Quelle vérité peut contenir un jeu vidéo ?

La question « quelle vérité peut contenir un jeu vidéo ? » peut, à première vue, sembler naïve voire abstraite. Pourtant, la récente sortie de Kingdom Come : Deliverance et de Farcry 5 nous pousse à nous interroger sur ce pouvoir mystérieux, volontairement attribué à toute œuvre culturelle, que posséderaient les jeux vidéo. Dans le cas de Kingdom Come : Deliverance, ses auteurs lui attribuent une valeur dans le sens où ce jeu est censé représenter une réalité historique. Il y a donc bien cette idée de « vérité » potentiellement contenue. Cependant, les débats que sa sortie a engendrés ont questionné quelque chose d’autrement plus complexe qu’est la réalité historique. Critiqué pour les biais racistes de ses auteurs, on peut en effet se demander, au-delà du plaisir ludique de jouer à ce jeu, s’il est bien question d’une vérité contenue par le titre. Dans le cas de Farcry 5¸il s’agit d’une toute autre histoire. D’abord présenté comme une critique de l’extrémisme conservateur et raciste étasunien, le jeu a fait réagir des communautés suprémacistes blanches, ce qui a poussé Ubisoft à faire patte blanche en retirant tout discours potentiellement politique contenu dans son jeu. Dans ce cas, les possibles vérités contenues dans le jeu ont fait que des communautés d’interprétation ont pris peur.

Les deux cas que je viens d’évoquer sont révélateurs d’une discussion récurrente autant au sein des recherches sur les média et game studies qu’à l’extérieure entre les différentes communautés pratiquantes. Si la question pouvait sembler naïve, voilà maintenant une perspective intéressante. D’un côté nous avons un jeu qui finalement prend plutôt position pour défendre une représentation de l’histoire, il est donc difficile de parler de « vérité ». De l’autre, nous avons un jeu qui parce qu’il pouvait contenir une vérité a autant effrayé un groupe social que ses créateurs. « Est-ce qu’un jeu vidéo peut contenir une vérité ? » reste donc une question entière. Et si arrêter sa réflexion ici peut satisfaire le Stéphane Bern du jeu vidéo, il reste malgré tout de nombreuses choses à révéler.

Tout d’abord, il est important de qualifier ce que l’on entend par vérité car finalement, lorsque l’on y réfléchie bien, je n’ai encore rien dit qui mérite d’y prêter une oreille attentive. C’est donc à partir de ce moment que les choses sérieuses vont commencer.

Une première chose à noter est que la question, telle qu’elle est actuellement ne définit pas ce que l’on entend par vérité. Cela ne situe pas non plus l’ancrage théorique sur lequel nous appuyons cette définition. Par exemple, un jeu vidéo contient obligatoirement une vérité de manière absolue : celle de représenter fidèlement son code par des procédés graphiques et techniques. En tant que logiciel informatique, le jeu contient obligatoire une vérité : celle d’une machine qui parvient à traduire un code en assets, gameplay, etc. La vérité, au niveau informatique, est donc assimilée à une lecture et une application fidèle du code par la machine. Lorsqu’une erreur de lecture apparait, soit le jeu ne peut fonctionner, soit la vérité que son code contient ne peut être comprise par la machine. Le problème se situe alors, non pas en ce que l’objet contient, mais au niveau de l’interprétation et de la traduction du code.

De manière absolue, tout jeu fonctionnel contient une vérité informatique mais on peut jouer encore plus finement lorsque l’on pense les jeux vidéo comme des logiciels. Pour l’instant, je n’ai fait que l’hypothèse d’une vérité en relation avec le monde en dehors du jeu. Cependant, on peut très bien supposer que le jeu peut contenir une vérité par rapport à lui-même. Undertale¸ qui est certes une expérience cryptique et autonome de gauche, contient de nombreuses vérités que n’en seraient pas si l’on sortait de sa diégèse. Le jeu commence par des éléments de récit nous expliquant que les monstres ont été enfermés sous terre suite à leur défaite et en effet, nous rencontrons ces monstres dans ce monde sous-terrain. Parce que le jeu est un système cohérent d’une multitude d’énoncés, alors il contient de nombreuses vérités.

Cependant, il ne s’agit peut-être pas de cette vérité à laquelle les gens font référence lorsqu’ils et elles se posent cette question. Du coup, il convient alors de changer notre angle de vue pour délaisser le jeu vidéo observé comme un programme informatique ou un système cohérent pour cette fois le considérer comme une œuvre, une création issue d’un être humain. A ce moment, nous entrons donc dans le domaine du jeu vidéo pensé comme une fiction. Le terme est suffisamment parlant pour tout de suite piquer l’oreille : une œuvre de fiction peut-elle contenir une vérité ? Probablement, je ne pense pas avoir à démontrer cela. Si l’on suppose qu’une vérité se définit comme une correspondance entre un énoncé et la chose réelle qu’est censé contenir l’énoncé, alors, on peut accepter l’idée de vérité dans toute œuvre de fiction. Si j’observe que le ciel est bleu dans Call Of Duty alors je peux supposer qu’il y a bien une correspondance avec la chose réelle : nous avons effectivement aujourd’hui un ciel bleu. Dans Night In The Wood¸ le joueur voit des personnages représentant plus ou moins partiellement des réalités sociales étasuniennes. On apprend à un moment que la famille Borowski a obtenu un « crédit subprime ». Etant de « mauvais payeurs », leur maison est potentiellement la propriété de leur banque. Cette fiction correspond partiellement à une réalité : celle de nombreuses familles étasuniennes lors de la crise économique de 2008. Dans ces deux cas, le jeu vidéo contient au moins une vérité, plus ou moins partielle puisque celle-ci n’est pas mathématique mais correspond d’une manière plus ou moins aboutie à des phénomènes réels et issus d’expériences de vie. Ces vérités ne sont d’ailleurs pas forcément liées à des représentations « réalistes ». Les jeux sont des métaphores en acte disait Henriot ou des allégorithmes selon McKenzie Wark, c’est-à-dire des allégories générées par du code informatique. Bound représente particulièrement bien cela. Sous ses airs de conte de fée – nous avons tous les personnages nécessaires : une reine, une princesse, un héros et un monstre – le jeu décrit les relations complexes d’une famille plus que fragile. On y incarne une personne dont le seul refuge pour se protéger de tout est la dance, son havre de paix intérieure. Sous forme de métaphore, nous avons là encore une vérité, quelque chose qui correspond à une réalité. Une réalité finalement très personnelle, très individuelle comme un témoignage.

A partir de ce moment, on peut commencer à amener un élément de réflexion en comparant Night in the wound, Bound, Kingdome Come et Farcry 5. Le jeu vidéo semble pouvoir aisément contenir une multitude de vérités au niveau des individus, à propos d’enjeux concernant une personne ancrée dans sa réalité. Cependant, il apparait complexe de pouvoir prétendre à autre autre chose. Night in the wood reflète cela. C’est un jeu qui ne contient que des situations véritables à l’échelle des individus, rien de plus. Là où il devient important de se méfier, c’est finalement lorsqu’un jeu prétend contenir des vérités à l’échelle d’un pays ou de l’Histoire. Finalement, en disant ces propos, je réinvente plus ou moins la roue en appliquant une réflexion constructiviste à ce média : les jeux vidéo sont des œuvres de fiction. Comme ce sont des œuvres, elles contiennent les représentations que leurs auteurs ont de la réalité. Il ne s’agit donc pas de vérités mais seulement de ce que certains pensent être des vérités.

Ainsi, lorsque la question « quelle vérité contient le jeu vidéo » est posée, il s’agit principalement d’une question d’échelle. Le jeu vidéo a plus de chance de contenir des vérités à hauteur d’individus que des vérités à l’échelle de l’humanité ou de son Histoire. Cependant, il apparait qu’une dernière question subsiste : « quelle vérité contient le jeu vidéo » peut aussi être reformulée de la façon suivante : « est-ce qu’il est possible de faire tenir le jeu vidéo dans une seule et unique vérité » A cela, je répondrais qu’il faudrait d’abord supposer que le jeu vidéo, en tant qu’idée, existe, ce qui n’est pas quelque chose de nécessaire ou d’important. On peut cependant toujours se poser la question. On ne trouve pas toujours, mais il importe de chercher.

Esteban Grine, 2018.

Le joueur, un auteur comme un autre ? Post Mortem d’un article à 20 mains

L’auteur de jeu vidéo est mort, vive l’auteur.

Je prends enfin le temps de rédiger sur une expérience de recherche que j’ai vécu et terminé au tout début du mois de mars. Si j’ai mis autant de temps à partager à son sujet, c’est parce que je souhaitais être sûr que tout soit bouclé afin de pouvoir passer proprement à quelque chose d’autre. Cette expérience de recherche est liée à la publication d’un article dans le dernier numéro de la revue « Le Pardaillan ». Il s’agit de la première revue dans laquelle j’ai publié et pour son dernier numéro, il fallait proposer une réflexion autour du thème « signatures ». Sous-entendu, on pouvait interroger l’objet lui-même, le fait de signer mais on pouvait aussi pousser afin d’interroger plus généralement celui qui crée et laisse une trace de son acte sur sa création. La proposition de l’article s’est donc orientée vers cette problématique appliquée au jeu vidéo et plus précisément aux joueurs et joueuses.


Pour citer mon article :

Giner, E., Pannelay, J. et alii. (2018). Entre rouages mécaniques et créateurs organiques : signatures et citations de comportements vidéoludiques. Le Pardaillan (4). Paris : Les éditions de la Taupe Médite du centre international Michel Zevaco.


En effet, une discussion courante au sein des game studies et en dehors consiste dans la façon dont on répartit les rôles d’auteurs-créateurs entre les développeurs et les développeuses du jeu et les joueurs et les joueuses. S’il n’y a pas de consensus sur le sujet – tant mieux au final – il y a très sommairement deux positions opposées sur un même continuum. D’un côté, les procéduralistes tels que Juul s’attachent clairement au jeu vidéo comme un objet, un programme informatique. Dans son livre de 2016, Bogost va jusqu’au point d’extraire complétement la caractéristique et l’attitude ludique de l’être humain pour n’en faire qu’un élément composant les objets qui l’entoure. De l’autre, les personnes qui vont prendre en compte l’importance du joueur et dans la façon dont il attribue des propriétés ludiques à un objet quel qu’il soit. C’est le cas de Miguel Sicart par exemple qui en 2014 dans Play Matters présente les jeux vidéo comme des contextes dont des individus peuvent se saisir dans le but de jouer.


Pour soutenir la revue, vous pouvez acheter le numéro contenant mon article ici : http://lataupemedite.michelzevaco.com/index.php/catalogue-le-pardaillan/?&SingleProduct=15


Dans tous les cas, nous avons fait le choix de ne pas aborder cette discussion. Sans pour autant la critiquer, nous avons plutôt souhaité directement observer des phénomènes actés et observables qui se rapprochent de la citation ou de l’attribution d’une création ou d’une découverte. Sommairement, nous avons travaillé de manière exploratoire trois matériaux de recherches, trois terrains, trois phénomènes pour en extraire ce que l’on peut considérer comme des preuves attestant l’existence d’un auteur joueur. A l’issue d’une première partie posant un cadre théorique à ce que l’on peut considérer être un joueur-auteur (Heidenreich, 1989 ; Boisson, 2003 ; Marti, 2014) mais aussi comme un interprète proposant des performances scéniques (Frasca, 2001 ; George et Auray, 2011 ; Barnabé, 2014 ; Wagner, 2006 ; Mora, 2009 ; Verchere, 2013 ; Taylor, 2015), nous avons constitué un corpus exemplatoire provenant de l’e-sport, les plays extraordinaires (assimilant les joueurs à des comédiens faisant de nombreuses interprétations du fait de jouer) et les communautés de speedrunning. Nous concluons que si la théorie peut rester dans une discussion, notre approche par les usages constate des phénomènes irréfutables pour ce qui est de penser les joueurs comme des auteurs au sein de communautés de pratiques. Nous précisons cependant que si les joueurs ne sont pas les auteurs de récits, ils peuvent être considérés comme tel pour ce qui est des comportements, de techniques mais aussi lorsqu’il s’agit de découvertes partagées aboutissant à une meilleure compréhension du jeu en tant qu’objet informatique. Le statut de « découvreur » s’ajoute alors à celui d’auteur.

L’auteur de l’article est mort, vive l’auteur.

C’est là que vient l’idée d’organiser finalement une collaboration avec de nombreuses personnes pour rédiger cette publication. Pour cela, j’ai très vite sollicité Joël, coauteur de l’article pour ce qui est de l’organisation. Au final, ce que j’ai écrit précédemment dans ce billet n’est donc pas le fruit d’une réflexion personnelle. Il s’agit bien plus de l’aboutissement d’une réflexion collective et c’est ce que je vais maintenant évoquer car finalement, nous avons rencontré beaucoup de déconvenues mais aussi quelques moments de joie et de partage. Pour raconter cela, je vais  adopter une démarche chronologique des faits en remontant à septembre 2017.

Le choix de cette période n’est pas anonyme puisque c’est à cette période que j’ai obtenu la validation de la directrice de la revue, Luce Roudier, pour l’idée d’un article collaboratif pour le numéro (4) consacré aux signatures. Le fait d’avoir rédigé un article dans lequel il est impossible de savoir qui a écrit quoi et qui est finalement publié dans un numéro consacré à un constat de l’existence d’auteurs rend à l’ensemble un goût délicieusement méta qui n’est pas pour me déplaire. Donc, suite à l’acceptation de la proposition, j’ai contacté Joël courant octobre-novembre pour lui expliquer l’idée et mon besoin : gérer cela seul me semblait alors impossible compte-tenu de nombreuses autres échéances qui m’étaient imposées : communications en novembre, en décembre et des papiers à envoyer pour janvier.

Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur l’organisation avec Joël – nous avons même fait un rétro planning – le projet est un peu tombé à plat entre octobre et décembre. Nous avions planifié de lancer un appel à participations fin novembre, celui-ci a été publié début janvier. Globalement, nous avons pris du retard à ce moment. Malgré tout, l’appel à participations a quand même été un succès puisque huit personnes se sont greffées au projet et ce, avec des profils extrêmement variés. Nous avons recruté des chercheurs déjà en poste, une masterante, un salarié dans le privé, un futur doctorant, une étudiante de licence et deux étudiants de collège et lycée. En termes de formation à la recherche par la recherche, j’ai l’impression d’avoir fait de ce projet quelque chose qui s’y rapproche.

Tout cela nous amène donc à janvier, mois durant lesquels l’équipe devait se rencontrer afin de discuter et échanger en direct sur les pistes que devait prendre à l’article. Pour rappel, en janvier, rien de ce que j’ai résumé dans la première partie de ce billet n’était pensé, construit ou évoqué : une page blanche totale. Pour nous organiser, j’ai donc crée un serveur discord sur lequel toute l’équipe pouvait discuter en direct soit par écrit, soit par vocal. La première rencontre (le deuxième dimanche de janvier) synchrone a clairement été un échec total et absolu, comme la seconde tentative le dimanche suivante et la troisième tentative. Finalement, le mois de janvier s’est résumé à cela. Il apparait que le travail synchrone est très complexe à mener voire impossible lorsque nous sommes dix avec des contraintes d’agenda : difficile de pouvoir connecter en même temps un collégien avec un chercheur. Notre équipe comprenait tout de même des personnes  dont les âges variaient entre 14 ans et plus de 30 ans.

Du coup, début février, nous avons dû avec Joël changer de mode opératoire afin que le projet ne reste pas totalement enlisé dans l’inaction. Si au début, on souhaitait une certaine horizontalité de la chose, j’ai dû finalement attribué à chacun un rôle et des sujets sur lesquels il fallait rédiger. Pour cela, j’ai dû prendre en compte les compétences de chacun. Joël et moi étions principalement chargés de l’introduction, des transitions et de la conclusion. A partir de ce moment, les échanges ont uniquement transité par discord en asynchrone. Si nous avions eu plus de temps dès le début, alors nous aurions pu avoir une organisation plus horizontale. Malheureusement, l’échéance arrivant au 1er mars, il a fallu accélérer les choses. J’avais donné le 20 février comme échéance pour que les textes nous soient remontés. Nous les avons finalement reçus autour du 23 ce qui nous laissa alors cinq petits jours pour faire les corrections, les mises à jour, les raccords, etc. Cela a été pour moi 5 journées éprouvantes. C’est aussi à ce moment que je remarquai avoir commis des erreurs. La plus grosse faute qui m’est imputable et que j’ai fait une demande à un auteur et sa contribution n’a quasiment pas été utilisée dans le document finale. Ayant la tête dans le guidon, je n’étais même plus capable de remarquer les quelques phrases que j’ai pu récupérer de son travail (qui devait faire une page et demi). La deuxième erreur que j’ai commise et que lors de la correction finale avant l’envoie à Luce, j’ai désactivé les droits de modification du document collaboratif contenant la dernière version du papier. Cela a coupé l’élan de certains auteurs qui était en train de corriger.

Il est certain que j’oublie des choses à propos de cette façon de travailler et d’aboutir à un document que je considère scientifique, même si nous pourrions discuter de cela. Il est tout aussi certains que je n’ai pas pu assurer le rôle que j’envisageais véritablement : entre déconvenues, absences et manquements, je n’ai clairement pas assuré à 100% le rôle d’auteur principal et de coordination. C’est quelque chose de finalement très complexe qui mériterait probablement une autre forme d’organisation. Si c’était à refaire, je privilégierais le format d’une jam pour ce genre de production à l’avenir. Quitte à créer des contraintes autant que celle-ci soit prennent une forme temporelle, thématique et toujours, évidemment, collaborative. Peut-être aussi que le travail en présentiel semble être une réponse à de nombreuses critiques qui pourraient être adressées à notre groupe de travail. Cela pourrait être intéressant, pourquoi pas, de tester par exemple des méthodes dignes de l’OULIPO. Un regret que j’exprime est de ne pas avoir pu travailler à un moment dans le temps, tous ensemble, sur un même document. C’est quelque chose que j’aimerai voir et vivre un jour, d’où l’envie de travailler sur un article en instaurant des conditions de jam – et pourquoi pas toute une revue ? ■

Esteban Grine, 2018.


Bibliographie de l’article publié dans Le Pardaillan

  • Amato, E., A., Pereny, E . (2011). « Audiovisuel interactif », Communications, volume 88, numéro 1, pp. 29 – 36.
  • Barnabé, F.​ (2014). Le speedrun: pratique compétitive, ludique ou créative? Trajectoire d’un détournement de jeu vidéo institué en nouveau game. Culture Numérique.
  • Besombes, N. (2016). Les jeux vidéo compétitifs au prisme des jeux sportifs : du sport au sport électronique. Sciences du jeu, (5).
  • Boisson, M. (s. d.). L’homme qui parle, paradigme de l’écrivain. Editions Le Manuscrit.
  • Caillois, Roger (1967) [1958]. Les jeux et les hommes. Paris : Gallimard.
  • Clark, Joseph (2007). “How America’s Army Works” HowStuffWorks.com, [en ligne] https://electronics.howstuffworks.com/americas-army2.htm
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  • Cayatte, R. (2018). « Temps de la chose-racontée et temps du récit vidéoludique : comment le jeu vidéo raconte ? ». Sciences du jeu, n°9. À paraître.
  • Delappe, Joseph (2006-2011). “dead-in-iraq”, Joseph Delappe, [en ligne] http://www.delappe.net/project/dead-in-iraq/
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  • Witkowski, E. (2012). On the Digital Playing Field: How We “Do Sport” With Networked Computer Games. Games and Culture, 7(5), 349–374.

Ce que les isekais disent des jeux vidéo

Figure 1 : Un lapin à corne, premier ennemi des vrmmo.

Depuis quelques temps, je concentre ma lecture de mangas sur le genre de l’isekai. Il s’agit d’un sous-genre de la bande dessinée d’aventure qui base ses ressorts scénaristiques sur les jeux vidéo de rôle. Dès lors, le point de départ de ces aventures est généralement le fait qu’un ou une joueuse achète un jeu du genre des vrmmo (des jeux massivement multijoueurs en réalité virtuelle) et  l’on va suivre progressivement ses péripéties comme c’est le cas dans Only Sense Online. Un deuxième ressort est d’amener pour une raison ou une autre le fait que ce joueur ou cette joueuse se retrouve bloqué·e. C’est le cas dans sword Art Online. Un autre ressort scénaristique est de transférer le personnage principal d’un monde à un autre, soit parce qu’il a été invoqué comme dans le cas de Tate no Yūsha no Nariagari, Konjiki no Word Master ou encore Overlord soit parce qu’il est décédé dans son monde originel comme dans Re : Monster et Kono Subarashii[1]. Je pourrais encore continuer en mentionnant d’autres œuvres, je pense par exemple au manwa ½ Prince. A partir de ce corpus d’œuvres, je souhaite mettre en exergue la façon dont ces objets représentent les jeux vidéo et ainsi que les intéractions entre les joueurs et les règles de gameplay.

Figure 2 : Le lapin à corne est étrangement une créature récurrente de l’isekai.

L’une des premières choses qui m’a frappé lors de la lecture de ces mangas est la façon dont le héros est présenté comme ayant des compétences cheatées. Il y a dès le début de ces récits un déséquilibre fondamental lorsque l’histoire se prétend sérieuse. A l’inverse, l’absence de compétence particulière rendant le héros atypique peut devenir un ressort humoristique comme c’est le cas dans Konosuba. Globalement, l’ensemble des personnages principaux sont présentés avec des compétences qui déséquilibrent l’intégralité des interactions. Dans Konjiki no Word Master, Okamura Hiiro (qui fait référence au mot anglais « hero », yuusha en japonais) possède le pouvoir de matérialiser tout ce qu’il écrit à la pointe de ses doigts. Après l’une des premières utilisations qu’il fait de son pouvoir, il conclut lui-même qu’il s’agit d’une forme de triche (figure 2).

Figure 3 : Hiiro à propos de son propre pouvoir.

Dans Overlord aussi le personnage principal est présenté comme un joueur expérimenté lui donnant un avantage conséquent par rapport aux autres personnages. De même, dans Re : Monster, celui qui devient central à l’intrigue, Tomokui Kanata, se présente au lecteur comme étant quelqu’un ayant déjà une compétence cheatée dans son monde d’origine (à savoir l’acquisition de caractéristiques propres à celui ou celle qu’il dévore). Si au début cela n’aboutit pas à la mise en place d’un écart entre lui et le reste des protagonistes, cela va très vite devenir un élément distinctif.

Figure 4 : Kanata s’adressant directement au lecteur pour expliquer un élément scénaristique.

Ainsi dans ces cas, le grinding n’est pas forcément quelque chose d’important. A l’instar d’autres mangas, comme One Piece[2]¸il ne s’agit pas d’une étape intéressante à illustrer : il est plus important de se concentrer sur les faits d’armes des personnages. Cela peut très bien se comprendre d’un point de vue du rythme de l’œuvre mais aussi des émotions que les auteurs et autrices veulent susciter. Dans le cadre des isekai, les émotions recherchées semblent être clairement les sentiments galvanisants liés au dépassement de l’individu sur ce qui l’entoure. Pourtant, il ne s’agit pas d’associer cette galvanisation à celle que l’on peut ressentir dans les nekketsu tels que Naruto ou Bleach.

Il est intéressant d’observer à ce moment un premier lien direct avec les jeux vidéo qui est la compréhension des mécaniques de gameplay. Les isekais se concentrent énormément sur de nombreuses explications. Celles-ci sont généralement transmises par le personnage principal dans de nombreux monologues. C’est quelque chose de particulièrement frappant dans Toaru Ossan No Vrmmo Katsudouki. Dans ce light novel adapté en manga, le personnage principal dont l’avatar est nommé Earth s’adresse régulièrement au lecteur afin d’expliquer directement les règles du jeu.

Figure 6 : L’explication de Earth 2/2.
Figure 5 : L’explication de Earth 1/2.

Cela relève alors de la métalepse, c’est-à-dire de l’information extra-diégétique, dans un jeu vidéo se trouve formalisé sous la forme d’un aparté directement adressée au lecteur dans une bande dessinée. J’en observe deux dans les isekais. (1) Les métalepses adressées aux personnages de la fiction comme dans Re : Monster où le personnage principal entend une voix dans sa tête ou comme dans Konjiki no Word Master où des interfaces de gestions et de didacticiels apparaissent lorsqu’elles sont invoquées par les personnages et (2) les métalepses directement adressées aux lecteurs et qui sont extra-diégétiques à la fiction contrairement aux premières.

Figure 7 : la voix interne de Rou lui annonçant avoir acquis un objet.
Figure 8 : konjiki No Word Master et son système de métalepses à l’intérieur du récit.

Dans les deux cas, il y a une forme de contrat entre le lecteur et l’auteur pour considérer cela comme faisant partie de la fiction : le héros s’adresse directement au lecteur en l’intégrant dans la fiction bien que simultanément, il y ait bien un mouvement depuis le récit vers ce qui n’en relève pas : le lecteur. Les mangas emploient très fréquemment ce type de méthodes pour faire de l’exposition. Il ne s’agit donc pas de quelque chose de propre à l’isekai mais je relève surtout ici que ce qui relève de moments extra-diégétiques actés par la machine devient une adresse directe au lecteur. Le didacticiel d’un jeu n’est alors qu’une explication ou l’exposition de ce que le ou la personnage principale comprend du monde qui l’entoure.

Dès lors, ce qui est mis en exergue dans ces œuvres n’est ni la mise en scène, ni les rencontres avec des opposants toujours plus puissants. Au contraire, c’est fondamentalement la compréhension et la préparation des combats en amont qui sont ici valorisées et ce, dans une tradition proche des écrits de Sun Tzu dans l’art de la guerre.

On s’aperçoit que de nombreux récits font un parallèle entre les classes de personnages et les classes sociales en encastrant ces premières dans des considérations sociales. En effet, on retrouve cela par exemple dans Only Sense Online lorsque Yun, le grand frère peu joueur incarnant une crafteuse[3], se fait critiqué par sa petite sœur, joueuse régulière, pour le choix de son build (ses compétences).

 

Figure 9 : Yun se faisant critiquée par sa soeur.

Dans Tate No Yuusha No Nariagari, le personnage principal comprend son désavantage lorsque personne ne décide de le rejoindre pour l’accompagner dans ses aventures. Dans les lectures que j’ai à ce jour, les personnages principaux choisissent des classes et des compétences qui sont globalement en retrait par rapport aux canons plutôt guerriers valorisés par les joueurs. C’est là pour un moi un point particulièrement flagrant des isekais : ils soutiennent l’idée que le plaisir de jeu acté ou observé provient de la compréhension, de la combinaison et de la manipulation des règles.

Figure 10 : le désavantage observé par le Héro au bouclier.

L’enjeu n’est alors pas d’observer des combats entre joueurs mais de lire la façon dont un joueur particulier lutte contre la machine, ou plutôt, affine sa compréhension et crée des connaissances à partir des règles de gameplay. Il s’agit alors aussi de révéler ces mécaniques puisque les personnages prennent régulièrement la parole où sont illustrés en train de découvrir.

Alors oui, j’aurais pu évoquer la façon dont les technologies sont présentées pour jouer à ces vrmmo : des casques qui par une pirouette scénaristique prennent aussi en compte l’odorat et ce qui relève du tactile.  J’aurais pu aussi évoquer la façon dont les personnages comparent leur vie de tous les jours avec celle qu’ils ont en jouant.

Ce sera pour un prochain billet peut-être. En attendant, voici donc les enseignements que je retiens de l’isekai : ceux-ci sont des œuvres plutôt optimistes et évangéliques qui traduisent sous la forme d’une bande dessinée l’intérêt porté à l’immersion absolue dans un jeu. Si ceux-ci sont joués en multijoueur, on retrouve pourtant généralement des personnages solitaires qui découvrent le monde. Métaphore finale de ce que sont finalement les jeux vidéo : des expériences individuelles partagées collectivement. ■

Esteban Grine, 2018.

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Figure 11 : La classe absolue.

  • Bibliographie indicative

Allain S. et Szilas N., (2012). Exploration de la métalepse dans les « serious games » narratifs, STICEF, n°19

Delbouille, J., & Barnabé, F. (2017). Jeu, narration et réflexivité : le rôle de l’avatar. Consulté à l’adresse https://orbi.uliege.be/handle/2268/214959
  • Ressources vidéo de personnes ayant déjà parlé de l’isekai
Ryo Va Vous Causer ! (s. d.). Gamers! ne parle pas de jeu vidéo, mais c’est tout de même bien. Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=7o0q4osD8Hg&feature=youtu.be&list=PLoJN8llqsKOVrfPYXL4GnpUBOhIaCkpqo
Teromik. (s. d.). Dissert’ 13 (3.1/3) : Dragon Ball et introduction à l’Isekai. Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=biWufbPFC0w
  • Notes de bas de pages

[1] abrégé Konosuba

[2] qui par deux fois, au moins, fait des ellipses pour signifier la montée en puissance de Luffy sans avoir à l’expliquer : on peut notamment penser à l’arc Water Seven dans lequel Luffy utilise pour la première fois le Gear2 et le Gear3. On peut aussi évoquer l’ellipse de deux années après la mort de Portgas D. Ace, période durant laquelle Luffy apprend à maitriser le Aki.

[3] c’est-à-dire une artisane.

CAPITALISME, SOCIALISME ET VIDEOLUDISME (I)

S’il y a bien une lecture qui manque encore aujourd’hui des jeux vidéo, c’est celle de la socioéconomie. En effet, il est pertinent dans les game studies de mobiliser la sociologie, l’anthropologie et bien entendu le game design mais il semble qu’encore peu d’économistes et de socioéconomistes ne se soient emparés de la question tout en proposant une grille de lecture des jeux vidéo et des représentations qui y sont contenues. Pourtant, il apparait intéressant de faire cette exercice et ce, en prenant en compte plusieurs questions. Premièrement, à partir des concepts économiques, de quelle façon pouvons-nous définir ce qui relève du ludique ? Deuxièmement, dans quelle mesure analyser le comportement d’une audience, joueuse ou pas, d’un jeu vidéo d’un point de vue économique ? Enfin, dans quelle mesure est-il possible de proposer de nouvelles pistes d’exploration pour le jeu vidéo ? Les éléments de réponses que nous apporterons nous permettrons de conclure à la pertinence ou non de mobiliser la socioéconomie et son utilisation dans le cadre des game studies. Pendant toute cette série de billets de blog, je vais donc m’attacher à discuter le game design et les jeux vidéo en les abordant par le prisme de la socioéconomie, en commençant par la rationalité et les asymétries d’information.

Les joueurs comme des agents rationnels

Penser les jeux vidéo depuis l’économie nous invite à repenser ce qui définit le caractère ludique de ces objets mais aussi notre façon d’expliquer les comportements des joueurs durant l’acte de jouer. Il semble plus facile de commencer par ce deuxième point pour ensuite étayer le premier. Dans une perspective économique, nous pouvons définir les joueurs comme des agents rationnels qui recherchent une certaine satisfaction pour un effort relatif, ou du moins cohérent avec la satisfaction visée en tant qu’objectif. Dès lors, l’activité ludique s’explique par un raisonnement logique proche d’un calcul coût/opportunité. A partir de cela, il devient possible de définir plusieurs profils de joueurs qui ne vont pas évaluer l’expérience vidéoludique de la même façon. Dans cette perspective, le hardcore gamer, terme générique et vague définissant un joueur jouant beaucoup, devient un joueur prêt à « payer » beaucoup, à accepter un coût très élevé pour son activité avec la promesse d’en tirer une grande satisfaction. Un joueur casual, va quant à lui avoir un calcul coût/opportunité pauvre : l’activité vidéoludique ne satisfait pas beaucoup, mais à défaut, ne consomme pas non plus énormément. Ainsi, la première conclusion que nous pouvons avoir est que la rationalité des joueurs va se faire en fonction des calculs coût/opportunités qu’ils font et si ceux-ci sont cohérents avec leurs objectifs vidéoludiques.

Un autre point qui devient particulièrement intéressant lorsque l’on observe le game design depuis l’économie est que finalement, un bon game design doit rechercher le point d’équilibre : c’est-à-dire le niveau accepté globalement par les joueurs de satisfaction vidéoludique par rapport à l’effort vidéoludique. Nous pouvons alors représenter ce point avec la rencontre de deux droites sur un hypothétique marché du « plaisir vidéoludique ». Cependant, il convient de supposer que les joueurs vont toujours rechercher la satisfaction maximale pour le moindre effort tandis que les game designer, pour créer l’expérience la plus intense, ou la plus addictive (pour que le joueur reviennent jouer) vont solliciter énormément de ce dernier. Nous nous retrouvons alors avec deux fonctions : la fonction joueurs (gamers) dont la satisfaction vidéoludique est inverse à l’effort requis et la fonction game designers qui propose une satisfaction fonction de l’effort. Il convient aussi de préciser que dans ce modèle, la satisfaction est propre à chacun des agents : la fonction gamer se réfère à la satisfaction des joueurs et la fonction game designer se réfère à la satisfaction des créateurs. Nous nous retrouvons alors avec cette proposition  de modélisation :

Le marché de la satisfaction vidéoludique, E. Giner, 2017

 

Dès lors, il est à la fois amusant et intéressant de montrer de manière pragmatique la façon que nous avons ici de considérer un « bon game design ». Celui-ci se définit alors comme la rencontre entre la satisfaction espérée, compte-tenu de l’effort envisagé, du joueur et du game designer. Ce qui est encore plus intéressant est que cette modélisation permet de nous extraire de toutes les idéologies et les dogmes luttant pour déterminer quel est le genre vidéoludique le plus parfait, le plus propre à la définition et à l’essence du jeu vidéo (si quelqu’un la trouve, qu’il me fasse signe, cela sera fort sympathique). Ainsi donc, un « bon » game design se résume à la rencontre d’un jeu avec son public, ni plus, ni moins. Notons au passage que cela légitime certains comportements conservateurs : il faut tout le temps qu’il y ait un point de rencontre. Tout le reste, qui dépasse donc la logique économique, ne peut être considéré comme rationnel.

Les asymétries de l’information pour expliquer les comportements du joueur

Les asymétries d’information (Akerlof, 1978) sont un concept en économie particulièrement important puisqu’elles expliquent comme le manque d’information influence la situation d’un marché. En l’occurrence, il convient de s’interroger sur la façon dont ces asymétries viennent discuter le plaisir vidéoludique. Si l’on définit les jeux comme des récits, il existe alors une asymétrie fondamentale entre le joueur et le game designer. En l’occurrence, ce dernier connait plus le récit tandis que le joueur non. Si nous nous placions dans le modèle MDA (Hunicke, Leblanc & Zubeck, 2004), nous dirions que le game designer connait mieux les mechanics, dynamics & aesthetics (mécaniques, dynamiques, esthétiques).

A l’inverse, le joueur joue pour révéler progressivement ces « strates de compréhension ». Il agit donc pour réduire ces asymétries. Une chose intéressante issue de cela est que nous pouvons alors catégoriser les joueurs et les joueuses en fonction des intentions qu’ils et elles ont pour ce qui est de réduire les asymétries d’information. Pour cela, le modèle MDA est intéressant à mobiliser puisqu’il stratifie une forme de continuum communicationnel entre le game designer et le joueur. Le game designer « comprend » le jeu par les mécaniques tandis que le joueur le comprend par l’esthétique. La différentiation que l’on peut faire correspond alors au niveau de compréhension et de maitrise que veut atteindre un joueur. J’observe alors trois profils types qui peuvent donner un éclairage sur cette question :

  1. Le joueur casual dont l’objectif est de comprendre l’esthétique de l’œuvre sans chercher à comprendre ni les dynamiques, ni les mécaniques (qui correspondent dans le modèle MDA au code informatique) ;
  2. Le pro player dont l’objectif est d’atteindre une parfaite maitrise des dynamiques (l’intégralité des boucles d’inter-réactions, etc.) ;
  3. Le super player ou le speedrunner ou le glitch hunter dont les objectifs sont d’exploiter et de comprendre directement le code informatique pour pouvoir abuser de sa permissivité.

La différence des profils est alors fonction de la volonté des joueurs et des joueuses, constatable par des comportements, à vouloir réduire les asymétries d’information avec le game designer. Nul doute aujourd’hui que certains joueurs connaissent « mieux » les jeux que les créateurs eux-mêmes. Cependant, cela demande un haut niveau de compétence par rapport au jeu vidéo en tant que logiciel informatique.

Conclusion

Voilà un premier billet qui se termine, ou plutôt qui inaugure toute une série de pensées que je vais développer progressivement. Mélanger le game design et l’économie – ou du moins intégrer l’économie aux game studies ­– est une sujet qui me passionne et qui me tient à cœur. Dans un prochain billet, je poursuivrais notamment sur la question de l’utilité et la façon dont celle-ci s’amenuise en fonction du nombre de jeux auxquels nous jouons.

Esteban Grine, 2018.

 

Bibliographie indicative

Akerlof, G. (1978). The market for “lemons”: quality uncertainty and the market mechanism*. In P. Diamond & M. Rothschild (Éd.), Uncertainty in Economics (p. 235‑251). Academic Press. https://doi.org/10.1016/B978-0-12-214850-7.50022-X

Hunicke, R., Leblanc, M., & Zubek, R. (2004). MDA: A Formal Approach to Game Design and Game Research. ResearchGate, 1. Consulté à l’adresse https://www.researchgate.net/publication/228884866_MDA_A_Formal_Approach_to_Game_Design_and_Game_Research

 

Donc, j’ai rencontré Squeezie !

Mardi dernier, j’ai rencontré Squeezie. Dans le YouTube Space de Paris, au sous-sol des locaux de Google, il est arrivé par la droite face à l’audience puis s’est assis sur une toute petite estrade. La speakerine a fait une rapide introduction puis Lucas Hauchard a commencé un speech tel qu’il en a donné des dizaines d’autres. A 22 ans, c’est assez incroyable la façon dont il se comporte. Je me suis retrouvé en face d’un être humain avec, finalement, la tête très bien vissée sur ses épaules. A aucun moment il n’a été vulgaire, condescendant ou méchant. Pire, j’ai eu en face de moi quelqu’un d’extrêmement conscient de sa chance et de sa situation. Les deux heures passées avec lui ont été particulièrement folles en termes de déconstruction de cette personnalité publique. Entrepreneur dans l’âme, clairement, il marqua cependant un désaccord fondamental lorsque dans le public, quelqu’un balança un « quand on veut, on peut », phrase archétypale d’un discours méritocratique.

C’est un portrait tout en finesse qui s’est dévoilé lors de cette rencontre, tellement que je meurs d’envie aujourd’hui d’obtenir de lui un entretien dans un but de recherche scientifique. Ses vidéos, véritables documents et traces d’une culture et d’une histoire, sont une matière première pour n’importe quel chercheur qui aujourd’hui s’intéresse à la sociologie des médias et à la science de l’information et de la communication. J’ai aussi pu discuter avec lui. Je lui ai notamment demandé s’il se rendait compte qu’il était aujourd’hui un objet de recherche. La surprise qu’il afficha m’indiqua un non franc. Mardi soir, j’ai eu l’impression de rencontrer quelqu’un de passionnant mais je n’ai pas encore des millions de choses à analyser. C’est pourquoi je vous propose une retranscription sommaire des échanges avec le public.

Esteban Grine, 2018.

Retour sur les tous débuts de la chaine ? Qu’est-ce qui t’as fait te lancer sur youtube ?

Squeezie : Il y avait déjà des gens sur YouTube, quand je me suis lancé il y avait déjà Diablox9 et je trouvais trop con de ne pas partager mes parties de jeux et du coup je me suis lancé comme ça. Au début, j’essayais d’être sérieux et très vite, je suis parti sur de l’humour. Je me suis inspiré de BeastModeIII : jeux vidéo et humour, c’est parti. Il fallait que je sèche un cours sur trois pour faire mes vidéos. A l’époque, on ne savait pas que l’on pouvait gagner de l’argent. A l’époque, il y avait la bannière on se disait tous « wow lui c’est un gros ».

Peux-tu nous raconter tes trois premières années sur Youtube ?

Squeezie : On était à 4 vidéos par semaine. Mais c’est grave un bon souvenir, je regrette rien. Même mes erreurs, cela m’a appris des trucs. J’apprenais énormément, tous les jours. YouTube c’était beaucoup des vidéos de chats dans la tête des gens. Mais ils [Google] poussaient vachement ceux qui créaient du contenu « autres ». C’était vachement plus simple à l’époque. Aujourd’hui je prends beaucoup plus de temps pour moi. Aujourd’hui le piège, c’est faire un burnout. Ces trois dernières années on a vu masse de gens s’arrêter du jour au lendemain. Il faut se fixer des limites. Je n’ai aucun souci avec ceux qui veulent gagner de la thune aujourd’hui mais je pense que c’est hyper important de s’écouter.

Le moment quand ta chaîne a décollé ?

Squeezie : Alors à l’époque, j’avais 300 000 abonnés mais c’est clairement Cyprien Gaming qui m’a poussé. Je me suis fait juger en masse. Cela a été le gros boost de l’époque, ma rencontre avec Cyprien.

(Question du public) Ce n’est pas aussi quand t’as commencé à faire des vidéos de commentaires sur YouTube ?

Squeezie : Alors là c’est plus les gens qui avaient une opinion négative de moi qui se sont mis à regarder ce que je faisais en se disant « ah ouais en fait ça va c’est cool.

(A propos des commentaires et des aides que Squeezie peut prodiguer)

Squeezie : Les conseils que je donne, c’est hyper simple quand t’as 10 millions d’abonnés. Les conseils que je vais donner ne s’appliquent pas à vous. Le plus important, c’est gaga mais il faut faire ce que vous aimez. Y’en a qui passe plus de temps à faire leur miniatures, leur titre mais en vrai, faut juste d’abord passer du temps sur sa vidéo. Il faut parler de ce que l’on aime. Il y a plein de chaine YouTube que je découvre, les vidéos sont merdiques. On glorifie vachement les vues, le nombre d’abonnés, c’est dommage. Tout le monde glorifie le nombre d’abonnés, tout le monde partage ses screens quand ils tombent dans les tendances. C’est très dur de se détacher de ça, de socialblade, on pète un câble, on passe notre temps à regarder nos stats.

(Question du public) Comment tu gères les commentaires ?

Squeezie : La vidéo, une fois en ligne, c’est plus les gens qui parlent entre eux. Moi perso, c’est plutôt twitter que je kiffe, c’est plus là que je fais vivre ma communauté. L’espace commentaire, bah je ne peux pas regarder spécialement les 6 000 que j’ai. Je regarde parfois les 50 premiers suggérés par YouTube et cela me permet de prendre la température mais après c’est tout. C’est vraiment pas l’endroit pour moi où j’échange avec les personnes qui me suivent.

(Question du public) N’as-tu pas eu peur de lâcher tes études pour faire des vidéos sur YouTube ?

Squeezie : J’ai eu la chance de ne pas avoir à faire un métier alimentaire, j’ai eu mon bac ES, j’avais un an d’avance et du coup, j’ai fait YouTube. « Cyprien gaming » était lancée depuis 6 mois. Ce n’était pas spécialement un plan de carrière. Je n’ai pas spécialement peur d’un « après YouTube », genre la plateforme s’effondre. Je gagne énormément de thunes, je mets plein de thunes de côté, financièrement je serais pas pressé, je ne suis pas vraiment dans la vraie vie de Youtuber. A l’époque, il y avait beaucoup moins de gens, j’ai pas eu le dilemme d’arrêter les études. Aujourd’hui, je ne sais pas comment je gérerais cela aujourd’hui, je pense que je continuerais honnêtement. En vrai, j’ai eu de la chance. J’ai commencé très tôt, j’ai commencé très jeune.

Combien de temps as-tu travaillé tout seul ? Et aujourd’hui, ton équipe ?

Squeezie : Aujourd’hui je ne bosse qu’avec Clément qui fait 2 vidéos sur 3. J’ai bossé seul ça pendant 4 ans. J’arrivais au stade où je pétais un câble. J’étais bloqué sur l’idée de tout devoir faire tout seul. Y’a aucune honte à tout déléguer et à rémunérer des gens en fait, c’est cool. A partir du jour où j’ai arrêté de faire des montages, j’étais trop heureux. Si demain, je n’ai pas envie de tourner, je peux jouer à Wow en caleçon. Tout ça, le fait d’être seul, l’arrivée du monteur, c’est des échelons, j’ai eu de la chance. Il ne faut jamais oublier que je suis resté seul pendant 4 ans. Il ne faut pas non plus oublier que moi tout seul, j’étais crevé, j’étais épuisé. Pendant 4 ans, j’étais tout seul dans ma chambre. C’est bien pendant quelques années d’être chez soi mais moi, je tournais en rond, j’ai fini par péter un câble.

(Question du public) As-tu déjà laissé ton monteur uploader des vidéos sans que tu les vérifies ?

Squeezie : C’est arrivé 2 fois d’avoir autorisé des uploads sans mon accord. Mais sinon, je regarde toujours une fois. Monter des vidéos de jeux vidéo, ça me pète les couilles. Je l’ai trop fait. Aujourd’hui, j’ai plus de kiff à faire des vidéo IRL Les vidéos gaming, ça me fait un peu chier. Aujourd’hui, j’aime faire des vidéos d’anecdotes mais clairement, les vidéos gaming, ça me saoule. J’en ai beaucoup trop faites. Aujourd’hui, je m’éclate sur d’autres formes de montages.

(Question du public) Comment gères-tu les commentaires haineux ?

Squeezie : Moi je suis entouré de gens qui sont francs. Si j’ai fait une vidéo de merde, on me le dit. Mes proches vont être bien cash, bien sincères, je vais vraiment prendre en compte leur avis car à un moment, tu perds trop de temps à regarder l’avis des haineux. Pour avoir un vrai avis, faut demander à tes proches. Sinon, faut avoir confiance en soi, c’est tout. Aujourd’hui, je ne parle plus de ma vie perso mais je pense qu’aujourd’hui, psychologiquement, c’est compliqué.

Comment gères-tu l’organisation et le changement de contenu ?

Squeezie : Aujourd’hui, y’a plein de contenu sur Fortnite, mais je pense aujourd’hui il faut clairement faire des variations. Plus tôt tu varies et mieux c’est. Faut vraiment varier. J’ai fait la même chose avec call of. Aujourd’hui, j’essaie de ne pas m’arrêter sur une seule chose, un seul jeu. Les gens après, ils sont dans une routine, ils viennent te voir parce qu’ils te suivent pour quelque chose de précis. Du coup, il ne faut jamais les laisser s’habituer. C’est comme ça que Diablox9 s’est planté, faut pas l’oublier. Aujourd’hui, je ne me force plus. Je fais une vidéo quand j’en ai envie. Si je veux glander ou voir mes amis, bah, je le fais. Du coup pareil, j’essaie de ne pas trop m’aligner sur les tendances. Les gens aimeraient me voir jouer tout le temps à Fortnite en ce moment, mais c’est mort, je ne veux pas que les gens pensent que je fais que ça. Quand je vois des chaînes qui ne font que la même chose tout le temps, je me dis que cela peut pas durer, on finit par péter un câble.

Propos recueillis par Esteban Grine le 27 février 2018.

MàJ du 02/03/2018 :Ajout d’une question

(Question du public) Avec la notoriété et l’influence que tu as, ne ressens-tu pas le besoin de défendre des causes ou plus simplement t’engager politiquement pour faire évoluer la société dans une meilleure direction ?

j’intègre le petit retour de l’ami Olbius plutôt que de moi-même rapporter à nouveaux ces propos. je vais juste prendre le temps d’exprimer mon analyse de ce que j’ai perçu à ce moment. La réponse de Squeezie fut sincère. C’est pour moi clairement un constat de la dépolitisation de notre génération. Cependant, il ne s’agit pas de dresser un portrait absolu. Dans son discours, Lucas distinguait les positions politiques des positions militantes (en prenant pour exemple sa vidéo sur le harcèlement). Scientifiquement, le propos qu’il tient est intéressant à observer : les définitions de l’action politique évoluent. Je ne suis pas encore capable d’analyser plus en finesse cela. Je ne peux pas non plus dresser un contour de ces nouvelles définitions qui je pense ne sont pas uniquement propres à Squeezie.