite « extralinguistique » lorsque les modifications sont apportées aux éléments visuels et aux contenus autres que linguistiques.
Dans mon travail, j’ai distingué plusieurs types de localisations :
La localisation de ce qui a trait à la religion : modification du contenu audio, visuel et linguistique ;
La localisation de ce qui a trait à la sexualité : ajout ou retrait d’éléments visuels pour masquer la nudité des personnages, adaptation linguistique permettant notamment d’atténuer ou de changer les propos tenus ;
La localisation de ce qui a trait à la violence : modification des textures, modification de l’orientation de la caméra pour éviter de voir une scène violente, modification du scénario ;
La localisation de ce qui a trait à l’humour : adaptation des jeux de mots et autres éléments humoristiques.
Ces éléments peuvent s’avérer sensibles et poser des problèmes lors de la distribution d’un jeu. La manière de gérer ces différents aspects dépend de l’éditeur, du marché/public visé, de la communauté cible…
EG : A un moment de ton mémoire, tu abordes la traduction de la diégèse, mais aussi des interfaces utilisateur·ice·s (Burny, 2018:304). Considères-tu qu’il y a fondamentalement des différences entre la localisation d’un jeu et la localisation d’autres formes médiatiques ?
PB : Ce type de localisation diffère par son enjeu : dans le cas d’une publicité, par exemple, il s’agira principalement de faire passer un message alors que dans la localisation d’un jeu vidéo, l’enjeu sera de veiller au plaisir vidéoludique du joueur tout en respectant les contraintes imposées par l’adaptation.
EG : Je te propose maintenant d’aborder plus en détail Undertale et la localisation que tu as effectuée pour ton travail de mémoire. Est-ce que tu peux nous expliquer quelle a été ta méthode ? Quels étaient les objectifs (politiques ou scientifiques) que tu avais en tête ?
PB : Lorsque j’ai choisi de localiser Undertale, j’étais avant tout motivée par la complexité linguistique de ce jeu. Je n’avais encore jamais eu l’occasion de travailler sur ce type de contenu dans le cadre de mes études. Undertale représentait un réel défi de traduction et je voulais le relever. Par ailleurs, je voulais apporter ma pierre à l’édifice de la communauté scientifique axée sur la recherche vidéoludique, que je trouve encore trop peu fournie. Je souhaitais aussi que ce travail et ce jeu, qui me tiennent tant à cœur, clôturent mon parcours académique et marquent mes débuts dans le monde de la localisation. Personne dans la faculté n’avait encore travaillé sur ce type de contenu avant moi, ce qui m’a encore plus motivée à me lancer dans cette aventure. J’espère que mon travail aidera les étudiants qui désirent rédiger le même type de mémoire.
EG : Dans ton mémoire, tu fais référence au travail de Bédard sur l’empathie (2015), est-ce que tu pourrais nous parler un peu de l’empathie dans Undertale ? Est-ce que tu retrouves ses catégories dans le jeu ? Est-ce que cela a nourris ton travail de traduction ?
PB : Dans Undertale, j’ai remarqué que 2 des types d’empathie recensés par Annick Bédard étaient observables :
L’empathie d’attachement (présente lorsque le joueur est accompagné de Monster Kid), qui consiste à éprouver de l’affection à l’égard des PNJ accompagnateurs ;
L’empathie d’approbation ou de désapprobation, qui vise à mettre le joueur face à une série de choix reflétant ses valeurs morales et déterminant l’issue des événements dans le jeu.
J’ai décidé de traiter le thème de l’empathie même s’il n’a pas eu de réel impact sur ma manière de traduire. Je voulais absolument en parler dans mon introduction, car Undertale est un jeu qui m’a profondément bouleversée et a influencé ma manière de jouer aux RPG : on peut gagner de l’EXP sans devoir faire du mal aux autres. Maintenant, quand je joue à des jeux systématisant l’usage de la violence pour monter de niveau, je ne peux m’empêcher d’avoir mal au cœur pour les ennemis.
Les personnages ont largement contribué à modifier mon comportement de gamer. Par exemple, Asriel Dreemurr est mon personnage préféré dans Undertale. Avant la sortie de Delta Rune, j’ai longtemps cherché sur Internet le moyen de l’aider et de le sortir de l’Underground, car je voulais qu’il ait lui aussi son « happy ending ». Je n’arrivais pas à me contenter de la fin pacifiste d’Undertale. Pour l’anecdote, j’ai également ressenti de la tristesse à la fin de Kingdom Hearts III, au moment de vaincre Xehanort : je voyais la saga d’un personnage qui a marqué toute mon enfance et mon adolescence arriver à son terme. En quelque sorte, une page de ma vie venait de se tourner. Ces deux personnages m’ont confortée dans l’idée que les jeux vidéo sont plus que de simples images et un ensemble de commandes.
EG : Undertale est aussi très connu pour les blagues et autres jeux de mots de ses personnages. Comment t’y es tu prise pour traduire par exemple les jeux de mots de Papyrus et Sans ? Est-ce que tu peux nous raconter un processus de traduction sur lequel tu as eu des difficultés ?
PB : Pour les jeux de mots de Sans et Papyrus, j’ai dû faire énormément de recherches : j’ai consulté des sites dédiés aux blagues d’Halloween, j’ai fait une liste de toutes les expressions idiomatiques contenant le champs lexical des os et j’ai, crois-le ou non, imprimé une image de squelette reprenant l’ensemble de la terminologie relative aux différentes parties du corps humain. Cette image m’a par exemple permis de trouver le mot « métacarpe » qui a donné lieu à l’expression « métacarpe diem » dans mon mémoire. Adapter les jeux de mots fut un travail laborieux, mais j’avais rarement ri autant en traduisant ! Il m’est souvent arrivé d’avoir des fous rires durant la rédaction de mon mémoire.
La création ou l’adaptation de jeux de mots est une gymnastique intellectuelle qu’il faut régulièrement pratiquer et entretenir, notamment en lisant énormément. Plus on a de vocabulaire et de culture générale, plus l’exercice sera facile.
EG : Dans le mémoire, tu fais référence aux équipes amatrices de traduction. Il y a la même chose qui se passe par exemple dans les communautés de scantrad de mangas. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu comment ces équipes fonctionnent ?
PB : Dans la traduction amateure, les équipes sont souvent assez éclectiques.
Les membres de l’équipe : il peut s’agir de fans (traducteurs professionnels ou non) ayant en commun la même passion pour le contenu traduit et donc une bonne (voire excellente) connaissance du thème traité et de la terminologie qui lui est propre. Il peut également s’agir de simples curieux désireux de participer au projet.
Les motivations : (1) participer à la localisation d’un contenu qui les passionne et/ou (2) mettre le contenu localisé à la disposition des autres joueurs et/ou (3) parce qu’ils veulent acquérir de l’expérience en localisation et essayer de se faire un nom, (4)…
J’ai déjà eu l’occasion de travailler sur des projets de localisation en tant que bénévole et j’ai constaté des avantages et des inconvénients à ce type de localisation.
Les avantages : l’expertise et la maîtrise du thème et de la terminologie permettent d’assurer la qualité du texte cible. On a également la possibilité de nouer des contacts avec des professionnels du monde le la localisation et des jeux vidéo ;
Les inconvénients : il arrive que les personnes se lançant dans ce type de projet n’aient pas de formation en traduction et, par conséquent, pas toujours les bons réflexes [harmoniser la terminologie, veiller à respecter l’emploi de symboles propres à la langue cible (p.e : certains oublient que les guillemets anglo-saxons et français sont différents)], il arrive que certaines personnes soient pleines de bonne volonté mais ne connaissent pas suffisamment leur langue maternelle ou la langue source, ce qui donne lieu à des fautes d’orthographe, de sens et de style altérant le résultat final et, de facto, l’expérience vidéoludique. Dans le pire des cas, les gens ne relisent pas le texte qu’ils renvoient au développeur soit par maladresse ou par oubli, soit par désintérêt pour le projet (ça, c’est le pire scénario). J’ai déjà rencontré ce genre de problème en tant que relectrice.
EG : Est-ce que tu aurais des conseils pour les personnes qui souhaitent devenir traductrice de jeux vidéo ?
PB : Pour devenir un bon localisateur, je pense que plusieurs qualités doivent être réunies :
La curiosité intellectuelle : lire, jouer et se documenter sont des conditions sine qua non pour devenir un bon localisateur. Personne n’est omniscient. En fonction du type de contenu sur lequel on travaille, il faut savoir accepter de consacrer du temps à la recherche documentaire. Si l’on doit traduire un texte contenant une terminologie très pointue, on ne peut pas se contenter de traduire cette terminologie de manière approximative. C’est une activité chronophage mais nécessaire.
L’humilité : Il arrive parfois que l’on soit révisé par un tiers ou que l’on soit soi-même chargé de réviser le texte d’un autre traducteur. Aucune traduction n’est meilleure qu’une autre dans la mesure où elle respecte les attentes du client et le texte source (le texte d’origine). Quand on est révisé, il faut savoir accepter la critique, et quand on est réviseur, il faut aussi savoir reconnaître que notre style n’est pas « le style par excellence ».
La responsabilité et le sérieux : En acceptant de participer à la localisation d’un jeu vidéo, que ce soit bénévole ou rémunéré, vous devenez « responsable » de votre contenu. Rendre un texte truffé de fautes d’orthographe ou de sens sera très mal perçu. Il ne faut pas se lancer dans la traduction si on a encore de grosses lacunes dans sa langue maternelle. C’est comme si un architecte construisait une maison en oubliant de mettre des éléments essentiels : la maison s’effondrerait et le client serait mécontent. En plus de l’engagement que vous prenez vis-à-vis du client, rappelez-vous que votre nom et celui des autres membres de l’équipe de localisation peuvent apparaître dans les crédits. Par respect pour eux et pour vous, veillez à être irréprochable. Faire des erreurs est humain – je suis la première à le reconnaître – mais il y a « faute » et « faute ».
EG : Est-ce que tu veux ajouter quelques choses ? Des oublis de ma part ? Des liens pour suivre tes travaux ?
Florence Yeoh est une jeune femme salariée d’une entreprise. On découvre que plus jeune, elle aimait beaucoup dessiner et que sa vie actuelle, sans être désastreuse ne la satisfait pas entièrement. Un matin, elle rencontre un street artist du nom de Krish et une histoire d’amour va se tisser au fil des séquences proposées par le jeu. Pendant que l’un joue de la musique l’autre le dessine. Krish entre dans une école de musique tandis que la vie salariale rattrape Florence qui retrouve un milieu peu gratifiant. La routine s’installe alors au sein du couple et chacun s’éloigne. Les disputes vont conduire le couple à se séparer et tandis que l’on perd de vue Krish, Florence recommence à dessiner puis à vendre ses créations. Les relations houleuses qu’elle pouvait avoir avec sa mère se simplifient et finalement les deux se retrouvent et se soutiennent. A cheval entre son travail et son art, Florence finit par être exposée dans une galerie. Elle peut désormais vivre de sa passion et quitte son emploi pour devenir artiste à temps plein. Elle adopte un chat et revoie périodiquement sa mère. A la toute fin, le jeu révèle une Florence Yeoh épanouie, heureuse du chemin qu’elle a parcouru et du sentier qui se dessine devant elle.
« moment introspectif dans le jeu »
« c’est fini, et ce n’est pas grave »
Florence est un jeu développé par l’équipe du studio Mountains et est sorti le 14 février 2018. Malgré l’histoire romantique qu’il présente, Florence est bien plus : c’est un récit « tranche de vie » qui nous est révélé par une esthétique « bandes-dessinées » ou story board. Florence est un storyboard jouable. Il met en récit une jeune femme frustrée qui aspire à une vie artistique. La rencontre de Krish n’est pas anodine car même si l’on suppose que la relation est sincère et non toxique, on peut s’interroger sur le fait que Florence pousse Krish à réaliser ce que potentiellement elle aurait aimé faire : une école d’art. En plus d’une histoire d’amour, il est aussi question dans ce récit de l’émancipation de jeune femme qui a été empêchée par sa famille, puis par son travail, d’accéder à ce qu’elle désirait faire sincèrement : vivre de son art. La solution est d’abord de vivre à travers quelqu’un d’autre : Florence pousse Krish. Celle-ci ne fonctionne pas. Le jeu tient un discours sincère sur les parcours de vie de chacun et promeut l’idée qu’il est important de se sentir en équilibre avec son environnement personnel, professionnel, familial, etc. C’est de cela dont il est fondamentalement question à mon sens dans le jeu. Il est fondamentalement question du bien-être de Florence et on ne peut qu’être heureux·euse pour elle lorsque le jeu se termine.
Les événements ludiques que l’on rencontre nourrissent le propos et le récit. le jeu illustre les maladresses de Florence et de Krish dans leurs discussions en proposant des puzzles plus ou moins compliqués à résoudre. Plus les puzzles sont compliqués et plus les personnages sont gênés pour prendre la parole et inversement, lors des disputes, les éclats sont associés à des puzzles déjà résolus. Florence est un parangon de la rhétorique procédurale et des limites de ce concept. Tous les éléments du jeu sont finement liés entre eux et indissociables. Dans une certaine mesure, le jeu est pour moi un exemple de ce que j’appelais la narration à n-corps pour définir les récits vidéoludiques. Plutôt que de supposer qu’un élément (par exemple les illustrations) est encastré dans un autre (le gameplay), on effectue des allers et retours entre les différents corps du jeu. ■