Les gamesploitations des jeux vidéo

Lors du colloque «jeu vidéo et romanesque», et particulièrement après la communication d’Hélène Sellier (Sellier, 2021)[1] à propos des littératures casual, indés et gamer. Une question ne m’a pas quitté à propos de la surexploitation transmédiatique de certaines licences comme Fortnite ou Minecraft. Cela m’a alors interrogé progressivement (mais en dilettante) sur la question de la gamesploitation. On peut trouver mention de ce terme dans un article de Scott Sharkey pour faire référence à des pratiques permettant d’exploiter jeu et ses failles dans le game design (2006)[2]. Dans l’ouvrage «Cultures Vidéoludiques!» (Collectif, 2019), Dick Tomasovic utilise ce terme pour inviter son lecteur ou sa lectrice à dresser un parallèle entre l’exploitation des licences vidéoludiques et des genres cinématographiques comme la blaxsploitation ou la brucesploitation, faisant référence à l’utilisation des cultures afro-étasuniennes et des codes cinématographiques inspirés des films de Bruce Lee (Tomasovic, 2019:120)[3]

Or, ces définitions me semblent trop restrictives (concernant le parallèle dessiné par Tomasovic) et dépassés (pour la définition de Sharkey) pour appréhender l’ensemble des phénomènes par lesquels les éléments des cultures vidéoludiques deviennent pervasifs et mainstream. De fait, l’objet de ce court billet est d’ancrer la gamesploitation dans des phénomènes plus larges qui sont ceux de la ludification (ou gamefication) et de la ludicisation (Genvo, 2013)[4]. En effet, il me semble nécessaire de conceptualiser la gamesploitation comme une concrétisation des processus de ludicisation (qui définit le processus par lequel l’idée de jeu se déplace en dehors de la sphère typique du ludique) et de ludification (qui définit l’intégration de mécaniques ludiques en dehors du jeu).

De fait, la question de ce court billet porte sur les gamesploitations comme outils théoriques et langagiers permettant d’appréhender certains phénomènes que nous pouvons observer. Pour cela, trois pistes sont évoquées.

La première est probablement la plus évidente puisqu’elle prolonge la réflexion de Tomasovic au-delà du cinéma. Ainsi, il est tout à fait envisageable de considérer une première gamesploitation comme étant la transposition d’un jeu ou d’une partie de ses éléments dans d’autres formes médiatiques. De fait, cela intègre le développement transmédiatique de nombreuses licences. Fortnite et Minecraft ont déjà été cités mais on peut également faire mention de la série Assassin’s Creed qui possède romans et mangas. Ultimement, cette forme de gamesploitation concrétise la proposition théorique d’Alexis Blanchet de fictions quantiques (Blanchet, 2010)[5].

La seconde piste fait référence aux façons dont les autres médias vont s’approprier les codes , éléments et autres marqueurs pragmatiques du jeu vidéo. Si cette forme de gamesploitation fait référence genre du roman gamer (Dupont, 2021)[6], elle s’appuie également sur des genres littéraires comme celui de l’isekai, un genre de bandes-dessinées qui va également mettre en récit des mécaniques vidéoludiques (Giner, 2018)[7]. Autrement dit, plus que les licences en tant que telles, cette gamesploitation transfert les mécaniques ludiques et instaure des récits autres que vidéoludiques pour leur donner sens.

Enfin, la dernière piste fait référence à la ludification et la façon dont ce processus est proposé comme solution économique, commerciale, et managériale. Si la ludification intègre déjà particulièrement bien ces dimensions, parler de gamesploitation permet surtout de ce concentrer sur la création d’un produit marchant qui intégrerait les mécaniques de jeu comme solutions à un problème. Cela permet également de ne pas entrer dans le débat ludification/déludicisation/disengamement (Alvarez, 2007[8] ; Potier, 2018[9]; Goria, 2016[10]) afin de se concentrer sur les phénomènes effectifs.

Dans tous les cas, ce court billet, loin d’une prétention de recherches plus approfondies, est un outil pour moi de mettre un terme sur un phénomène que j’ai l’impression d’observer afin de capter la mesure de la pervasité des jeux vidéo. Parler de gamesploitation fait donc référence non pas seulement à l’utilisation d’une licence de jeu mais également à l’intégration d’éléments, la mise en récit de marqueurs pragmatiques typiques du jeu dans d’autres média et la commercialisation des mécaniques comme solution à un problème en dehors de la sphère du jeu.

esteban grine, 2021.


[1] Sellier, H., (2021). Des genres de romans vidéoludiques : littérature casual, gamer et indé. Jeu vidéo et Romanesque. Amiens.

[2] Sharkey, S. (2006). Gamesploitation. PC Magazine 25 no5, 124-125. URL: https://books.google.fr/books?id=GIIj5A_atTQC&pg=PA8&lpg=PA8&dq=PC+magazine+gamesploitation&source=bl&ots=InTLNTqO8E&sig=ACfU3U3ctiHV2jVXicjjtopY4rt7l6AyBQ&hl=en&sa=X&ved=2ahUKEwjb6OaEoenuAhWR3eAKHVEiAp8Q6AEwAHoECAQQAg#v=onepage&q=PC%20magazine%20gamesploitation&f=false

[3] Tomasovic, D. (2019). This ain’t no game! » Le jeu vidéo au cinéma : Notes sur un malentendu persistant. In Culture vidéoludique! (p. 117‑129). Maison des sciences de l’homme.

[4] Genvo, S. (2013). Penser la formation et les évolutions du jeu sur support numérique [Mémoire pour l’habilitation à diriger des recherches en sciences de l’information et de la communication]. https://jeux.hypotheses.org/266

[5] « Le choix du terme quantique cherche à illustrer le changement possible de paradigme que connaît aujourd’hui la fiction dans le cadre de son exploitation industrielle. Son emploi se veut éminemment métaphorique. S’il est un caractère du nouveau paradigme qu’envisage la physique quantique que nous retenons ici, c’est sa manière d’envisager non plus l’évènement comme reproductible à l’identique et à l’infini, mais comme soumis à un système de règles dans lequel cet évènement a des probabilités de se produire. » (Blanchet 2010:220)

[6] Dupont, B., (2021), « La quête, l’inventaire et la carte : adaptations de la grammaire du jeu d’aventure dans le roman gamer ». Jeu vidéo et Romanesque. Amiens.

[7] Giner, E., (2018). Du jeu vidéo au manga : les cas du nekketsu et de l’isekai dans la mise en récit des mécaniques vidéoludiques. Communication donnée lors du colloque « Littératures du jeu vidéo ». Ecole Normale Supérieure : Paris, 8-9 juin.

[8] Alvarez, J. (2007). Du jeu vidéo au serious game : Approches culturelle, pragmatique et formelle [Toulouse 2]. http://www.theses.fr/2007TOU20077

[9] Potier, V. (2018). L’enseignement pris à partie : Étude d’un phénomène de déludicisation. Travailler, 39(1), 33-. https://doi.org/10.3917/trav.039.0033

[10] Goria, S. (2016). Les visualisations de données inspirées par le jeu et la conception par disengamement. Les cahiers du numérique, 12(4), 39‑64. https://doi.org/10.3166/lcn.12.4.39-64