Bonjour Internet, c’est Esteban Grine et encore une fois merci de lire ce texte issu de “Capsule Technique”, une émission francophone qui parle de Game Design.
Dans cette étude de cas, nous allons démontrer que Hyper Light Drifter peut être interprété comme une allégorie de la maladie et du parcours d’un patient en phase terminale.
Parler d’hyper light drifter est difficile. Le Jeu a complètement échoué sa campagne de communication. La stratégie pré-discursive du titre était de nous proposer une expérience ressemblant à Zelda. Les joueurs ont donc été pris au dépourvu lorsqu’ils se sont retrouvés face à un Dark Souls pixelisé.
Concernant le jeu en lui-même, hyper light drifter propose un gameplay assez conventionnel reposant sur l’alternance de phases d’exploration et de phases de combats en arène. Une fois les règles du jeu maîtrisées, celui-ci devient extrêmement plaisant à parcourir. La sensation de contrôle et de maîtrise des actions in-game est visible et une fois que tout cela est acquis, le gameplay se transforme quasiment en une danse parfaitement exécutée.
De même, l’environment design du jeu offre un pixel art somptueux qui après FEZ, définit un nouveau standard en termes de créativité et de réalisation. Chaque scène est un tableau en pixel’art. De même, il est impossible de ne pas voir Hyper Light Drifter comme un hommage au “Château dans le Ciel” et “Nausicaa” de Myazaki et du studio Ghibli.
Bref, HLD est un exercice très propre, quelque chose de parfait qui est difficilement attaquable sur sa forme. Un peu comme un devoir rendu par un premier de la classe. Aux premiers abords, le travail respire la qualité mais il faut vraiment creuser pour savoir si le jeu n’est pas qu’une application mécanique de concepts de game design.
Par contre, à la première lecture, la courbe de difficulté de HLD est assez éprouvante. Le premier boss est un pic de difficulté qui contraste énormément avec la difficulté précédemment maîtrisée par le joueur. Globalement, HLD est un Dark Souls tout en pixel Art et en mode quasiment de boss rush. cependant, il ne faut pas nécessairement voir le coté castrateur et la quête identitaire qui cela implique dans la série de Miyazaki.
Bref, une fois le jeu fini, et bien je ne savais pas trop quoi penser. Je me suis retrouvé un peu bête devant un exercice de style parfaitement mené par Alex Preston et son équipe. Et puis c’est tout, rien de plus, j’ai pensé que le jeu avait été un peu trop rapide dans sa conclusion et cela a créé un sentiment d’incompréhension avec une question en tête : “suis-je passé à coté du jeu et de son message ?”
Hyper Light Drifter, une allégorie de la maladie
Et puis plus rien, pendant 2 jours, je n’ai plus pensé à HLD. Finalement, après la lecture de quelques paratextes, j’ai appris qu’Alex Preston souffrait d’une condition au cœur et qu’il a plusieurs fois été hospitalisé pendant le développement du jeu. C’est à ce moment que je compris la volonté de Preston de partager son expérience de la maladie dans un jeu vidéo. HLD pourrait presque être considéré comme une autobiographie vidéoludique.
Mais cela pose une question fondamentale pour le game design. Comment représenter par le gameplay ce que cela fait de souffrir d’une condition similaire à celle d’Alex Preston ?
Et c’est à partir de ce moment que HLD devint un véritable chef-d’œuvre à mes yeux. Là où certains jeux ne représentent des émotions ou des phénomènes uniquement par l’environnement, les décors, Preston a su retranscrire la maladie dans le gameplay et notamment la courbe de difficulté du jeu.
tout d’abord, l’environment design suggère la maladie au joueur. Le monde dans lequel on évolue est détruit, il ne s’agit quasiment que d’îlots comme si la destruction se faisait à petit feu. Tout dans la diégèse du jeu suggère que ses habitants subissent une forme d’aliénation par la maladie et la destruction.
L’aliénation du corps
Chaque zone du jeu incarne une forme d’aliénation et de maltraitance. Ainsi, au nord, les corps des habitants ne leur appartiennent plus mais sous la possession d’une secte religieuse et cannibale. A l’est, les habitants sont devenus les esclaves des hommes crapauds. A l’ouest, le cristal attaquant la forêt se comporte comme un virus se propageant et enfin, la zone du sud suggère la manipulation génétique et la transformation des corps par la science et la recherche. Ainsi, chaque zone du jeu montre l’aliénation et la destruction de l’homme, un homme qui est d’ailleurs à chaque fois dépossédé de son corps.
Si la diégèse du jeu expose et suggère un rapport à la maladie et à l’aliénation, c’est surtout par le gameplay directement que le jeu propose de nous faire comprendre la maladie. Dès le début, on nous expose que notre personnage est malade. Les pertes de contrôle et les crachats de sang suggèrent une condition au poumon ou au cœur, bref quelque chose de très grave et difficilement soignable par quelques soins de fortune prodigués au début du jeu.
L’un des premiers éléments identifiables concerne la façon dont notre héros regagne de la vie : on a l’impression de voir une injection à partir d’une seringue. C’est une référence directe à ce que Preston doit faire dans la vie de tous les jours.
Les ennemis : métaphores du virus
Concernant les ennemis, il est intéressant de noter la façon dont ils apparaissent aux joueurs. Toutes les zones proposent un ennemi de base identique. Puis au fur à mesure de l’avancée du joueur dans la zone, les ennemis se diversifient et leur puissance augmente. En général, le joueur rencontre à mi-parcourt un nouvelle ennemi plus puissant avant de voir apparaître le boss.
Les ennemis et leur agencement dans le parcours du joueur peuvent être interprètés de deux façons; Premièrement, contrairement à ce que je disais concernant les boss comme des pics de difficulté, et bien nous pouvons contraster cela en disant que la rencontre des ennemis nous prépare aux patterns des boss. Le jeu, par son game design, nous prépare de manière implicite à affronter les boss. Secondement, il est aussi intéressant de voir les ennemis comme des métaphores d’un virus. Même si celui-ci à une base commune, il se développe de manière différente en fonction de son environnement.
Les bosses, allégories des crises cardiaques
Vient maintenant la question des boss. Ceux-ci sont des pics de difficulté gigantesque par rapport à la difficulté absolue du jeu. Même si la courbe de difficulté que j’ai présenté en début de vidéo est erronée, HLD est un jeu à progression. La difficulté est donc totalement maîtrisé par le game designer.
La difficulté absolue du jeu est élevée par rapport à la moyenne des jeux actuels mais les boss représentent des pics de difficulté qui vont frustrer encore plus les joueurs. Le premier boss est particulièrement éprouvant pour celui qui n’a que quelques heures de jeu derrière lui. Mon interprétation de cette difficulté est qu’elle symbolise le fait de vivre avec la maladie.
En temps normal, il est plus difficile de vivre avec une condition. Les boss du jeu représentent alors les crises que peut vivre un malade. Ainsi, en connaissant un peu mieux Alex Preston, j’ai ressenti les boss comme des métaphores de crises cardiaques : des moments particulièrement éprouvants évidemment. Puis, on s’aperçoit que le game design des zones suit exactement les mêmes boucles de gameplay et d’inter-réactions. On peut interpréter cela comme la routine qui s’installe dans la maladie. Le jeu crée donc une routine qui permet au joueur de comprendre ce que c’est de vivre avec une condition au coeur, un cancer ou autre. C’est une routine de vie difficile avec son lot de crises et ses éléments annonciateurs. Il y a donc un parallèle avec la réalité des patients, conscients de cette routine et de ce qui va se reproduire par la suite.
Il est intéressant de noter que dans cette réflexion, les joueurs ayant abandonné le jeu sans avoir battu le premier boss peut presque se comprendre comme un patient abandonnant sa lutte pour rester en vie. Le Jeu nous pousse à lutter pour notre survie, à surmonter les crises auxquelles nous faisons face. Il veut nous faire un tout petit peu comprendre ce que c’est de s’accrocher à la vie, à lutter pour surpasser une crise.
Vient le moment où sans trop le comprendre, les cycles routiniers finissent par s’accélérer, les crises, symbolisées par les boss deviennent de plus en plus fréquentes. Les mini-boss de la dernières zones du jeu sont scénarisés de sorte à faire comprendre cela au joueur si celui-ci n’avait pas remarqué qu’il passait de moins en moins de temps à parcourir les zones.
Alex Preston a particulièrement su maîtriser le rythme du jeu. Bien qu’il nous installe dans une routine, les boss surviennent trop tôt par rapport aux prévisions du joueur. Il y a donc tout un dialogue entre l’installation d’une routine, les anticipations du joueur et l’effet de surprise créé par l’apparition des boss.
Lorsque l’on est souffrant, on sait qu’une crise va de nouveau se produire, on connait les signes précurseurs mais on est toujours surpris. Et ça, Preston le transcrit parfaitement dans on jeu.
Le dernier boss est aussi lourd de sens. Il est extrêmement difficile à battre mais il existe une technique qui permet de gagner presque sans rien faire. Comme si un remède miracle apparaissait trop tard. Peut-être que l’on peut y voir la découverte d’un médicament. Ce dernier boss représente la dernière crise qui vit le malade. Le fait qu’elle soit aussi rapprochée dans le temps des précédentes ainsi qu’il n’y ait pas vraiment de phases exploratoires la précédant crée son imprédictibilité.
La relation patient-médecin incarnée par le personnage du Chien Noir
Vient maintenant la question épineuse de certains objets du jeu : Le chien noir et le cristal symbolisant la quête du joueur.
Hyper Light Drifter possède une histoire qui bien que présente, laisse beaucoup de place à l’interprétation. Comment ont disparu les géants ? Pourquoi avons-nous l’impression que le monde a été créé de toute pièce par une civilisation ancienne ? Comment les habitants ont réussi à survivre depuis cette grande guerre présentée en introduction ? De nombreuses théories ont émergé car la compréhension de l’histoire du jeu passe par un véritable dialogue entre le jeu et le joueur. Bien qu’il existe Une Histoire du Jeu, le joueur va être obligé d’aller chercher des références qui lui sont propres pour pouvoir co-construire un récit qui lui est propre. Umberto Eco parlait de “promenades inférentielles”.
Une théorie qui commence à faire office de standard explique notamment qu’il faut comprendre le chien comme étant la représentation d’Anubis, déité égyptienne de la mort. De même, on peut raccrocher ce chien noir au mythe éponyme dans la culture anglo-saxonne. Ce chien, vous le connaissez déjà puisque c’est notamment celui contre lequel Sherlock Holmes se bat dans le chien des baskervilles. Ainsi, ce personnage du jeu est annonciateur de la mort future du joueur.
J’ai personnellement une autre lecture de cette métaphore. J’aime particulièrement me raccrocher à la réalité ordinaire, la vie de tous les jours. Dans ce cadre là, on peut voir le chien noir comme une métaphore du docteur indiquant à son patient les épreuves qu’il va devoir traverser pour surmonter sa maladie. La toute fin du jeu est aussi extrêmement intéressante à ce sujet. Nous nous retrouvons auprès du feu en train de mourir et le chien noir nous regarde mourir comme un médecin qui resterait au chevet de son patient. La situation aussi est particulièrement grotesque. Les feux de camps sont généralement vus comme des points de repos où les joueurs regagnent leur énergie. Or ici, il s’agit du lieu de notre mort vidéoludique. la situation est donc lourde de sens dans la grammaire vidéoludique. En détournant les codes établies depuis peut-être Golden Axe, Alex Preston crée une situation familière au joueur et lui donne un tout autre sens.
Tout ce qui vient d’être dit me pousse à penser Hyper Light Drifter comme un jeu particulièrement pessimiste. Pendant tout le long du jeu, nous tentons de nous rapprocher du cristal. Celui-ci peut être vu comme notre sauveur ou comme la cause de notre maladie. Le fait de l’atteindre puis de s’en éloigner et le fait de vaincre le dernier ennemi du jeu pourraient nous laisser penser que nous avons surmonté les épreuves nécessaires pour guérir. Or, nous finissons tout de même par mourir malgré tous nos efforts. Ici, le jeu vidéo diffuse clairement un message fataliste sur la maladie et le parcours du patient. Ce dernier est voué à une mort certaine. L’absence de true ending confirme cette volonté d’exprimer la fatalité qui s’abat sur les personnes atteintes d’une maladie.
Conclusion
Aux premiers abords, HLD est finalement très austère, le gameplay est basique mais rigoureux. Nous n’avons pas une palette extraordinaire de mouvements mais ceux à notre disposition doivent être parfaitement maîtrisés. Malgré toutes nos actions, il est difficile de savoir si nous avons sauvé ou tout simplement impacté l’univers du jeu. Le jeu installe une distance entre le joueur et le monde, cette distance ressentie par un patient en phase terminal.
Ma démonstration avait pour objectif d’exposer Hyper Light Drifter comme une allégorie du parcours du malade. La courbe de difficulté du jeu en est l’incarnation dans le gameplay. De même, toutes les étapes du patient sont présentées : la relation avec son docteur et cette lutte impossible contre la mort.
HLD n’est pas un jeu auquel je souhaite véritablement rejouer mais il brille par sa capacité à nous faire comprendre un peu ce que c’est de vivre en souffrant d’une maladie. Injuste, parce que nous ne choisissons pas d’être malade au début du jeu, HLD excelle dans sa capacité à nous raccrocher à la réalité ordinaire de centaines de milliers de personnes souffrant d’un cancer ou d’une condition au coeur, au poumon et tout le reste. Il s’inscrit aussi dans les nouvelles formes vidéoludiques que sont les jeux autobiographiques et les memorial games comme That Dragon Cancer. Tout cela me laisse penser que l‘objectif du Hyper Light Drifter n’est pas spécialement d’être rejouable, car personne ne souhaiterait vivre une deuxième fois la maladie telle qu’elle est dépeinte dans ce jeu.
Et pour tout cela, j’éprouve une affection sans borne pour le travail d’Alex Preston. J’espère que maintenant, vous verrez plus dans ce jeu qu’un simple Dark Souls mais une oeuvre d’art dont l’universalité du message est transcendée par son aspect vidéoludique.
Internet, encore merci du fond du coeur de m’avoir lu, n’hésite pas à me donner ton avis, je serai très heureux de pouvoir discuter avec toi. En attendant, je t’aime beaucoup et te dis à la prochaine. ■
Esteban Grine, 2016.