Lieve Oma, les grands-mères sont plus cools que les trolls

Lorsque l’on souhaite commencer une critique que l’on veut intéressante, il est normalement souhaitable d’accrocher le lecteur avec une citation courte dont l’impacte se fera ressentir pendant toute la lecture. C’est pourquoi si je souhaitais parler de Lieve Oma, un petit chef-d’oeuvre vidéoludique créé par Florian Veltman et sorti en 2016, et bien je commencerais par citer le titre d’un célèbre article de Gonzalo Frasca sorti dans le premier volume de la revue scientifique Game Studies en 2001.

snapshot20160703120528“Les Grands-mères sont plus cools que les trolls”. Pour le lecteur averti, il deviendra donc évident que nous allons soutenir cette thèse puisque l’ensemble des mécaniques de gameplay de Lieve Oma n’ont pour seul objectif que de prouver cela. L’objectif de Frasca, dans cet article, était de soutenir l’idée que les jeux vidéo sont des œuvres tout à fait capables pour diffuser des émotions fortes aux joueurs et pas seulement celles liées à l’amusement, le fun et l’humour. Les jeux vidéo permettent aussi de partager la tristesse, la compassion ou tout simplement l’empathie. En 2001 donc, Frasca militait pour l’apparition de plus de jeux qui proposaient des expériences émotionnelles fortes liées au partage d’histoire de la vie ordinaire. Je vous rassure, il milite toujours pour cela mais en 2016 et avec les extraordinaires jeux que sont Paper Please, Undertale, Hyper Light Drifter, Cibele, Lieve Oma et tant d’autres, on peut dire que son vœu a été exaucé.

« Partons à la cueillette aux champignons »

Mais revenons à notre sujet. Lieve Oma vous met dans la peau d’un jeune enfant qui part à la cueillette aux champignons avec sa grand-mère suite au récent divorce de ses parents. Cependant, ce serait une erreur de penser que le jeu ne se résume qu’à cela. Il est tout d’abord intéressant de noter qu’il fait parti du genre des “Jeux Expressifs”. Ce concept, qui a  été mis en avant par Sébastien Genvo, permet de regrouper les jeux vidéo dont l’objectif est la transmission d’émotions sans imposer un discours ou une vision. Ainsi, contrairement aux Persuasive Games de Ian Bogost, les Expressive Games sont seulement là pour vous partager des émotions sans chercher à convaincre ou persuader le joueur. Ils ne vous disent pas s’il y a une bonne façon de penser ou tout simplement s’il y a une bonne façon de vivre une expérience. Ils sont là et c’est après au joueur uniquement de s’installer confortablement dans une posture réflexive. C’est ce dernier qui doit tirer ses propres conclusions. Lieve Oma fait donc partie de cette seconde catégorie. Son game design nous permet de ressentir ce qu’a vécu Florian Veltman à un moment particuliers de sa vie : le divorce de ses parents et la période de transition qui a suivi.

snapshot20160703120633Lieve Oma, derrière ses couleurs pastels, est un jeu aux thématiques graves : il s’agit de faire ressentir aux joueurs ce qu’est la perte de ses repères lorsque le cadre familiale se déconstruit. Ce jeu, c’est aussi une lettre d’amour aux relations entre grands-parents et petits-enfants. Lorsque la cellule familiale se déconstruit, les grands-parents sont là pour assurer une forme de relais dans la construction identitaire de l’enfant. Enfin, Florian Veltman voulait nous faire partager l’importance de la relation qu’il entretient avec sa grand-mère.

Un gameplay focalisé sur « Oma »

Ainsi, après avoir défini les objectifs de ce jeu, nous allons maintenant montrer comment il arrive à faire cela par son game design et son gameplay.

Tout d’abord, il est particulièrement intéressant de noter comment le gameplay du jeu est focalisé sur la Grand Mère et non sur l’avatar du joueur. Ainsi, plutôt que de centrer le cadre de l’action sur notre personnage, le jeu centre notre attention sur la grand-mère et c’est véritablement en s’éloignant que le jeu recadrera la caméra sur le personnage du joueur. Cependant, ce recadrage n’intervient qu’au tout dernier moment, lorsque l’on est le plus éloigné. Ici, implicitement, l’objectif est de nous faire comprendre que nous en tant que joueur, nous devons concentrer notre attention sur cette “Oma”. Un autre mécanisme s’ajoute à cela pour venir renforcer ce sentiment. Le jeu nous permet de courir. Cependant dès que nous sommes trop loin de notre grand-mère, nous ne pouvons plus que marcher. Ici, le jeu nous oblige à évoluer en fonction d’un certain périmètre dont le centre est “Oma”.

Ainsi, le jeu nous oblige par son gameplay à rester proche de la grand-mère. Cependant, un dernier mécanisme s’ajoute pour nous faire comprendre que nous sommes un enfant. Lorsque nous marchons tranquillement aux cotés d’Oma, nous nous apercevons que celle-ci marche plus vite que nous. Nous devons donc nous remettre à courir par à-coup pour rester au même niveau. Dans d’autres jeux, cela serait perçu comme un défaut classique, un syndrome qui fait tâche dans tous les jeux comportant des quêtes d’accompagnement. Ici, ce mécanisme est utilisé pour symboliser notre jeune âge : nous incarnons un enfant et le jeu nous rappelle ce que c’est d’en être un marchant à coté d’un adulte grâce à cela.

Tout cela permet de constater que le jeu nous installe dans une position vulnérable. Nous ne sommes pas en équilibre dans nos interactions sociales. Ce sentiment est renforcé par les couleurs utilisées par Veltman dans le character design et l’environment design de son jeu. En effet, “Lieve Oma” nous installe dans une forêt en automne. L’environnement fait parti d’un tout. Notons particulièrement les couleurs de la grand-mère. Celles-ci symbolisent la relation qu’a ce personnage avec la forêt. Le manteau d’Oma est d’ailleurs de la même couleur que celle des arbres et c’est doublement intéressant. Premièrement, cela attache forcément des connotations de longévité et de résistance au temps et aux chocs de la vie. Il devient facile d’assimiler la grand-mère à un arbre, une force de la nature, quelque chose d’immuable et qui ne peut pas s’effondrer. Secondement, Et bien cela donne le sentiment que la forêt et la grand-mère ne sont en faite qu’une seule et même entité qui accueille de manière bienveillante l’enfant que nous incarnons.

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Les jeux de couleurs sont aussi extrêmement intéressants entre notre avatar et le reste du jeu. Nous avons démontré dans le précédent paragraphe que la forêt et notre grand-mère partageaient un ensemble de points communs or, notre personnage se retrouve en bleu. Alors bien entendu, il est facile de dire qu’il s’agit de la couleur complémentaire de l’automne et des couleurs utilisées pour la forêt. De plus, nous pouvons aussi noter que cela permet de créer un sentiment d’étrangeté. Notre avatar ne se sent pas encore à sa place dans ce nouvel environnement et cela se manifeste par sa couleur bleue qui dénote totalement du reste du jeu. Cela nous fait enfin ressentir qu’en incarnant cet enfant, nous ne nous sentons pas encore à notre place dans cette environnement, dans cette forêt, avec notre grand-mère.

La poésie dans le game design de « Lieve Oma »

Nous avons déjà bien étayé notre propos sur le jeu et pourtant, il faut maintenant que nous abordions comment la mécanique principale du jeu est amené par le game design. En effet, nous avons montré comment le jeu arrivait à nous faire comprendre que nous devions nous concentrer sur notre grand-mère et qu’en tant qu’enfant, nous ne sentions pas à l’aise dans cet environnement. Florian Veltman propose un game design tout en finesse et poésie. En effet, il veut que le joueur se comporte d’une façon très précise pour lui communiquer une certaine expérience. Très tôt dans le jeu, on nous indique par un feedback extra-diégétique qu’il faut ramasser des champignons. Ici, le jeu trompe complètement le joueur. Ce dernier va partir tête baissée à la recherche de champignons sans faire attention à la grand-mère qui poursuit quand à elle son chemin. Cependant, progressivement et grâce aux mécaniques que nous avons déjà expliquées, le joueur va moins se concentrer sur les champignons et finir par tout simplement marcher aux cotés de sa grand-mère. L’auteur, par les mécaniques qu’il a mises en place, veut nous faire vivre son jeu de cette façon précise : il veut que l’on se comporte comme un enfant courant partout au début d’une balade puis finissant par rester aux cotés des adultes. N’est-ce pas de cette façon que tout le monde s’est comporté étant enfant ? Veltman ajoute tout de même une incitation pour pousser le joueur à faire cela : lorsque ce dernier est proche d’Oma, cela déclenche des boucles de dialogues. par cette simple mécanique, le joueur est incité à resté près de sa grand-mère vidéoludique.

snapshot20160703120646Et avec ce dernier constat, nous venons de mettre l’accent sur la boucle fondamentale de gameplay : le joueur marche à coté d’Oma et les récompenses de ce comportement sont les lignes de dialogues pour enfin comprendre les enjeux de l’histoire de Lieve Oma. Au fur et à mesure des dialogue, nous apprenons, que les parents de l’enfant ont divorcé et que celui-ci, ne comprend pas véritablement pourquoi tout est en train de se déconstruire : tous ses repères s’effondrent. C’est pourquoi il décide de partager avec sa grand-mère ses inquiétudes. Ces dernières portent sur l’abandon progressif de ses anciens amis, la peur de rencontrer de nouveaux camarades et enfin, de ne plus avoir d’espace lui appartenant avec ses objets, son univers.

La diégèse du jeu prend aussi en compte cette ouverture de l’enfant à sa grand-mère. En effet, Veltman a bien su designer le moment où le joueur commence à vraiment écouter la discussion entre l’enfant et la grand-mère. En même temps, le jeu nous fait traverser plusieurs tableaux allant de l’automne  symbolisée par ses couleurs marrons orangées puis Hiver et enfin le printemps. Le jeu nous fait aussi traverser dans ce même ordre les saisons mais en incluant un écart d’une quinzaine d’années entre le premier automne que l’on traverse et l’hiver. Ainsi, c’est toute une symbolique passionnante qui se met en place : l’automne correspond au problème que l’enfant vit et sa fermeture sur le monde extérieur. L’hiver laisse beaucoup de place à l’interprétation : n’étant pas accompagné par notre “Oma”, on peut supposer que cela correspond au moment de sa (future) disparition. Enfin, le printemps est symbolisé par la venue progressive de la couleur verte dans la forêt et c’est précisément le moment où l’enfant finit d’exposer l’ensemble de ses angoisses à sa grand-mère et quand il commence à se sentir réconforté.

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Lieve Oma, un petit trésor du Jeu Expressif

Lieve Oma est donc un petit jeu qui cache un trésor de game design. Son seul objectif est de nous faire comprendre la relation que Veltman entretient avec sa grand-mère et quelle importance elle a eu lors du divorce de ses parents. Au début du jeu, si l’on ne comprend pas bien pourquoi nous partons cueillir des champignons, il est évident après coup qu’Oma nous y a emmené pour nous faire changer d’air. Et Clairement, le jeu réussit parfaitement son objectif. Veltman s’impose aussi comme l’un des grands Game Designers de la vie ordinaire, des gens normaux et des situations banales. Lieve Oma fait partie des rares expériences à nous engager émotionnellement de manière aussi douce-amère. Ce petit roller-coaster émotionnel nous a fait traverser une forêt et une tranche de vie difficile. Il nous fait comprendre ce que vit un enfant qui doit affronter la déconstruction d’une famille pour en reconstruire une nouvelle, peut-être plus petite ou plus grande, çà, le jeu ne nous le dit pas. Cependant, il précise bien que tout finit toujours par s’arranger et qu’il y a un après. ■

Esteban Grine, 2016

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Sources :

Frasca, G. (2001). The Sims: Grandmothers are cooler than trolls. Game Studies, 1(1).
Veltman, F. (2016). « Lieve Oma » https://vltmn.itch.io/lieve-oma

 

Jouer, c’est marrant ou pas ? – CT01

Jouer, c’est marrant ou pas ? – Vidéo

Bonjour Internet, c’est Esteban Grine et bienvenue dans Capsule Technique, une émission qui parle de game design sur internet.

Lorsque l’on parle de jeu vidéo, tout le monde a son opinion sur le sujet : comment le définir ? Est-ce que c’est un art ? Quels sont ses Chefs d’œuvre ? Bref, tout le monde a son idée sur les sujets évoqués. Et c’est chouette, je veux dire, je trouve ça génial que le Jeu Vidéo soit devenu un tel sujet de discussion. Sauf que voilà, depuis que j’ai commencé sérieusement mon activité de vidéaste, et bien j’ai discuté pas mal de ces sujets avec des amis, des collègues de travail ou d’autres pairs et j’ai constaté beaucoup de récurrences lorsqu’il s’agit de parler de Jeu vidéo : celui-ci est un média, il a des liens avec le cinéma, bla, bla, bla.

Cependant, ce que j’ai remarqué aussi, c’est à quel point on oublie que le jeu vidéo est un objet ludique et que donc, il est nécessaire de le recontextualiser par rapport aux autres objets ludiques comme les jouets, les jeux de société ou encore les jeux de rôle.

Mais ce n’est pas tout ! le Jeu est aussi un acte communicationnel et donc il est nécessaire de le recontextualiser en tant que fait de communication entre des individus. Donc aujourd’hui Internet, il sera question de recontextualiser le Jeu et le Jeu vidéo dans son environnement ludique et communicationnel !

1938 est une année importante concernant la recherche sur le Jeu. C’est en effet la sortie de l’essai “Homo Ludens” de Johan Huizinga. Les premiers phrases du livre posent clairement que le fait de jouer est un acte de communication entre deux individus. En effet, Huizinga énonce que le jeu est observable chez les animaux, ceux-ci ne possédant pas de culture, il énonce que le fait de jouer est donc antérieur au développement d’une culture chez l’homme.

En gros, Huizinga définit le jeu comme un cercle au sein duquel les participants se mettent d’accord pour respecter les règles qui ont été établies. Ni plus, ni moins. Il n’y a donc aucune causalité obligatoire entre ce qui est relatif au ludique de ce qui est relatif au fun et de l’amusement et ce, dès les premières définitions du jeu qui sont encore pertinentes aujourd’hui.

Donc il faut retenir çà : il faut visualiser le jeu comme un cercle partiellement ou complètement déconnecté de la réalité et où les individus à l’intérieur fixent des règles et se mettent d’accord pour les respecter. Ce dernier point est important car c’est ce qui permet le jeu. Sans règle, il n’y a pas de jeu. Souvenez-vous de votre enfance : ceux qui ne respectent pas les règles sont des “tricheurs”. Huizinga est très clair dessus et explique que c’est « l’attitude ludique » qui permet le respect des règles. Donc, je suis un humain, j’ai donc une attitude ludique qui me permet de respecter les règles établies dans une zone précise qu’est le jeu. C’est donc l’attitude ludique de l’homme, sa volonté à respecter les règles, qui permet le jeu. C’est pourquoi Huizinga définit l’homme comme « Homo Ludens » plutôt que Sapiens Sapiens. Au niveau communicationnel, il faut retenir une chose : tous les actes à l’intérieur du jeu sont associés au message : “ceci est un jeu” ou dans sa version plus complète : “ce que je fais en ce moment fait parti du jeu et normalement, je ne le ferai pas dans une autre situation qui n’est pas le jeu”.

Si on revient sur le Jeu Vidéo, et bien on peut les distinguer en deux catégories. D’un coté, il y a les jeux qui vous disent “je suis un jeu”, ce sont les jeux que nous allons définir comme normaux, standards même si en soi, cela n’a pas vraiment de sens de dire qu’un jeu est “normal”. Ce sont les « Mario, les Tomb Raider, les Fifa, les Call of Duty et les Crash Bandicoot », bref tous les jeux qui ne questionnent pas vraiment l’idée que l’ont se fait du jeu. Puis vient la seconde catégorie de Jeux qui demande aux joueurs “est-ce que je suis un jeu ?” Et qui pose clairement la question de leur statut aux individus qui y participent. C’est le cas par exemple de Papers Please. Ah, Papers Please, voilà un jeu extraordinaire. Certains s’amusent, d’autres ne comprennent pas pourquoi…

C’est un jeu qui fait débat sur ce que doit être un jeu vidéo ! Pour rappel, dans Papers Please, on doit appliquer une politique d’immigration d’un pays… et on choisit ou pas dans le jeu d’appliquer des règles issues d’un racisme systémique, procédurier, étatique et administratif ! et certains s’amusent à faire ça… Je me suis amusé à faire ça ! Mais cela pose quand même pas mal de questions… le jeu m’a fait réfléchir sur mon comportement, il m’a posé la question : “hey toi ! Esteban ! Qu’aurais-tu fait si tu vivais dans une dictature fasciste ?” Gonzalo Frasca, un game designer et penseur parle du jeu vidéo comme un objet politique ! et çà, ce n’est pas rien ! Papers Please est autant un jeu vidéo qu’un support d’un message politique ! mais bon je divague.

Bref ! Donc oui, bien entendu, il faut contextualiser le jeu vidéo par rapport aux autres médias, mais il faut aussi le ré-encastrer dans la famille des objets ludiques. C’est d’ailleurs pour cela que l’appellation de 10ème art uniquement réservé au Jeu Vidéo me pose problème. Et oui ! pourquoi ne pas parler du 10ème en faisant référence simplement au Jeu, et donc incluant Jeux Vidéo, jeux de société, jeux de rôle, etc.

Pour revenir à ce que je disais tantôt, lorsque l’on ne parle que du Jeu vidéo comme média, on fait abstraction de tout ce qui est relatif à la communication. En effet, lorsque l’on joue, d’un coté, nous avons le “Jeu”, le « Game » c’est à dire l’objet matériel ou immatériel et de l’autre, nous avons le jeu, le « Play » qui est le fait de jouer, l’acte, l’action.

Mais ce n’est pas tout ! Il ne faut pas restreindre le jeu uniquement à quelque chose qui est relatif à l’amusement. Bien sur que la plupart des Jeux ont pour objectif d’amuser… mais c’est tout de même trop restrictif pour englober tous les jeux et jeux vidéo ! Il y a une très belle expression qui énonce que jouer, c’est “rêver de manière éveillée”. C’est un peu cette zone intermédiaire d’expérience de Winnicott : le joueur est à la fois à l’intérieur du jeu mais aussi en même temps à l’extérieur. Il est ancré dans la réalité et en même temps en dehors de la réalité. Et dans cette zone, les joueurs s’obligent à respecter des règles. pensez à ces enfants qui jouent au jeu du “sol est de la lave”. Il ne font que respecter une règle de gameplay : “si tu touches le sol, tu meurs !”. Maintenant, dès que l’un d’eux veut sortir du jeu… il va tout simplement dire “Pouce” et la zone de Jeu disparaît.

Ainsi, il faut vraiment comprendre que le jeu, le ludique, se retrouve dans toutes les sphères de la vie. Et cela, on peut le constater notamment par le langage et les expressions que l’on utilise. Par exemple, le théâtre utilise beaucoup le champ lexical du jeu : « le jeu de scène, le jeu des acteurs ». En économie, on aime bien parler de « jeu d’écriture » en faisant référence aux activités bancaires. Même la politique use de mots faisant référence au Jeu : on parle de « jeu démocratique », on parle de « jeu d’acteur, du jeu du pouvoir, de jeux d’alliance ». Cela se retrouve aussi dans la langue anglais, “a play” est une pièce de théâtre, le titre de fantasy “a Game Of Thrones” est une métaphore des manigances des personnages pour récupérer le pouvoir. “House Of Cards” dans un sens fait lui aussi référence au Jeu. Toutes ces sphères que j’ai évoquées montrent à quel point il peut y avoir des enjeux… Oui… des enjeux, des choses qui comptent donc, dans toutes ces sphères… Et pour ces enjeux, on fait référence à un vocabulaire issu du ludique. Tout cela montre à quel point le Jeu a de multiples facettes. Et pourtant, on observe un point commun central à tout ce que j’ai citer : la présence des règles ! C’est fondamentalement la mise en place de règles qui permet de créer le Jeu. Et c’est l’attitude ludique de l’homme qui permet le maintien de ces règles. D’ailleurs, on dit bien de quelqu’un qui ne respecte pas les règles qu’il ne “joue pas le jeu”. Il y a donc bien un accord sur ces règles.

Et c’est tout ! Il ne faut pas chercher plus loin. Tout ajout à cela viendrait contraindre ce que doit être le jeu à une certaine représentation. C’est pourquoi il faut s’arrêter ici. Dire qu’un Jeu doit être fun, c’est contraindre l’idée du jeu à une représentation et cela ne résiste pas à la méthode scientifique car il y a alors connotation normative à ce que doit être cette forme d’Art.

Vous avez même des choses qui sont totalement contre-intuitives dans la philosophie du Jeu. Vous avez par exemple Colas Duflo qui énonce que c’est la mise en place de règles qui permet la liberté. Notamment car de l’autre coté, nous pensons que c’est la Loi d’un pays qui restreint la liberté des gens. C’est quelque chose qui semble totalement contraire à ce que l’on peut normalement penser. Mais dans les jeux et encore plus dans les jeux vidéo, ce sont par exemple les règles établies par les game designer qui permettent le gameplay casual de devenir gameplay émergent comme dans les speedruns !

Ainsi donc, il faut donc bien comprendre que le ludique n’est pas le fun ou l’amusement. Pareil pour le Jeu vidéo, j’ai évoqué Papers Please tout à l’heure qui bien que ludique n’arrive pas à mettre tout le monde d’accord sur son coté fun et amusant. Les gens ont tellement de difficulté à s’entendre sur les notions elles-mêmes que cela montre à quel point ce n’est pas avec ces notions qu’il faut définir le jeu et le jeu vidéo dans leurs essences. Mais en tant que forme d’art, le jeu et le jeu vidéo permettent de transmettre des émotions par le gameplay et les règles de game design que le joueur va choisir de respecter ou parfois desquels il va s’émanciper. Dans cette nouvelle série de vidéo et d’articles, je vais donc analyser principalement le game design et comment celui-ci transmet des émotions au joueur, parfois en expliquant des concepts et parfois en faisant des études de cas. Parce que finalement, qu’est ce que le jeu vidéo sinon une formidable illusion… Tiens donc, illusion, illusion… Comme dans « In Ludus » ? ■

Esteban Grine, 2016.

===== Sources =====
Duflo, 1997, Jouer et philosopher
Huizinga, 1938, Homo Ludens
Schell, 2014, The art of game design, second edition
Suits, 1978, The Grasshopper: Games, Life and Utopia
Winnicott, 1975, Jeu et réalité, l’espace potentiel

Concernant Gonzalo Frasca
http://www.gamesforchange.org/play/se…
http://www.ludology.org/my_games.html
https://killscreen.com/articles/gonza…
Sylvie Zérillo, « De l’illusion à la culture ou le regard de Winnicott sur la créativité », Éducation et socialisation [En ligne], 32 | 2012, mis en ligne le 01 septembre 2013, consulté le 20 avril 2016. URL : http://edso.revues.org/324
Ecritures comptables cunéiformes
https://www.flickr.com/photos/cvalett…
Existence de Cultures animales
http://www.huffingtonpost.fr/pierre-s…
J’évoque rapidement Habermas, Buhler, Shannon, Jakobson et Wittgenstein dans la vidéo… allez-y, ils sont tous très bon !

===== Musique =====
DisasterPeace : « Home », « Majesty », FEZ
Koji Kondo : « Astral Observatory », Zelda Majora’s Mask
Josiah McDaniel, « Outset Island », Zelda Wind Waker, VGM Opus 3