Un souffle sauvage de conservatisme sur les mondes ouverts

La fin d’année 2018 a été pour moi une période de mondes (semi) ouverts puisque j’ai respectivement joué à Shadow Of The Tomb Raider (SOTTR), Red Dead Redemption 2 (RDR2), Spyro The Reignited Trilogy (STRT), Farcry 5, Assassin’s Creed Odyssey (ACOD) et enfin Breath Of The Wild (BOTW). Si certains pourraient discuter de la pertinence d’appeler SOTTR ou STRT des mondes ouverts ou semi-ouverts, ce n’est pas la discussion que je vais mener ici.

Plutôt, je vais m’intéresser à la question : pourquoi certains de ces univers invitent plus à la découverte que d’autres ? En effet, si l’on compare de manière factuelle les mondes que nous pouvons fouler, je fais l’hypothèse qu’ils sont rempli de manière plus ou moins équivalente en termes de collectibles. En témoigne les 900 et quelques Korogus à débusquer dans BOTW. Pourtant, comme l’énonce si bien Hamish Black, comment se fait-il que l’on ne ressente pas les effets d’une liste « à checker » lorsque l’on joue à ce jeu en comparaison des autres ? Autrement dit : pourquoi préfère-t-on explorer certains mondes plutôt que d’autres ? C’est sur cette question que je vais me concentrer pendant les prochains paragraphes.


Note aux lecteur·ice·s : les propos que je tiens dans ce billet ne sont pas immuables. J’écris cette note après la rédaction de ce billet qui ne me satisfait pas particulièrement. Il a été difficile de tenter de se défaire d’une approche formaliste. Cette tentative peut donc a posteriori être une fausse route. C’est pourquoi, je me réserve donc un droit de rétractation. Je ne suis pas non plus sûr et certain d’être clair dans mon cheminement logique. J’invite donc tout·e·s lecteur·ice·s à ne pas trop surinterpréter mes propos. 


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Les robinsonnades postapocalyptiques

L’un des sujets que j’avais eu envie de traiter, déjà en 2017, était la façon dont les jeux proposant des mondes plus ou moins ouverts s’étaient intéressés au postapocalyptique. Plus précisément, il s’agissait surtout de représenter des mondes bien après les événements destructeurs. C’était le cas de Nier : Automata, Horizon Zero Dawn et bien entendu Zelda Breath Of The Wild. Ainsi, il n’est pas question dans ces jeux de représenter l’immédiat et la destruction. Au contraire, c’est sur les reconstructions que se focalisent ces trois œuvres. Ces jeux sont alors à l’opposé de ce que j’ai pu voir précédemment dans les jeux vidéo. J’ai le sentiment que ces trois jeux s’accaparent des univers et des imaginaires nouveaux pour le médium.


Notes : ce billet s’inscrit dans une nouvelle réflexion sur les jeux vidéo, notamment dû à un nouveau parcours de Zelda Breath Of The Wild. Il s’agit alors d’un premier billet d’une nouvelle série de réflexions basées sur ce jeu. C’est aussi le dernier billet de ce carnet pour l’année 2018 ! Alors, bonne année 2019 et à l’an prochain !


Le joueur ou la joueuse, entre exploration d’un monde ruiné par la guerre ou les cataclysmes et reconstruction de ce dernier, doit tracer son chemin et son expérience. Que cela soit pour un plaisir vidéoludique ou pour y déceler une leçon de vie, ces jeux sont l’occasion d’explorer des futurs possibles tout en nous faisant vivre des situations contemporaines de notre réalité. Difficile de ne pas faire non plus le rapprochement avec des œuvres japonaises tels que Le Château dans le Ciel, Nausicaa et dans une certaine mesure Avatar : The Last Airbender. Les mondes, ayant survécu au cataclysme, sont verdoyants.

Ce que j’apprécie particulièrement dans ces jeux, c’est le fait qu’ils acceptent la destruction du monde comme un postulat de départ mais ne se concentrent pas précisément sur la destruction. Au contraire, chacun présente des mondes florissants et pertinemment vivants. Dans Horizon Zero Dawn, la technologie emprunte répond dorénavant bien plus à des lois biologiques. En témoignent les robots zoomorphes. De même, les villes que le joueur ou la joueuse découvre fourmillent de vie. Dans Nier : Automata, les robots ont bâti des organisations sociales variées (allant de la monarchie jusqu’à des organisations totalement horizontales). Enfin, dans Breath Of The Wild, chacun des peuples rencontrés s’est accommodé de la bombe nucléaire qu’est Ganon. La vie continue et se reconstruit.

Chacun de ces jeux sont des occasions pour le joueur ou la joueuse d’explorer des mondes ayant survécu à la guerre ou la destruction. On retrouve alors des paysages plus ou moins marqués. Le plus flagrant exemple qui me revient au moment où j’écris ce texte est le champ de bataille dans la région de Necluda dans Breath Of The Wild. Les gardiens jonchant le sol sont littéralement des métaphores d’anciennes mines antipersonnelles prêtes à se déclencher dès qu’une personne s’en approche trop.

C’est dans ces univers que vient le thème de la robinsonnade : le joueur ou la joueuse œuvre plus ou moins à la reconstruction. Arrivé dans un monde qui lui est plus ou moins inconnu, il lui incombe la tâche de rebâtir ce qui ressemble à une ou des sociétés (ou assimilés à des traits sociétaux : technologies, paix, etc.). Dans Horizon Zero Dawn, Aloy redécouvre des technologies anciennes. Dans Nier : Automata, il est bien plus question de reproduire les systèmes organisationnels. Enfin, la perte de mémoire de Link est un prétexte à découvrir un monde qui se reconstruit et qui soigne ses blessures. C’est donc dans ce genre que j’inscris ces trois jeux : celui de la robinsonnade postapocalyptique. Les mondes ont déjà été le berceau de sociétés mais par un événement particulier et destructeur, nous explorons donc « l’après » et participons plus ou moins à l’organisation de ce nouveau monde. Les enjeux ne sont d’ailleurs pas partagés par tous joueurs et personnages non-joueurs. Dans Breath Of The Wild, finalement très peu de personnages s’intéressent fondamentalement à la lutte contre Ganon : la guerre et la destruction sont déjà passées. Dans Horizon, les enjeux se resserrent sur des crises politiques et ce, malgré la menace d’HADES (une entité cybernétique contrôlant dans l’ombre les machines mais aussi certaines organisations humaines).

Les robinsonnades postapocalyptiques se caractérisent par cette absence d’immédiateté. Nous arrivons trop tard pour sauver le monde. Nous œuvrons plutôt au maintien de son nouvel équilibre. Nous sommes alors libres de tout impératif pour explorer et apprendre de ces mondes, véritables miroirs du notre.

Esteban Grine, 2018.

Jouer même lorsqu’il faut tout apprendre – Breath Of The Wild X Odyssey

S’épanouir dans Breath of the Wild et Super Mario Odyssey quand il faut encore tout apprendre

Chaque Noël est l’occasion pour moi de mesurer l’accessibilité fondamentale de plusieurs jeux vidéos, les adultes très peu habitués au maniement d’une manette s’essayant aux jeux de leurs enfants. Cette année, une Switch, Zelda Breath of the Wild et Super Mario Odyssey sont sous le sapin. Ma tante novice les essaie tous les deux.

Premier point, les premières minutes de jeu sont frustrantes quel que soit le jeu : Mario et Zelda nécessitent tous deux une coordination mouvement/action immédiate. Cette frustration se dissipe cependant très rapidement avec Mario : le motion control, plus intuitif, permet de ne se focaliser que sur un bouton en plus du joystick (le bouton de saut).

Zelda au contraire nécessite immédiatement l’utilisation d’un arsenal d’actions différenciées délicates à manier, et demande très rapidement un maniement coordonné de la majorité des boutons de la manette. Cependant, il est toujours possible de fuir lors d’une situation difficile, et aucun obstacle n’interdit de se déplacer ou d’aller voir ailleurs. Cette flexibilité, bien qu’existante, est différente dans le cas de Mario qui fonctionne avec des palliers de boss à battre et un level design orienté de manière utilitaire.

Les deux jeux accordent une liberté certaine dans la manière dont le ou la joueur·se appréhendera le plateau du prélude dans Zelda et les premiers mondes de Super Mario Odyssey. Breath of the Wild propose de comprendre les interactions possibles avec son environnement d’une manière certes empirique mais nécessitant la compréhension d’un nombre important d’actions spécialisées, tandis que Mario n’en propose que deux: lancer son chapeau et sauter. Tout·e joueur·se est théoriquement capable d’accéder à la totalité des premiers mondes après quelques minutes d’apprentissage : Toutes les zones sont accessibles sans utiliser de sauts complexes.   

Voir l’entrée dans le monde du jeu comme une phase d’épanouissement plutôt que de frustration

Dans le cas de Breath of the Wild, outre l’absence d’obstacles incontournables, une importante expérience contemplative est proposée pour qui ne parviendrait pas à manipuler correctement cet arsenal d’action. Un jeu secondaire est présent sous la couche tutoriel du plateau du prélude, un jeu permettant de s’écarter de la lourdeur de l’arsenal d’actions et de simplement profiter du paysage. C’est une couche de jeu essentielle pour les nouv·eaux·elles joueur·ses, qui trouveront dans cette pratique une manière de faire leurs marques et de s’habituer au maniement complexe des deux joysticks.

Voila deux rapports à l’accessibilité différents pour deux jeux phares d’une console grand public.

Mécaniques complémentaires et mécaniques additionnées

En outre, maîtriser les mécaniques de Zelda Breath of the Wild consiste à coordonner de nombreuses actions contextuelles et leurs combinaisons, tandis que Mario permet, à partir de deux actions, de construire des actions nouvelles à la manière d’un puzzle dont les pièces seraient l’ordre et le rythme dans lesquelles chacune des actions de base sont employées.   

Le large panel d’actions de Mario se découvre au fur et à mesure que l’on maîtrise ses subtilités : On n’est jamais submergé sous le nombre d’actions immédiatement disponibles, puisque les actions auxiliaires ne se découvrent que lorsque l’on maîtrise les actions de base.   Outre tout cela, Zelda dispose d’un plafond de maîtrise étonnamment bas au vu de son arsenal d’actions étendu. On peut expliquer cela par la contextualité de ses mécaniques : elles se complètent mais ne s’additionnent pas. De son côté, le plafond de maîtrise de Mario est extraordinairement haut, ce qui peut paraître aussi étonnant à la vue du faible nombre de ses actions de base, cela peut cependant s’expliquer par l’universalité de ses mécaniques, qui s’additionnent parfaitement.   

Un level design inclusif

On peut voir en quoi les deux jeux parviennent à promettre une bonne accessibilité fondamentale : pour un·e tout·e nouveau·lle joueur·se, il est possible de se promener et de profiter du paysage le temps de prendre ses marques dans Breath of the Wild, tandis que la prise en main formidablement simple de Mario et l’accessibilité de son level design permet de se confronter immédiatement à ses obstacles. Il offre la possibilité de découvrir les contrôles si particuliers de la manette tout en parcourant simplement les premiers mondes.

En fin de compte, ma tante s’amuse beaucoup sur les deux jeux, et c’est peut être le plus important. ■

Baptiste Sibony, Les Chroniques du Désert Rouge, 2017.