Halogène et Moyen Âge

Halogène et Moyen Âge

Scinaute

Avant de commencer à écrire, j’ai pris dix minutes pour laisser vagabonder mes pensées, pour voir ce qui me venait à l’esprit lorsque j’évoque « jeu de mon enfance ». Bien qu’ayant connu plusieurs consoles distinctes, mes souvenirs les plus marquants sont en majorité liés à la Playstation. Mes parents en possédaient une, et l’ont toujours d’ailleurs, qui a chauffé pendant de longues années. Grâce à la ludothèque qui allait avec, j’ai passé de nombreuses heures à observer les séances de jeu de mon père sur Tomb Raider et celles de ma mère sur le premier Spyro. Ce ne sont pas des « grands » joueurs dans l’âme, mais ils ont réussi à s’imposer dans mon esprit comme experts de ce domaine, en tous cas à l’époque, et m’ont initié à cette passion. Et quelques temps après c’était moi qui parcourait tous ces univers fantastiques, me bâtissant ainsi le socle de mon rapport aux jeux vidéo.

Il y a eu bien sur d’autres supports de jeux, mais qui sont arrivées plus récemment. Ou bien une Philips CD-i mais que j’ai très peu exploitée. Non, aujourd’hui, même après des dizaines voire des centaines d’heures passées sur des consoles plus récentes, rien ne me fait mieux revenir dans le passé que les sons d’ouverture au lancement d’un jeu Playstation, une fois le bouton power pressé. Vous savez, celui qui accompagne le logo orange du Sony de l’époque, suivi par celui de la console.

Figure 1 – Premier visage de l’ASMR

Pour ce témoignage, citer tous les jeux qui ont eu une importance pour moi sur ce support et dont les souvenirs sont encore vifs serait inutilement long et ennuyeux à détailler. Je vais donc n’en mentionner qu’un en particulier, qui est sûrement celui qui me revient le plus souvent à l’esprit au quotidien : MediEvil. Un des premiers jeux que j’ai connus et que j’ai exploré assez longuement, ainsi que son second opus et son remake sur PSP.

La mention du son de démarrage de la Playstation n’est pas anodin dans ce texte. Chez moi en effet, les souvenirs sont très souvent déclenchés par un phénomène auditif. J’entends par là n’importe quel son ou musique qui serait, pour une raison ou pour une autre, lié émotionnellement à un jeu. Lorsque le son mentionné précédemment et caractéristique de la console de Sony parvient à mes oreilles, je me retrouve instantanément sur un vieux canapé, une manette dans les mains, ses joysticks usés par leur utilisation, fixant un écran cathodique qui affiche alors les premiers écrans du jeu en lui-même.

Revenons maintenant à MediEvil. Si je recherche des images de ce jeu sur internet, je tombe sur des visuels bruts tirés du jeu, ou des artworks présents sur la jaquette. Quand je les observe, ce sont ces images qui me viennent à l’esprit. Cela peut paraître évident et un peu stupide écrit comme ça, mais il y a une subtilité. Je n’imagine non pas une scène, pas une émotion, juste un visuel mental entièrement et simplement calqué sur ce que je viens d’observer. Présentez-moi le menu principal de ce jeu, c’est-à-dire un squelette indiquant sur une pierre tombale la possibilité de lancer une nouvelle partie, de continuer une aventure entamée etc. et je n’aurai que cette unique scène figée en tête, sauf à réaliser un léger effort pour me représenter le reste.

Figure 2 – Menu Principal de MediEvil

A l’inverse, si la musique de ce menu principal est jouée, alors mes pensées réagissent instinctivement, déambulent dans le cimetière, parmi les tombes et les citrouilles, dans une nuit noire et pluvieuse, sans le moindre effort requis. Puis par assimilation, vont rejoindre d’autres éléments clés du jeu : le crâne borgne de Daniel Fortesque reposant dans sa crypte, le mausolée et son démon-vitrail, le village endormi etc. D’un simplement élément musical du jeu, c’est tout son univers qui me parvient, une atmosphère médiévale, sombre mais avec son petit lot d’humour, de statues de gargouilles parlantes et de champs de blés mortels.

A travers ses musiques, ce jeu me revient sous forme d’ambiance, d’éléments et de scènes caractéristiques. Mais ce n’est pas tout. Le jeu est présent dans mes souvenirs, bien, mais également son contexte. En effet, en plus de scènes vidéoludiques marquantes, je me représente la manette usée mentionnée plus tôt, la fin d’après-midi qui suit la dernière heure de cours de la journée, le son baissé pour ne pas gêner le reste du salon mais suffisamment fort pour pouvoir en profiter… Ou bien, des années auparavant, une heure assis à côté de ma mère qui affronte Zarok dans son repaire.

MediEvil, mais aussi Rayman, Final Fantasy VII, Heart of Darkness… Chacun des jeux auquel j’ai joué sur Playstation me fait encore replonger dans son univers quand son ambiance m’est rappelée musicalement. Bien évidemment, en changeant de jeu, donc parfois de console, donc de situation où l’on joue effectivement, les contextes et les ambiances varient également.

Considérons maintenant une autre licence vidéoludique qui a eu un impact fort sur mes pratiques concernant le jeu vidéo : celle des jeux Pokémon. J’affirme même qu’elle a grandement contribué à forger la personne que je suis aujourd’hui, m’amenant sur internet et me faisant rencontrer par la suite certains de mes amis les plus chers à mes yeux.

Comme dit précédemment : autre type de console, autre façon de jouer. Je ne m’imagine plus dans un canapé une manette à la main. Désormais je me retrouve dans mon lit un soir, pendant les quelques minutes précédant le sommeil et la vraie fin de journée, GBA SP en mains et jouant dans le noir pour ne pas alerter les parents. Mais la particularité des jeux Pokémon, c’est qu’ils ont été parmi les premiers à pouvoir faire naitre des souvenirs chez moi qui ne sont nullement liés à leurs propres musiques. Explications :

J’ai beaucoup d’amour à revendre pour ces jeux, cependant les combats aléatoires sont quelque chose qui m’ont toujours agacé au plus haut point, me donnant la nette impression de casser le rythme. Ne pouvant supporter que très brièvement les musiques de combat qui débarquaient beaucoup trop souvent à mon gout, je me suis vite mis à jouer avec d’autres musiques par-dessus, même si elles n’avaient rien en commun avec le jeu. Et en jouant régulièrement avec un album de musique pendant assez longtemps, écouter ce dernier peut m’amener à me replonger dans certaines séances de jeu qui étaient enfouies dans ma mémoire. C’est ainsi qu’écouter les premiers albums de Shaka Ponk, par exemple, me ramène instantanément à Doublonville de Pokémon Heartgold, à faire des allers-et-retours en bicyclette pour faire éclore des œufs de Pokémon. Je reconnais évidemment que les ambiances diffèrent complètement entre le rock-électro du groupe français et la bande son originale du jeu japonais. Et pourtant les deux combinés ont donné naissance à une ambiance bien particulière, présente uniquement dans ma mémoire et contribuant à rendre mon expérience singulière à travers ma façon de jouer et mes souvenirs qui en seront pendant longtemps imprégnés.

C’est d’ailleurs fantastique de voir à quel point la situation dans laquelle on joue influence la manière dont on se souvient du jeu, par association d’idées ou d’éléments, et peut ressurgir dans notre esprit distinctement, comme si elle était d’une importance singulière. C’est ainsi que les lampes halogène me rappellent une soirée, assis sur le canapé que j’ai mentionné plus tôt, où je m’acharnais à rapprocher ma Game Boy Color de, vous l’avez deviné, la lampe halogène du salon, pour tenter en vain de trouver mon chemin dans la Grotte de Pokémon Bleu. Celle-ci nécessitait une compétence particulière pour éclairer son environnement d’ordinaire trop sombre. Mais quand, plus jeune, on a la mauvaise habitude de passer son temps à progresser sans véritablement faire attention aux dialogues, on finit par s’étonner que l’écran soit si noir même en éclairant du mieux que l’on peut avec la source de lumière la plus proche. On peut le dire : le moi d’il y a une bonne dizaine d’années n’était pas très futé.

Si en musique je me replonge instantanément dans un univers fictif, par association d’idées je finis par revoir toute une époque, une multitude de situations, de personnes, de lieux, qui pour certains étaient enfouis dans ma tête et n’avaient aucune raison particulière de ressurgir, mais qui ne disparaitront pas de sitôt, car associés à jamais à ce loisir.

L’abandon après l’union

L’abandon après l’union

Istenn

Quand un ami m’a parlé à la madeleine, j’ai de suite pensé à mon grand frère et moi-même en train de jouer en coopération sur Dingo et Max (Goof Troop) sur Super Nintendo. Étrange, car je n’y avais plus pensé depuis des années. J’avais même totalement omis de mon esprit l’existence même de ce jeu.

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figure 1 : la jaquette du jeu

 Et pourtant à l’instant où je m’en suis rappelé, j’ai eu les papillons dans le ventre, l’excitation, le bien être que je ressentais devant ce jeu. Mais principalement grâce à la présence de mon frère à mes côtés, grâce à qui je me sentais pousser des ailes. Rien ne me semblait impossible avec lui à mes côtés. Et pourtant, que c’était difficile d’avancer. Des énigmes qui me semblait incompréhensible et dont je devais faire un effort pour les refaire lorsque j’étais seul. Car oui, parfois j’y jouais seul, mais sans grand plaisir. Un écran « appuyer sur start », présent en haut à droite, clignotait sans cesse pour me rappeler que l’on devait être deux. Mes sessions de jeu en solitaire ne duraient jamais très longtemps. Ainsi il m’arrivait d’attendre avec impatience mon grand frère pour lui proposer une partie en espérant qu’il accepte.

Nos parties étaient endiablées, probablement, souvenirs lointains oblige, bien plus romancées et épiques qu’elles ne l’étaient vraiment. Jusqu’au jour où nous arrivions enfin à terminer le jeu. Chaque boss nous avait mis en difficulté, mais à chaque fois, nous avions triomphé. Et encore une fois nous étions face à ce boss de fin, qui nous avait déjà obligé à recommencer plusieurs fois le niveau. L’engouement lorsque nous le vîmes tombé, lorsque la musique du boss se stoppa. Nous étions si fier, si heureux. Enfin nous l’avions fait. Nous avions terminé Dingo et Max ! Ensemble.

(Figure 2 – Screenshot Dingo et Max) (Figure 3 – Boss de fin)

De là vient le fait, que je fus surpris de ne plus me rappeler de ce jeu, alors que je me souvenais bien plus du jeu que nous avions fait ensuite, Tortues Ninja : Turtles in Time, lui aussi sur Super NES. Pourtant la plupart des souvenirs étaient dans la même veine, une grande difficulté pour nous, nous le recommencions encore et encore sans parvenir à le finir. Ah oui c’est cela, nous ne l’avions jamais fini, car contrairement à Dingo et Max, il n’y avait pas de code de niveaux. Je me souviens que nous bloquions souvent au monde préhistorique avec ce boss tortue ninja mais « méchante » que je trouvais si forte.

(Figure 4 – Jaquette Ninja Turtle)

(Figure 5 – Boss Ninja Turtle)

L’énergie n’était plus la même, il n’y avait pas autant de rire et d’amusement que devant les pitrerie de Dingo. Des phrases revenaient plus souvent « ça m’a soulé », « je veux pas jouer », « j’ai la Playstation c’est mieux ». Remarquant que nos parties se faisaient de plus en plus rare, je me souviens avoir tenté de perdurer la tradition avec mon petit frère mais celui-ci n’était pas grand fan de jeux vidéo. Je crois savoir pourquoi Tortue Ninja : Turtle in Time est revenu immédiatement dans ma mémoire. Ce jeu m’a toujours laissé une certaine amertume. Il avait prit le dur rôle d’un message que peu d’enfants veulent comprendre et que l’on finit toujours par accepter. « Tu vas grandir ». Ce jeu non terminé qui me fit l’effet d’un coup de poing car je n’y arrivais pas seul. Je me revois entrer dans la chambre de mon frère en train de jouer à un jeu avec des zombies dont il me vantait les mérites. Je me souviens m’être assis à tes côtés pour te regarder jouer. Cette musique était terrifiante. J’ai vu alors un de ces monstres humanoïde agrippé le héro et lui vomir un liquide étrange au visage. À ce moment, j’ai peur. Mon frère ne quitte pas la télévision des yeux et ne me remarque pas. Il ne m’épaule plus comme autrefois. Cette union si forte entre nous, je venais de la voir disparaitre dans une musique angoissante d’un jeu que je redécouvrirai plus tard … mais seul, tout comme mon frère l’a fait avant moi.

Je me rappelle Dingo et l’énergie positive qui nous entourait. Je me rappelle Tortue Ninja et la frustration de ne pas atteindre notre but. Je me rappelle Resident Evil et la distance que je venais de voir apparaitre avec mon frère. Plus jamais nous ne serons aussi proche que devant ces petites manettes de Super Nintendo, à rire, à discuter des différents passages du jeu durant les repas de famille.

(Figure 6 – Dingo et Max ensemble)

Les années ont passés depuis et parfois je te regarde aux quelques repas de familles durant lequel nous pouvons nous réunir. Et je me demande où est passé mon précieux grand frère avec lequel j’ai passé de si bon moment. « Tu vas grandir », je n’aurais jamais pensé que ce postulat ferait si mal durant les années qui ont suivi. Maintenant nous sommes tous deux des adultes, menant chacun sa vie de son côté. Cela peut paraître amère ou dit avec regret mais lorsque je regarde notre petit frère en train de faire des « parties endiablées » sur Call of Duty, casque sur les oreilles, seul dans une pièce sombre, à crier sur une personne qu’il connait à peine et qui n’est pas présente dans la pièce. Je me sens désolé pour lui. Il ne se rappelle peut être plus ce que nous avons vécu devant Castle Crasher quelques années plus tôt. À crier de joie et de surprise face à ce monstre qui nous courait après et que nous devions semer à dos de biches qui pètent pour se propulser. À nos regards déterminés lorsque nos devions combattre pour une princesse. A notre joie lorsque nous avions vu le générique de fin. Et à sa déception, lorsque je lui ai dit que je ne voulais plus y jouer. Parce que je devais retourner travailler.

 

(Figure 7 – Course poursuite)

Au final, j’ai agis comme tu l’as fait, j’ai exécuté les même gestes et probablement créer le même ressentiment que j’ai eu pour toi. Ce sentiment d’abandon. « Tu vas grandir ». Parfois j’y repense en voyant cette jaquette de Dingo et Max courant vers nous comme s’ils nous appelaient à l’aide pour leur aventure, immortalisé à jamais. Parfois j’y repense et j’ai le souhait d’être à la place de cette enfant de cartoon. Enfant pour toujours. Toujours soutenu par son ainé, aidé à se relevé. Mais les souvenirs ne seraient pas souvenirs et ne seraient pas aussi beaux si l’on ne grandissait pas. « Tu grandiras … et tu vivras d’autres histoires plus belle encore ». Je l’espère, après tout j’ai pu revivre cela avec mon frère en tant qu’ainé ce coup-ci. Qui sait, j’espère voir un jour mes enfants rire à gorge déployé devant un jeu, chacun avec une manette et s’entraider comme s’il n’y a avait qu’une. Car même s’il est très sympathique de regarder un film seul dans sa chambre ou de visiter un musée par soi-même, rien ne changera cette expérience de ressortir d’un lieu en famille ou entre amis et de discuter. Ceci est la même chose pour le jeu vidéo.


(Sources : Image en-tête : Father and Son par Y @ Pixiv.net retravaillé par Thibaut Bézin)[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Le jeu culte de mon enfance que personne ne connait

Le jeu culte de mon enfance que personne ne connait

Paul Aureckin

Le jeu dont je vais parler durant ce témoignage n’a rien de culte ni de mémorable et je suis surement un des seuls à lui vouer une place aussi importante dans le paysage vidéo ludique. Il est même plus que probable que l’actuel lecteur n’en a jamais entendu parler. Dans le cas contraire j’imagine que votre surprise n’en sera que plus grande lorsque je vais révéler que le jeu sur lequel portera mon témoignage se nomme Red Faction Guerrilla. Un jeu qui malgré la couleur aride de sa jaquette (alternant entre teintes de rouilles et d’ocres) malgré la violence sous jacente qu’évoque les écritures marqué au fer rouge sur la boite, malgré l’imagerie guerrière omniprésente qui en vient même à s’immiscer dans son titre. Un jeu qui malgré cette surenchère d’artifices tentant de le laisser paraitre rugueux reste la friandise la plus goûtue à laquelle je pus toucher dans ce médium. Un délice qui se mange sans faim, un plaisir de tous les instants dans lequel l’embarras d’avoir un tel amusement devant un hors d’œuvre sans prétention s’efface au bout de la 1ere heure de dégustation. En effet, j’use du terme  « hors d’œuvre sans prétention » car ici je parle bien d’un jeu de type TPS de la 7ème génération, dans lequel scénario prémâché par les obligations de rentabilité, héros effacés aux profits de clichés installant le joueur dans une zone de confort, histoire manichéenne et ennemis déshumanisés sont de la partie, et c’est peut être pour le mieux vue que mon premier contact avec le jeu se fit lors de mes 8 ans.

Mon frère était en train de jouer à une démo dont les créateurs, sachant pertinemment que l’intérêt du jeu résidait dans son gameplay, ne s’étaient pas donné la peine de la faire traduire en plusieurs langues. Cependant c’est sans surprise que mon frère s’empara du jeu instantanément car n’importe quelle personne consciente du potentiel de la mécanique autour duquel s’articule le jeu ne pourrait résister à son appel. « Quelle est cette fameuse mécanique ?» me demande le lecteur assidu que je m’empresse d’ailleurs de remercier pour l’attention porté à mon texte. Ma foi c’est aussi simpliste que complexe. Le principe de base du jeu est que la majorité des éléments du décor sont destructible. Bien entendu je ne vais pas expliquer point par point pourquoi dans ce jeu cette idée est particulièrement bien desservie. En effet ce n’est pas le sujet de mon texte, mais sachez tout de même que le moteur physique est une merveille inégalé à mes yeux, un bijou technique qu’on ne penserait issus que d’une démo qui l’est tout autant. C’est ainsi que Guerilla fit son entré dans l’armoire de jeu de mon frère qui ne pris d’ailleurs jamais la peine de le finir à mon grand désarrois, étant un spectateur admiratif de ses exploits.

Pendant un temps j’ai oublié ce jeu, car le sceau pegi d’un orange brut m’avait toujours défendu de tenter le moindre rapprochement, il s’était greffé avec violence sur une œuvre enfantine dans l’âme prétextant une fois de plus la présence d’un contenue outrageux. Pourtant ce jeu était un objet de partage, rare sont ceux qui le connaissent dans ma sphère privé et le faire découvrir à mes amis était toujours un plaisir, non pas à cause de l’égocentrique besoin de se sentir important mais plutôt grâce à l’envie de ponctuer sa vie d’instant de bonheur. De fait, les rires communicatifs et le temps qui passe sans que l’on puisse s’en rendre compte faisaient de Guerrilla un magnifique catalyseur de ces émotions. Mais au-delà de ces divers instants assez agréables que je partageais, il y avait une démarche presque analytique, celle d’observer comment mes amis allaient réussir à accomplir les différentes quêtes annexes, instant où le joueur était soumis à sa propre liberté. Cela me permettait d’en apprendre sur eux et de répondre aux différentes interrogations que je porte à leur égard. Par exemple : avaient t-ils le sens du spectacle ? Ce jeu permettait de répondre à la question et à partir de la réponse on pouvait déduire de très nombreux traits de caractères. Au-delà de l’amusement c’était aussi captivant, plutôt fascinant, en fait réellement hypnotisant.

Ce besoin de compréhension par l’observation (bien que n’ayant pas été enfanté par le jeu) demeure un aspect de ma personnalité que Guerrilla a révélé à moi-même.

Quelques années plus tard, c’est en me souvenant de ce jeu que je me suis rendu compte combien il était important. Je dois bien admettre que, fainéant par nature, je n’avais pas vraiment fais d’effort pour tenter de retrouver ce jeu dans ma mémoire. Je vagabondais sur internet et comme à mon habitude je suis passé par Youtube pour observer mon fil d’abonnement,  le seul rempart entre moi et la procrastination inutile. Je pus observer une apparition discrète mais que j’ai tout de même remarqué,  c’était une chronique bien connu sur JVC : Speed Game. Ici l’épisode portait sur le tout premier Red Faction sortie en 2001.  C’est alors que je regardais l’émission qu’un effet mémoriel insoupçonné me ramena des souvenirs du jeu sur lequel porte mon texte. En effet,  Red Faction Guerilla faisait des rappels constant à son prédécesseur et par conséquent ce que je ne pouvais percevoir avant m’était réapparu avec violence, tel que je l’ai perçu c’était l’ancien jeu qui faisait des références au plus récent. Vision totalement absurde et paradoxale mais l’effet recherché par Red faction Guerrilla a tout de même été accompli : un fort retour dans le passé à été provoqué par ces références dispersé dans le jeu. Seulement cela ne s’est pas déroulé au moment voulu durant mon aventure dans la saga Red Faction. Et ainsi la mécanique de gameplay centrale du jeu auquel on pourrait attribuer de manière ignorante un aspect gimmick, m’est finalement réapparue dans toute sa splendeur et son utilité au sein même de l’environnement de jeu. Bien évidemment je le formule de cette manière mais à l’époque je me serais plutôt exprimé de façon enfantine, mettant en avant les caractéristiques impressionnantes des explosions plutôt que leur grand intérêt dans la construction du monde ouvert même si, à mes yeux le terme bac à sable serait plus approprié.

C’est donc porté par un engouement soudain pour un jeu oublié de tous que j’ai commencé à faire de nombreuses sessions. Aujourd’hui cela ne fait que deux ans que je n’ai pas touché à la jaquette. Pourtant, souvent, le souvenir des diverses situations de jeux spectaculaires créées de manière organique me réapparait de manière assez précise, avec ce même ressenti dont le plus grand représentant me semble être Farcry ; cette impression qui se base sur le fait que l’illusion de créer ses propres scènes d’actions les rend d’autant plus grisante. Sensation que malheureusement, j’ai du mal à retrouver dans les jeux récents qui malgré leur monde ouvert, me semble plus un couloir que jamais.

Je suis bien conscient qu’au travers de ce texte je me suis éloigné d’une certaine nostalgie que peut inspirer le jeu de son enfance. C’est un choix délibéré que de m’être élevé au dessus de ce carcan poétique suggéré par la description de son enfance au travers d’un jeu. J’aurais pu parler de Journey, le premier jeu indépendant auquel j’ai joué et ainsi me faciliter grandement la tache mais, cela n’aurait pas été honnête, ni pour moi ni pour vous. Un grand mensonge organisé dans l’objectif d’être celui que je ne suis pas… Non ! En effet je ne suis pas un adolescent poétique à moitié torturé trouvant refuge dans les jeux vidéo… Malheureusement pour moi il est difficile d’évoquer la compassion au travers de ma vie. Je n’irais pas jusqu’à me flageller de manière publique car, en plus d’être ridicule cela serais en contradiction totale avec ce que j’ai dit précédemment ; et je ne compte pas non plus simuler un semblant de complexité dans ma personnalité. Simplement, je profite de cette conclusion pour clarifier certaine choses et remercier certaine personne. Notamment Esteban Grine, pour m’avoir donné une raison de mener un projet jusqu’au bout. Thymael  (en espérant ne pas écorcher son pseudonyme), pour m’avoir appris l’existence de l’appel à contribution ainsi que les quelques personnes m’ayant aidé à mener ce projet en me fournissant un regard neuf  et rassurant sur ce texte.

Interdit

Interdit

Richard Norbauth

Je peux encore la sentir. L’odeur de cette maison qui n’est pas la mienne. Familière mais étrangère. Et cette sensation, cette occasion unique de pouvoir légalement s’approprier l’interdit.

 

Ma mère a toujours été très stricte avec les jeux vidéo. Profil d’amoureuse des livres, fidèle lectrice de Télérama, documentaliste dans l’Éducation nationale. Pour elle, l’informatique était un outil formidable, notamment dans son propre travail. Mais les jeux vidéo, c’est autre chose : c’est abrutissant, c’est violent, c’est écran, c’est pan-pan.

 

Comme beaucoup d’enfants de mon âge, j’avais la chance d’avoir un petit voisin avec qui je rentrais de l’école et que je pouvais retrouver le soir et les mercredi après-midis. Nous avions toutes sortes de jeux, bien sûr, dont beaucoup de jeux de plein air. Mais il y avait chez lui quelque chose d’encore mieux : une Megadrive.

 

D’aussi loin que je me souvienne, les jeux vidéo m’ont toujours fascinés. En revanche, ce que je n’arrive pas à savoir, et toujours pas aujourd’hui, c’est s’ils m’ont intrinsèquement fascinés ou si c’était l’interdit qu’ils représentaient qui me fascinait. Sans doute un peu des deux. Alors, pendant mon enfance et mon adolescence, je jouais chez les amis, par petits shoots. Mario Kart par-ci, Tekken 3 par-là. Donkey Kong Country par-ci, Worms par-là. Ces petites bulles étaient de vraies sources d’excitation.

 

« Je vais chez François ce dimanche, génial, on va se faire deux heures de Perfect Dark ».

 

Plus tard, le voisin avait eu une Playstation, mais sa Megadrive est le tout premier contact avec le jeu vidéo dont je me rappelle. Je me souviens du poli du plastique, de la sensation de l’appui sur les boutons, de la forme de la manette dans ma main d’enfant de 6 ou 7 ans.

 

Mais surtout, je me souviens de mes jeux préférés de sa collection : Sonic, Aladdin et Streets of Rage.

 

Entre les doses, le manque était tel que que j’avais reproduit des versions papiers de mes jeux vidéo préférés, pour pouvoir se rapprocher de ce goût vidéoludique que j’aimais tant, sans avoir la console qui va avec. J’ai par exemple le souvenir d’un Crash Team Racing papier très réussi, où j’avais reproduit les circuits en tracés à cases. Le joueur avançait à coup de dés, comme un jeu de l’oie, et pouvait récupérer des objets spéciaux à utiliser contre ces adversaires. Comme dans le jeu original, on pouvait ramasser des pommes pour améliorer ses objets et donner des bonus à ses jets de dés. Bref, tout y était. La console en moins.

 

Bien sûr, Sonic, Aladdin et Streets of Rage étaient trop durs pour nos maigres capacités d’enfants. Mais nous allions aussi loin que nous pouvions, une vie chacun (ou les deux en même temps sur Streets of Rage). C’est donc les trois premiers niveaux que nous faisions en boucle. Nous connaissions les ennemis, les bonus, les obstacles par cœur. Ça ne nous empêchait pas de perdre quand la difficulté augmentait aux niveaux suivants.

 

Sur l’ordinateur familial, j’ai fini par avoir mes propres jeux. J’ai le souvenir d’un Age of Empires Collector’s Edition, offert pour mes 11 ans (sans doute choisi pour ses atouts “historiques”), puis d’un Warcraft III, qui ont forgé mon goût pour les jeux de stratégie. Mais toujours pas de console. Même quand un camarade de classe me prête sa Gameboy (oui, team UNE Gameboy) pour que je puisse découvrir, fasciné, le légendaire Pokémon, une mère en colère me la fait éteindre et rendre à son propriétaire.

 

Avec le recul, je crois que c’est la musique de ces premiers niveaux qui m’a le plus marqué, comme c’est souvent le cas avec ces œuvres sentimentales que nous avons tous. Aujourd’hui encore, entendre les thèmes des premiers niveaux de Sonic, Aladdin ou Streets of Rage rempli de joie l’enfant de 7 ans qui sommeille en moi, enfoui sous les années et le cynisme.

 

Alors, sans console, adolescent, je me suis tourné vers autre chose. Les cartes Magic, dont je connaissais les règles sur le bout des doigts en fin de collège (je ne suis plus trop à jour). Puis Donjons & Dragons. Nous jouions avec mes compagnons quasiment tous les dimanche après-midi. Nos personnages sont montés du niveau 1 au niveau 25 à force de missions et d’années. J’étais un joueur très productif et fournissais à mon Maître de Jeu mes propres classes de personnage, sorts, bâtiment et créations diverses. Ne pas avoir de console, ça donne du temps pour autre chose.

 

Et puis il y a eu ce jour. Un mercredi ou un samedi, sans doute. Je suis allé chez le voisin. Sa maman m’ouvre. Il n’est pas là.
Mais tu peux venir jouer à la console si tu veux.

 

Le cœur bondit. Bien sûr que je veux. J’entre dans la maison, je suis le couloir qui rentre dans la chambre. J’allume la télé.

 

Sonic.

Aladdin.

Streets of Rage.

 

Tous y sont passés. À la mesure des capacités, donc les 3 premiers niveaux de chaque, vraisemblablement. Ça n’a pas forcément duré très longtemps. Deux ou trois heures tout au plus. Mais j’étais seul devant cette console. Libre.

 

Plus tard, étudiant, j’ai eu mon premier ordinateur à moi. J’ai un peu rattrapé le temps perdu grâce aux émulateurs. Pokémon (enfin), Super Smash Bros., Street Fighter… Un genre majeur n’a pourtant jamais eu sa place au panthéon de mes favoris : le jeu d’aventure. Pour moi, c’était trop tard. Je n’ai jamais connu, enfant, cette sensation de plonger dans un monde avec mon personnage et de me laisser bercer par son histoire et ses découvertes. Les jeux d’aventure m’ennuient profondément. J’associe cet ennui à l’absence du genre dans mon enfance. Il faut vraiment s’être retrouvé seul pendant des heures face à sa console pour apprécier un Zelda.

 

Je sorti de cette chambre ivre d’images et de sons, les yeux plein d’étoiles. Je me revois marmonnant la musique en marchant sur le trottoir menant jusqu’à chez moi. Ma mère avait dû vaguement grogner lorsqu’elle eut compris que le voisin n’était pas là et que j’avais passé l’après-midi à jouer à la console. Ça n’avait aucune importance. C’était une très bonne après-midi.

 

Je suis aujourd’hui game designer. Tous les jours, je fabrique des expériences de jeu. Si je suis conscient de tout ce que j’ai manqué du fait de l’absence de console, je suis aussi conscient de tout ce que j’ai dû faire pour pallier au manque. Je suis convaincu que cette absence a, paradoxalement, joué un rôle majeur dans mon orientation professionnelle, et m’a permis, très tôt, de me frotter aux Jeux, grand J, sous un angle très différent.

Merci, maman.

La petite carte et la cartouche dorée

La petite carte et la cartouche dorée

Tifor

« Longtemps, je me suis couché de bonne heure ». J’avais pour habitude de m’installer dans mon lit avec un livre et de profiter de ces quelques minutes pour m’évader au rythme des mots qui défilent. Cet instant de grâce m’appartenait et j’en profitais autant que possible le soir, avant de m’endormir. À cette époque, les ordinateurs étaient réservés aux initiés, internet n’était pas encore dans tous les foyers et les magazines de jeux vidéo constituaient la source principale de l’information ; Joypad, Console +, pour une poignée de francs.

Autant vous dire que quand vous êtes encore dans l’âge de la petite enfance, difficile de se tenir informé régulièrement et de manière exhaustive. Chaque petite parcelle d’information, chaque petite image est précieuse, elle ouvre la porte de l’imaginaire et de tous les possibles. Je me souviens encore de moments endiablés volés chez des amis ; Super Mario Kart ou de Street Fighter II, puis quelques années plus tard de Tekken et Super Mario 64. Totalement isolé du monde de l’information en temps réel, encore très loin de l’ère du numérique et du monde interconnecté, je profitais de ces moments au jour le jour sans vraiment porter de jugement sur ces « produits ». Chaque instant de jeu était une expérience nouvelle et exaltante.
Pour ma part, j’étais encore sur ma Nes, avec son étrange forme rectangulaire et teintée de gris. Malgré mes expériences de jeu externes et ponctuelles, elle exerçait toujours une sorte de fascination sur moi. Probablement rétrogamer dans l’âme avant même que ce terme n’existe, j’étais sous le charme de cette console pourtant déjà démodée. Super Mario Bros, Duck Hunt, Double Dragon 2, Ducktales 2 et Kirby’s Adventure c’était là l’intégralité de ma bibliothèque. Autant vous dire que j’étais très concerné par le problème de la rejouabilité d’un jeu, encore que je ne m’y intéressais pas vraiment. C’était le temps où une heure de jeu, peu importe son contenu, c’était toute une aventure et c’était tout ce qui comptait.

Je me souviens qu’un jour, au détour d’un magazine qui traînait sur un coin de table, j’ai remarqué un article qui parlait des jeux Nes. Impossible de me souvenir du contenu exact et des propos tenus dans cet article. Les seules choses qui me reviennent en mémoire sont ces deux uniques images qui illustraient le propos. Je n’ai jamais su et je n’ai jamais compris ce qui m’avait attiré. Il s’agissait simplement d’une boîte dorée avec l’inscription the Legend of Zelda et d’un screenshot du jeu. Je pense que je n’étais même pas en mesure d’en comprendre le sens et pourtant, ces deux images m’ont fasciné. Autant vous dire que rapidement, ce jeu s’est miraculeusement retrouvé dans ma bibliothèque à la fin d’un mois de décembre.

Si vous connaissez ce Zelda, ou que vous l’avez découvert bien plus tard, vous pensez probablement qu’il est difficile, voire impossible à terminer sans consulter une solution. C’était sans compter sur la rage farouche d’un jeune garçon et sa pulsion frénétique à brûler et bomber chaque petite parcelle du jeu, afin d’en découvrir le moindre secret. Sincèrement, la durée de vie n’étant pas une donnée primordiale à déterminer à l’époque, je ne pourrais pas vous dire combien de temps j’ai pu errer dans cette première version de la plaine d’Hyrule. Peut-être quelques dizaines d’heures, mais plus probablement quelques centaines, voire plus d’un millier. Lorsque l’on grandit, le temps se dilate et devient un tout unifié. Et avec le temps, une petite aventure peut se transformer en épopée ou en légende.

J’avais pourtant déjà touché à la Super Nes et même la première Playstation, mais jamais je ne les aurais échangées avec ma Nes et ma cartouche dorée de Zelda. Une réaction probablement naïve, hors du temps et incompréhensible pour la plupart des gens.

C’est qu’à chaque fois que j’allumais ma console, je savais que ce petit personnage vert et silencieux m’attendait pour explorer, combattre, résoudre des énigmes : tout simplement pour entrer en mouvement. Pour exister. Nous recommencions toujours du même point de départ, à côté de cette grotte où nous avons découvert notre première épée en bois, et c’était le début d’une aventure épique. Et la cartouche était dorée, couleur de l’or, elle avait une valeur inestimable et non marchande.

 Il existe un autre fait assez particulier et représentatif de cette époque. Internet ne s’étant pas encore démocratisé, et l’information, notamment en matière de jeux vidéo, étant plutôt rare, chaque petit élément avait une valeur inestimable. C’est notamment l’époque où les notices existaient encore et étaient parfois l’unique moyen d’avoir plus d’informations sur le jeu, son histoire, ses protagonistes. J’ai passé des heures à lire ces petites notices pour déceler des détails, des astuces et pour déchiffrer l’intrigue de certains jeux. Au point que je me demande encore parfois si ces bouts de papier, aujourd’hui complètement disparus, n’étaient pas une part intégrante du jeu.

Quand je ne pouvais pas jouer à Zelda, car selon mes parents, j’y avais déjà consacré trop de temps dans la journée, je me retrouvais donc à regarder cette petite carte qui accompagnait le jeu dans la boîte. Il s’agissait d’une carte de la plaine d’Hyrule en partie incomplète. Certaines indications étaient données sur les ennemis du jeu, les secrets, une description sommaire de quelques personnages et des objets que l’on pouvait découvrir au cours de l’aventure.

Et j’imaginais que j’étais en train de préparer mon départ pour l’aventure, rêvant du prochain trésor que j’allais découvrir. Je parcourais d’un regard ces plaines, ces forêts, ce lac, ces montagnes, ce bois perdu labyrinthique qui me faisais tourner en rond, ce cimetière où je n’arrivais pas à me rendre, mais qui m’intriguait tant. J’ai longtemps hésité à compléter cette carte manuellement pour rajouter chaque secret découvert, mais elle était trop précieuse. Je ne pourrais pas vous confirmer le temps que j’ai passé à prolonger mon expérience de jeu en contemplant cette petite carte. Comme vous le savez désormais, le temps se dilate en grandissant. Peut-être quelques minutes, centaines de minutes, ou peut-être quelques dizaines d’heures.

  Quoi qu’il en soit, cette cartouche dorée et cette petite carte m’ont fasciné pendant longtemps. Ce n’est que bien plus tard que je me suis séparé de ma Nes pour une poignée de pain. C’était une sorte de transition, un passage à l’âge adulte. J’avais anticipé ce moment, replacé la console dans sa boîte d’origine, chaque notice désormais à sa place dans la bonne boîte. J’ai longtemps hésité à conserver cette petite carte, et après tout… Qui s’en rendrait compte ? Un éventuel collectionneur peut être, à qui il manquerait cette pièce dans sa collection de jeux rétro. Mais ce n’était pas vraiment ma préoccupation. Je m’imaginais plutôt un petit garçon, dont les parents n’auraient pas trop les moyens de lui acheter la dernière console à la mode, et j’espérais au fond de moi qu’il trouverait cette petite carte et cette cartouche dorée pour vivre la même aventure que moi.

Aujourd’hui, les temps ont bien changé. Les notices ont disparu, les magazines de jeux vidéo ont laissé place à l’information numérique, la 3D est de plus en plus réaliste et les jeux bien plus accessibles. Souvent, un chronomètre calcule le temps passé à jouer, et les jeux s’enchaînent plus rapidement. Une autre époque assurément, pour le meilleur et pour le pire. Au moins, le jeu vidéo est devenu une pratique s’étant démocratisée. Mais parfois, aujourd’hui encore, lorsque je vais me coucher, il m’arrive instinctivement de me pencher sur ma table de chevet pour la prendre. Avant de me rendre compte qu’elle n’est plus là. Et que j’aimerais, juste une dernière fois avant de m’endormir, plonger à nouveau mes yeux sur cette petite carte.

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Les souvenirs qui en deviennent.

Les souvenirs qui en deviennent.

Damastès

XXX, juin 2017

Du temps que nous passons à jouer, il reste toujours un petit quelque chose. Certains jeux laissent même de profondes racines qui creusent jusqu’au coeur, attrapant sur leur passage les sensations de l’instant. Et quand leurs souvenirs remontent, c’est toute une époque qu’ils ramènent avec eux. Mais les noeuds que forment ces racines sont plus complexes qu’un simple collier de souvenirs qu’il nous suffirait de tirer, déclenché ad libitum dans un désir de nostalgie. Non, ces souvenirs ont leurs propres caprices et s’invitent dans le désordre, à des moments que nous n’attendions pas.

C’est qu’il y a des jeux pour nous rappeler notre enfance, qui nous y conduisent avec la certitude d’un fiacre bien gouverné, mais il y a aussi les sensations qui nous ramènent à nos jeux sans qu’on les décide; et parfois des tristesses se réveillent dans des moments de fête. L’odeur du carton de mes vieilles boites de jeux me tirent immanquablement vers mon enfance perdue, et il me faut alors lutter contre l’appétit de la revoir et les larmes qui montent.

Mario Galaxy : J’ai cet ami très cher qui me raconte ses souvenirs de jeu. C’est à Noël qu’il le découvre et commence d’y jouer. Pour se donner du courage, il s’accorde à chaque nouvelle étoile qu’il trouve un des biscuits à la cannelle que sa mère a préparés pour les fêtes. Désormais, à la période de Noël, l’odeur des biscuits le renvoie à son jeu, et dans son imaginaire les étoiles de Mario auront toujours un goût de cannelle.

Pikmin : J’ai eu la chance d’y jouer à la toute fin du printemps, et bientôt dans l’été. Il y avait les bruits d’eau du jeu et sa musique légère, l’odeur de basse montagne qui entrait par les fenêtres et les portes grandes ouvertes sur le jardin, la voix de ma mère qui s’était mise à l’ombre, le chant d’un oiseau surement, ça je ne sais plus. Le jeu s’était mêlé à la pièce, comme le jardin s’était mêlé au salon. J’étais dans le salon, j’étais dans le jardin, j’étais dans le jardin du jeu. Les sens s’étaient mariés entre eux et ces deux mondes s’étaient rejoints, mêlant leurs parfums en un seul. Dans ce moment particulier d’ivresse sensorielle, ne pouvait se forger qu’un souvenir fort mais confus, un enchevêtrement des perceptions et des idées. Aujourd’hui, lors de journées ensoleillées et légèrement venteuses, qu’on ouvre tout pour profiter de l’air, remontent les sensations du jeu, elles viennent s’ajouter à celles du monde, et m’y font croire à nouveau. La fraicheur du jeu, c’est la dernière fraicheur du printemps; son insouciance, c’est l’été qui vient. Et pour très longtemps encore, le chant des pikmins sera pour moi cet entre-saison, l’un ou l’autre me ramenant à cet après-midi de jeu.

_______________________________________________

Ce qu’il nous faut regarder, ce n’est pas le simple lien entre le jeu et son époque, entre le souvenir et son joueur, mais ces badernes qui se tressent de vieux cordages, ces souvenirs mêlés qui font du passé un brouillard de certitudes. C’est dans cette confusion du vrai et du faux, des souvenirs que nous avons joués, vécus et rêvés, que se tisse une mémoire qui sait retrouver son chemin elle-
même, par surprise, aux abords de la conscience.

 

Zelda BotW : Si ce jeu s’inquiète peu de sa narration, il a la bonne idée de convoquer des souvenirs d’anciens jeux pour nourrir son histoire et l’attachement qu’on aura pour son monde. Le joueur se souvient d’avoir vécu les légendes qu’on lui raconte. Une légende qui se construit d’autres légendes. Ainsi, le reste de son histoire tressée de souvenirs réels gagne en crédit et en puissance d’évocation. Ce mélange des souvenirs anciens et des légendes nouvelles se double de motifs concrets, des rappels de l’ancienne période Jōmon (fig. 1) qui viennent saisir le joueur (surtout japonais) du trouble familier d’avoir déjà connu tout ce qu’il voit. Cet enchevêtrement de mystères, de légendes, de souvenirs personnels et d’histoires communes est une méthode ingénieuse qui place le joueur dans un état d’esprit rêveur et mélancolique, prêt à ressentir plus fort encore les émotions provoquées par le jeu

Castelvania : Il y a nos souvenirs de jeu, puis il y a les souvenirs qui en deviennent, hors de leur ligne temporelle, et qui viennent se mêler aux autres. Ce sont les premières lignes de la Recherche du temps perdu (Marcel Proust, 1913-1927), où les âges et les époques s’affrontent et s’entremêlent. À la façon dont Proust lui-même écrivait ses textes : en collages, en rajouts successifs qu’il appelait ses « paperoles » (fig. 2). Et comme se termine Le temps retrouvé (Marcel Proust, 1927), dans un constant

mélange des idées, des rêves, des souvenirs et des sens. Des souvenirs en vraie madeleine qui font se confondre les époques et les choses qui les habitent. Des souvenirs réels et des souvenirs inventés.

Je ne me rappelle pas avoir joué à Castelvania dans mon enfance. À beaucoup d’autres jeux NES assurément, mais pas celui-ci. À tant de jeux, en fait, que j’ai appris à reconnaitre les tonalités, les habitudes, les couleurs, à m’y sentir immédiatement chez moi à chaque fois que j’en commençais un nouveau.

Des années plus tard, j’ai rejoué à ces jeux, grâce à l’émulation, et j’en ai découvert d’autres qui m’avaient échappés. C’est ainsi que je jouais pour la première fois à Castelvania. Immédiatement chez moi, donc, dans ce château en ruine. Tout m’était familier. C’était un jeu de mon enfance. Il ne pouvait en être autrement car tout résonnait en moi. La musique, le rythme, l’ambiance, l’action, le héros, les distances, les victoires, tout ce qui faisait ce jeu appartenait à mon histoire.

Je suis revenu en arrière dans le livre de ma vie, et j’ai ajouté une paperole à la page de mon enfance. Inconsciemment bien sûr, mais, les années suivantes, ma mémoire s’est convaincu de ce souvenir nouveau; impossible désormais d’en effacer la trace ni les lignes que se sont tissées autour d’elle. Le jeu appelle ma nostalgie comme s’il avait toujours été là. Les émotions reviennent comme si je les avais vécues alors, et mon enfance est désormais plus riche d’un jeu.

Nos récits n’ont pas à être vraisemblables, à peine y cherchons nous de la cohérence, car jamais il ne faudra prendre notre mémoire pour fidèle, loyale encore moins. Nous écrivons nos souvenirs autant que nous les vivons. Réécritures après réécritures, ajouts, soustractions, effets de style, notre mémoire est un livre vivant qui ne se ressemble jamais. Des symboles et des signes qui n’y étaient pas, des blessures nouvelles, des souvenirs qui reviennent après nous avoir tant manqués… Et parfois, nous forgeons nos propres nostalgies.

 


Sources

  • Du côté de chez Swan (Proust M., 1913 Grasset, 1919 Gallimard)
  • Le temps retrouvé (Proust M., 1927 Gallimard)

Chroniques de mon mépris du jeu vidéo

Chroniques de mon mépris  du jeu vidéo

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Si j’ai assez de considération aujourd’hui envers le jeu vidéo pour y consacrer une grande partie de mon temps, que ce soit par sa pratique, par sa création, ou pour réfléchir à son sujet, il n’en  a pas toujours été ainsi. Pour être tout à fait honnête, je peux même dire que c’est, d’une certaine manière, un média que je méprisais sans m’en rendre compte jusqu’à très récemment. Et n’ayant pas l’excuse de la méconnaissance, puisque j’ai eu le privilège d’y avoir accès très tôt dans ma vie, la préparation de cet article m’a amené à me pencher sur cette question : Comment ai-je pu, avec un parcours vidéo-ludique aussi riche, me méprendre autant sur ce média  ?

Je devais avoir trois ans lorsque j’ai eu ma première console, une Sega Master System. Si je conserve bien quelques souvenirs de mes sessions de jeu, il ne s’agit que de bribes, et les seules anecdotes concrètes qu’il me reste, sont les problème liés à la console elle-même ; les  lancements indésirables d’« Alex Kid », jeu intégré directement à la console,   qui démarrait dès lors qu’une cartouche était trop poussiéreuse , ou encore les tripatouillages répétés de  la prise péritel afin obtenir autre chose qu’un sonic en noir et vert.

Puis à 5 ans, j’ai  eu la Sega Megadrive Je ne manque pas de souvenir de cette période, que ce soit « Sonic the hedgehog 2 » dont je serais capable de faire une retranscription quasi-parfaite des musiques tellement elles m’ont marquées, « Les lemmings », dont la notice recouverte de centaines de mots de passe témoigne encore aujourd’hui de mon obsession pour ce jeu,  « le livre de la jungle » et ses  animations ou encore le beaucoup trop exigeant « Wolverine : Adamantium Rage » dont je recommençais le premier niveau en boucle.

Mais malgré l’empreinte qu’ont laissée ces œuvres sur moi, elles ne semblent pas avoir influé la construction de mon image de ce média autrement que par contraste avec ce qui a suivi.

Paradoxalement, la période qui a radicalement changé ma manière de percevoir l’objet vidéoludique,  de jouer, de choisir mes jeux, et qui a très certainement le plus influé sur ce qu’allait être mon avenir, est certainement celle pendant laquelle j’ai le moins joué, tout du moins,  de la manière dont on l’entend habituellement. Et cette période commence  par l’arrivée  chez moi de la Playstation de Sony . J’avais alors 8 ans.

Si jusqu’ici, tout le monde l’utilisait à la maison, il n’en reste pas moins que la console était principalement considérée comme un jouet, apanage de l’enfant. Et lorsque quelqu’un prenait une manette, c’était plus pour jouer avec moi que pour jouer au jeu lui-même. C’est avant tout cette image que la Playstation a révolutionnée: il ne s’agissait plus de mon jouet d’enfant mais de celui de la famille.

Au début, nous ne possédions pas la console. Nous la louions dans un vidéoclub, avec sa ou ses manettes, un jeux vidéo et  parfois une carte mémoire. Nous l’installions sur la télévision, invitions des amis et jouions parfois pour la soirée, parfois pour la nuit et souvent pour tout le week-end.  Jouer à un jeu vidéo était devenus un événement social éphémère, ce qui eut un fort impact sur nos habitudes de jeu.

Car on ne peut pas jouer en groupe de la même manière que l’on jouerait seul ; on doit se partager les rôles. Il y a d’une part le pilote, celui qui tient la manette et contrôle l’avatar, et de l’autre il y a les copilotes, qui l’assistent, l’aident à résoudre les énigmes et lui suggèrent les bonnes actions à exécuter, et tous, ensemble, profitent du développement narratif du jeu.

Si la manette me revenait régulièrement entre les mains , j’ai très vite préféré le rôle de copilote . Je ne pourrais dire exactement pourquoi,  même si j’imagine que mon manque de confiance en mes aptitudes physiques, héritage de la cour de récréation, devait y être pour quelque chose. Car jouer en publique, c’est aussi échouer en publique.Toujours est-il que j’ai pris énormément de plaisir à endosser ce rôle de joueur sans contrôleur, si bien que j’ai plus de souvenir de ces expériences-là que de celle en tant que pilote.

Ainsi, lorsque je repense au premier Tomb Raider, si je me souviens aussi des contrôles rigides, de la caméra pas toujours optimale et des phases de nage cauchemardesques, cela ne viens qu’après le souvenir de la fierté que j’ai pu éprouver à résoudre certaines des énigmes. Quant au premier Resident Evil, je n’ai quasiment aucun souvenir de gameplay, seulement des réminiscences de certaines cinématiques. Et quand dans les années qui suivirent on me demandait de citer mon jeu préféré, je répondais volontiers « Final Fantasy 7 » , un jeu auquel je n’avais, à cette époque, quasiment jamais joué la manette entre les mains, mais dont j’avais dévoré les plusieurs centaines d’heures de jeu en tant que copilote.

Et puis cette période à pris fin. Le jeu vidéo est redevenue pour moi une activité solitaire. Et c’est très certainement lorsqu’il m’a fallu recommencer à choisir mes jeux par moi-même que tout c’est joué.

Mon expérience du média se divisait donc en deux grandes périodes : la première, celle de ma prime enfance, une période pendant laquelle le jeu vidéo était synonyme de gameplay bien plus que de contenu narratif. La seconde, celle du jeu « adulte », dans laquelle le jeu vidéo était synonyme de cinématographie et de réflexion . Et la dernière chose que l’enfant que j’étais voulait c’était d’être perçus comme un enfant.

C’est ainsi que ma définition du jeu vidéo idéal s’est construite, par une opposition entre un type de jeu prétendument immature à un autre prétendument mature. Pour qu’il soit « bien », un jeu devait contenir une  narration proche du média cinématographique et devait privilégier les aptitudes cognitives aux aptitudes physiques. Cela signifiait que pour que je le considère, je demandais à un jeux vidéo de moins se définir par le jeu que par un autre média.

Ma consommation vidéoludique c’est  donc naturellement orientée vers des genres répondant à cette définition, avec en tête celui du point’n’click. Avec tout de même d’excellent souvenir, qu’il s’agisse de la saga des « Broken Sword », des « Monkeys Island » ou encore « Siberia ».

Cette vision réductrice du média n’allait pas évoluer avant  mes 14 ans, période à laquelle l’acquisition soudaine d’un esprit de compétition me poussa à une pratique intensive des jeux  Counter-Strike et Warcraft III, me réconciliant ainsi avec les jeux vidéo privilégiant le gameplay au scénario.  Mais  il ne s’agissait pas encore rendre ses lettres de noblesse au jeu électronique, car là encore je ne le considérais que comme le sous-genre d’une autre activité socialement reconnue; le sport.

C’est douzes années de plus qu’il m’aura fallu pour déconstruire cette association entre jeu et immaturité. Ça a commencé avec l’émergence du rétro-gaming, qui m’aura permis de redécouvrir les jeux vidéo de mon enfance et de celle des autres. Puis il y a eu l’apparition de la scène indépendante, suivie de près par la sortie de jeux d’auteurs qui m’auront profondément marqués dont pour ne citer que lui « PaperPlease ». Et c’est enfin la multiplication et la popularisation de contenus réflectifs sur ce média qui en me permettant de conscientiser mon erreur, m’ont permis de mettre un terme définitif à cette méprise.

Le parallèle entre NieR Automata et Matrix

Attention, Spoil massif dès la première ligne.

Le point de départ fondamental de NieR Automata est le suivant : des androïdes sont créés pour d’un côté permettre l’évolution des machines (d’un réseau plus précisément) et de l’autre créer l’illusion que les être humains sont encore vivants auprès des autres androïdes. Dans tous les cas, des machines créent des machines. C’est ce phénomène qui explique l’existence de tous les événements de NieR Automata (malgré les liens avec les précédents opus, cela reste aussi tout à fait cohérent). De même, il y a dans la construction narrative de NieR une réflexion sur les cycles et comment s’émanciper de ces cycles. Autrement formulé, le temps est plutôt conceptualisé de manière cyclique durant lequel la fin d’une ère signifie le début d’une nouvelle, relativement identique à la précédente. Dans Matrix, le point de départ fondamental est l’asservissement de l’humanité par les machines. Les êtres humains sont alors des substituts de batterie permettant aux machines de perdurer avec une certaine forme d’énergie renouvelable.Pour maintenir les êtres humains dans leur servitude, les machines entretiennent un réseau qui subit de manière cyclique des dysfonctionnements. La solution qu’ont trouvée les machines est alors la suivante : créer un programme (un humain créé artificiellement) « Neo » qui aura pour mission de redémarrer le système.

Ces contextes et cette construction narrative permettent de nous (l’audience) faire vivre un conflit entre robot et êtres humains soit artificiellement créés soit par l’intermédiaire d’androïdes, dont les corps mécaniques laissent supposer des âmes, des esprits indissociables des êtres humains. Résumé de la façon suivante, il devient évident que NieR dressent de nombreux parallèles avec la trilogie Matrix. Il est cependant intéressant de pousser la réflexion plus loin, histoire de tester les limites de cette lecture.

L’un des thèmes fondamentales qui revient dans ces deux œuvres concerne la définition de ce qu’est le fait d’être humain. Dans NieR, c’est une évidence. Dans Matrix, ça l’est un peu moins. Dans la première œuvre, les traits humains sont bien plus l’apanage des machines qui cherchent à reproduire les schèmes et les constructions sociales humaines passées. Les androïdes au contraire sont pour les YorHa : froids et distants tandis que les androïdes résistants sont plus émotifs. On voit d’ailleurs de nombreuses quêtes se conclure sur un fait tragique poussant un androïde résistant à choisir l’exclusion ou la vengeance. Dans Matrix, nous avons quelques références dans le premier film où une distinction entre les humains créés artificiellement et les humains de Scion est clairement statuée par l’un des protagonistes. De même, nous retrouvons ce parallèle entre individus froids et distants et individus plus émotifs. L’équipe de Morphéus, bien que faisant preuve de particularités émotionnelles versent clairement la plupart du temps dans le comportement rationnel et mécanique. Il y a donc, dans cette lecture, une équivalence de traitement entre les androïdes représentants des Humains dans NieR et des femmes et hommes de Matrix. Notons au passage les accoutrements de chacun tout en rituels et masques : habillés de noirs et dont on ne voit quasiment jamais les yeux pour certains, guenilles et saletés ambiantes pour les autres.

Puis vient forcément la question des robots et le fait de vouloir les personnifier en antagonistes. La question que je pose est alors la suivante : quelle est leur place et quelles sont les parallèles entre l’œuvre de Yoko Taro et celle des sœurs Wachowsky. Dans les deux fictions, les robots se sont organisés en société. D’un côté, nous avons plus l’exploration de systèmes sociétaux humains pour NieR et de l’autre nous avons un semblant de société ultra planifiée, presqu’une fourmilière. Cependant, si les ressemblances s’arrêtent là, ce n’est pas forcément le cas pour ce qui est de les positionner en tant qu’antagonistes. Dans Matrix, la conclusion finale est qu’une forme de symbiose est nécessaire entre humains et robots. Seuls alors quelques entités, à l’instar de l’agent Smith, peuvent devenir une menace pour l’ensemble. Dans les deux fictions, les hommes sont placés au début dans une situation de résistance « face à » puis progressivement, nous comprenons que même ces résistances sont déjà prévues et organisées par des entités supérieures. Cela fait écho avec une pensée déterministe (spinoziste ?) et cyclique du temps qui passe et qui est présente dans les deux œuvres. Enfin dans les deux cas, la conclusion ouvre une perspective optimiste vers un changement de paradigme, ce qui cependant laisse l’audience sujette à interpréter. Dès lors, s’il y une représentation manichéenne du conflit au début de chaque œuvre, cette représentation évolue vers quelque chose de plus précis. Il est intéressant de noter alors l’inversion faite entre NieR et Matrix. Dans Matrix, nous passons d’un conflit global (les hommes contre les machines) à un conflit final individuel (enter Neo et Smith) tandis que c’est l’inverse qui a lieu dans NieR : la conclusion du premier chapitre (la fin A) résout le conflit individuel entre les 2B/9S et Eve puis évolue vers la résolution d’un conflit global (androïdes / l’entité) et ce, en passant par un nouveau conflit individuel : 9S contre A2. Il ne s’agit dont plus de constructions inverses comme précédemment énoncés mais de similitudes que nous faisons. Je soutiens cependant l’intérêt de penser les conflits de ces deux objets culturels comme les miroirs de l’autre.

De facto la représentation du robot antagoniste est tout de même déconstruite dans chacune des deux œuvres pour laisser place à des visions plus complexes et parfois complotistes, ce qui rend évidemment les choses bien plus intéressante. Dans les deux objets, il me semble que le plus important à retenir est que les deux partent du même phénomène déclencheur et explicatif de la trame narrative : ce sont des robots (avec une humanité plus ou moins affirmée) qui construise eux-mêmes leurs antagonistes pour 1/ évoluer dans le cas de NieR et 2/ perpétuer leur système organisationnel dans Matrix. Les héros dans les deux cas ne sont alors que des pièces d’un puzzles qui ne devient visible qu’à la fin de chacune des œuvres. Dans les deux cas aussi, nous notons un fort développement idéologique autour de l’instrumentalisation des conflits et comment ceux-ci sont montrés comme nécessaires à la domination d’un groupe social sur l’autre. Sous couvert d’un conflit dont l’issue semble libératrice pour ceux qui ne sont rien, ces androïdes, ces robots comme Pascal (dont la simple évocation du nom déclenche chez moi une montée de larmes aux yeux) ou humains artificiels (Néo, Trinity et Morphéus), Matrix et NieR soutiennent la thèse, certes complotiste mais aguicheuse, que ces conflits ne servent que des intérêts cachés, inconnus. ■

Esteban Grine, 2017.

Tout le monde peut-il jouer au jeu vidéo ?

Dernièrement, je jouais à Inside, le dernier jeu du studio Playdead à l’origine de Limbo. J’explorais ce jeu quasiment monochrome, aux contrôles extrêmement simples, complètement muet, qui raconte toute son histoire sans jamais rien nous dire avec des mots, et j’ai fait une association. Une fameuse discussion qu’avaient eu à une époque Albert Einstein et Charlie Chaplin m’est revenue à l’esprit. Précisons le nombre important de versions de cet échange qui existent parce que celle que je vais vous compter n’est pas la plus véridique si l’on se fit aux sources trouvables sur Internet, mais c’est sans aucun doute celle qui sert le mieux mon propos.

Dans les années 30, les deux hommes, un cinéaste de génie – aussi prédateur sexuel avec un penchant pour les femmes mineures, il est important de ne pas l’oublier1 – et un scientifique révolutionnaire, étaient parmi les êtres humains les plus célèbres du monde entier. Par amitié, Einstein fut alors invité d’honneur à la première le 30 janvier 1931 des Lumières de la ville, le tout dernier film de Chaplin. Debout l’un à côté de l’autre à la fin de la projection, sortant de la salle, vêtus de smokings élégants, toute une foule les applaudit. Charlie pour le chef d’œuvre qu’il venait de réaliser, Einstein pour son génie dans les sciences. Et c’est alors qu’ils échangèrent ces paroles :

« – Ce que j’admire le plus dans votre art, déclara Einstein, c’est son universalité. Vous ne dites pas un mot, et pourtant le monde entier vous comprend.

– C’est vrai, répliqua Chaplin. Mais votre gloire est plus grande encore : le monde entier vous admire, alors que personne ne vous comprend. »2

Ce qui m’intéresse ici, et ce que j’avais en tête en jouant à Inside, c’est ce qu’aurait dit Einstein. Il évoque l’universalité du cinéma muet qui permet alors à Chaplin de s’exprimer dans un langage que tout le monde comprend. Il fait là référence à cette propriété du cinéma muet d’être entièrement dépourvu de dialogue à traduire ou même de sous-titre. Tout est exprimé et raconté par l’image : c’est le langage même de ce cinéma, sa spécificité rhétorique. Par l’association d’images et le mouvement qui les compose, un film permet de faire comprendre beaucoup en ne disant oralement rien. Ainsi, peu importe votre langue maternelle ou votre culture, vous êtes tous à même de saisir les dynamiques émotionnelles et les enjeux d’un film de Charlie Chaplin. Alors qu’il ne se compose que d’images en mouvement. Ce que je trouve assez incroyable.

Et c’est ici que prend sens mon parallèle avec Inside. C’est un jeu vidéo qui ne comporte aucun dialogue, aucun texte, aucune langue, même pas un menu avec un « Press Start ». Il nous raconte tout par son image et ses sons comme dans un film de Chaplin. Et si l’on pourrait me rétorquer que, comme c’est un jeu vidéo, il y a une interaction qui peut complexifier la transmission de son message et ainsi venir contredire ma comparaison, je répondrai que dans Inside, les mécaniques et contrôles sont très simples. L’interaction avec le jeu ne se compose que de l’utilisation d’un seul joystick sur la manette et de deux boutons : un pour sauter et un pour attraper des objets. Le tout, sur un unique plan en 2 dimensions. Du coup, plus de barrière ni de langue ni de pratique, alors Inside est un jeu auquel tout le monde peut jouer, un jeu qu’aurait pu designer Charlie Chaplin. Ça, c’était le déroulé premier de ma réflexion. Ce qui m’a donné envie de gratter du papier. Et puis, réflexe d’hygiène mentale oblige, j’ai tout de même choisi de creuser le sujet avant. Et, au fil de mes recherches, il s’est révélé que ça n’était pas aussi simple que ça. J’espère que vous avez un moment devant vous, le texte est long.

Nous l’avons donc effleuré ci-dessus : le cinéma muet emploie un langage universel, c’est-à-dire qui peut être compris par tout le monde, celui de l’image en mouvement. Un langage qu’utilise aussi le jeu vidéo de part son caractère audiovisuel : c’est un média d’images en mouvement et de sons. Les animations, la musique, les décors, tout cela, ensemble, raconte déjà beaucoup de choses de manière relativement universelle.

Mais le jeu vidéo se différencie de part sa nature interactive. Je ne dis pas que les autres arts ne sont pas interactifs, ils le sont, ici on essaye de simplifier – voire de vulgariser populariser – mais le jeu vidéo, encore plus que les autres, se pratique. Il impose une interaction très active entre lui et son interlocuteur, c’est-à-dire le joueur. Or, si c’est un média qui se pratique, cela pose plusieurs problèmes par rapport à l’universalité du média – qui est notre sujet du jour je rappelle. Car un média qui se pratique est un média qui s’utilise. On peut, je le crois, très clairement énoncer que l’on regarde un film au cinéma, que l’on écoute de la musique, et que l’on utilise un jeu vidéo. C’est une manière un peu brute de le dire, mais un jeu demande à être utilisé pour communiquer ; que ce soit communiquer du fun ou un message particulier. Dès lors, en plus de devoir être complètement muet à la manière d’un Hyper Light Drifter – GOTY 2016 – il me semble que si l’on souhaite déterminer si tout le monde peut jouer au jeu vidéo, il convient alors de cerner à quel point un jeu est utilisable, c’est-à-dire à quel point il est facile à être utilisé par une cible précise ; ici tout le monde. Il faut alors, pour être précis, parler d’utilisabilité, et non pas d’accessibilité. Ce dernier terme désigne quant à lui la capacité d’un objet quelconque à être plus ou moins utilisable pour les personnes avec un handicap. Et je n’ai malheureusement ni les connaissances ni le temps pour pleinement aborder cette problématique là.

Pour poursuivre, on peut alors déclarer que contrairement à un film muet, pour être universel, il convient donc en plus à un jeu vidéo qu’il soit le plus aisément utilisable possible.

Or, l’utilisabilité d’un jeu peut s’évaluer de plusieurs manière. On peut tout d’abord déterminer qu’un jeu vidéo est un objet de design : il se compose de règles – les règles du jeu – qui vont être les conditions créant le contexte dans lequel le joueur va évoluer. Or ces règles il faut les apprendre, et le degré de complexité qu’elles adoptent peut aussi définir les limites de l’universalité d’un jeu vidéo. Si Tetris possède des règles aisément compréhensibles par tous, un jeu comme Civilization VI se montre déjà un peu plus inutilisable pour la majorité des gens que l’on mettrait devant. Les paramètres à prendre en compte sont infiniment plus nombreux, et les réponses possibles le sont tout autant.

De plus, ces règles, dans le temps, créent des conventions, des conventions propres au jeu vidéo, c’est-à-dire des règles suffisamment fortes et fondatrices que pour qu’on les retrouve dans de nombreuses productions au fil du temps, comme la caméra 3D en vue à la 3ème personne par exemple, qui existe depuis Super Mario 64 jusqu’à The Last Guardian. Or, ce principe de conventions amène à ce que les designers de nouveaux jeux vidéo partent généralement du principe que le public connaîtra ces anciennes conventions, et ils baseront alors leur design dessus. Sauf que ce n’est pas le cas. Tout le monde n’est pas au fait des dernières conventions vidéoludiques du moment et ne suit pas nécessairement leur évolution dans le temps. Ainsi, si les créateurs d’Assassin’s Creed ont par exemple conçu leur jeu sur la base des conventions que sont celles du déplacement d’un personnage dans un univers en 3 dimensions comme de conventions adoptées et connues par tous, il n’y a alors qu’à regarder Marion Cotillard essayer de jouer au dernier opus de la série – ceci lors de son invitation dans l’émission Quotidien pour la promotion du film adapté du jeu – sans parvenir à se repérer et se déplacer correctement dans l’espace pour se rendre compte que ce sont des règles très complexes et des conventions qui ne sont pas acquises par la majorité des gens. Cet extrait vidéo nous permet donc assez aisément de déduire qu’un jeu en 3 dimensions n’est pas un jeu auquel tout le monde peut jouer, loin de là.

Et ça me semble important à rappeler, notamment à des joueurs confirmés. Parce que ces derniers, que vous êtes probablement de la même manière que je le suis, sont habitués à appréhender ce genre de conventions. Sans faire attention, il est assez aisé de s’enfermer dans notre propre petite bulle où tout est facile à utiliser en croyant que c’est le cas pour tout le monde. Mais prenez un proche qui ne joue pas aux jeux vidéo et mettez-le derrière le dernier Uncharted – que les joueurs confirmés ont tendance à huer pour sa trop grande facilité – et vous allez être surpris.

Or, cette réalité que je vous décris ici, c’est un véritable problème qu’a traversé pendant longtemps le jeu vidéo et que décrit très bien le chercheur Jesper Juul dans son livre A Casual Revolution. Parce que, si à ses tout débuts le jeu vidéo se constituait d’expériences aux contrôles simples, éminemment utilisables par tous, et là je pense aux débuts de l’arcade par exemple, il s’est très vite, au fil du temps, énormément complexifié. L’arrivée du support optique pour les consoles de salon a par exemple participé à la démocratisation de la 3D dans la fin des années 90 alors qu’elle est, nous l’avons vu, très complexe à gérer. Tandis qu’observer l’évolution des manettes dans le temps permet de saisir visuellement la complexification de l’utilisation des jeux vidéo. Et c’est ainsi que le média jeu vidéo s’est au fur et à mesure coupé d’une partie des joueurs, devenant de plus en plus un média de niche. Si la niche a bien su se développer, amenant au relatif succès de cette industrie, c’était aussi au détriment de ceux ayant lâché le train en route ou de ceux voulant le prendre pour la première fois et se retrouvant bloqués par les différentes conventions établies qui étaient inutilisables pour eux.

C’est alors qu’est intervenu ce que Juul nomme la « révolution casual », c’est-à-dire le moment où le jeu vidéo, face notamment à des coûts de production en hausse, s’est radicalement réorienté vers un public plus large en laissant tomber ses anciennes conventions pour en créer de nouvelles, plus utilisables pour une majorité de gens. Et ce sont les jeux découlant de cette période nouvelle que l’on nomme les jeux casuals ; un terme qui regroupe tellement de définitions possibles que j’ai pris la décision de tenter humblement de vous permettre de mieux le comprendre tout au long de la lecture de ce texte. Et l’élément central de cette révolution, c’est l’arrivée en 2006 de la Wii et de ses plus de 100 millions d’unités vendues – contre 13 millions pour la Wii U à titre de comparaison et la démocratisation du tactile, du jeu mobile et du jeu en ligne sur navigateur. Ces nouveautés ont ainsi profondément remodelé le comportement des gens face au jeu vidéo. Si l’on regarde les chiffres recueillis par le NPD par exemple, entre 2007 et 2008, le nombre d’américains déclarant jouer aux jeux vidéo est passé de 64% à 72%, une évolution de huit points qui témoigne d’une vrai progression du jeu dans les pratiques sociales.3

Et les raisons de cette percée du média sont multiples mais partent toutes d’une même idée : la principale barrière qui peut se dresser entre un joueur et un jeu, ce n’est pas la technologie informatique mais le design. Et quand cela a été compris, les innovations furent drastiques. L’avènement des jeux jouables sur navigateur internet via des sites simples comme Absoluflash et ne nécessitant que très peu de connaissances des conventions du jeu vidéo par exemple ont su parmi les premiers incarner une porte d’entrée massive à beaucoup de gens assez peu joueurs de jeux vidéo de base parce que leur game-design était adapté à une cible de joueurs moins experts, laissés pour compte par une majorité de jeux grand public jusque là.

Mais Juul parle aussi de l’importance du rôle de la Wii dans cette démocratisation nouvelle du jeu vidéo. Une Wii qui fut décrite par Nintendo dans un moment historique pour le jeu vidéo : la Game Developer Conference de 2005, dans laquelle le constructeur japonais prit le contre-pied total de ses deux concurrents Sony et Microsoft. Ces derniers avaient en effet centré leur présentation autour de l’arrivée de la sacro-sainte HD dans le jeu vidéo, vantant les mérites d’une résolution jamais vu jusque là et de textures ultra détaillées promises sur Xbox 360 et PS3. A contrario, Nintendo furent alors les seuls, avec la Wii, à proposer une console qui ne disposerait pas de la haute définition. La résolution promise se contenterait d’une SD toute banale là où les idées neuves tourneraient autour de nouvelles interfaces et de nouveaux designs de jeu vidéo. Et vous savez quoi ? Aujourd’hui, la console la plus vendue des trois, c’est la Wii. Preuve s’il en fallait une que l’époque des consoles qui se vendent sur leur puissance technologique était désormais révolue.

 

Mais alors, comment a-t-elle fait, la Wii, et par extension tout ce qui l’a suivi ? Comment est-elle arrivée à ce tour de force ? Comment a-t-elle appliqué cette maxime précédemment citée : la principale barrière qui peut se dresser entre un joueur et un jeu, ce n’est pas la technologie informatique mais le design. Et bien c’est très simple. C’est une console qui est parvenue, en réinventant son interface, c’est-à-dire en transformant profondément les outils permettant à un joueur d’interagir avec son jeu, donc les contrôleurs, l’interface utilisateur à l’écran, etc, … à rendre le jeu vidéo infiniment plus utilisable pour la majorité des gens. Et ce grâce à plusieurs éléments :

Tout d’abord, elle a déplacé le centre de l’action de quand on joue à un jeu vidéo de l’espace 3D du jeu à l’espace du joueur. Pour faire simple, quand vous jouez à un jeu vidéo, vous pouvez séparer l’espace en 3 parties. L’espace 3D du jeu, l’espace 2D de l’écran et l’espace du joueur. Si la majorité des jeux triple A se focalisent sur l’espace 3D du jeu, en y concentrant le centre de l’action, délaissant ainsi l’espace du joueur dans lequel l’activité se résume à être assis et à triturer les boutons d’une manette, Nintendo a fait basculer l’équilibre de l’autre côté avec le motion gaming. Tout à coup, l’action se concentrait bien plus dans l’espace du joueur, un espace réinventé dans lequel ce dernier s’agitait dans tous les sens, interagissait physiquement avec sa manette comme si la machine devenait un réel prolongement du corps, que ce soit en bougeant avec Just Dance ou en triturant sa guitare en plastique sur Guitar Hero ; ou avec les autres joueurs directement, en se poussant pour déstabiliser son adversaire lors d’un combat de boxe sur Wii Sport par exemple.

Et la réalité de ce basculement, on peut même aller l’observer sur YouTube. Parce que généralement, faire une vidéo sur un jeu Wii résulte en une mise en scène de deux espaces : celui, comme d’habitude du jeu, mais aussi celui du joueur, filmé avec une caméra et dont l’image sera incrustée dans un coin du cadre avec celle du jeu. On comprend bien ici ce que l’innovation de Nintendo apporte car la présence quasiment obligatoire de cet autre point de vue pour permettre à l’audience de saisir pleinement le jeu traité est l’illustration directe du fait que l’espace physique du joueur devient une extension de l’espace 3D du jeu et se rend alors indissociable à son expérience. Et cet élément de design, en plus d’être neuf, il rend les jeux bien plus utilisables pour une majorité de personnes. Parce qu’il est bien plus aisé pour un joueur occasionnel d’appréhender son propre espace physique et son corps pour jouer que celui d’un personnage modélisé dans un environnement en 3 dimensions à l’aide d’une manette munie de 14 boutons et deux joysticks. Ça paraît évident.

Mais la deuxième raison du succès de la Wii est aussi à chercher chez les game-designers employés par Nintendo. Ces derniers ont en effet su innover en matière de game-design en créant des titres utilisant les spécificités des nouvelles interfaces de motion gaming offertes par la Wii. Parce que, oui, créer des jeux pour tous, des jeux plus simples et plus utilisables, des jeux casuals, cela ne signifie pas pour autant arrêter d’innover et de réinventer le média, malgré ce que certains voudraient nous faire croire. Cela ne veut pas dire rester ancré dans de vieilles conventions de design dérivées de l’arcade et aisément compréhensibles. Et pour preuve, comme le décrit Jesper Juul, avec la Wii, les game-designers ont su innover tout en fabriquant des jeux très utilisables. Comment ? Et bien en créant de nouvelles conventions ludiques, mais cette fois-ci en se basant sur l’importation d’autres conventions issues d’activités culturelles très connues, comme jouer au tennis ou à la guitare par exemple, et en retranscrivant ses conventions dans un jeu vidéo, avec Wii Sport ou Guitar Hero. Ainsi, avec ces jeux dits à interface mimétique, se basant sur des règles déjà très familières pour le joueur car faisant parti de sa culture, leurs créateurs ont su renouveler le média jeu vidéo tout en parvenant à le rendre plus utilisable pour la majorité des gens.

Troisièmement, la Wii, et par extension une immense part du jeu mobile, du jeu sur navigateur et plus globalement des jeux casuals, ont eux aussi réussis là où les jeux dits hardcore ont échoué : être flexibles à différents usages pour s’inscrire dans des pratiques sociales variées. Et pour comprendre cela, il faut comprendre ce que ça implique, le fait de « consommer » un jeu vidéo. Consommer un jeu vidéo, c’est une activité similaire à celle d’aller voir un film au cinéma ou d’aller assister à un concert de musique. Cela prend du temps et s’insère plus globalement dans la vie des gens. Le jeu vidéo est donc une pratique, et le fait de jouer s’inscrit dans un contexte social : la vie du joueur. Ainsi, si quelqu’un peut très bien vivre dans un contexte lui allouant une grande quantité de temps, mettons une personne en disposant suffisamment que pour qu’elle puisse s’investir dans un jeu comme Skyrim par exemple, qui prend des heures d’investissement, qui demande de se poser devant sa machine, de pénétrer son univers pour en comprendre les enjeux narratifs, ludiques et esthétiques, alors pour un autre joueur Skyrim ne sera pas à sa portée car il n’aura pas ce temps là à investir ; que ce soit parce que c’est un exploité du système capitaliste à la vie surchargée croulant sous les responsabilités ou une mère célibataire qui doit s’occuper de deux enfants et doit cumuler deux boulots pour s’en sortir (je t’aime maman). Tant qu’on y est, on peut rappeler que le jeu vidéo c’est aussi un objet qui peut occuper le téléviseur, et dans une famille nombreuse il peut être difficile de monopoliser cet objet au centre du salon. Ou même encore rappelons que le jeu vidéo est une pratique qui coûte cher d’un point de vue économique, entre les jeux, les consoles pour y jouer, etc … ou d’un point de vue écologique, avec des machines remplies de composants rares assemblés dans des usines aux empreintes carbones désastreuses, etc … comme le développe très bien Esteban Grine dans un texte publié ici même. Et, comme évoqué précédemment, où même le handicap peut-être un vrai problème, face auquel de nombreux designers redoublent d’ingéniosité pour rendre leurs jeux accessibles aux personnes qui en souffrent. Certains titres semblent ainsi particulièrement intéressants pour les aveugles et mal-voyants, tel Papa Sangre II, dont l’ingénieux procédé technique, décortiqué par Kago dans sa vidéo sur le jeu4, permet de développer une expérience ne nécessitant pas – ou très peu – l’utilisation de la vue pour être parcourue. Certains mini-jeux de 1-2 Switch sont aussi dans cette même veine. Et on ne peut qu’espérer que ces problématiques seront de plus en plus prises en compte avec le temps. Mais pour faire bref, plein de contextes sociaux et d’externalités différentes peuvent donc venir faire pression sur la pratique du jeu et freiner sa potentielle universalité.

On peut alors établir que l’utilisabilité d’un jeu est aussi déterminée par sa capacité à être flexibles face à ces contextes sociaux. C’est en tout cas l’analyse qu’en fait Jesper Juul dans son livre : un jeu casual est un jeu qui doit être flexible pour différents usages, dans le sens où il permet différents niveaux d’investissements, où il permet que ses parties puissent être interrompues facilement sans que cela n’implique de perdre toute sa progression, et où il ne demande pas nécessairement de réorganiser son emploi du temps pour être parcouru. Nous avons déjà vu que Skyrim correspondait alors assez peu à cela. Mais, par exemple, Juul explique le succès de GTA au fait que c’est justement un jeu très flexible : il convient à un contexte social dans lequel le joueur peut accorder beaucoup d’attention au jeu, en suivant attentivement la quête principale, les cut-scenes, etc … , là où il convient aussi à une utilisation plus sporadique et moins attentive en permettant au joueur de simplement se promener dans son immense bac à sable aux multiples possibilités et de s’arrêter dès que les pâtes sont cuites sans se soucier des conséquences. GTA est donc un jeu qui s’offre à une pratique hardcore du jeu vidéo, mais aussi à une pratique plus casual de ce dernier, expliquant ainsi en partie son immense succès : c’est un jeu relativement utilisable par beaucoup de profils variés. Et si vous piochez dans les jeux mobiles, vous pouvez trouver par mal d’exemples similaires.

De plus, puisqu’on parle de contexte social, il convient de noter que pendant longtemps, le jeu vidéo est demeuré une pratique perçue comme très solitaire pour l’opinion, contrairement à un jeu de société comme le Monopoly, par exemple. Or les jeux à interface mimétique, en déplaçant les actions de jeu dans l’espace du joueur comme nous l’avons déjà observé, ont aussi permis d’encourager le jeu vidéo à se pratiquer dans un contexte plus sociabilisant. Déjà parce que lorsqu’on joue à des jeux en motion gaming, on peut observer que les mouvements que ces derniers imposent rendent d’eux mêmes l’action de jouer plus rigolote à regarder pour ceux qui ne jouent pas. Mais en plus, pour beaucoup de ces jeux, l’expérience ludique ne se limite plus seulement au jeu en lui même, mais s’étend aussi à ce que le joueur ajoute au jeu, par exemple en jouant à plusieurs à Wii Tennis ou à Rock Band. Ce sont des jeux qui, joués seuls, perdent en intérêt, mais qui parviennent à plusieurs à prendre du sens dans les interactions pré-existantes entre les joueurs. C’est comme cela que le décrit David Amor, développeur sur le quizz game Buzz! sur Playstation 2 :

« Cela a toujours été la clef de Buzz!, ce que l’on appelle les interactions off-screen. Parce que la chance que mon jeu vidéo amuse plus le joueur et le fasse plus rire que ses amis assis à côté de lui est proche de 0. Je ne vais pas en être capable car je ne suis pas là, je ne suis qu’un simple ordinateur programmé pour réagir à un ensemble de statistiques. Tout est alors centré sur « Comment tu connais la réponse sur Van Halen ? Je ne savais pas que tu étais un fan de Van Halen ? Ah, c’était dans ta période cheveux longs à 16 ans, ah je m’en souviens, c’était pas terrible, tu sortais beaucoup avec lui et lui, etc … ». Et je ne peux même pas espérer répliquer cela, mais les gens sur votre sofa le pourront probablement. C’est l’idée, d’essayer de faire émerger ce genre de choses. »5

En fait, c’est ce qu’on pourrait appeler du social game design, et cela revient à ne pas se concentrer sur la création du système de jeu le plus profond possible, mais plutôt de s’assurer que le jeu en lui même parvient à créer des interactions sociales intéressantes entres les joueurs, c’est-à-dire à créer du jeu au-delà de ses propres limites initialement prévues et écrites par les designers ; ce qu’on appelle communément du métagame. Et ainsi, ce sont des jeux qui parviennent à être plus souples à des contextes où l’on est nombreux autour du téléviseur.

 

 

Voilà ! Bon, ça fait déjà un moment qu’on est ensemble là. Et je pense vous avoir donné pas mal de clefs pour répondre vous même en partie à la question posée au début de ce texte. Et il est évident que je n’ai pu traiter ici qu’une petite partie de ce qui fait l’utilisabilité d’un jeu vidéo. Je ne peux pas tout aborder en si peu de temps. Malheureusement.

Ce qu’il est donc, je pense, important de retenir, c’est que lorsque je demande comme ici si tout le monde peut jouer aux jeux vidéo, je ne me demande pas : y a-t-il un jeu vidéo unique auquel tout le monde peut jouer et que tout le monde peut comprendre ? Non, parce que la réponse n’aurait pas beaucoup d’intérêt. Si, par exemple, à première vue, Inside semblait incarner cela, c’est oublier que c’est un jeu assez peu interruptible, qu’il faut terminer d’une traite pour bien le saisir et qui demande beaucoup d’investissement pour être interprété en plus d’avoir un univers à l’esthétique assez clivante à 1ère vue ; les jeux casuals arborant généralement quelque chose de plus positif. Donc non, je ne cherche pas à trouver LE jeu utilisable par tous. Ça ne m’intéresse pas et il serait probablement assez insipide de toute façon.

Ce que je souhaite plutôt ici, c’est explorer les limites de la pratique et de la diffusion du jeu vidéo et tenter de savoir si c’est un média capable d’adopter une forme aussi universelle que le cinéma ou la musique. Je me questionne sur les frontières de sa diffusion et de sa capacité à toucher les gens. Et la raison de cela est assez simple : j’aime profondément le jeu vidéo et j’ai envie de croire en sa capacité à émouvoir et à parler à tout le monde comme il le fait avec moi. Je veux mieux le connaître, mieux le comprendre, lui et ses frontières pour saisir jusqu’où il peut aller. Et j’espère simplement que par la lecture de ce texte, vous obtiendrez des clefs solides pour développer votre propre réflexion sur le média pour que vous le fassiez grandir aussi de votre côté.

 

Pour conclure.

Ce qu’il faut retenir, je crois, c’est que ces interrogations sont encore jeunes et passionnantes, et que les réponses construites autour de ces interrogations sont toutes autant jeunes et passionnantes. Ainsi, si Jesper Juul place la révolution casual entre 2006 et 2007, il y a à peine 10 ans, c’est parce que dans la courte histoire du jeu vidéo, c’est à ce moment là que l’on a pu observer selon lui l’avènement des jeux casuals comme une réinvention culturelle de ce que peut être un jeu vidéo et un joueur de jeu vidéo. C’est il y a 10 ans à peine que l’on a rencontré ce moment où la simplicité des premiers jeux a su être retrouvée et où l’on a réalisé que tout le monde pouvait jouer à un jeu vidéo. C’est à ce moment que le jeu vidéo, à défaut de devenir cool, a su devenir normal, devenir une pratique courante et majoritaire. Par exemple, dès 2008, 97 % des 12-17 ans aux Etats-Unis déclaraient jouer à au moins une forme de jeu vidéo.6 C’est donc bien qu’en réinventant la façon qu’avaient les joueurs d’interagir avec leurs jeux, les designers de jeux casuals ont permis de construire un monde où, peut-être, dans le futur, tout le monde jouera au jeu vidéo. Et c’est quand même vachement enthousiasmant.

Parce que ces game-designers, par leur volonté d’ouvrir le jeu vidéo, ils ont probablement participé à ce futur dans lequel le jeu vidéo sera meilleur qu’il ne l’est aujourd’hui et qu’il ne l’a été hier. Car je crois sincèrement que le jeu casual est un jeu qui apporte du mieux à ce média. Vraiment. Parce que faire des jeux casuals, ce n’est pas faire des jeux faciles, loin de là. Dans un jeu on a besoin d’avoir un sentiment de progression parce que le plaisir de s’améliorer est au cœur du processus ludique. Donc plus que d’être des jeux simples, en vérité, je crois que les jeux casuals sont des jeux qui recherchent la façon la plus inclusive d’être dur, d’éduquer son joueur, en obtenant la courbe de difficulté parfaite et en cherchant à créer les meilleurs tutoriels possibles.

Et je crois que ce choix de l’utilisabilité la plus large possible est un choix éminemment plus politique qu’il n’y paraît. Tenez, regardez comment en parle Toru Osawa, le Script Director d’Ocarina of Time :

« Je regardais mon enfant jouer à un jeu vidéo à la maison et j’avais l’impression que le jeu se jouait de lui même. Ça semblait très linéaire, et quand j’ai demandé « est-ce que c’est amusant ? », la réponse était « Ouais ».

Je me suis demandé si, dans les jeux vidéo aussi, les joueurs voulaient passer du début à la fin sans agir par eux-mêmes, simplement en appuyant sur les boutons et en recevant un flot d’information comme s’ils regardaient la télévision ou un film. Cela m’a fait réfléchir. Explorer le monde par eux-mêmes, apprendre les contrôles, chercher la manière de tourner les pages, cela ne les rend plus heureux désormais. Les guides de jeux sortent en boutique au même moment que les jeux eux-mêmes. Ils abandonnent et s’effondrent rapidement. Ils auraient du avoir des trucs plus rugueux en tant qu’enfants. Cela me donne envie de dire « vous êtes faibles les mecs » plus que vous ne pouvez l’imaginer.

Mais c’est une erreur que nous autres créateurs de dire qu’ils en savent autant qu’ils en ont besoin. Nous devons rendre le jeu le plus agréable possible, pour que les joueurs aient envie de croquer les parties difficiles, de placer des morceaux dans leur bouche aussi naturellement que possible et de les faire mâcher sans le remarquer. Cet assaisonnement, ce dressage, c’est notre responsabilité. Je crois que c’est notre travail »7

Voilà. Et c’est ce que je crois. Je crois que la création de jeu vidéo ne doit pas se laisser dominer par ces espèces d’instincts élitistes qui peuvent surgir en nous, joueurs confirmés, aux premiers abords. C’est un médium qui doit s’ouvrir aux autres. Et je me laisse fortement à penser que faire du jeu casual, c’est aussi s’évertuer à faire du jeu vidéo plus inclusif, plus ouvert et inventif. Car il est bien plus complexe de mettre au point un design riche et profond utilisable par un maximum de personnes qu’un design riche et profond dont la pratique serait réservée à une toute petite élite de fanatiques prête à consacrer des heures à la prise en main et à la compréhension de l’objet. Je dirai même que c’est peut-être politiquement plus intéressant de tenter de creuser ce chemin là. Et alors qu’on voit partout surgir des mouvements masculinistes et xénophobes qui veulent « maintenir la politique hors du jeu vidéo », je crois que c’était ce que je voulais faire avec ce texte : vous offrir une relecture du jeu vidéo casual. ■

Tom V., 2017.

 


1 BUCKTIN Christopher, « Charlie Chaplin seduced me when I was just 15 and made revolting sexual demands », Mirror.co.uk, 2 avril 2015

2 Quote Investigator, They’re Cheering Us Both, You Because Nobody Understands You, and Me Because Everybody Understands Me, 11 mai 2013

3 BOYER Brandon, NPD: 72% Of U.S. Plays Games, Only 2-3% Own Multiple Consoles, Gamasutra, 2 avril 2008

4 HYPERBROTHER Kago, Her Story / Papa Sangre II –

 

5 JUUL Jesper, A Casual Revolution – Reinventing Video Games and their Players, p. 121, The MIT Press, 2010 ; traduction personnelle

6 VITAK Jessica, EVANS Chris, MACGILL Alexandra, MIDDAUGH Ellen, KAHNE Joseph, LENHART Amanda, Teens, Video Games and Civics, Pew Research Center, 16 septembre 2008

7 GlitterBerri, The Burning Thoughts of the Staff (Part 2), 24 mai 2010 ; traduction personnelle

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Il faut abattre le flow.

 Il faut abattre le flow. Ce concept revient régulièrement dans les discours que l’on peut entendre sur les jeux vidéo : « il faut que le game design installe le joueur dans le flow », « quand je joue à ça, c’est comme quand je suis dans le flow », « la force du jeu est de mettre immédiatement son joueur dans le flow ». Tous ces lieux communs montrent des approximations sur cette notion et on en vient à penser qu’elle veut tout dire et son contraire. Le flow est-il synonyme de bien-être dans ces cas-là ? de concentration ultime du joueur ? Il convient donc de remettre un peu d’ordre dans tout cela afin de partir sur de nouvelles bases saines.

Bonjour Internet, c’est Esteban Grine et aujourd’hui, nous allons déconstruire le concept de « flow ».

Battre le flow…

La première chose qu’il faut énoncer est la suivante : le flow n’est pas un concept de game design. C’est une notion de psychologie positive, c’est-à-dire la psychologie qui s’intéresse au bien-être des individus, le bonheur, l’optimisme et la façon que l’on a de surmonter des épreuves.

Le flow est alors une zone, un espace mental dans lequel un individu fait corps avec son activité. Cela signifie donc qu’il est complétement immergé, qu’il est totalement engagé, qu’il est motivé pour réussir et que sa concentration est maximale. C’est tout. Rien de plus. Ainsi, il faut arrêter de dire qu’un jeu « met son joueur dans le flow ». Ce n’est pas vrai. Il n’y a pas une façon de game designer un jeu qui serait plus efficace qu’une autre pour forcer un joueur à être dans le flow. Cela n’est pas possible car ce concept ne s’applique pas à l’activité ou à un objet mais à un être vivant.

Dès lors, la recherche du flow ne doit pas se faire en observant la structure du jeu mais bien en se focalisant sur le joueur. Cela veut alors dire que ce n’est pas parce que vous, en tant que joueur, vous êtes dans le flow quand vous jouez à Spelunky que cela va être la même chose pour toutes les personnes jouant à Spelunky. Pourtant la structure, le gameplay et le game design sont les mêmes. Alors pourquoi ne sommes-nous pas tous dans le flow quand on y joue ? Que l’on aime ou que l’on n’aime pas ? Si les jeux avaient réellement ce pouvoir, le joueur n’aurait pas cette possibilité de dire s’il est ou pas dans sa zone de flow. Avec ce simple questionnement, le raisonnement actuel autour du flow s’effondre. Cela montre de manière flagrante que le flow ne s’observe pas en analysant les jeux.

Certes Jenova Chen, le créateur de Flow justement et de journey, a écrit un court mémoire sur cette notion appliquée aux jeux vidéo et il se trouve que ce mémoire, ou cette pensée, a particulièrement plu aux game designers. Pourquoi ? Parce que cette notion est plaisante à l’oreille des développeurs. Elle leur donne un pouvoir immense : celui de contrôler l’expérience du joueur. Désolé. Cela ne fonctionne pas comme ça. Tout au plus, le développeur sera capable de susciter au joueur certaines façons de se comporter mais c’est bien ce dernier qui s’installera dans sa zone de flow et personne ne peut l’y faire rentrer sans son accord. Il me semble donc qu’il s’agit bien d’une chimère que de prêter aux jeux vidéo ce type de capacités.

…Tant qu’il est chaud.

Ainsi, nous venons de déconstruire la première partie du mythe du flow comme concept tout puissant. Et plus précisément, nous venons de déconstruire le discours côté « développeur ». Désolé, je vous aime sincèrement, mais ce n’est pas vous qui décidez si le joueur est dans le flow ou pas. Vous n’avez pas ce pouvoir et cette notion prend en compte bien plus de paramètres que seulement le gameplay et le game design.

Maintenant, que tout cela est dit, il faut désormais abattre les discours côté joueurs. Ces discours vantent les mérites du flow. Les phrases typiques sont par exemple : « un bon game design est un game design qui nous met dans le flow » ou encore « une expérience optimale est une expérience de flow ». Tous ces discours ne reflètent absolument pas la réalité des choses. La réalité, c’est que le flow est terriblement ennuyant. C’est même désolant lorsque l’on comprend que la recherche du flow peut se définir comme la recherche de l’ennui. Le flow, c’est le contraire absolu du mémorable. On ne se souvient pas des moments de flow. Au contraire, une situation difficile, insurmontable durant laquelle nous sommes stressés, voilà quelque chose de bien plus intéressant. Voilà quelque chose qui va s’ancrer dans la mémoire des joueurs. Posez-vous cette question : lorsque l’on joue à jeu, est-ce que l’on se souvient précisément des moments où nous sommes dans le flow : c’est-à-dire les moments où nous arrivons à parcourir une map sans problème voire à la répéter en boucle pour farmer quelque chose ? Mon hypothèse est que l’on se souviendra de l’expérience globale : on se souviendra avoir fait ça de manière générale mais en aucun cas nous ne nous souviendrons de chacune des runs singulières. Or, ce qui nous marque dans les jeux vidéo, ce sont des moments précis soit par leur difficulté, soit par la mise en récit qu’ils impliquent soit parce qu’ils ont été vécus dans des contextes très précis.

Dans la pensée de Csikszentmihaly, le flow, c’est aussi lorsque l’on arrête de penser à ce que nous faisons, lorsque tout devient automatique. Or lorsqu’on joue, nous sommes censés être toujours en train de réfléchir à ce que nous sommes en train de faire, plein de chercheur mette l’accent sur le côté méta-réflexif du jeu, or le flow, c’est l’absence de réflexivité, c’est l’immersion absolue. Le flow n’est pas le jeu. Les moments de flow sont précisément les moments où le joueur est en pilotage automatique.

Le flow en philosophie et en politique.

Vous direz peut-être que je suis intransigeant avec cette notion, que je suis en train de dresser un réquisitoire. Et c’est vrai. Je le fais car plus j’y réfléchie, et plus le flow est un concept que je réprouve. Mais pour comprendre cela, il faut que j’affirme à nouveau que le flow n’est pas un concept de game design, c’est un concept issu de la psychologie qui comprend d’énormes enjeux philosophiques et politiques. Et je ne suis pas sûr que ces enjeux sont perçus par les personnes employant ce concept.

Le flow est un concept philosophique car il implique que l’on peut augmenter la difficulté d’une situation sans problème pourvu que les personnes se trouvant à l’intérieur de cette situation ne la considère pas trop difficile, ou trop facile. Formulé de la sorte, il apparait que le flow est un mécanisme de contrôle des individus. Un patron peut augmenter indéfiniment la charge de travail pourvu que son salarié l’accepte. Un président peut changer le code du travail pourvu que ses citoyens soient trop occupés à faire autre chose que venir en conflit.

Ainsi, le flow n’est pas le symbole du progressisme et de l’innovation. Au contraire, il ne faut pas changer les habitudes des individus, il faut les maintenir à leur place pour maintenir la cohérence de l’ensemble. Le flow, c’est l’idée du conservatisme par excellence : soyons conservateur pour vivre bien. Voilà le propos du flow. Ne cherchons pas à changer les idées au contraire, il faut maintenir le plus longtemps celles du vieux monde. De toute façon, aujourd’hui, on ne peut plus rire de rien. On ne peut plus être le mouton noir. Le flow est éminemment politique. En parler dans les jeux vidéo sans prendre conscience des implications philosophiques de cette notion est une terrible erreur.

Le flow est donc politique avant d’être vidéoludique. Les élections et la victoire d’Emmanuel Macron illustre parfaitement la mise en place de ce mécanisme est comment le flow sert les discours dominants et orthodoxes. Il faut se mettre en marche ! Car l’avenir ne va pas être drôle ! il faut accepter son destin, accepter que l’on va payer plus, qu’il va y avoir plus d’inégalités entre les classes moyennes et populaires. Marine Le Pen est hors du flow, non, elle c’est le racisme et l’homophobie immédiat, trop difficile à accepter pour les citoyens français, mieux vaut commencer par placer des ministres homophobes et des députées racistes dans les partis de la république marcheuse, y aller progressivement pour ne pas effrayer. Mélenchon ? l’idéal de société qu’il propose est beaucoup trop facile. En plus cela va aider des gens que nous ne voulons pas aider, les mauvais profiteurs, ceux qui ont du mal à vivre, non… par contre, il faut glorifier les bons profiteurs, ceux qui exploitent le Crédit d’Impôt Recherche par exemple. La victoire de monsieur Macron illustre parfaitement la façon dont le flow, conservateur, régit nos modes de fonctionnement lors des élections.

Le flow est mort, longue vie au flow.

Pour toutes ces raisons, il faut abattre le flow, il faut sortir ce concept de notre vocabulaire. Le flow crée des expériences répétitives et behavioristes. Il faut cesser d’encenser le conservatisme et l’état végétatif de totale acceptation qu’il implique. Il faut sortir du flow. Le flow ne s’applique pas au game design mais aux joueurs. Les expériences qu’il crée ne sont pas mémorables dans leurs individualités. Son emploi n’est que paresse d’esprit. ■

Esteban Grine, 2017.