Une photographie de la recherche sur le jeu vidéo

Un peu sur l’instant, je me suis décidé à réaliser un état de l’art à propos des recherches sur le jeu vidéo. cette idée ne vient pas de nulle part car en réalité cela fait un moment que je complexe vis-à-vis de mon ignorance sur les travaux des uns et des autres. J’ai parfois un peu trop l’impression de travailler seul, isolé ce qui me rend vulnérable, je trouve. C’est lors d’un atelier à l’OMNSH que je me suis rendu compte, encore une fois, de la richesse de la jeune recherche francophone et du coup, j’ai décidé de réunir dans un même thread twitter tout un tas de papiers que j’ai pu glaner à droite à gauche.

Ainsi, avec une contrainte de temps que je me suis fixée (à peu près), je cherche, j’agrège et je lis le plus possible. J’ai l’impression, encore une fois que twitter (et l’idée de thread que j’ai reprise d’Arcade) m’a permis de me motiver à faire quelque chose que je partage maintenant avec vous, histoire d’en garder une trace.

Il s’agit donc d’un moment Twitter que je vous invite à regarder et farfouiller. Peut-être y trouverez-vous Saussure à votre pied. ■

Esteban Grine, 2018.


L’inscape Descartes : un outil institutionnel et ludique au service d’un campus académique

Cet article correspond à la publication d’un texte écrit avec Caroline Bessault en 2017 pour la journée d’étude SEG2017 organisée à Valenciennes. Il s’agit d’un retour d’expérience d’une durée de 3 minutes durant lesquelles nous avons présenté un dispositif ludique ayant la forme d’un jeu de piste dont l’objectif pédagogique était la découverte du campus de la citée Descartes. Ce texte a été rédigé pour la COMUE Université Paris-Est.

Pour citer la communication :

Giner, E., Bessault, C. (2017). L’inscape Descarte : un outil institutionnel et ludique au service d’un campus académique. Journée d’étude des SEG2017, Valenciennes.


Nous sommes en 2040, les villes sont devenues invivables. L’air urbain est irrespirable et la qualité de vie n’a jamais été si faible. La pollution, les déchets, les transports : nous sommes arrivés à un point de non-retour. C’est dans ce contexte et pour mettre un terme à cette situation que les grandes métropoles décident de s’unir autour d’un accord international inédit. Mais à la veille de sa signature, le document est volé par les représentants de Garbage City. Le groupe des mégapoles décident alors d’envoyer leurs meilleurs agents sur le terrain afin de retrouver le texte. Pour leur mettre des bâtons dans les roues, Garbage City disperse le document dans les multiples bâtiments du campus de la cité Descartes.

Voici le pitch qui démarre l’aventure « Inscape Descartes 2017 », première édition d’un serious game « grandeur nature ». L’objectif est simple. Multiple mais simple : faire découvrir aux primo-entrants l’ensemble des établissements qui composent le campus en amont de leur fusion en 2019.  Mais ce n’est pas tout. Il a s’agit également de créer de l’interconnaissance. Nous avons donc fait des équipes de 5 à 6 étudiants provenant d’au moins 3 établissements. Mais comme nous ne sommes pas des monstres, les plus timides avaient la possibilité de s’inscrire à deux et 25% des places étaient ouvertes aux étudiants de promos supérieures.

Le résultat a dépassé nos espérances. Nous avons sensibilisé 120 étudiants à la thématique de la ville de demain,  enjeu central de notre future université. Ils ont également pris conscience des compétences, des équipements et des services présents sur le site.

Côté organisateurs, ce fut un moment déterminant. En effet, la création du jeu a permis à 11 établissements académiques et non académiques d’apprendre à se connaitre et à travailler ensemble en amont de la fusion. Nous avions donc une vingtaine de personnes présentes aux réunions aux profils divers : présidents de BDE, directeur de service, vice-président en charge de la vie étudiante, chargés de communication, responsables de vie culturelle, fablab manager … bref, les acteurs clefs de la vie du campus réunis tous les 10-15 jours pour parler organisation mais aussi énigmes. Et ça, c’était créateur de liens tels des séminaires de connaissance réciproque.

Cerise sur le gâteau pour les deux parties, nous avons pu parler du projet I-SITE à la fois dans sa valence « vie étudiante / vie de campus » mais aussi « institutionnelle » en démontrant que le futur établissement a tout à gagner de la multitude de profils et de compétences présentes sur site.

Le fait de travailler pour la première fois ensemble à travers un événement ludique nous a donc semblé facilitateur dans le lancement d’une dynamique partagée. Nous tenons tout de même à insister sur le fait que nous avons bénéficié de la bonne volonté des acteurs, qui se sont investis en plus de leur charge de travail et ce, dans des délais très contraints. Par ailleurs, nous avons bien conscience que ce type d’événements ponctuels ne saurait se suffire à lui-même, même si nous souhaitons les étudiants et les acteurs ont faire part de leur volonté d’avoir une seconde édition.

 

Merci pour votre écoute. ■

Esteban Grine & Caroline Bessault, 2017.

Penser le Game Design comme une pratique pédagogique

Note aux lecteurs et lectrices

Je fais le choix de publier une communication que j’ai donnée l’an passée lors d’une journée d’étude proposée aux doctorants et doctorantes. Celle-ci sera aussi déposée sur « Archives Ouvertes » au format pdf. Une captation de mon intervention avait été faite ici. Je n’ai effectué qu’une seule modification au texte : j’ai nuancé mon approche phénoménologique en ajoutant [aussi]. De sorte, aujourd’hui, je m’inscris autant dans l’analyse des structures et des contenus que de leurs perceptions. Ceci étant dit, je vous souhaite bonne lecture.


 

La question des impacts des jeux vidéo sur les comportements, les systèmes valeurs et plus généralement sur les joueurs·euses est complexe au sein des game studies puisqu’elle partage les chercheurs·euses entre les tenant·e·s de la catharsis et celleux de l’apprentissage sociale (Zagal, 2010). Si les liens entre jeux et pédagogie ont déjà été relevés dans des contextes de jeux formels (tels que des situations de classes, Brougères, 1997, Alvarez, 2015) et informels (tels que les jeux multijoueurs en ligne, Berry, 2012),  nous focalisons notre recherche sur la relation entre le game design d’un jeu et le·a joueur·euse en train de jouer et ce, en prenant en compte la multiplicité des contextes. Par ailleurs, il est aujourd’hui difficile de catégoriser les jeux vidéo en fonction de leurs discours (Trépanier-Jobin, 2016), persuasifs, s’ils diffusent et imposent un message (Bogost, 2007) ou expressifs, s’ils ne proposent qu’une expérience au ou à la joueur·euse sans objectif de le·a persuader (Genvo, 2016).


Pour citer cet article :

Giner, E., (2017). Penser le Game Design comme une pratique pédagogique. Journée d’étude de l’OMNSH. Paris.


Nos travaux ont donc pour objet d’apporter des éléments à ces discussions. Nous pensons ces jeux comme des espaces potentiels d’apprentissage de concepts quotidiens et scientifiques (Vygotsky, 1934), de diffusion de représentations (Kline et al, 2003) et d’acquisition de compétences (Tardif, 2006). Le jeu vidéo est alors un support de médiation entre les game designers (les créateurs·ices) et leur audience (qu’elle soit actrice ou observatrice, Frome, 2006). Le game design (les méthodes de scénarisation de l’activité ludique) structure alors l’apprentissage du joueur. Dans ce cadre, l’objectif pour le·a game designer est d’agencer le jeu de sorte à ce que le joueur se situe dans sa zone proximale de développement (Vygotski, 1934), c’est-à-dire la zone dans laquelle il peut réussir des tâches lorsqu’il est accompagné. En ce sens, il est possible d’inscrire le game design dans la pensée socioconstructiviste pourvu que l’on considère l’activité vidéoludique comme un phénomène communicationnel.

Les situations d’apprentissages rencontrées par le·a joueur·euse et résultant de cette communication peuvent alors être représentées sous la forme d’une boucle dans laquelle un objectif pédagogique, déterminé a posteriori par le chercheur, mobilise des éléments du jeu vidéo avec lesquels le·a joueur·euse peut interagir. De cette interaction peut émerger soit une récompense, soit une punition qui seront interprétées par le·a joueur·euse. Cette interprétation détermine si le·a joueur·euse apprend ce sur quoi porte l’objectif ou s’il apprend autre chose, auquel cas il s’agit d’une externalité de cette boucle d’apprentissage.

Le game design, en structurant les éléments vidéoludiques mobilisés pour l’objectif, détermine alors des événements d’apprentissage-enseignement (Leclerc et Poumay, 2008) créés volontairement ou involontairement par le·a game designer et rencontrés par le·a joueur·euse. En catégorisant ces événements (apprentissage par imitation, exploration, réception, création, exercisation, etc.), il devient alors possible de caractériser le discours contenu dans le jeu et ainsi statuer sur son genre vidéoludique. Un événement laisse plus ou moins de marge au contrôle du joueur sur son apprentissage. Plus l’événement proposera de contingences, de situations possibles, et plus on considérera le jeu comme un espace proposant une discussion de laquelle, le·a joueur·euse pourra tirer un apprentissage possible. Il sera alors expressif. A l’inverse, si l’on considère que le jeu impose le message qu’il contient et ne laisse que très peu de contrôle au joueur·euse. Il sera dans ce cas persuasif. De même, en caractérisant les apprentissages, il devient possible d’observer si ceux-ci sont dirigés vers un phénomène particulier du jeu (l’apprentissage d’un mouvement dans une situation précise par exemple), vers le jeu dans sa globalité (un événement d’apprentissage par réception et portant sur le discours global du jeu par exemple) ou vers un phénomène qui dépasse le cadre du jeu (il s’agit là d’intégrer la question du transfert de l’apprentissage dans une autre situation que celle vécue par le·a joueur·euse).

Cependant, cette approche ne suffit pas pour analyser les relations entre le game design et les apprentissages. C’est pourquoi il a été rappelé lors de cette communication que nous analysons ces liens [aussi] d’un point de vue phénoménologique. Ainsi, c’est en observant les joueurs·euses en train de jouer que nous pensons pouvoir analyser et répondre à la question des apprentissages. De facto, nous nous émancipons de l’intention de l’auteur puisque nous concentrons notre analyse uniquement sur ce qui est contenu dans le jeu et de ce qui est observé par le·a joueur·euse. Afin de mener ces travaux directement inspirés des méthodes d’observations des audiences en acte (nous définissons cela avec le concept de user research), nous proposons à des participants de « tourner des let’s play », des vidéos connotées et connues dans la communauté des joueurs notamment grâce à des vidéastes youtuber tels que Squeezie et Cyprien. Ces let’s play sont une façon de mettre en récit vidéo l’acte de jouer et ce, de manière informelle. A travers donc l’usage de ce format et de la user research, il semble possible d’ébaucher une méthodologie qui apporte des éléments de compréhension lorsque l’on souhaite penser le game design comme une pratique pédagogique.  ■

Esteban Grine, 2017.

Bibliographie

Alvarez, J., 2015. Enrichissement d’un modèle évaluatif pour assurer une formation avec le jeu comme médiation. Presented at the Journée AIM Serious Games et Co-design, GEM.

Berry, V., Brougère, G., 2012. L’expérience virtuelle : Jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo. PU Rennes, Rennes.

Bogost, I., 2006. Persuasive Games: The Expressive Power of Videogames. The MIT Press, Cambridge, MA.

Brougere, G., 1997. Jeu et objectifs pédagogiques : une approche comparative de l’éducation préscolaire. Revue française de pédagogie 119, 47–56. doi:10.3406/rfp.1997.1166

Frome, J., 2006. Representation, Reality, and Emotions Across Media. ResearchGate 8, 12–25. doi:10.7227/FS.8.4

Genvo, 2016. Defining and designing expressive games : the case of Keys of a gamespace | Kinephanos.

Leclercq, Poumay, 2008. Le Modèle des Evénements d’Apprentissage – Enseignement.

Tardif, J., 2006. L’évaluation des compétences : Documenter le parcours de développement. Chenelière Education, Montréal.

Trépanier-Jobin, 2016. Differentiating Serious, Persuasive, and Expressive Games | Kinephanos.

Vygotski, L.-S., Piaget, J., Sève, L., Clot, Y., Sève, F., 2013. Pensée et langage, 4e édition. ed. La Dispute, Paris.

 

Jeux vidéo et transition énergétique

Définir le jeu vidéo comme un loisir peu consommateur d’énergie semble inapproprié lorsqu’on encastre son utilisation dans les problématiques énergétiques contemporaines. Je cite le ministère de la transition énergétique et solidaire :

« Avec l’apparition, dans les années 1990, de la téléphonie mobile et d’internet, la part des produits des technologies de l’information et de la communication est passée de 0,1 % en 1960 à 4,3 % en 2014. Cette hausse n’a pas d’équivalent parmi les autres catégories de dépenses. Ces changements [y compris d’autres] donnent lieu à un accroissement des pressions exercées sur l’environnement en raison de l’augmentation du volume des biens et services consommés et de l’orientation des dépenses vers des catégories à fort impact : le transport (voiture, avion), le logement (construction et consommation d’énergie), les loisirs ainsi que les biens électriques et électroniques dont la baisse du coût d’acquisition incite à privilégier le renouvellement à la réparation. »[1]

Le jeu vidéo est pour sa part de facto intégré à cette problématique. J’ai déjà pu interroger notamment la question du JV en tant que bien de consommation inscrit dans des logiques capitalistes. J’ai aussi mis en avant des propositions de solutions s’inspirant de l’économie de la fonctionnalité mais aussi de l’économie circulaire. Il y a une question que j’aimerais traiter ici est qui est la suivante : dans quelle mesure les jeux vidéo peuvent inviter leurs joueurs et joueuses à prendre en compte la question de la transition énergétique ?

Questionner la représentation du coût énergétique dans les jeux vidéo

Les jeux vidéo reposent en grande partie sur l’utilisation de système de représentations puisqu’il s’agit d’un média utilisant de nombreux visuels. Ceux-ci ont pour mission d’aider le joueur à donner sens aux actions qu’il réalise en jouant. Autrement dit, nous ne faisons pas qu’appuyer sur des boutons à l’instar d’un opérateur sur une machine dans une chaine de production, nous actionnons des leviers, évitons des pièges, etc.

Dès lors, les jeux vidéo sont des supports de représentations autant de nos cultures (Kline, 2003) que de mécanismes supposément présents dans nos cultures : interactions, relations de causes-conséquences, etc. C’est pourquoi nous avons de nombreux constats de la représentation de l’écologie dans les jeux et ses fonctions pour le joueur. Globalement, il y a une tendance majoritaire dans les jeux vidéo, blockbusters ou indépendants, à faire de l’environnement une ressource à disposition et généralement dans des quantités illimitées. Minecraft est un parangon de ce phénomène puisqu’il met à disposition du joueur une planète, un monde, où quasiment tous les éléments sont dans l’attente d’une action du joueur. Ce dernier est alors invité à exploiter de manière plus ou moins organisée, ce qui l’entoure. Les jeux de stratégie comme Starcraft sont eux aussi un exemple de cette nature à disposition puisque les joueurs doivent réunir un ensemble de ressources minières et naturelles afin de pouvoir bâtir des bâtiments militaires ou non. Pour ces derniers cas,  l’écologie est encastrée dans un système économique auquel le joueur doit se plier.

Sensibiliser aux questions écologiques par le jeu vidéo

De nombreux jeux existent dans le but de sensibiliser leurs joueurs et joueuses aux questions de l’écologie et de la transition énergétique. Le site serious.gameclassification.com recense 324 jeux sérieux – des jeux ayant un discours persuasif et répondant à des objectifs pédagogiques et institutionnels – autour de la seule thématique de l’écologie. Dans ces jeux, l’acte ludique sert de porte d’entrée à un apprentissage supposé autonome : l’apprenant-joueur est seul face au savoir-gameplay et n’a pas besoin d’un intermédiaire accompagnateur. Plan It green en est un exemple. Reprenant les éléments caractérisant le genre du city-builder, ce jeu fait de nous un maire ou une mairesse qui doit étendre sa ville en respectant des impératifs écologiques. On y voit d’ailleurs une mise en exergue des enjeux contemporains puisqu’il s’agit de mener une politique résolument expansionniste tout en prenant en compte l’environnement. Ce que je signifie par cela, c’est que la prise en compte des enjeux énergétiques se font ici dans un cadre idéologique plutôt optimiste : il n’est ni question de décroissance, ni d’effondrement.

Très récemment, et dans une idéologie relativement proche, eco est un jeu fonctionnant sur les mécaniques déjà proposées par Minecraft. Il s’agit donc d’un sandbox dans lequel le joueur doit développer une communauté dans le but d’empêcher une météorite de s’abattre sur le monde. Le développement est conditionné par l’état écologique des choses et les joueurs sont invités à choisir des technologies ayant un impact minime sur l’environnement.

Dans ces jeux, nous nous apercevons que l’écologie est utilisée comme un élément de gameplay avec lequel les joueurs doivent composer durant leur session de jeu. Cependant, on peut élargir cette volonté de sensibiliser à ces problématiques en observant aussi les jeux qui proposent des contextes liés à des catastrophes humaines ou écologiques, etc. On peut par exemple penser aux jeux de la série Fallout dont le point de départ est une catastrophe nucléaire.

Trouver des solutions aux défis climatiques par le jeu

Dans son ouvrage de 2012, Jane McGonigal présente plusieurs expérimentations menées dans le but de constater ou non les potentiels collaboratifs des jeux vidéo. Ainsi, World Without oil est un jeu développé en 2007 dont l’objectif était de proposer un contexte dans lequel un ensemble de joueurs et joueuses pouvaient s’exprimer à partir d’un postulat de départ : « aujourd’hui, il n’est plus possible d’extraire du pétrole, que se passe-t-il ? »

L’initiative a généré sur les sept semaines du jeu environ 1500 créations de la part des participants. Les mécaniques de gameplay étaient assez simple puisqu’à chaque semaine, les game masters transmettaient de nouvelles informations (changement du prix du baril, etc.) et c’était ensuite aux joueurs et joueuses de proposer, d’imaginer ce qu’il se passait soit à leur échelle, soit à des échelles bien plus larges en termes de population. Les propositions faites par les joueurs étaient de l’ordre du billet de blog, de la création vidéo et même du podcast avec pour certains une teneur supposée scientifique et pragmatique et de l’autre, des récits plus fantaisistes. Le travail des game masters était alors d’agréger et de réunir toutes ces productions sur une même plateforme de liens hypertexte.

Selon les dires de Jane McGonigal, cette expérience fut un large succès et elle est régulièrement citée comme un exploit du genre : des centaines de personnes ont « joué » et cela a permis d’ébaucher un nombre équivalent de scénarios contenant des propositions de solutions à une ultime crise pétrolière. Un analyste serait aisément invité à ancrer le comportement du joueur dans des formes d’économie collaborative (Tapscott, 2007) dans laquelle ses actions sont créatrices de valeurs. Cependant il convient de supposer la nécessité d’une équipe encadrant le jeu et permettant à terme de traiter les données produites par les joueurs (avec leur accord au minimum et leur rémunération au maximum).

Ainsi, il apparait que les phénomènes collaboratifs ayant lieu dans un jeu nécessite malgré tout a posteriori des personnes non-joueuses afin de rendre utilisables les productions des joueurs.

Ludifier pour susciter l’engouement vers une transition énergétique

Il apparait aujourd’hui que les institutions publiques et privées considèrent que la sensibilisation du public à la transition énergétique est particulièrement complexe. Les raisons avancées sont notamment le fait que les marchés qui lui sont liées ont des difficultés à atteindre leur cible commerciale. Une première explication avancée lors d’un groupe de travail organisé par le forum des politiques de l’habitat privé est qu’aujourd’hui, les adultes entre 25 et 40 ans, cœur de cible potentielle, n’ont ni accès à la propriété de manière aussi simple que cela a pu être le cas dans les années 1970-1980, ni les fonds suffisants puisque cet accès à la propriété génère un taux d’endettement important. On approche généralement des 30% d’endettement pour les primo-accédants. Une deuxième raison est encore une fois que l’impact de nos modes de consommation ne sont pas suffisamment visibles pour être conscientisés. On ne voit pas, par exemple, la déperdition de chaleur liée aux fenêtres en simple vitrage. Enfin, dernièrement, la précarisation continuelle empêche d’accéder à un pouvoir d’achat suffisant permettant de déplacer la contrainte budgétaire des ménages pour intégrer les questions de transition énergétique.

A partir de ces hypothèses formulées par le groupe de travail, la question de la ludification a été posée de la façon suivante : est-il possible de ludifier des applications permettant de sensibiliser, voire, de convertir en clients des internautes ?

L’un des premiers éléments de réponses a été de prendre contact avec des équipes universitaires concernées à même de créer des jeux non orientés politiquement ou commercialement, si et seulement si, l’objectif est de sensibiliser un public qui est déjà contraint par une forte pression économique. Le subventionnement de l’Etat pour ces initiatives semblent nécessaires et ce, d’une manière plus générale à la simple ludification des plateformes : accompagnements, aides et mises en place de co-paiements pour l’achat de solutions écologiquement plus soutenables. Un dernier élément de réponse semble être plutôt dans l’explicitation directe des possibles gains pour les usagers et ce, quitte à ce que cela n’apporte rien à l’institution publique ou privée à court-terme. Dans ce cadre, il apparait peu pertinent de se lancer dans la création d’une production agrégeant des données utilisateur, surtout qu’un positionnement éthique semble nécessaire à ce sujet.

Conclusion

Dans ce court article, nous nous sommes attachés à discuter des liens entre les jeux vidéo et les questions de transitions énergétiques. Nos conclusions sont donc les suivantes :

(1) Les jeux ont toujours été des outils de représentation du contexte culturel dans lequel ils sont créés. Si l’on peut supposer qu’ils reproduisent des systèmes organisationnels, il est alors régulièrement question d’allocation de ressources et de calculs économiques. Ainsi les joueurs et les joueuses sont régulièrement invités à effectuer des choix ayant un impact sur l’environnement numérique dans lequel ils et elles évoluent.

(2) De nombreux jeux, volontairement ou involontairement, sensibilisent aux questions de la transition énergétique. Cela peut passer par Fallout et son contexte post-apocalyptique comme des jeux offrant une diégèse plus proche de ce que peuvent être nos réalités contemporaines. Cependant, nous questionnons la pertinence de proposer des expériences trop éloignées de la réalité des joueurs. Ainsi, nous faisons l’hypothèse qu’il est nécessaire de proposer des expériences proches des joueurs et des joueuses afin de tenir un discours des plus persuasifs (Rusch parle par exemple de la nécessité des métaphores expérientielles, 2009).

(3) Si des jeux semblent inviter les joueurs à collaborer pour trouver des solutions, il n’est pas dit que leurs productions soient exploitables (à condition de les avoir rémunérés pour cela). Ainsi, utiliser les jeux vidéo en faisant l’hypothèse d’une externalisation d’un service R&D semble complexe en l’absence : 1/ d’une contractualisation claire avec les joueurs et les joueuses et 2/ d’une équipe en interne ayant la mission de transformer les productions en données exploitables. Dans tous les cas, il convient de ne pas supposer le fait de jouer comme une activité gratuite.

(4) La ludification des plateformes de sensibilisation semble être potentiellement une piste exploitable pour atteindre une nouvelle cible. Sans être un outil permettant d’effacer les problèmes budgétaires des primo-accédants, elles peuvent permettre une meilleure compréhension et une conscientisation des problèmes énergétiques. Leur développement conjoint avec des organismes publics semble être une piste envisageable pour 1/ supporter le coût de développement et 2/ proposer un message ne faisant pas le sujet de biais et d’enjeux économiques.

 

Esteban Grine, 2018.

Bibliographie

Kline, S., Dyer-Witheford, N., & Peuter, G. de. (2003). Digital Play: The Interaction of Technology, Culture, and Marketing (2Rev Ed). Montréal ; London: McGill-Queen’s University Press.

McGonigal, J. (2012). Reality is Broken: Why Games Make Us Better and How They Can Change the World. London: Vintage.

Rusch. (2009). Mechanisms of the Soul : Tackling the Human Condition in Videogames. Consulté à l’adresse http://www.digra.org/wp-content/uploads/digital-library/09287.01371.pdf

Tapscott, D., & D.Williams, A. (2007). Wikinomics: Wikipédia, Linux, YouTube… comment l’intelligence collective collaborative bouleverse l’économie. Paris: Pearson.

[1] Tendances et caractéristiques de la consommation des ménages [L’essentiel sur…, Environnement, Ménages et environnement] : Observation et statistiques. (s. d.). Consulté 9 mai 2018, à l’adresse http://www.statistiques.developpement-durable.gouv.fr/lessentiel/ar/340/1207/tendances-caracteristiques-consommation-menages.html

Note au lecteur : ce texte est le fruit d’une proposition d’intervention que j’ai donnée lors d’un groupe de travail organisé par le forum des politiques de l’habitat privé.

Aujourd’hui, le joueur, c’est celui qui ne joue pas : discuter l’ironie et le cynisme de la gamification

Lorsque l’on regarde les 20 dernières années, que cela soit au niveau de l’emprise du ludique ou tout simplement en regardant la façon dont le Travail salarié évolue, il semble plutôt aisément constatable que nous observons une ludicisation de la société (Genvo, 2013). Tout voir comme un jeu semble devenir l’une des conventions sociales lorsque l’on se trouve dans une sphère sociale privée (les relations familiales par exemple) ou dans une sphère sociale publique. Voir tout ce qui nous entoure sous la forme de jeux apparait comme une force pour celui qui parvient à comprendre les règles et le gameplay. Pourtant, pouvons-nous supposer qu’il s’agisse d’une « bonne chose » ? A travers cet article, je vais montrer qu’il est largement nécessaire de discuter cela.

En 2016, Ian Bogost sort son Play Anything dont l’idée centrale est d’énoncer que le ludique n’est pas humain. Autrement dit, toute chose, tout objet possède des caractéristiques ludiques et qui donc peuvent devenir un support du jeu. A travers cela, il s’agit de pousser à son paroxysme la pensée procéduraliste et ludologiste dans laquelle il s’inscrit. Cependant, pouvons-nous dire que nous arrivons à tout considérer comme des jeux ? Bogost nous énonce que si tel n’est pas le cas, c’est parce que nous souffrons d’ironia, un concept qu’il propose et qu’il définit comme étant la peur des choses. Puisque nous avons peur des choses, alors nous n’avons pas envie de jouer avec, voilà résumée très succinctement sa pensée. Pour asseoir sa proposition, Bogost passe par une série d’exemples : du simple fait de jouer avec un objet inanimé jusqu’à voir le monde qui nous entoure comme un playground, un terrain de jeu. L’utilisation de ce dernier mot, playground, n’est pas neutre puisque ce faisant, il dresse au passage une critique de la proposition de Sicart. En 2014, dans play matters, celui-ci défend l’idée que si des architectes (des game designers) peuvent « créer » des environnements présentant une affordance pour le jeu, cela reste fondamentalement l’agent joueur qui définit ce qui est jeu de ce qui ne l’est pas. Bogost exclue cette idée en décentrant « l’idée de jeu » : celle-ci ne se trouve pas dans les humains mais dans les objets et c’est parce que nous sommes cyniques et ironiques que nous n’acceptons pas cela.

Deux conclusions peuvent alors être proposées à la lecture de Ian Bogost : (1) Tout ce qui nous entoure possède des caractéristiques ludiques et (2) la ludification (ou gamification) n’existe pas, on ne crée pas des choses plus ludiques qu’avant mais c’est notre regard sur le monde qui évolue. Cependant, cette façon de penser s’inscrit à mon sens dans un certain libéralisme ambiant qui aurait tendance à légitimer certains comportements puisque ceux-ci revêtiraient une « couche ludique ». Je pense particulièrement au monde du travail lorsque je dis cela : « si tu n’es pas content, tu peux partir ». Autrement dit : « si tu n’acceptes pas les règles du jeu, tu n’es pas obligé de jouer ». Il me semble que la gamification ou la ludification est un outil qui vient gommer les réalités sociales dures et brutales. En 1989, Henriot énonçait :

« Il y a des choses qui doivent rester à l’écart du jeu – on a presque envie de dire : à l’abri du jeu. Autrement dit : le jeu n’est pas tout : tout n’est pas jeu. La faim, la maladie, le chômage, la misère, la mort appartiennent à un registre où le recours à l’idée de Jeu s’avère pour le moins déplacé. La pensée du jeu n’est à sa place que dans un monde protégé, où les besoins les plus élémentaires sont satisfaits, les problèmes les plus urgents résolus. Elle apparait comme un luxe. L’immense majorat de nos contemporains continue d’admettre qu’il y a des valeurs — et plus généralement do choses qui exigent de n’être point envisagées sous l’angle du jeu et propos desquelles la notion de « sérieux » conserve sa signification et tout son poids. Si les principes sur lesquels se fonde le jeu ne sont que des règles arbitraires, susceptibles d’être modifiées au gré de la fantaisie, n’importe quoi devient possible et tous les jeux sont équivalents. A ce cynisme établi en doctrine, même les plus cyniques opposent des convictions qui leur paraissent fondées et auxquelles ils tiennent » (Henriot, 1989, p 64).

Dans ce court paragraphe, Henriot explique la facilité que certains peuvent avoir à tout considérer comme un jeu. Nous allons plus loin en faisant l’hypothèse que ce sont les dominants qui ont plus de facilité à considérer toute chose comme un jeu : le travail, les relations sociales, l’économie, etc. Il est toujours plus facile de tout voir comme un jeu lorsque l’on ne risque rien. Ce qui me frappe le plus, lorsque l’on compare Henriot et Bogost, est le glissement sémantique du cynisme. Pour le premier, tout voir comme un jeu est un dogme cynique tandis que pour le second, seuls ceux qui ne veulent pas jouer sont cyniques.  Aujourd’hui, plus qu’à aucun autre moment il est important de garder les idées claires sur ce qui est le jeu de ce qui ne l’est pas. Etre joueur ne doit signifier que l’on veut que toute chose soit jouable. Au contraire, il me semble plus que nécessaire pour le joueur de garder la sphère ludique éloignée des autres sphères de sa vie. Avec ce prisme de lecture, la ludicisation apparait comme la chose à laquelle le joueur doit se confronter. Vouloir conserver une rigidité sur l’emploi et l’application de l’idée de jeu apparait comme un outil dans la préservation de son esprit critique. ■

Esteban Grine, 2018.


Bibliographie

Bogost, P. I. (2016). Play Anything: The Pleasure of Limits, the Uses of Boredom, and the Secret of Games. New York: Basic Civitas Books.
Genvo, S. (2013). Penser les phénomènes de ludicisation à partir de Jacques Henriot. Sciences du jeu, (1). https://doi.org/10.4000/sdj.251
Henriot, J. (1989). Sous couleur de jouer : La métaphore ludique. Paris: José Corti Editions.
Sicart, M. (2014). Play Matters. Cambridge, Massachusetts: The MIT Press.

Vulgariser ses recherches sur twitter

Alors, je n’avais pas du tout prévu d’écrire à ce sujet. Je vais donc tenter de faire le plus court possible pour conserver les quelques idées que j’ai et que je souhaite partager.

A la suite de mon intervention à la cyberbase de Bron (à côté de Lyon), j’ai entrepris de résumer cette communication de popularisation sur twitter. A ce sujet, mes modèles sont Laurence De Cock et Mathilde Larrère que je suis depuis un long moment maintenant. J’ai même eu l’occasion de discuter avec Mathilde une fois et ce fut le moment où elle me partagea sa méthodologie : tout simplement prérédiger les tweets dans un document word ou autre et une fois que l’intégralité du thread est prêt, le publier dans son intégralité.

Tout cela est donc très simple et c’est ce que j’ai fait avec le thread ci-dessous. Faire cet exercice m’a fait réaliser deux choses. La première est qu’il s’agit d’un exercice très intéressant pour valoriser ses recherches mais aussi pour laisser une trace d’une intervention. L’intégralité des tweets que j’ai publié pour cela comprend 1 267 mots pour à peu près 8 000 signes (espaces incluses). Voilà une donnée plus qu’importante : faire un thread sur twitter vaut une quantité quasi égale à un véritable texte de communication (d’un format de vingt minutes).

C’est immense lorsque l’on réalise cela. Aujourd’hui, je peux immédiatement reprendre mon document word pour en faire par exemple : un texte (comme cela avait été le cas lorsque j’avais publié un article d’Haronnax de la chaîne des Chroniques Du Désert Rouge), une nouvelle communication, un fil conducteur d’une vidéo ou d’un podcast.

La deuxième chose que cela m’a fait réalisé est la suivante : il est possible de faire l’inverse. D’abord préparer son thread, pour organiser sa pensée, pour ensuite organiser sa communication. Le fait que les contraintes de twitter sont tellement fortes (nombre de caractères entre autres) fait que cela oblige à fortement structurer une pensée, un développement.

Le problème majeur de cela est que cela s’inscrit dans un format qui ne privilégie pas le côté scientifique. On est clairement dans la même critique faite à la pensée powperpoint sauf qu’elle se nomme ici la pensée twitter. Donc à titre personnel, je ne pense pas privilégier cette méthodologie pour des communications scientifiques. Clairement.Cependant, avoir vu se thread partagé, repris et diffusé me conforte dans l’idée qu’il s’agit-là peut-être d’un levier intéressant dans la popularisation de mes travaux.

Esteban Grine, 2018.