Les Pals, le capitalisme tardif et des gros guns

En moins d’une semaine, le jeu Palworld (Pocket Pair, 2024) est déjà devenu un nouvel étalon de mesure de l’industrie vidéoludique. Noté 8 sur 10 par IGN, le jeu revendique plus de 8 millions[1] de joueurs et de joueuses seulement 6 jours après sa sortie en early access. Sur le site officiel, il est présenté comme intégrant sans aucune porosité « des éléments de combat, de capture de monstres, d’entraînement et de construction de bases. Les joueurs disposent d’un large éventail d’armes, des arcs et lances classiques aux fusils d’assaut et lance-roquettes modernes » (Pocket Pair, sans date, traduction de l’auteur)[2]. Dès son annonce, le jeu optait pour un ton à la frontière de la satire et du sérieux dans la façon qu’il avait de présenter sa propre expérience. Entre second et premier degré,

les vidéos promotionnelles de Palworld subvertissent l’ambiance bon enfant typique de Pokémon, les monstres de dessin animé y tenant des mitraillettes au design réaliste. On y voit le joueur cribler de balles, de flèches ou d’explosifs ces adorables créatures, et armer celles qu’il a capturées. Dans Palworld, il est aussi question – sans que l’on sache très bien s’il s’agit ou non de satire –, d’esclavagisme et de cruauté envers les animaux. (Trouvé et al. In Le Monde, 2024)[3]

Dès sa sortie, le jeu fut immédiatement comparé à d’autres. Immédiatement également, une partie de l’audience se mit à interroger l’intégrité des pratiques du studio et du processus de production qui fut nécessaire pour sortir ce jeu dans de telles conditions. Pour résumer brièvement, des soupçons de plagiat, d’utilisation d’intelligences artificielles portent sur le jeu, à tel point que Nintendo vient d’annoncer une enquête sur la ressemblance troublante entre les Pals (les monstres de Palworld) et les Pokémons[4]. Tout en étant par ailleurs relativement élogieux à l’égard du titre, le magazine IGN prend en considération la chose de la manière suivante :

Il est impossible de ne pas remarquer à quel point il reprend sans vergogne les idées et les designs de Pokémon, il y a quelques bugs et problèmes de performance peu surprenants, et le travail de maintien des réserves de votre base a besoin d’un peu de retouche – mais quand vous êtes sur le dos d’un dragon volant tout en tirant sur un canard bleu avec un fusil d’assaut, la plupart de ces imperfections s’effacent complètement. (Northup, 2024, traduction de l’auteur)[5]

Alors, avec tout ce contexte, il serait aisé de traiter Palworld comme un énième exemple illustrant l’impossibilité d’une consommation éthique dans le capitalisme. Il serait également aisé de se positionner soit en défense, soit en accusation de ce jeu comme par exemple en focalisant son regard sur ses éléments, le passif de l’entreprise, etc. Cela étant, un tel exercice ne permettrait au mieux qu’une prise de position dans un débat en cours. Or, Palworld est davantage qu’un simple élément permettant de se distinguer individuellement dans un débat. Il est également la dernière saillance d’un système qui rejette peu à peu les possibilités artistiques, culturelles et sociales des jeux pour inscrire ces derniers profondément dans une seule et unique identité d’objet de consommation de masse. Ce faisant, Palworld révèle dans une certaine mesure comment une partie de l’industrie du jeu vidéo conditionne ses propres futures productions à n’être que des produits marchands se dédouanant de toute innovation technique, créative et culturelle. C’est une ultime illustration d’un capitalisme tardif dans lequel l’industrie s’enfonce.

Idées clefs de l’article

  • Palworld n’est que la dernière saillance illustrant la convergence de tendances illustrant l’inscription de certains acteurs de l’industrie, gravitant autour du AAA et du jeu service, dans un capitalisme tardif avancé.
  • Le capitalisme tardif se traduit dans l’industrie du jeu vidéo par la plateformisation des outils de développement dans le but de proposer des expériences peu innovantes dans leur contenu de sorte à limiter les risques pris par les stakeholders.
  • Pour les joueurs et les joueuses, ce capitalisme tardif se traduit par la recherche d’expériences respectant des canevas ludiques typiques plutôt que véritablement novateurs.
  • Plus que Palworld et malgré tout une certaine incertitude sur son développement futur, c’est une victoire commerciale pour Epic et l’Unreal Engine.
  • Palworld illustre le fait qu’il y a une distinction qui s’opère entre l’idée d’un jeu telle qu’elle est médiatisée dans la communication du studio et la communauté joueuse et telle qu’elle se traduit matériellement dans l’expérience. Cette distinction se retrouve dans les stratégies marketing prédatrices de certains autres jeux comme Evertale qui capitalisent leur communication sur des contenus et des intentions artistiques qui sont absentes du jeu.
  • Les « Pokémons with a gun » ne sont finalement qu’une idée davantage partagée dans les discours que véritablement traduite dans l’expérience du jeu qui est, pour le coup, typique d’un jeu de survie en monde ouvert.
  • Les accusations de plagiats et d’usages plausibles d’IA, vérifiées ou non, révèlent davantage un processus de production incompatible avec une certaine idée de l’intégrité professionnelle des game designers. Mieux connaitre comment cette intégrité se cristallise dans les discours sera incontournable pour comprendre les trajectoires futures de l’industrie.

Dans la suite de cet article, plutôt que d’adopter cette problématique par la consommation, c’est donc davantage le système productif des jeux, et particulièrement Palworld, qui sont interrogés. Au-delà des critiques qui peuvent être adressées à Pocket Pair, c’est tout un ensemble de tendances qu’il faut remettre en exergue afin de comprendre finalement ce qui est en train de se jouer avec les Pals, mais en réalité, avec de nombreux jeux AAA et AA.

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L’IA des ours : enjeux et méthodes des ursidés vidéoludiques

Parfois, il suffit de peu pour se lancer dans une petite recherche dont l’objectif n’est pas de répondre à un véritable enjeu académique. C’est le cas lorsqu’il s’agit de mettre en exergue l’utilisation de la figure de l’ours dans des objets médiatiques. Sujet probablement trop petit et pas assez problématisé pour une communication ou une publication, il passe, comme tant d’autres, sous le radar académique. C’est pourquoi, j’ai proposé sous le hashtag #VideoGameBearsStudies de recenser un catalogue d’ours et des façons dont ces animaux sont présentés dans un jeu vidéo. Par chance, cela a été suivi sur Twitter car il faut bien avouer qu’au-delà de toute pertinence scientifique, c’est un sujet qui a de quoi amuser. De fait, c’est cet amusement qui est à l’origine d’une certaine curiosité à l’égard de cet animal en particulier. Que peut-on dire des ours présents dans les jeux vidéo ? Comment ceux-ci s’encastrent plus largement dans une certaine historicité médiatique ?

Dans ce très court article, j’essaie d’apporter quelques éléments de réponses à ces questions aussi inutiles que fondamentalement incontournables.

Un ours dans Immortal Fenyx Rising

Pour citer cet article :
Grine, E., (2020). L’AI des ours : enjeux et méthodes des ursidés vidéoludiques. [Carnet de recherches] Les Chroniques Vidéoludiques.

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Caractériser le play design des walking simulators

Death Stranding est un jeu que la presse spécialisée s’amuse à catégoriser comme clivant. IGN ne s’embarrasse pas de superlatif en le qualifiant de jeu le plus clivant de l’année : « Death Stranding has been, quite simply, the year’s most divisive game around the IGN office. Some of us love its gameplay, others find it frustrating, and aspects some of us enjoy others find annoying » (IGN, 2019). La presse généraliste n’est pas en reste puisqu’à l’instar de l’article de Daniel Dawkins pour The Gardian qui écrit : « Hugely ambitious and hugely divisive, it tasks players with delivering packages across a barren America where the living and dead coexist » (Dawkins, 2019).

L’une des explications que je vois à cette façon de catégoriser le jeu repose sur le fait que Death Stranding s’inscrit déjà dans le registre du walking simulator, déjà sujet à controverses, pour en plus prendre la définition de ce genre fondamentalement au premier degré : il est fondamentalement question de marcher dans Death Stranding, là où les walking simulators que l’on se représente ne nécessitent que peu d’efforts. Comme l’énonce Maxime Deslongchamps-Gagnon : « le joueur n’a qu’à appuyer sur la touche « W » de son clavier pour avancer dans un espace en 3D, ce qui n’a rien à voir avec le réalisme actionnel et la complexité systémique de jeux comme les simulateurs de vol » (2019 : 138).

Si Deslongchamps-Gagnon a fait du walking simulator l’une de ses spécialités de recherches – il tient notamment un podcast consacré au sujet (et que je n’ai pas pris le temps d’écouter malheureusement) –, je m’intéresse pour ma part particulièrement au fait de marcher dans les jeux vidéo, autant dans une perspective esthétique que de recherche, toutes deux basées sur mes pratiques vidéoludiques. Sur Twitter, je me suis de nouveau exprimé sur ce sujet étant donné ma récente expérience de Death Stranding. Le message volontairement provocateur fut le suivant :

J’aime bien le fait quand même que #DeathStranding est le premier walking-sim qui fait de marcher une vraie mécaniques de jeu…. Contrairement à tous les walking-sim finalement… qu’on devrait peut-être appeler…. Des witnessing-sims ? (L’Esteban Grine de Twitter, 2019)

A la suite de sa publication, je me suis remis forcément à penser et c’est ce que je souhaite formaliser ici. L’objectif ici est de répondre à la question suivante : comment appréhender l’expérience de la marche dans les jeux vidéo ? Finalement, il n’est donc pas question de définir ce que sont les walking simulators. Je compte surtout proposer des clefs permettant de caractériser et qualifier la pluralité des expériences permises par les simulateurs de marche.

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« Florence » n’est pas une histoire d’amour, c’est bien plus.

Florence Yeoh est une jeune femme salariée d’une entreprise. On découvre que plus jeune, elle aimait beaucoup dessiner et que sa vie actuelle, sans être désastreuse ne la satisfait pas entièrement. Un matin, elle rencontre un street artist du nom de Krish et une histoire d’amour va se tisser au fil des séquences proposées par le jeu. Pendant que l’un joue de la musique l’autre le dessine. Krish entre dans une école de musique tandis que la vie salariale rattrape Florence qui retrouve un milieu peu gratifiant. La routine s’installe alors au sein du couple et chacun s’éloigne. Les disputes vont conduire le couple à se séparer et tandis que l’on perd de vue Krish, Florence recommence à dessiner puis à vendre ses créations. Les relations houleuses qu’elle pouvait avoir avec sa mère se simplifient et finalement les deux se retrouvent et se soutiennent. A cheval entre son travail et son art, Florence finit par être exposée dans une galerie. Elle peut désormais vivre de sa passion et quitte son emploi pour devenir artiste à temps plein. Elle adopte un chat et revoie périodiquement sa mère. A la toute fin, le jeu révèle une Florence Yeoh épanouie, heureuse du chemin qu’elle a parcouru et du sentier qui se dessine devant elle.

Florence est un jeu développé par l’équipe du studio Mountains et est sorti le 14 février 2018. Malgré l’histoire romantique qu’il présente, Florence est bien plus : c’est un récit « tranche de vie » qui nous est révélé par une esthétique « bandes-dessinées » ou story board. Florence est un storyboard  jouable. Il met en récit une jeune femme frustrée qui aspire à une vie artistique. La rencontre de Krish n’est pas anodine car même si l’on suppose que la relation est sincère et non toxique, on peut s’interroger sur le fait que Florence pousse Krish à réaliser ce que potentiellement elle aurait aimé faire : une école d’art. En plus d’une histoire d’amour, il est  aussi question dans ce récit de l’émancipation de jeune femme qui a été empêchée par sa famille, puis par son travail, d’accéder à ce qu’elle désirait faire sincèrement : vivre de son art. La solution est d’abord de vivre à travers quelqu’un d’autre : Florence pousse Krish. Celle-ci ne fonctionne pas. Le jeu tient un discours sincère sur les parcours de vie de chacun et promeut l’idée qu’il est important de se sentir en équilibre avec son environnement personnel, professionnel, familial, etc. C’est de cela dont il est fondamentalement question à mon sens dans le jeu. Il est fondamentalement question du bien-être de Florence et on ne peut qu’être heureux·euse pour elle lorsque le jeu se termine.

Les événements ludiques que l’on rencontre nourrissent le propos et le récit. le jeu illustre les maladresses de Florence et de Krish dans leurs discussions en proposant des puzzles plus ou moins compliqués à résoudre. Plus les puzzles sont compliqués et plus les personnages sont gênés pour prendre la parole et inversement, lors des disputes, les éclats sont associés à des puzzles déjà résolus. Florence est un parangon de la rhétorique procédurale et des limites de ce concept. Tous les  éléments du jeu sont finement liés entre eux et indissociables. Dans une certaine mesure, le jeu est pour moi un exemple de ce que j’appelais la narration à n-corps pour définir les récits vidéoludiques. Plutôt que de supposer qu’un élément (par exemple les illustrations) est encastré dans un autre (le gameplay), on effectue des allers et retours  entre les différents corps du jeu. ■

esteban grine, 2019.

Florence, épanouie <3

Les robinsonnades postapocalyptiques

L’un des sujets que j’avais eu envie de traiter, déjà en 2017, était la façon dont les jeux proposant des mondes plus ou moins ouverts s’étaient intéressés au postapocalyptique. Plus précisément, il s’agissait surtout de représenter des mondes bien après les événements destructeurs. C’était le cas de Nier : Automata, Horizon Zero Dawn et bien entendu Zelda Breath Of The Wild. Ainsi, il n’est pas question dans ces jeux de représenter l’immédiat et la destruction. Au contraire, c’est sur les reconstructions que se focalisent ces trois œuvres. Ces jeux sont alors à l’opposé de ce que j’ai pu voir précédemment dans les jeux vidéo. J’ai le sentiment que ces trois jeux s’accaparent des univers et des imaginaires nouveaux pour le médium.


Notes : ce billet s’inscrit dans une nouvelle réflexion sur les jeux vidéo, notamment dû à un nouveau parcours de Zelda Breath Of The Wild. Il s’agit alors d’un premier billet d’une nouvelle série de réflexions basées sur ce jeu. C’est aussi le dernier billet de ce carnet pour l’année 2018 ! Alors, bonne année 2019 et à l’an prochain !


Le joueur ou la joueuse, entre exploration d’un monde ruiné par la guerre ou les cataclysmes et reconstruction de ce dernier, doit tracer son chemin et son expérience. Que cela soit pour un plaisir vidéoludique ou pour y déceler une leçon de vie, ces jeux sont l’occasion d’explorer des futurs possibles tout en nous faisant vivre des situations contemporaines de notre réalité. Difficile de ne pas faire non plus le rapprochement avec des œuvres japonaises tels que Le Château dans le Ciel, Nausicaa et dans une certaine mesure Avatar : The Last Airbender. Les mondes, ayant survécu au cataclysme, sont verdoyants.

Ce que j’apprécie particulièrement dans ces jeux, c’est le fait qu’ils acceptent la destruction du monde comme un postulat de départ mais ne se concentrent pas précisément sur la destruction. Au contraire, chacun présente des mondes florissants et pertinemment vivants. Dans Horizon Zero Dawn, la technologie emprunte répond dorénavant bien plus à des lois biologiques. En témoignent les robots zoomorphes. De même, les villes que le joueur ou la joueuse découvre fourmillent de vie. Dans Nier : Automata, les robots ont bâti des organisations sociales variées (allant de la monarchie jusqu’à des organisations totalement horizontales). Enfin, dans Breath Of The Wild, chacun des peuples rencontrés s’est accommodé de la bombe nucléaire qu’est Ganon. La vie continue et se reconstruit.

Chacun de ces jeux sont des occasions pour le joueur ou la joueuse d’explorer des mondes ayant survécu à la guerre ou la destruction. On retrouve alors des paysages plus ou moins marqués. Le plus flagrant exemple qui me revient au moment où j’écris ce texte est le champ de bataille dans la région de Necluda dans Breath Of The Wild. Les gardiens jonchant le sol sont littéralement des métaphores d’anciennes mines antipersonnelles prêtes à se déclencher dès qu’une personne s’en approche trop.

C’est dans ces univers que vient le thème de la robinsonnade : le joueur ou la joueuse œuvre plus ou moins à la reconstruction. Arrivé dans un monde qui lui est plus ou moins inconnu, il lui incombe la tâche de rebâtir ce qui ressemble à une ou des sociétés (ou assimilés à des traits sociétaux : technologies, paix, etc.). Dans Horizon Zero Dawn, Aloy redécouvre des technologies anciennes. Dans Nier : Automata, il est bien plus question de reproduire les systèmes organisationnels. Enfin, la perte de mémoire de Link est un prétexte à découvrir un monde qui se reconstruit et qui soigne ses blessures. C’est donc dans ce genre que j’inscris ces trois jeux : celui de la robinsonnade postapocalyptique. Les mondes ont déjà été le berceau de sociétés mais par un événement particulier et destructeur, nous explorons donc « l’après » et participons plus ou moins à l’organisation de ce nouveau monde. Les enjeux ne sont d’ailleurs pas partagés par tous joueurs et personnages non-joueurs. Dans Breath Of The Wild, finalement très peu de personnages s’intéressent fondamentalement à la lutte contre Ganon : la guerre et la destruction sont déjà passées. Dans Horizon, les enjeux se resserrent sur des crises politiques et ce, malgré la menace d’HADES (une entité cybernétique contrôlant dans l’ombre les machines mais aussi certaines organisations humaines).

Les robinsonnades postapocalyptiques se caractérisent par cette absence d’immédiateté. Nous arrivons trop tard pour sauver le monde. Nous œuvrons plutôt au maintien de son nouvel équilibre. Nous sommes alors libres de tout impératif pour explorer et apprendre de ces mondes, véritables miroirs du notre.

Esteban Grine, 2018.

Elles étaient pourtant vertes, ces collines.

Afin de pallier mon envie de me replonger dans l’univers de Spyro le dragon avec son remake à peine sorti, j’ai décidé de refaire le tout premier épisode de la trilogie initiale. J’ai aimé Spyro. J’ai aimé ce personnage, ses niveaux et ses univers. Pourtant, en relançant le jeu, ma nostalgie s’est heurtée à l’épreuve du temps : comment se fait-il que ce jeu de mon enfance soit si triste et si terne ?

Ce n’est pas lui qui a changé, c’est sûr. C’est mon regard et ma compétence de joueur. C’est aussi l’environnement technologique qui a évolué. Comment considérer la première itération du dragon encore chatoyante alors que l’an passé est sorti le merveilleux remake de Ratchet & Clank ?

Il y a une déconnexion entre mon souvenir du jeu et le jeu tel qu’il est réellement. J’avais une discussion avec un ami et durant cet échange, nous questionnions la pertinence de proposer un remake quand le jeu d’origine est toujours « fluide, fun, beau, coloré, etc. ». Si aujourd’hui je devais formuler une réponse, je dirais que les remakes existent pour qu’une structure de jeu corresponde aux souvenirs que nous avons (ou l’inverse). Lorsque j’ai repris Spyro, sur émulation, je suis entré dans cette vallée de l’étrange. Les mondes ne sont plus si beaux que ça. L’enjeu central du jeu est résumé très succinctement dans un des niveaux du monde des pacifiques entre un dragon délivré et le protagoniste :

Gunnar : Bien joué Spyro, continue comme ça et je suis certain que tu accompliras ton destin !

Spyro : Mon destin ? Je veux juste leur botter…

Gunnar : Débarrasse-toi des ennemis et récupère des joyaux.

Une lecture bête et méchante résumerait l’histoire en énonçant que Spyro est simplement un huissier chargé par les dragons de récupérer les joyaux que Gnasty Gnorc a dérobés. Le récit (enchâssé) est quelque chose que j’avais finalement oublié. Sa redécouverte fut déceptive et décevante. Lorsque j’ai rejoué au jeu, en 2018, je me suis rendu compte que les lignes de dialogues, hormis pour leur qualité didactique, sont très pauvres. C’était un détail oublié dans mes souvenirs.

Je n’ai même pas parlé du gameplay du jeu qui dans mes mémoires semblait parfait : comment se fait-il que manette en main, j’éprouve des difficultés à me mouvoir ? J’applique ici l’hypothèse suivante : il est très difficile de se remémorer le gameplay effectif et réel d’un jeu. De fait, nos souvenirs occultent certains pans (pour mon cas, c’était par exemple la manipulation exécrable de la caméra avec R2 et L2) ou les bonifient (je ne me souvenais pas par exemple des imprécisions des déplacements). Encore une fois, c’est cette déconnexion entre mon souvenir est l’expérience récente que j’ai du jeu qui m’a fait prendre de la distance par rapport au jeu.

Les remakes semblent alors être une réponse à la question posée plus haut. Si les souvenirs restent intemporels (car nous les réactualisons en prenant en compte certaines évolutions technologiques, sociales, etc.), les objets restent ancrés dans leur époque. Les remakes sont alors des outils permettant de réaligner une structure de jeu sur nos souvenirs. ■

Esteban Grine, 2018.

(Epilogue : je vais me jeter en effet sur le remake de Spyro)


Spyro The Dragon (Insomniac Games, 1998)

Spyro Reignited Trilogy (Toys For Bob, 2018)

De béton et d’acier – Horizon Zero Dawn

Cette série photo a été réalisée pendant la « Quelque Chose Jam ». J’ai choisi de réaliser des photos prenant pour modèle une ville en ruine avant que le soleil ne se couche. Il s’agit de décors qui ont été créés pour le jeu Horizon Zero Dawn, cher à mon cœur et dont le mode photo est incroyable.

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Jeu Vidéo : La critique

Rarement j’ai ressenti quelque chose d’aussi fort qu’en jouant à ce jeu. Un peu comme si une balle, vous transperçait le crâne par la gauche puis ressortait par la droite, sans éclaboussure. Rarement, je n’ai vu pareils émotions dans une seule production vidéoludique et rarement j’ai autant ressenti de tristesse, d’empathie mélangées à un bonheur sans fin et un amour illimité pour des personnes qui ne sont finalement que des morceaux de codes issus d’un programme informatique.

Aujourd’hui, je vais vous parler d’un jeu, peut-être le jeu de l’année mais qui dans tous les cas a mis tout le monde d’accord grâce à son esthétique, sa direction artistique, ses cadres et tout le reste. Aujourd’hui, je vous parle du jeu.

Mais avant de parler de sa musique incroyable, de son audace dans l’installation de son scénario mais aussi du gameplay qu’il propose, il faut que je vous parle du studio derrière tout cela, mais surtout, du game designer qui a fait émerger l’idée de cet incroyable jeu. Le studio est récent, ses précédentes productions n’ont pas été de véritables œuvres, le public les a plutôt délaissées même. Pourtant, c’est avec cette nouvelle création qu’il ont totalement été propulsés au devant de la scène, rejoignant ainsi les grands noms comme Hayao Miyazaki et Miyamoto. C’est incroyable qu’en si peu de temps, des jeunes créatifs ont réussi, avec un simple projet, dont les idées tiennent à peine sur une page, à réaliser un si grand jeu qui passera clairement à la postérité.

Mais parlons-en maintenant du jeu. La première chose qui m’a frappé, c’est son gameplay, ni trop équilibré, ni trop simple, il installe le player dans le flow de l’action. Celui-ci ne fait alors plus qu’un avec son activité, quand j’y jouais, c’est comme si la manette ne faisait plus qu’un avec mes mains, il n’y avait plus d’interface, de HUD, tout se passait comme si j’étais seul, dans le noir, avec la lumière de l’écran. La courbe de difficulté oblige le joueur à monter en compétence mais, c’est toujours juste. Il y a bien des pics de difficulté mais ce n’est que pour signifier au joueur que là : « ça ne passera pas si tu n’est pas digne de moi ». Et tout le gameplay du jeu peut se résumer à cela : « montre-toi digne de moi ». Pas de sélection de la difficulté, on ne prend pas par la main le joueur, ou alors, il ne s’en apercevra pas. Car rarement, j’ai été aussi manipulé facilement par le game design d’un jeu. Pourtant, je pense largement avoir  les compétences ludiques pour décrypter ce qu’il se passe sous mes yeux mais là, l’équipe de développement a tellement été excellente, que j’ai totalement été berné par l’esthétique, le gameplay mais aussi le level design.

Tiens, parlons-en du level design. Ici, c’est juste incroyable. Les décors sont somptueux. Ils montrent clairement que la team de développement éprouve un amour sans fin pour l’univers qu’ils ont créé. La direction artistique montre clairement la maitrise des graphistes à proposer un monde cohérent autant par son gameplay que par son esthétique : pas de dissonance ludonarrative donc. On se retrouve à parcourir un monde tout entier sans jamais véritablement percevoir les limites du décors. Après les dizaines d’heures que j’ai passées jusqu’à l’écriture de cette critique, je reste encore incapable de définir les limites du monde que l’on peut parcourir. Quand je disais que l’on se fait manipulé, je faisais référence à cela. Par de nombreux moments, on parcourt des milieux plutôt restreints, mais nous ne nous en apercevons jamais. Tout simplement parce que le level design est tellement brillant que l’on n’a pas envie d’aller dans les zones inaccessibles. Pour moi, c’est ça véritablement l’art du jeu vidéo : imposer des règles et manipuler des joueurs sans qu’ils ne s’en aperçoivent. Ce qui est incroyable aussi, ce que le jeu parvient à nous proposer de nombreux embranchements de sorte que l’on peut toujours choisir la route que l’on veut prendre, et ça, c’est une vraie preuve que notre média favori devient mature tout en maitrisant de mieux en mieux sa propre grammaire.

On a parlé du gameplay, du level design mais qu’en est-il de la narration ? Encore une fois, le studio a su s’entourer des meilleurs auteurs. La mise en récit de ce jeu est un véritable ascenseur émotionnel, on est parfois heureux et parfois malheureux. Mais ce sont toujours des beaux sentiments et surtout, il n’y a jamais de fausse note. Comment expliquer cela ? Tout simplement par le rythme incroyable du jeu qui nous fait alterner entre des séquences lentes et émouvantes et des séquences d’actions effrénées. Ces dernières reprennent les classiques du genre donc on arrive en terrain connu mais le gameplay propose de nouveaux arrangements et de nouvelles situations, ce qui fait que l’on est toujours surpris par l’ingéniosité des game designers. Malheureusement, je ne vous en dirai pas plus de l’histoire car je ne veux pas vous spoiler. C’est un jeu qui mérite d’être joué.

Voilà Internet, je pense avoir donné mon opinion de critique vidéoludique sur ce jeu, j’espère que cela t’a convaincu et n’hésite pas à laisser un commentaire pour dire si tu es d’accord. ■

Estebae Grine, 2017.