Elles étaient pourtant vertes, ces collines.

Afin de pallier mon envie de me replonger dans l’univers de Spyro le dragon avec son remake à peine sorti, j’ai décidé de refaire le tout premier épisode de la trilogie initiale. J’ai aimé Spyro. J’ai aimé ce personnage, ses niveaux et ses univers. Pourtant, en relançant le jeu, ma nostalgie s’est heurtée à l’épreuve du temps : comment se fait-il que ce jeu de mon enfance soit si triste et si terne ?

Ce n’est pas lui qui a changé, c’est sûr. C’est mon regard et ma compétence de joueur. C’est aussi l’environnement technologique qui a évolué. Comment considérer la première itération du dragon encore chatoyante alors que l’an passé est sorti le merveilleux remake de Ratchet & Clank ?

Il y a une déconnexion entre mon souvenir du jeu et le jeu tel qu’il est réellement. J’avais une discussion avec un ami et durant cet échange, nous questionnions la pertinence de proposer un remake quand le jeu d’origine est toujours « fluide, fun, beau, coloré, etc. ». Si aujourd’hui je devais formuler une réponse, je dirais que les remakes existent pour qu’une structure de jeu corresponde aux souvenirs que nous avons (ou l’inverse). Lorsque j’ai repris Spyro, sur émulation, je suis entré dans cette vallée de l’étrange. Les mondes ne sont plus si beaux que ça. L’enjeu central du jeu est résumé très succinctement dans un des niveaux du monde des pacifiques entre un dragon délivré et le protagoniste :

Gunnar : Bien joué Spyro, continue comme ça et je suis certain que tu accompliras ton destin !

Spyro : Mon destin ? Je veux juste leur botter…

Gunnar : Débarrasse-toi des ennemis et récupère des joyaux.

Une lecture bête et méchante résumerait l’histoire en énonçant que Spyro est simplement un huissier chargé par les dragons de récupérer les joyaux que Gnasty Gnorc a dérobés. Le récit (enchâssé) est quelque chose que j’avais finalement oublié. Sa redécouverte fut déceptive et décevante. Lorsque j’ai rejoué au jeu, en 2018, je me suis rendu compte que les lignes de dialogues, hormis pour leur qualité didactique, sont très pauvres. C’était un détail oublié dans mes souvenirs.

Je n’ai même pas parlé du gameplay du jeu qui dans mes mémoires semblait parfait : comment se fait-il que manette en main, j’éprouve des difficultés à me mouvoir ? J’applique ici l’hypothèse suivante : il est très difficile de se remémorer le gameplay effectif et réel d’un jeu. De fait, nos souvenirs occultent certains pans (pour mon cas, c’était par exemple la manipulation exécrable de la caméra avec R2 et L2) ou les bonifient (je ne me souvenais pas par exemple des imprécisions des déplacements). Encore une fois, c’est cette déconnexion entre mon souvenir est l’expérience récente que j’ai du jeu qui m’a fait prendre de la distance par rapport au jeu.

Les remakes semblent alors être une réponse à la question posée plus haut. Si les souvenirs restent intemporels (car nous les réactualisons en prenant en compte certaines évolutions technologiques, sociales, etc.), les objets restent ancrés dans leur époque. Les remakes sont alors des outils permettant de réaligner une structure de jeu sur nos souvenirs. ■

Esteban Grine, 2018.

(Epilogue : je vais me jeter en effet sur le remake de Spyro)


Spyro The Dragon (Insomniac Games, 1998)

Spyro Reignited Trilogy (Toys For Bob, 2018)

Lancement du Premier Recueil sur LCV !

Et dès que j’eus reconnu le goût du morceau de madeleine trempé dans le tilleul que me donnait ma tante (quoique je ne susse pas encore et dusse remettre à bien plus tard de découvrir pourquoi ce souvenir me rendait si heureux), aussitôt la vieille maison grise sur la rue, où était sa chambre, vint comme un décor de théâtre s’appliquer au petit pavillon, donnant sur le jardin, qu’on avait construit pour mes parents sur ses derrières (ce pan tronqué que seul j’avais revu jusque là) ; et avec la maison, la ville, depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, la Place où on m’envoyait avant déjeuner, les rues où j’allais faire des courses, les chemins qu’on prenait si le temps était beau.

PROUST Marcel, Du côté de chez Swann, GF Flammarion, Paris, 1987, p. 140-145

Souvenirs Heureux et Madeleines Vidéoludiques – Recueil #1

Lorsque Nathan Drake (Uncharted 4) dépose le dossier d’une épave assis à son bureau dans son grenier, les joueurs peuvent ressentir une certaine nostalgie exprimé par ce personnage. Cette nostalgie fait référence aux souvenirs qu’il a de ses aventures passées. En se levant, les joueuses et joueurs peuvent alors contrôler Nathan et explorer son grenier. On peut interagir avec des objets qui se trouvent être des secrets des précédents opus de la série. Le message est ici très clair. Le game design aligne les souvenirs de Nathan avec ceux du joueur. On retrouve dans cette séquence ce qu’a pu ressentir Proust en croquant dans ses si célèbres madeleines​ : un objet, de la vie, déclenche avec émotion un souvenir d’un moment vécu. Ce qui nous intéresse avec cette séquence d’Uncharted, c’est la façon dont les développeurs se sont saisi de ce moment pour illustrer le souvenir d’expériences vidéoludiques passées. Le premier objet que l’on peut ramasser dans ce grenier est une pièce en or, la même pièce que le joueur trouve dans la première aventure de Nathan Drake. Mieux, il s’agit du premier secret à découvrir du jeu.

Le lien que suscite le jeu est alors extrêmement fort. En alignant les souvenirs de Drake à ceux des joueurs, au bon moment, le game design suscite immédiatement une relation très fort entre le joueur, son avatar et les aventures communes, vécues ensemble. Mais ce n’est pas tout, lorsque le joueur saisi les différents objets, il ressent alors lui-aussi cette nostalgie d’un moment heureux passé. C’est avec ce type d’exemples que l’on peut rapprocher ou plutôt intégrer le game design dans la grande famille de l’emotion design (pour reprendre la pensée de Miguel Sicart). Ce sont ces émotions à propos des souvenirs qui nous intéresseront dans ce premier appel à contribution pour la Revue LCV.

Nous nous intéressons donc ici aux souvenirs que nous avons de nos expériences vidéoludiques passées et à ce qui, aujourd’hui, nous rappelle ces souvenirs. Comment nous remémorons-nous ces souvenirs heureux ou malheureux autour des jeux vidéo et quels sont justement ces souvenirs ? Sont-ils attachés à une odeur ? Des personnes ? Une période particulière de la vie ? Qu’est ce que cela signifie d’ailleurs pour le joueur de se « souvenir d’un moment vécu lors d’un jeu vidéo » ? En lançant cet appel, nous souhaitons recueillir des témoignages sur les souvenirs vidéoludiques. Quels sont les jeux de votre enfance ? Pourquoi ceux-là plutôt que d’autres ? Y-a-t’il une figure familiale qui vous a fait découvrir le jeu vidéo ? Etes-vous capable de traduire à l’écrit l’émerveillement ressenti devant votre premier jeu vidéo ?

LCV souhaite en apprendre plus sur les joueuses et joueurs qui répondront à ce premier recueil et sur les relations qu’ils et elles entretiennent avec ce média. Tout participant devra alors proposer un témoignage écrit. Celui-ci, pour répondre à l’appel, doit intégrer des éléments de réponses à au moins l’un des axes suivants :

  1. Les jeux vidéo de votre enfance : lequel ou lesquels ont-ils été ? Pourquoi ce(s) jeu(x) précisément ? votre relation avec celui-ci / ceux-ci ? Était-ce un bon jeu ou plutôt un mauvais jeu ? Était-ce vous qui y jouiez ou quelqu’un de votre entourage ? Est-ce qu’ils vous ont transformé-e ? Aujourd’hui, comment estimez-vous l’impact de ces sessions sur votre vie ?
  2. Le souvenir vidéoludique : comment le définir ? S’agit-il de se remémorer une session de jeu ? Faut-il intégrer le contexte ? S’agit-il d’un souvenir qui peut être partagé ?
  3. Les madeleines : en 2017, quels sont les objets, les contextes et les moments qui nous rappellent nos expériences vidéoludiques passées ?  S’agit-il de reprendre une vieille manette ou faut-il aujourd’hui regarder un Let’s Play sur internet pour se remémorer ?

Règles applicables aux contributions

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    • 2017. Titre de l’article
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Échéances

  • 15 Mars 2017 : Début de l’Appel à Contribution.
  • 15 Juin 2017 à 23h59 : clôture de l’Appel à Contribution (toute contribution transmise après ce délai seront automatiquement rejetée, les courriels ne seront pas ouverts).
  • 5 Juillet 2017 : Remise des avis du jury.
  • 10 Juillet 2017 : Publication des Témoignages sur le site LCV et publication des avis du jury.
  • Les Contributions doivent être transmises à l’adresse mail suivante : chroniquesvideoludiques [ a ] gmail . com.

Règles de sélection des Contributions

  • Le jury qui sélectionnera les meilleurs témoignages est le suivant :
    • Julie Delbouille, doctorante
    • Julien Bazile, doctorant
    • Guillaume Grandjean, doctorant
  • Méthode de sélection des meilleurs témoignages :
    • Les meilleurs témoignages seront sélectionnés en fonction de la qualité de l’écriture, de l’organisation du texte, de la syntaxe, du vocabulaire, du respect général des consignes et des axes de développement. Une grille critériée sera envoyée aux membres du jury afin de les aider dans leurs choix puis celle-ci sera publiée sur le site pour assurer la transparence de la sélection.
  • Les lots :
    • Plein de jeux sont à gagner dont : The Witness, The Stanley Parable, Day of the Tentacles, Octodad, Super Hexagon, VVVVVV, Guacamelee, 2064 : Read Only Memories, Human Ressource Machine, etc. (environ une trentaine de jeux au total).