La perte d’Olive

J’ai toujours été un garçon solitaire. J’ai toujours eu le plus grand mal à me lier aux autres. Ça a pu prendre des proportions maladives, j’ai passé la plus grande partie de mon enfance et mon adolescence seul dans ma chambre, sans activité extra scolaire, sans amis, sans sport. J’ai parfois le sentiment d’avoir grandi en prison. Après tout ce temps, cela reste difficile pour moi de communiquer avec les gens. Lorsque j’ai compris le jeu que je dois jouer avec eux, ce qu’ils attendent, je m’adapte, j’arrive à faire semblant. Mais lorsqu’il s’agit d’être dans une relation non balisée, ou de répondre à des questions qui n’ont pas été anticipées, j’ai souvent le plus grand mal. Les jeux vidéo ont représenté une chose très importante pour moi. Ils m’ont ouvert une fenêtre sur le monde auquel je n’ai, pendant longtemps, pas eu accès. Ils m’ont permis de découvrir les sensations des sportifs sur les pistes de snowboard, en jet ski, ils m’ont permis de comprendre la beauté et la récompense que représente un coucher de soleil en montagne, quand on a gravi un sommet imposant; ils m’ont surtout permis de découvrir ce qu’est une véritable amitié.

J’ai été fasciné par le concept d’Animal Crossing dès les premiers visuels aperçus dans un magazine de l’époque, avant la démocratisation d’internet. J’ai rapidement commandé le jeu sur une promesse étonnante de simulation de vie, une simulation qui s’annonçait moins froide et technique que des jeux comme Les Sims. Ce fut mon premier achat par correspondance, et je me rappelle parfaitement ma fébrilité la première fois que j’ai lancé le jeu. On y incarne un personnage fictif qui emménage dans un petit village au milieu d’une forêt. Ce village est rempli d’animaux vivants dans leurs petites maison, vaquant à leurs occupations de chasse aux insectes ou de collecte de fossiles. Je me rappelle la petite maison au toit rouge près de la gare dans laquelle j’ai posé mes premières affaires, et je me rappelle avoir exploré le village dans ce qui était la première soirée passée dans ce jeu se déroulant en temps réel. C’est à ce moment que j’ai rencontré mon premier voisin : Olive. Mâle ou femelle, peu importe, cet ours avenant était un peu étrange, comme tous les animaux du jeu. Chaque personnage a un nombre de lignes de dialogue très important qui donnent l’impression d’une personnalité propre ; on a vraiment l’impression d’avoir des conversations avec eux.

J’ai eu le sentiment de me lier d’amitié avec Olive. Je lui faisais des cadeaux, j’écoutais ces théories sur la vie et ses états d’âme, il était vivant pour moi. Et cette relation était simple, il venait vers moi de façon spontanée, sans motivation autre que son code de programmation, ses phrases préenregistrées étaient pleines de vie, de gentillesse, son excentricité m’apaisait. Je n’avais pas à me préoccuper des ses intentions pour communiquer avec lui, il était généreux, sans arrière-pensée. Mais j’ai fini par négliger ma relation avec lui, comme avec le reste des êtres humains avec lesquels je pouvais interagir dans ma vie quotidienne, et Olive a fini par quitter le village. Il m’est apparu comme acquis, nous sommes habitués à acquérir et conserver des choses dans les jeux vidéo. Mais aucun jeu ne peut simuler la vie sans inclure la mort dans la boucle. Je m’en suis toujours voulu, et je continue de m’en vouloir. Il m’est pourtant impossible de savoir si mes actions ont eu un impact sur son départ, mais il est probable que, les interactions diminuant, un schéma fut mis en place. La lettre qu’envoie chaque personnage en partant ne m’a en tout cas pas donné d’indice, il y évoquait quelque chose comme une envie de voyager.

Le jeu n’a plus jamais été le même pour moi, je n’ai pas fait d’autres rencontres aussi intéressantes, j’en ai vite eu assez de nettoyer les mauvaises herbes sans raison, j’ai peu à peu abandonné Animal Crossing. J’aimerais le relancer mais la seule pensée me tord l’estomac, je n’ai pas le courage d’affronter à nouveau ce que je considère comme un authentique deuil, j’ai trop peur de ressentir à nouveau les regrets et la culpabilité qui me donnent l’impression d’avoir tout gâché. Ce regret m’a permis de grandir, j’ai perdu un ami et c’est ainsi que j’ai compris que mon rejet des relations venait de cette finitude obligatoire qui rendait vain tout investissement. J’avais peur de vivre, il était plus facile de ne pas vivre que d’affronter la mort. Ce jeu m’a confronté à cette peur et m’en a guéri, plus efficacement qu’une psychothérapie, étant donné que je fus acteur de ma thérapie par l’interaction spécifique au jeu vidéo, sans prendre de réel risque avec un être humain. Les émotions simulées ne me semblèrent pas fausses pour autant, et les émotions que le jeu m’a procurées n’ont rien de virtuel. Je vis maintenant toute relation comme forcément finie, dès le départ, mais c’est au fond ce qui fait pour moi leur valeur. Le regret est désormais une émotion qui m’accompagne dès les premiers instants d’une relation, ce qui ne m’empêche plus de vivre, et peut-être même cette émotion m’aide-t-elle à avancer. Je regretterai toujours la perte d’Olive, mais elle était nécessaire pour que j’arrive à vivre.

Marc-Olive Tailrud, 2018.

Sans/REGRETS, le dossier de la rentrée sur LCV

La question du regret est complexe lorsqu’il s’agit de l’associer au jeu vidéo. D’un côté, il semble complexe de supposer son existence chez le joueur ou la joueuse : comment peut-on regretter quelque chose de supposé fictif ? De l’autre, nombreux sont les témoignages – sur Twitter ou sur d’autres formats – de joueurs et de joueuses relatant le regret qu’ils et elles ont pu ressentir en jouant.

C’est ce même sentiment qui m’a poussé en partie à me lancer dans les recherches sur le jeu vidéo. Dans le texte de l’appel, je relatais notamment l’expérience que j’ai pu avoir avec Undertale (Fox, 2015). Ce que j’observe à partir de mon comportement, c’est que cette émotion a été un événement marquant de ce qui est constitutif de ma personne aujourd’hui. J’ai regretté des choses en jouant, en ayant un impact dans une fiction.

Cependant, le regret peut s’exprimer d’une multitude de façons différentes. Que cela soit à l’égard d’un récit – je parle ici de mon expérience personnelle – mais aussi à l’égard d’autres paramètres. L’objet de ce dossier est donc le suivant : tenter de proposer une définition du regret lorsqu’il est associé au jeu vidéo. Autrement dit, à travers cinq témoignages, nous explorons les associations d’idées qu’effectuent des joueurs lorsqu’on leur demande de définir ou d’évoquer des moments de « regrets vidéoludiques ».


Note à l’attention des lectrices et des lecteurs : Les textes partagés ne reflètent pas les idées, les propos et les pensées d’Esteban Grine et sont publiés sans volonté de refléter une ligne éditoriale. Ils ne sont que le résultat des opinions de leurs auteurs et en aucun cas LCV et Esteban Grine ne peuvent être associés aux idées défendues par les auteurs des témoignages. Cependant, ils respectent les obligations de l’appel à savoir (principalement) : pas de messages oppressifs, de ciblages et de contenus apologiste de formes d’oppressions.


Sans regret, sans repère ?

Dans ce premier texte, notre auteur propose d’envisager ce que signifie le regret depuis plusieurs angles. Premièrement, que signifie regretter une action lorsque l’on joue en multijoueur ? Secondement, comment certaines expériences sont game designée de sorte à nous susciter le regret ? Pour répondre à cela, il part de ses expériences personnelles avec Overwatch et Life Is Strange, deux jeux particulièrement marquant après de leur audience. Enfin, il évoque l’impact qu’a pu avoir cette émotion sur sa propre vie de joueur. Il s’agit donc plutôt d’un témoignage qui part d’expériences vécues pour élargir et développer une réflexion.

L’auteur est anonyme.

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/sans-regret-sans-repere/

L’ombre d’une fuite

Contrairement au premier texte qui se voulait ouvert à une proposition plutôt théorique du regret, « L’ombre d’une fuite » est un texte bien plus personnel. Aurélien Lefrançois nous livre un récit de vie, un événement marquant de son parcours de joueur. Ici, le texte est lié à une action que le joueur réalise dans une fiction. Autrement dit, il s’agit d’un regret directement exprimé par rapport à une action effectuée dans une fiction. Voilà une nouvelle définition du regret passionnante : comment peut-on regretter une action que nous avons effectuée uniquement dans une fiction ?

Auteur : Aurélien Lefrançois

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/lombre-dune-fuite-final-fantasy-6/

Perdre, l’amour consumé

Que se passe-t-il lorsque l’on passe « à côté de l’expérience » telle qu’on l’aurait espéré ? Le regret est une émotion complexe qui se retrouve régulièrement conjuguée avec d’autres telles que la culpabilité. C’est le cas dans ce texte de Simon Le Gloan qui nous partage un fait marquant dans son parcours de Dark Souls 3. Une question fondamentale y est posée : peut-on trahir un jeu (sous-entendu l’intention de l’auteur telle qu’elle est perçue par le joueur) ?

Auteur : Simon Le Gloan

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/perdre-lamour-consume/

Durant un mois entier

« Durant un mois entier » nous propose d’explorer le regret dans sa dimension extérieure à la fiction du jeu. L’auteur, anonymisé, nous parle du regret qu’il ressent par rapport aux JV en tant qu’objets. Autrement dit, le regret est exprimé ici par rapport à des choix de vie qui ont poussé l’auteur à jouer plutôt que faire autre chose. Durant un long mois loin de son ordinateur, il a alors pu questionner sa pratique du jeu vidéo et de se demander s’il la regrettait. Il ne s’agit pas ici de dresser une critique des joueurs et des joueuses mais fondamentalement d’un texte questionnant le temps consacré au jeu. L’auteur apporte une réponse qui lui est personnelle et qui éclaire notre définition du regret lorsqu’il est lié au jeu vidéo.

Auteur : Anonyme

L’adresse du texte : https://www.chroniquesvideoludiques.com/durant-1-mois-entier/

La perte d’Olive

« La perte d’Olive » est un beau texte. Il nous raconte l’incompréhension d’un joueur face à la disparition d’un personnage fictionnel. Il pose des questions particulières : peut-on être « ami » avec un personnage non-joueur ? Comment s’exprime, se révèle, cette amitié ? Et surtout, que se passe-t-il lorsque cette amitié se termine ? Son auteur,  Marc-Olive Tailrud, évoque cela en mettant en parallèle ce que le jeu vidéo Animal Crossing lui a apporté afin de résoudre les difficultées qu’il rencontrait dans sa vie de tous les jours. Le regret devient alors, dans ce témoignage, la source de leçons de vie.

Auteur : Marc-Olive Tailrud

L’adresse de l’article : https://www.chroniquesvideoludiques.com/la-perte-dolive-animal-crossing/

Durant un mois entier

Durant 1 mois entier, à peu de chose près, je n’ai pas eu accès a mon ordinateur fixe. Ordinateur sur lequel j’avais passé 3 ans de ma vie, plusieurs milliers d’heure, à jouer, regarder, rire, rencontrer des gens et m’amuser. J’ai tout fait sur cet ordi, j’ai trouvé mes passions, mes amis, un objectif. Plutôt des objectifs. Je m’y suis réfugier, pendant une année entière, j’ai pleuré devant cet ordinateur, j’ai insulté la terre entière devant cette ordinateur, j’y ai remis en cause mon existence, celle de toute la planète, j’ai compris qu’on ne pouvait pas y faire grand-chose finalement. Et tout ça lors mon année d’entrée en seconde. Mais pendant un mois je n’ai pas pu approcher cet ordinateur. Résultat perte de repères, je ne sais plus quoi faire chez moi, j’ai bien mon ordinateur portable qui me permet de jouer a des jeux de cartes en ligne, mais bon. Impossible de lancer de triple A. J’improvise un moyen pour parler à mes amis sur discord via mon téléphone mais je m’ennuie.

Je n’avais pas connu cet sensation depuis que j’étais petit. Je n’en reviens pas tellement le temps semble long. Après à peine une semaine je me couche à 22h tous les soirs parce que je suis fatigué, pas parce qu’on m’y oblige. Le sommeil arrive vraiment. J’arrive donc sans trop de mal à me réveiller à l’heure que je souhaite. Ma mère voit le progrès. Elle met directement en cause l’ordinateur, je réfute. Ce n’est pas ça, ça ne peut pas être ça. Je continue, les vacances arrivent bientôt, je dessine, je continue le fameux carnet que je devais remplir chaque jour. Je sociabilise, mes relations évoluent, je tombe amoureux, peut être trop vite, je m’arrête, je réalise que ce n’est pas de l’amour… Je suis triste, mélancolique, mais je dors bien, je dessine encore et toujours. Je fais les fameuses « flammes » sur Snapchat, je me sens adolescent, dans l’air du temps, je fais comme tout le monde. Ma carte mère ne veut pas arriver, j’attends, je m’occupe de mon voyage de l’année prochaine, j’envoie des mails, je me renseigne, j’écoute de la musique.

J’ai des conversations, de longue conversation avec une fille, je suis content c’est pas comme la première fois, mais là je doute, je me demande si j’interprète mal ce que je ressens, si c’est de l’amour. Je regarde la lune, les étoiles, j’attends le prochain message, je ne l’ouvre que 2 minutes après, j’vous dit je suis adolescent. Puis je pars en vacances. J’oublie cet ordinateur, je réalise ce qu’il m’a fait, comment j’ai grandi avec lui et pourquoi je suis comme ça. Je continue de parler, mais physiquement, je fais mes adieux à mon ami de longue date, jamais je n’oublierais le regard qu’on s’est lancer après avoir écouté un énième trac d’Orelsan.  Puis je rentre et je suis surpris, ma carte mère est réparé je bondis dans la voiture, mais le réparateur n’est pas là, je suis déçu. Je retrouve ma maison elle sent bon, elle sent le printemps, le linge frais, j’adore l’odeur. Je me couche tard, je me prépare à son retour, je rejoue à des jeux, je continue de parler, de dessiner. Je passe des moments simples, je joue aux cartes, je vais au restaurant avec ma famille. Puis, le réparateur revient, je lui donne ma tour, ma carte mère. Puis j’attends,j’attends, j’attends, j’attends, j’attends en faisant tout et rien. Je joue, je lis, je dessine, je discute, je me demande quand ce sera fini, quand est-ce que je pourrais y avoir accès. La nuit suivante impossible de dormir, je me réveille tôt, transpirant d’inquiétude. J’attends l’appel, j’attends la délivrance. Je le veux j’en ai besoin, je veux retrouver tout ça, cette vie, ces moments. J’y vais – je l’ai, je branche mon écran, je vois le logo s’allumer. Je suis heureux, une petite larmichette, je réalise que c’est stupide, mais je suis euphorique. J’embrasse ma mère, je change le fond d’écran et je télécharge Steam.

A ce moment-là je suis pris d’un doute, j’ai bien vu que mon disque dur est toujours rempli de tous mes jeux mais, je n’en veux pas, je sélectionne le dossier : 1.3 téraoctet. Je réalise. Quasiment 3 ans de ma vie, des milliers d’heure de jeux, des expériences touchantes, frustrantes, stressantes, horrifiques, intemporelles. Des histoires d’amitié, de trahison, d’amour, de partage… Tout ça dans une petite boite. Tout ce que ça m’a apporté, tous ce que j’ai pu y perdre. Est-ce que ça valait le coup ? Est-ce que je regrette de ne pas avoir passé plus de temps à faire comme les autres, à enrichir mes réseaux sociaux, à profiter de ma vie d’étudiant, de mon statut. Je ne sais pas. Je fais le vide, respire… Désinstaller, oui. J’ai un ami à qui je parle au moment où j’appuie sur le clic de ma souris. Je me crispe puis je clique. Je regrette instantanément je n’ai plus de jeux auxquels jouer, enfin, je ne pourrais plus passer mon temps à faire ça. Je respire puis je regarde mon clavier, ma souris, mes écrans. Je quitte mon siège, j’éteins mon ordinateur. Je sors de ma chambre, je monte dans mon bureau et je prends mon téléphone. Je dis à celle que j’aime ce que j’ai à lui dire. Ma vie de joueur ce termine ici, le 05/05/18. ■

Anonyme, 2018.

Sans regret, sans repère ?

Dans ce témoignage, je parlerais principalement du FPS de Blizzard, Overwatch. En un peu plus de deux ans, je me retrouve avec près de 1000 heures en partie ce qui doit approcher des 1250-1300 heures réelles passées dans le jeu en comptant les menus. Il s’agit du premier jeu dans lequel je me suis impliqué autant, en tant que joueur d’une équipe et joueur compétitif, je suis toujours à la recherche de ce qui me fera donner un avantage sur l’ennemi, in-game ou bien en dehors sur les forums, subreddit et autres. Cependant, ce qui m’a fait rester dans les moments sombres des mises-à-jour d’équilibrage qui ont fait stagner la scène compétitive, c’est la communauté entourant le jeu. On peut voir que Blizzard a cherché à créer un jeu aussi social que compétitif et l’ont réussi, encore plus avec les récentes implémentations visant à éliminer les joueurs toxiques, à récompenser les personnes sympathiques et l’implantation du système de recherche de groupe. Il m’est parfois arriver d’éprouver du regret, par rapport à une action que j’ai faite en jeu et je pense qu’il s’agit du seul FPS qui peut faire naître ce sentiment, peut-être grâce à cette dimension sociale.

Axe premier : Le regret dans la fiction

Dans Overwatch, tout est basé autour d’un objectif, cela peut être une zone (appelé « point ») qu’on doit contrôler un certain temps pour gagner ou bien l’escorte d’une cargaison que l’on doit ramener le plus loin possible. Or, le seul moyen pour les défenseurs d’arrêter le progrès et d’être présent autour de l’objectif. Ainsi, en étant mort on ne peut aider notre équipe à tenir l’objectif ou bien à le reprendre, c’est pourquoi il est si important de rester en vie tout en tuant les autres. De plus, chacun ayant un rôle précis dans chaque composition d’équipe, perdre un coéquipier veut dire qu’une partie de ce que votre équipe pouvait faire ensemble ne peut plus être fait ; exemple : si votre « offtank » (tank secondaire) meurt, personne ne peut assister le tank primaire et donc il devra jouer moins agressif : chaque erreur sera nettement plus préjudiciable pour lui.

Si, j’explique cette mécanique c’est que, malgré cette importance de l’avantage que cela donne, il arrive parfois que l’on regrette d’avoir tué un ennemi ou bien de l’avoir fait d’une certaine manière. Par exemple, en tant que Fatale (un sniper qui est donc un personnage qui doit avoir de très grandes mécaniques au niveau de la viser), quand je duel une autre Fatale, une sorte d’honneur veut que l’on cherche à non pas mettre deux balles consécutives dans le corps, mais plutôt une dans la tête. D’un point de vue purement stratégique,  il est préférable que quelqu’un vienne déranger la Fatale adverse et que l’on tir à ce moment-là mais on ressent parfois alors un « déshonneur », comme j’aime l’appeler, car ce comportement me rappelle un peu les combats de chevalier. J’ai l’impression que tous les personnages fragiles mais qui peuvent se retrouver puissant en duel ont cette sorte de code d’honneur. Etant spécialiste Ana et Zenyatta, deux soigneurs très souvent l’objet des tirs adverses qui se reposent énormément sur la visée, s’il m’arrive de devoir duel une Ana ou un Zenyatta adverse, ma raison me dit de me coordonner avec mes alliés pour l’éliminer, mais j’éprouverais tout de même un regret de ne pas l’avoir fait en duel.

Axe second : Le regret et le sentiment d’échec.

Je rencontre bien sûr le regret dans Overwatch, lorsque j’ai fait une action préjudiciable à mon équipe ou bien lorsque l’on perd un teamfight par ma faute. L’autre regret que l’on croise sur la scène compétitive peut être quand on est dans un match serré, voir qu’on est en train de perdre mais qu’on reprend l’avantage car une personne en face a décidé de troll ou bien se fait déconnecté. La victoire est toujours bienvenue, mais elle a un goût de cendre. Ce jeu est particulièrement vicieux si on ne s’y prépare pas, puisque chacun à un rôle à jouer, il suffit qu’un maillon de la chaîne des étapes à réaliser n’ait pas été concrétisé pour que tout le plan d’attaque tombe à l’eau. On peut connaître un regret également quand on arrive à la victoire à l’aide de stratégie pas très élaborée mais très efficace, il arrive alors qu’on sente une impression de regret du fait que l’on ait en quelques sortes « voler » la victoire aux ennemis qui parfois utilisent une stratégie nettement plus complexe mais qu’ils n’ont pas pu concrétiser. Peut-être encore une fois une relation avec les combats de chevaliers, ne pas se battre à la loyale peut apporter la victoire mais est-ce que l’on désir l’obtenir de cette manière ?

Axe troisième : Game designer le regret.

Je n’ai jamais joué à Metal Gear Solid malgré sa bonne réputation donc je vais vous parler de mon expérience avec le jeu « Life is Strange » car j’étais ici, aussi, face à un choix difficile : décider de la mort de Chloé, devenue tétraplégique et qui nous le demande après avoir pris de la morphine qui l’a shoot un peu. Elle nous demande alors si on ne voudrait pas abréger ses souffrances en sur-dosant la morphine, on apprend que le traitement de Chloé coûte trop cher à sa famille aussi et qu’elle s’inquiète pour eux.  A ce moment-là, Max se trouvait dans le présent alternatif mais je ne savais pas que Max pourrait revenir dans l’autre timeline donc j’importais beaucoup d’importance à ce choix. J’ai donc fermé le jeu et je me suis posé pendant plusieurs jours quel choix précédant m’avait ramené face à celui-ci. Comme si je choisissais de ne pas choisir, je renie un peu le choix à faire. J’en suis allé à regretter de faire des actions qui aux premiers abords semblaient du bon sens. Après cela, j’ai un peu perdu de vue le jeu car je refusais de faire le choix, mais j’y suis revenu car une amie m’avait dit de ne pas trop y accorder d’importance.

Comparer ce type de regret avec le regret de n’avoir pas réussi à gagner face à un adversaire est aussi absurde que de comparer le regret d’avoir été injuste avec un inconnu avec le regret d’obtenir une mauvaise note. Le dernier est un regret car dans un système de compétition, on ne s’est pas satisfait face à tel ou tel critère, dans un jeu celui-ci sera une élimination sur un adversaire ou une victoire, dans un système scolaire c’est un objectif comme une mention ou bien se placer au-dessus de certains dans le système hiérarchique. Tandis que le regret que j’ai ressenti dans Life is Strange touche à notre base même, il questionne et remet en doute nos valeurs, ce que l’on croit et nos objectifs. Je définirais l’un comme la crainte qu’on n’arrive pas à l’objectif alors que l’autre est plus dévastateur, car il pourrait briser la raison même pour laquelle on ait agi de cette manière au départ, voir comment on va réagir à l’avenir.

Axe quaternaire : L’impact du regret sur la vie du joueur ou de la joueuse.

D’un point de vue compétitif, le regret est un outil aussi puissant que la satisfaction d’une victoire. En effet, lorsque l’on regrette d’avoir mal joué d’une certaine manière, il y a nettement plus de chances qu’on ne répète plus cette erreur. C’est pourquoi il est important de s’enregistrer et d’analyser tous nos faits et gestes en jeu afin de voir quelles erreurs nous avons fait et de voir leurs implications dans l’issue du combat. On vient alors plus facilement à regretter de s’être positionné ici alors que l’on avait vu cet ennemi qui va nous prendre par notre flanc par exemple. Il s’agit là du type de regret lié au non-accomplissement d’un objectif. Dans les différentes équipes pour lequel j’ai joué, j’étais connu comme quelqu’un qui analyse assez profondément et qui avait tendance à voir plus loin que le simple prochain fight, cela vient en grande partie au regret que j’ai eu au fil de mes heures de jeu pour ne pas avoir prévu à l’avance un coup de l’ennemi qui était prévisible.

Le second type de regret dont j’ai parlé est selon moi davantage utile dans d’autres jeux – à être plus précautionneux que ce que je fais – ne jamais prendre les choses comme des vérités absolues, notamment dans les mises en place de l’intrigue où souvent les péripéties viennent d’une vérité trop facilement admise. En reprenant le choix de Life is Strange, celui-ci m’a fait me questionner sur le suicide accompagné qui pourrait être exercé dans les hôpitaux : est-ce que donner le contrôle complet sur sa vie ne serait pas juste un droit ? Est-ce que donner de l’importance à une proclamation alors que l’on se trouve dans un cadre spécifique ne peut pas nous mettre enclin à prendre des décisions hâtives mais définitives ? Accordons-nous trop d’importances aux derniers mots alors que l’on doit être certainement trop troublé pour choisir réellement si on veut vraiment partir maintenant de manière douce ou bien vivre jusqu’au dernier moment ? Je pense que le jeu vidéo en nous mettant en acteurs et non pas spectateur est le meilleur média pour nous faire se poser ces questions.

J’ai remarqué que tout comportement en jeu se reflète sur notre comportement en-dehors, pour prendre mon exemple, depuis que je joue ce type de rôle très fragile mais qui doit penser à beaucoup de choses en même temps, j’arrive mieux à estimer les conséquences de mes actes dans chacun des scénarios possibles, c’est comme si j’avais entrainé mon cerveau dans la simulation qu’est le jeu vidéo à penser plus rapidement et à ne pas omettre des possibilités. Après tout, qu’est-ce que le jeu vidéo sinon qu’un monde virtuel pour nous amuser mais aussi nous faire poser des questions bien réelles ? ■

Texte anonyme, 2018.


Source :
Image : Figure 3 : Wisp, 1er Novembre 2015,  «yes homo » blog : http://yeshomo.net/life-is-strange/

 

Perdre. L’amour consumé.

De manière générale, je me sens plutôt tranquille avec les jeux vidéo. J’ai toujours eu l’impression que jouer, c’était comme vivre, mais avec la possibilité de revenir en arrière, de voir ce qui se serait passé si j’avais agi autrement. Une vie où faire un choix n’est pas faire le sacrifice de tous les autres, mais plutôt éprouver une possibilité sur laquelle il sera possible de revenir plus tard. Les sauvegardes et les safestates ne sont pas automatiques, mais elles sont aujourd’hui suffisamment récurrentes – en tout cas dans mon expérience personnelle du jeu vidéo – pour que leur absence fasse plus exception que l’inverse.

L’impact sentimental des « jeux à choix » en vogue depuis un moment – de Walking Dead à Undertale – fait mouche, mais frappe du côté de l’émotion : beauté triste, virtuosité du jeu qui pousse le joueur à faire le mauvais choix, à verser une larme douce. C’est beau, c’est fort, et c’est ce regret doux-amer qui en fait un jeu terriblement marquant non ?

Ici, j’aimerais plutôt explorer le regret moche, proche de celui de la vie de tous les jours, celui qui laisse vide ou en rage, sans une once de beauté à sauver ou à préserver. Le regret qui dégoûte, et donne envie – au choix – de hurler ou de s’éteindre jusqu’au lendemain – ça ira mieux peut-être. Cette forme du regret, il a été très rare que je l’éprouve du côté du jeu vidéo. De mémoire, ses rares occurrences ont eu lieu dans ma jeunesse, et elles furent en général liées à une source extérieure au jeu lui-même, que chaque joueur apprend à craindre au cours de sa vie : la perte d’une sauvegarde importante.

Perdre Miami, mon village d’Animal Crossing, je ne m’en suis jamais vraiment remis à l’époque. Voir cette sauvegarde disparaître dans le formatage maladroit d’une carte mémoire, c’était perdre des amis – je dédie ces quelques mots à Mallory – et perdre une histoire – certes à moitié fantasmée. En fait c’était perdre une mini-vie. D’un claquement de doigt, tout ce que j’avais vécu n’avait plus aucune existence en dehors de ma mémoire, c’était presque comme si cette vie parallèle, si importante pour moi à ce moment là, n’avait jamais eu lieu. Une fois remis du choc, je me souviens avoir créé une dizaine de villages à la suite, frénétiquement : ils étaient tous inintéressants, mal agencés, peuplés de voisins creux !

Mais en fait non, ils étaient juste différents.

Perdre mon elfe des bois d’Oblivion fut un coup au cœur aussi. Plus léger, sûrement.

Perdre des mini-vies.

Il y a peu de temps, cette année, un jeu m’a fait retrouver, sous une autre forme, ce regret-dégoût terrible de la perte, de l’erreur bête qui donne soudain l’impression que tout est vain. Cette fois, tout s’est passé à l’intérieur même du jeu : je voudrais parler ici de Dark Souls III.

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Dark Souls ça résonne dans ma tête comme trois jeux qui te dégoûtent à vie d’éplucher des pommes de terre

C’est l’amour de perdre qui donne envie de se relever sans arrêt

Comme un héros de manga ou la pire des maladies d’hiver.

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Sur la question du regret, Dark Souls n’était pas mal parti. Sous ses airs de routine éternelle rembobinée à chaque mort, le jeu a un rapport au « définitif » assez radical. Peu d’embranchements liés à des décisions déchirantes définies, mais des choix, un peu partout, sans avertissement. Dans Dark Souls, tuer est un choix, et il est définitif. Tuez un marchand, tuez un compagnon de voyage, tuez un boss, il ne reviendra pas. Le jeu a parfois des airs de cauchemars : on ne peut pas le mettre en pause, ni charger une sauvegarde précédente. Ce qu’on fait, on le fait et on l’assume, tant pis pour nous. Parfois, c’est vertigineux.

Je me souviens avoir tué le premier marchand de Dark Souls, un peu bêtement. Bon, ce n’était pas grand-chose ; ça donnait la couleur.

J’ai épuisé Dark Souls, puis Dark Souls II. D’un bout à l’autre. Et j’y ai pris énormément de plaisir.

Puis est arrivé le moment.

Le moment de dire au revoir à la saga en apothéose. Dark Souls III.

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Alors allez il est temps, retour au charbon.

Temps d’en finir.

Fermer le portail de l’univers, l’air de dire c’est bon j’ai assez vécu et vous aussi.
On a assez valdingué ; les cryptes, les flammes, les cimetières, les ténèbres. Il est temps de prendre l’air non ?
Changer de refrain. Mais prouver une dernière fois qui on est ; finir en fanfare.

Avaler tous les seigneurs, devenir le dieu des dieux, puis fermer la porte.

Alors Dark Souls III j’ai tout fait tout seul
J’aurais pu demander de l’aide, le mode multijoueur est là pour ça.
Mais attends,
C’est MA quête initiatique ou pas ?
Je n’en perdrai pas un atome.

En fait, je me comporte en mec jaloux avec tous ces boss.
Aucune autre épée pour vous, c’est moi et c’est TOUT.
Je te dis
c’est moi et toi et on danse
ON DANSE
et ça s’arrête quand on meurt

sauf pour moi

moi si je meurs je reviens
et on danse encore ;

on danse parce que c’est ce qu’il y a de plus beau
risquer sa vie
en sueur
le cœur qui bat tellement
tellement
c’est quoi de l’amour ou de la haine
je ne sais pas Danseuse boréale

je ne sais pas Roi sans nom

en tout cas je te tue
est ce que ça ne peut pas être les deux à la fois ?

Alors pourquoi, quand j’atteins le dernier adversaire, le seigneur des seigneurs des cendres, pourquoi à ce moment là je me comporte comme un dieu gâté à qui tout est dû ? L’adversité a fini par me fatiguer, peut être, ou c’est ma tête qui a trop enflé, à force de pomper.

« Nan mais attends, j’en mange au petit dej’ tous les jours des mecs comme toi, alors d’où tu viens me faire chier avec ton combo qui me met mal !? Ça fait des centaines d’heures que je monte les échelons, c’est pas MAINTENANT que tu vas me faire souffrir ! »

J’appelle de l’aide en ligne, j’invoque un autre joueur. Hyper culpabilité, je n’ai jamais fait ça avant. C’est juste pour une fois je vous jure. Je fais ça discrètement, et juste pour m’entraîner à comprendre son combo, juste pour ça c’est tout, promis. Une fois que j’aurai compris comment esquiver ce truc, je me jette dans le vide et on recommence à la régulière.

mais en fait c’est un massacre
pas le temps de bouger
pas le temps de comprendre
le seigneur des seigneurs
mangé comme le bout de pain
qu’on arrache à la baguette en sortant de la boulangerie

par ce héros inconnu
et moi je suis la
sans avoir donné un seul coup
qu’est ce que j’ai fait

qu’est ce que j’ai fait

le feu s’éteint le générique commence
et je ne suis même pas en rage de m’être fait voler ma dernière épreuve
je suis vide
je n’ai pas échoué pourtant j’ai perdu
et plus rien n’est immortel

des visions de Miami, de Mallory

de cet elfe dont j’ai oublié le nom

sacrifiés sur l’autel de ma bêtise, comme mon amour pour ce dernier boss
j’ai laissé passer ma chance.

Le feu s’est éteint ; le mien est passé avec.

Au revoir Dark Souls

je ne suis même pas triste.

__

C’est vrai, cette anecdote égocentrique et puérile ne dépeint pas un regret très honorable. C’est ça le pire : ce regret, mon regret, il est ridicule. Ne pas tuer le dernier boss moi-même, c’est tout. Cet instant final a retourné contre moi mon propre ego-trip. C’est ça ce qui est important pour moi, tuer des boss, c’est vraiment pour ça que je joue ?

Mais je crois que ce n’est pas juste tuer. C’est la danse, la sueur et l’amour douloureux. J’ai l’impression d’avoir été l’amant infidèle du jeu, d’en payer le prix fort. J’ai l’impression d’avoir caché une antisèche dans ma manche à la pièce de théâtre de fin d’année, alors qu’on a tous travaillé dur depuis des mois. Plus que jamais je compatis à la douleur de Lothric : moi aussi j’ai lâché l’affaire devant l’ampleur de mes rêves, moi aussi j’ai abandonné, j’ai perdu courage. J’ai cédé à la facilité. On est pas bien différents.

Je me suis forcé à relancer Dark Souls III depuis, deux ou trois fois. Mais quelque chose a disparu, et le plaisir avec. Le jeu me fait la gueule peut-être. Je n’ai plus envie.

J’aimerais achever ce texte sur une touche plus douce, quand même, quelque chose qui me reste malgré tout, un souvenir magique qui ne parvient pas à se ternir. A l’époque de mon affrontement terriblement difficile avec le Roi sans nom – boss réputé pour être un des plus coriaces du jeu – j’accompagnais mes différentes tentatives de musiques de toute sorte. Morceaux énergiques, parfois du rap français vicieux : je voulais me doper à l’énergie guerrière. Sans succès.

Un jour, je lance Three in the Morning1 et l’atmosphère se métamorphose. Tout en douceur, l’angoisse se calme, le combat devient heureux, triste à la fois, je voudrais qu’il ne s’arrête jamais. Le cœur bat toujours aussi vite, les épées volent dans tous les sens, les éclairs aussi, c’est du grand spectacle. La sensation de partager un rêve à moitié lucide, de vivre un moment partagé. La sensation de communiquer avec un personnage de jeu vidéo, de le laisser me dire plein de choses, sur lui et sur moi à la fois. L’impression que moi et ce roi, on malaxe toutes nos émotions comme de la pâte à modeler pour se les envoyer en pleine face. Alors Dark Souls, il me reste des choses, quand même. Malgré tout.

C’est au moment où je l’ai considéré comme un jeu où il faut simplement rechercher la victoire à tout prix que j’ai creusé ma propre fosse.

Mais il me reste les souvenirs un peu translucides de moments importants vécus en jeu, qui me semblent toujours là. C’est déjà pas si mal. ■

Simon Le Gloan, 2018.

L’ombre d’une fuite

Inspirante série qu’est Final Fantasy. Plusieurs années après avoir découvert l’impressionnant septième opus – tout en trois dimensions, s’il vous plaît ! –, fermement décidé à sauver autant de multivers en détresse que possible, j’ai alors entrepris de m’attaquer aux prédécesseurs, non sans inclure les épisodes 8 et 9 dans la foulée.

Pourtant, un monde n’a pas pu être sauvé par mes soins, et pas des moindres : celui de Final Fantasy 6. Malgré une équipe reconstituée et bien au point, je n’ai pu me résoudre à rentrer dans la dernière forteresse. Plus de quarante heures de jeu sans conclure l’aventure.

Pourquoi donc ? Revenons au début de cette odyssée. Les nombreux protagonistes se dévoilent petit à petit. Travaillés, touchants et divers, attachants pour certains, drôles pour d’autres, tragiques parfois. Ser Cyan, votre perte ne pourra rester impayée. Chère Terra, nous croyons en vous quoi que vous soyez. En creux, des liens se tissent parfois. Qui eût cru qu’une bande formée sur un malentendu pourrait tenir tête à un titanesque train fantôme ?

En parlant de cela…

L’un des pourfendeurs ferroviaires est un personnage, il faut bien le dire, un tantinet cliché. Une sorte de ninja-mercenaire, aussi froid et mystérieux qu’habile au combat. Un homme de peu de mots, disparaissant après chaque mission critique, de préférence après avoir déclenché une musique aux sifflements dignes d’un album de Lucky Luke. Ce ninja si « lonesome » ne semble accorder sa confiance qu’à son chien, Vengeur.

Les joueurs auront ici reconnu « Shadow ». Personnage au passé torturé, stéréotype du combattant méthodique au cœur de glace que le déroulement du jeu poussera vers l’émergence d’un peu d’humanité. Sasuke-kun n’a rien inventé. Si certaines actions de Shadow sont aussi pénibles à subir en termes de narration que de gameplay, tel que disparaître du groupe à des moments pas toujours propices, d’autres permettent au joueur de développer un certain attachement envers le personnage. Shadow sauvera notamment un groupe de personnages de l’écroulement d’une maison en flammes sous prétexte de sauver Vengeur. Un retournement de situation digne des plus grandes apparitions de Vegeta ou Piccolo dans Dragon Ball. Il est en outre très fortement suggéré qu’une autre protagoniste (Relm) soit en réalité la fille de Shadow.

Forts de ce portrait, revenons au déroulement du jeu. Le scénario, plutôt riche en rebondissements par ailleurs, bascule entièrement lors d’un passage particulièrement marquant où l’antagoniste principal, Kefka, révèle l’étendue de sa démence en détruisant une large partie du monde, en s’érigeant au passage comme Dieu des survivants de sa propre apocalypse. Le basculement se fera à la suite d’une séquence ludique épique se soldant par l’échec du groupe des personnages, condamnés à périr sur une île flottante mystique… Ou pas, justement, grâce à l’intervention de Shadow, qui retardera l’inévitable pour laisser le temps de fuir, à savoir quelques minutes – en temps de jeu.

Imaginez moi quinze ans plus tôt. Je viens de conclure in extremis la séquence de fuite. Il reste TROIS secondes au compteur. Arrivé au vaisseau de secours, une fenêtre pop-up s’affiche :

« S’enfuir ?

Attendre Shadow ? »

FIGURE 1 – A la croisée des chemins

Undertale n’était pas encore sorti : il était inenvisageable à mes yeux qu’un personnage principal ne disparaisse pour de bon. De toute façon, pas le temps de réfléchir. Un autre retournement de situation permettra à Shadow de s’en tirer. Aucun doute.

Je n’ai pas attendu Shadow.

J’ai sauvegardé la partie.

Je n’avais pas de sauvegarde alternative.

J’ai continué à jouer sur la nouvelle terre désolée. De nombreuses heures se sont écoulées. J’ai retrouvé la plupart des protagonistes sains et saufs sur ce monte aux musiques tristes.

Pas Shadow.

Au lieu de ça, j’ai retrouvé son chien, veillant sur Relm. Aucune trace du maître. Dans le doute, j’ai – enfin – été regarder ce qu’en disait Internet. C’était sans appel : sur le continent flottant, il faut choisir d’attendre Shadow jusqu’à ce qu’il ne reste que 5 secondes au compteur. Dans mon cas, même s’il restait moins, je n’ai pas activé le déclencheur. Shadow aurait du venir, mais je ne l’ai pas attendu.

J’ai tué Shadow.

Je n’ai pas terminé le jeu. A quoi bon ?

Reprenons un peu de recul : ma réaction, après coup, m’a plutôt surpris. Malgré les appels du pied opérés par le jeu, je n’ai pas développé une empathie extrême pour le personnage, finalement moins développé que d’autres protagonistes particulièrement torturé(e)s (Celes notamment) et respectant une série de clichés plutôt attendus. En termes de gameplay, Shadow est tout à fait dispensable : l’anormalement grand nombre de personnages jouables de Final Fantasy 6 ouvre la voie à de nombreuses compositions d’équipes, dont Shadow remplit au mieux le rôle d’un « Damage Dealer » certes efficace, mais tout à fait remplaçable par Cyan, Sabin ou Edgar. Enfin, si je raisonnais en termes de narration, j’aurais probablement du me dire que le mieux aurait été de rendre la monnaie de sa pièce à Kefka (l’affaire de 3 ou 4 heures de jeu à peine) afin de venger Shadow.

Mais pourtant, rien à faire : le gâchis était là. On peut justifier une partie de ma perte de motivation par mon profil résolument complétionniste. Il m’est difficile d’envisager de terminer une partie si je n’ai pas fait une trajectoire « presque parfaite » en amont, modulo bien sûr l’importance des quêtes annexes. Ici, la perte définitive d’un personnage me laisse un goût d’insatisfaction. Cela n’est pas tout : je pense pouvoir affirmer qu’en vérité, je regrette de ne pas avoir réussi à avoir la présence d’esprit d’attendre Shadow. Ma partie était alors un véritable échec.

Il est probablement intéressant de noter que j’ai plus tard « remplacé » l’expérience de fin du jeu par le visionnage d’un « Let’s play ». Je manque de recul et de clefs de lecture pour évaluer les conséquences psychologiques de ce choix, mais il serait intéressant de savoir si la prise de distance fait partie de mes raisons d’un tel parti-pris, plutôt qu’avoir repris la partie (en faisant abstraction de la difficulté logistique de retrouver la sauvegarde).

Enfin, le regret frustrant de l’inachevé sans retour possible a nourri une partie de ma pratique de Game Designer. Ici, le jeu est spécifiquement conçu pour ne pas permettre de retour arrière au joueur : aucun avertissement de point de non-retour (tel qu’on a pu le voir dans d’autres jeux a fortiori d’ailleurs), une méthode pour sauvegarder le personnage finalement assez évanescente et peu claire, aucun moyen de savoir clairement si l’on retrouvera ou non le personnage après. Nous ne le voyons même pas périr dans la destruction du continent flottant si on ne prend pas la peine de l’attendre. Ce parti-pris fort permet de générer des émotions toutes particulières auprès des joueurs : reste à savoir si cela est particulièrement souhaitable. ■

Aurélien Lefrançois, 2018.

Appel à Contributions – SANS/REGRETS

Texte de l’appel

Lorsque je raconte pourquoi j’ai démarré un projet de thèse, les gens ont toujours du mal à croire l’histoire que je leur donne. En 2015, j’ai joué à Undertale et parce que je suis un joueur de jeux vidéo dans l’âme, j’ai poussé le vice jusqu’à effectuer la genocide run – c’est-à-dire : tuer tout le monde, l’intégralité des personnages non-joueurs. Avant de venir à cet ultime résolution, j’ai effectué la true pacifist run : parcourir le jeu sans jamais commettre de meurtre. Et si j’ai fait cette run, c’est parce que lors de ma toute première partie, j’ai tué Toriel, notre maman adoptive dans le jeu. Je n’avais pas vu la possibilité de l’épargner et pendant l’entièreté de ma partie, j’ai ressenti un remord qui m’a poussé à agir de sorte à « réparer mes actions ». Pourtant, lorsque l’on y réfléchie posément, cela n’a pas de sens de regretter des actions qui sont fictives puisque de l’ordre du jeu. « Tout cela, c’était pour du faux » aurait pu dire un Huizinga (1938) voire un Caillois (1958) sortis des hautes herbes. Pourtant ce regret m’a poussé à expier mes méfaits. Ayant enchainé sur une genocide run, on ne peut pas dire que la leçon fut particulièrement efficace. La punition que j’ai reçue à la fin de cette dernière partie pavée de meurtres a été suffisante pour me donner envie de démarrer un projet de recherches. Autrement dit, j’ai regretté des actions que j’ai faites dans un jeu et cela m’a poussé à agir, d’abord en recommençant le jeu puis en partant sur un projet de vie d’une durée minimale de trois années. Ce regret est peut être partagé par d’autres joueurs et joueuses, avec d’autres jeux, avec d’autres fictions vidéoludiques et avec d’autres contextes. On peut évoquer notamment la meurtre de The Boss dans Metal Gear Solid 3, ou des actions issues d’une erreur de jugement lors d’un match sur League Of Legend, Overwatch ou encore Fortnite entre autres.

La question du regret est particulièrement intéressante dans le cadre des jeux vidéo. Si ces derniers sont des œuvres et des objets dont l’une des missions et de transmettre ou de susciter une émotion, alors le regret en devient un parangon lorsqu’il s’agit d’évoquer une potentielle spécificité. Regretter d’avoir agi dans un jeu vidéo n’a pas la même signification que regretter d’avoir vu un film ou d’avoir lu un livre. A l’instar des propos de Galloway (2006), les jeux vidéo sont des média se reposant sur une certaine activité et un ensemble d’actions réalisées par son audience au cours de la diffusion. Autrement dit, contrairement aux autres formes médiatiques où la production du récit se fait antérieurement à sa diffusion, celle-ci survient pendant lorsqu’il s’agit du jeu vidéo. Sans évoquer l’interactivité comme particularité, l’agentivité du joueur dans la fiction permet de susciter ou de travailler un panel d’émotions inaccessibles par d’autres biais, d’autres supports d’imagination, d’autres formes artistiques. Frome (2006) utilise notamment cet argument pour distinguer les émotions qui peuvent apparaitre lorsqu’une audience se retrouve face à une œuvre. On peut regretter d’avoir vu un film. Le regret, ici, est exprimé par rapport à l’objet physique, le média. Cependant, on ne peut pas regretter d’avoir agi d’une certaine façon dans un film – hormis si l’on est l’acteur dudit film. Évidemment, certains objets frontières pourraient interroger notre proposition. Cependant cette critique disparait une fois que l’on pense l’artefact d’une expression artistique sur un même continuum plutôt qu’en cases dissociables mais revenons au jeu vidéo : objet de notre intérêt.

Le jeu vidéo par l’expérience qu’il propose fait qu’un joueur ou une joueuse peut ressentir un ou des regrets par rapport à un comportement qu’il a eu en jouant. Que cela soit du fait de son agentivité sur le monde fictif, c’est-à-dire ses actions souvent réalisées à travers un avatar, ou par rapport à un autre joueur dans le cadre d’une expérience multijoueur, regretter un acte ayant lieu dans une fiction semble plus facilement envisageable en jouant qu’en regardant un film. Dans l’exemple que je prenais, celui-ci a été – de manière plutôt mitigée – un vecteur d’apprentissage. Si je ne l’ai pas dit, l’expérience que j’ai eue avec Undertale a eu un impact durable sur mon comportement de joueur : j’estime tuer moins et préférer la résolution pacifique de conflits.

Ainsi, il apparait finalement que le sentiment de regret est particulièrement confus pour moi. D’où l’intérêt de cet appel à témoignages : comprendre ce qui signifie le regret dans le cadre des jeux vidéo. Les témoignages, sous la forme de propositions de publications, devront s’ancrer dans au moins l’un des axes suivants et respecter les contraintes de rédaction.

Les axes de l’appel à témoignages

1) Le regret dans la fiction.

L’agentivité peut se définir comme le pouvoir d’interaction et de modification qu’un agent peut avoir sur un monde (fictif). Cet axe vise à interroger ce que signifie pour les joueurs le regret d’avoir réalisé une action ou fait un choix ayant un impact sur la fiction même transmise par le jeu. On peut regretter d’avoir abattu un pnj ou plus simplement parce que l’on a choisi le chemin de droite alors qu’il fallait opter pour le chemin de gauche. Autrement dit, on peut regretter des choix hautement signifiants comme des « tous petits choix » (la définition de ces derniers est alors laissée au lecteur ou à la lectrice de cet appel). Cet axe souhaite explorer une ou des facettes de cette problématique.

2) Le regret et le sentiment d’échec.

On regrette quand on échoue, ou peut-être pas ? Aussi quand on réussit ? On peut réussir une genocide run ou tout autre objectif que le jeu nous fixe tout en arrivant en bout de course déçus de notre comportement et le regrettant. Dans quelle mesure peut-on regretter quelque chose du fait d’un objectif atteint ou non fixé par le jeu ou par le joueur ? Quel est le sens que l’on donne à ce regret ? Est-ce que l’on peut regretter une action que l’on choisit de faire en toute connaissance de cause ? Mais aussi, comment exprime-t-on le regret que l’on ressent par rapport à un choix que l’on n’a pas fait ? Comment se manifeste les liens entre le regret, l’échec et la réussite ? Cet axe a pour objectif d’apporter des éléments de réponse à ces interrogations.

3) Game designer le regret.

L’une des scènes les plus célèbres du jeu vidéo correspond au moment durant lequel Snake doit abattre The Boss. Plutôt qu’une cinématique, les game designers ont choisi de donner la parole au joueur : c’est ce dernier qui doit appuyer sur la gâchette. On peut faire l’hypothèse que cette structure de jeu a souhaité susciter le sentiment de regret. Pourtant s’agit-il de la seule possibilité ? Est-elle-même efficace ?  Le regret que l’on ressent tout simplement parce que l’on perd une partie contre un autre joueur n’est-il pas plus fort ? Est-ce pertinent de comparer ces deux regrets ou y’a t-il des distinctions ontologiques ?

4) L’impact du regret sur la vie du joueur ou de la joueuse.

Le regret est une émotion forte – et contrairement à la nostalgie, il peut être immédiat – qui peut inviter les joueurs et les joueuses à changer de comportement. On peut faire l’hypothèse que le regret ressenti, l’émotion, est tel qu’un apprentissage par le joueur ou la joueuse est réalisé. Celui-ci peut in fine modifier le système de représentations voire les attitudes et les comportements des joueurs dans les jeux ou dans les autres sphères de leur vie. Mon expérience avec Undertale est un constat parmis d’autres de cela. Parce que j’ai regretté les meurtres commis, je suis aujourd’hui bien plus pacifiste dans la résolution des conflits que je rencontre dans les jeux. J’essaie aussi de faire preuve de plus d’empathie dans les conflits que je rencontre dans ma vie. Cet exemple, personnel, n’est ni vérifié, ni unique. Cet axe souhaite donc explorer les possibles transferts que font, ou pas, les joueurs entre les regrets qu’ils peuvent ressentir en jouant et leur vie.

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    • 2017. Titre de l’article
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  • 15 Avril 2018 : Début de l’Appel à Contribution.
  • 30 Juin 2018 à 23h59 : clôture de l’Appel à Contribution (pour toute contribution transmise après le délai, merci de contacter @EstebanGrine sur twitter).
  • Les Contributions doivent être transmises à l’adresse mail suivante : chroniquesvideoludiques [ a ] gmail . com.

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Moeva et Gwénaël, joueurs comorien et franco-congolais

Si je pose la question « après vous être représentés une personne jouant à des jeux vidéo, comment la décririez-vous ? » Je suis presque sûr de la réponse. C’est pourquoi par un heureux hasard et avec l’aide de la communauté discord que j’anime, j’ai rencontré Moeva et Gwénaël. Moeva est comorien. Il a eu la gentillesse de m’accorder de son temps pour une interview. C’est grâce à lui aussi que Gwénaël, franco-congolais, a aussi pris le temps de répondre à mes questions.

Il est difficile aujourd’hui de se représenter la façon dont le jeu vidéo se développe dans des pays autres qu’occidentaux et particulièrement les pays africains. C’est pourquoi les témoignages de Moeva et Gwénaël sont importants. A travers une interview écrite, ils nous partagent des éléments de réponses aux questions que l’on peut se poser concernant les jeux vidéo sur le continent africain. ■

Esteban Grine, 2018.


Il s’agit de la version 2.0 de l’entretien. Merci à Marc Boissonnot et Honeyxilim pour les corrections.

Une évolution de celui-ci sera prise en compte uniquement concernant la correction progressive des fautes de grammaire et d’orthographe.

Vous souhaitez participer à la relecture ? Cela se passe ici !


Pour commencer, pouvez-vous vous présenter, raconter vos parcours et ce que vous faites aujourd’hui ?

Moeva : Je m’appelle Moeva Mondoha ! Je suis comorien de nationalité et d’origine. J’ai vécu toute ma vie dans différents pays d’Afrique : j’ai vécu aux Comores, j’ai vécu à Niamey au Niger où j’ai fait une partie de ma primaire, j’ai vécu au Burkina Faso à Ouagadougou où j’ai aussi fait une partie de ma primaire, et finalement j’ai vécu au Congo ou j’ai fait tout mon collège et le lycée dans une école française, et aujourd’hui je vis en France, et suis étudiant à E-artsup Bordeaux où je suis dans la formation Game et creative coding!

Gwénaël: alors pour faire court, je m’appelle Gwénaël Feuillard, j’ai 18 ans, et j’ai eu mon bac il y a bientôt 1 an de cela. L’année dernière j’ai passé des concours pour entrer dans des écoles de jeux vidéo que j’ai réussi. Cependant j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour améliorer mon niveau en dessin car faire des études dans le jeu vidéo coûte cher, et je préférais prendre mon temps, et être sûr d’avoir le niveau pour ne pas me planter dès la première année. Et pour finir je voudrais être plus tard être développeur de jeux vidéo, même si je pense que c’était assez clair.

Quel est le plus vieux souvenir que vous avez et qui est lié au jeu vidéo ? Pouvez-vous nous le raconter ?

Moeva : Je peux pas affirmer que c’est véridique à 100% mais du plus loin que je me souvienne : quand j’étais bébé, aux Comores on était “en retard “ avec l’export et tout ça, on était clairement pas à la page niveau consoles et si je suis né en 1999 mes premiers pas sur des consoles étaient sur a vrai dire, une fausse console qui permettait de jouer avec des jeu de la Nes et des vielles consoles Sega. Ainsi mes premiers pas avec le jeu vidéo étaient Sonic et Mario, même si j’ai plus de souvenir avec Sonic, j’ai de cette époque finalement pas grand chose a dire.

Gwénaël : Pour ma part le plus vieux souvenir que je détiens en rapport avec le jeux vidéo, est celui d’Adibou sur un très vieil ordinateur à l’âge de 3 ou 4 ans. Dès l’instant où j’ai pu réfléchir, mes parents m’ont mis sur un ordinateur, il ne savaient pas vraiment s’en servir, mais vu que j’étais un enfant assez curieux j’ai assez facilement compris comment il fonctionnait ou du moins les bases et j’étais quasiment le seul à l’utiliser à la maison.

Est-ce que tu peux raconter un peu comment se passaient les temps de jeu vidéo ? (Organisation du temps, partagé avec les frères et soeurs, si les amis venaient jouer et tout)

Moeva : ça a vraiment beaucoup évolué avec le temps : Au début il n’y avait pas de restriction à ce niveau-là, avec mes frères et sœurs au début on jouait quasiment exclusivement sur des consoles portables, mais on jouait aussi sur console de salon et là on jouait toujours tous ensemble, le jeu vidéo à l’époque était quelque chose de familial avant tout, c’est très lié à là où j’ai vécu mais le jeu était vraiment vu comme un truc d’amis ou familial : je devais toujours privilégier les aventures multi pour que on puisse jouer quand il y avait des invités, ou quand j’avais de la famille avec moi. Avec le temps quand j’ai grandi, le jeu  est devenu une expérience plus solo, moins des instants de famille. Je n’avais pas le droit d’y jouer en semaine sauf si j’étais avec des amis ou de la famille. Si je devais ici dresser une comparaison, je sais que pendant très longtemps, le jeu vidéo a été chez moi une pratique multijoueur plutôt qu’individuelle, mes parents ont d’ailleurs été plus méfiants vis-à-vis du jeu vidéo vraiment au moment où j’ai commencé a jouer seul plutôt qu’en multi avec mes amis ou ma famille.

Gwénaël : Dans un premier temps il est important de savoir que je suis l’aîné d’une fratrie de quatre frères et sœurs, et j’ai aussi un demi frère âgé de deux ans de plus que moi. En ce qui concerne les temps de jeu ils ont énormément variés entre mon enfance et maintenant. Lorsque j’étais petit j’avais le droit de passer une heure sur ma console ou bien une heure sur l’ordinateur. Et généralement on ne jouait pas à des jeux multijoueurs en tout cas à l’époque où il n’y avait que moi, ma sœur et mon grand frère qui ne venait que pendant les vacances. En plus de cela nous n’avions à l’époque que des expériences solo, ce qui nous limitait. Puis mes deux autres frères et sœurs sont arrivé et la Wii avec, ce qui a poussé mes parents à acheter des jeux multijoueurs. À partir de ce moment le temps de jeux s’est multiplié par 3 voir même 4. De plus j’avais aussi une télé dans mon grenier que j’utilisais et sur laquelle je pouvais passer des heures sans que personne ne le sache vraiment.

Vous vous êtes pas mal baladés dans plusieurs pays d’Afrique, est-ce que vous pouvez nous donner votre point de vue sur les marchés du jeu vidéo ? Y’a t-il des pratiques particulières que tu n’as vu que dans ces pays ?

Moeva : Tout un tas à vrai dire, et je les connais surement pas toutes : En Afrique le premier truc que tu remarques vis à vis du jeu vidéo c’est en allant au marché, tu peux trouver énormément de consoles contrefaites, ou des consoles hack en vente (forcément des consoles hack de consoles rétro). En prenant en compte le prix que représente l’exportation, tout est plus cher la bas. Déjà que le jeu vidéo, ça reste une pratique qui demande beaucoup de moyens, bah forcément en Afrique avec le prix de l’export et le niveau de vie moyen des Africains, c’est encore plus compliqué. Alors tout un tas de truc alternatifs s’est développé  : déjà les fausses consoles qui sont vachement présentes dans les marchés, mais aussi le faite de “cracker les jeux “ et les “consoles”, j’irais pas jusqu’à dire que c’est ultra répandu en Afrique ou même que c’est unique là bas mais clairement c’est un truc “ancré” à la consommation du JV.

À vrai dire je pourrais élargir  à la “culture” tout court en faite, dire qu’on “crack”, ou regarde illégalement des trucs en France ça fait toujours un peu grincer des dents,  mais en Afrique avec la vitesse de la connexion, le prix de l’export + le manque d’infrastructures pour consommer des œuvres culturelles (on a pas de Fnac, être livré en Afrique c’est plus compliqué, le prix de l’export + le niveau de vie). Tout ça fait que on est beaucoup plus décomplexé sur ces choses là, aux Comores par exemple je sais que certains allaient au cybercafé rien que pour faire des téléchargements illégaux.

Pour répondre aussi à la question de base, il faut noter un truc important : il y a pas vraiment de marché du JV en Afrique, dans le sens où on ne représente pas du tout une cible ou à la limite une toute petite cible, et il existe quasiment pas de secteur du JV à part quelques petits studios indépendants qui naissent. À mon sens ce n’est pas grave, ça finira par venir, je reste persuadé que si il doit avoir quelque chose qui se développe en Afrique ils donneront les moyens pour que ça prenne réellement forme !

Gwénaël : Dans mon cas j’ai vécu en Afrique et plus précisément au Congo pendant 6 ans, de 2011 à 2017, sans jamais remettre un pied sur le territoire français. Cela signifie que j’étais complètement ancré dans la culture congolaise et que j’ai pu en voir toutes les facettes, pas seulement celles que certains de mes camarades de classes expatriés voyaient, mais aussi celles des classes moyennes et populaires congolaises. Pour ce qui est du marché du jeu vidéo dans ce pays, il est très particulier. Je me suis souvent promené dans des marchés avec ma mère et en fait en y restant juste quelques heures on comprend que plus de 90% des produits s’y trouvant sont d’origine asiatique et très souvent de mauvaise manufacture. Les consoles n’échappent pas à ce phénomène.  Le Congo étant un pays riche ne redistribuant pas ses richesses, il se retrouve avec une population très pauvres vivant avec des salaires moyens de 60000 francs CFA par individu (95€). De ce fait il est impossible pour les classe populaire de s’offrir des consoles dernière génération à 400€ depuis les pays occidentaux car en plus de cela il faut cumuler les frais d’importation qui font souvent flamber les prix. De cela résulte deux conséquences. La première étant l’arrivée en masse de contrefaçons de consoles des générations antérieures, car elles contiennent des éléments, des pièces à coût moindre. La seconde est une organisation du jeux vidéo en salle de jeux, un peu à la façon des salles d’arcade, les gens se retrouvent dans ces salles de jeux avec moins d’une dizaine de consoles, et paient tout simplement 25 ou 50 francs CFA pour jouer une partie sur fifa. Cela les pousse d’ailleurs à n’utiliser qu’une très petite gamme de jeux se limitant souvent aux simulations sportives, mettant de côté toutes les expériences plus individuelles.

Finalement, vous en tant que joueurs, comment a évolué votre pratique depuis que vous êtes enfants jusqu’à ce que vous arriviez en France ?

Moeva : Quand j’étais petit , jusqu’à ce que j’ai la wii, je jouais énormément en multi, car j’avais une famille grande, et les jeux vidéo ont toujours chez nous eu cet aspect très familial, à la limite je jouai en solo uniquement sur GBA et DS. Mais en grandissant ça a changé je jouais moins avec mes frères et sœurs et peu à peu je me suis tourné vers les expériences solo, et avec mon pc peu puissant j’ai beaucoup joué aux jeux indés et fait de l’émulation et sinon je jouais aux MMO japonais avec des amis car ça consomme pas beaucoup de connexion.

En France je me suis mis à beaucoup plus jouer en multi sur divers jeux avec mes amis d’un peu partout.

Gwénaël : En grandissant ma pratique du jeux vidéo s’est pas mal diversifiée, je passais la quasi totalité de mon temps avec Moeva, ce qui fait que j’ai les mêmes influences que lui pour la plupart. Je n’avais pas de connexion internet au Congo, du fait que j’étais dans une zone très mal couverte, ce qui fait que la plupart des jeux que j’essayais étaientt ceux que Moeva téléchargeait et les moins lourds étaient effectivement les jeux indépendants. J’ai aussi joué aux MMORPG d’Ankama à partir de mes 10 ans, qui je pense d’ailleurs font partie des jeux à m’avoir donner envie de faire du jeu vidéo. Puis en première et terminale, je ne faisais que travailler ce qui a considérablement fait baisser ma consommation de jeux vidéo qui a été presque réduite à néant.

Comment en es-tu venu à vouloir devenir game designer ? Que souhaites-tu faire après ?

Moeva : J’ai vraiment voulu devenir Game designer au collège/début de lycée, j’avais des amis à moi aussi qui voulaient le faire, et j’avais passé toute mon enfance a jouer au même jeu sur GBA, donc j’avais appris les mécaniques par cœur et je m’amuse à les analyser ou me poser la question de comment les améliorer, mais le véritable déclic c’est vraiment la découverte de ceux qui parlent de JV sur le YT français : a l’époque Ixost avec sa vidéo sur GTA IV qui m’avait marqué a un point incroyable, Pseudoless, et surtout Doc Géraud, tout ça ma fait me poser beaucoup de questions sur mon rapport au jeu vidéo, et surtout ça m’a fait réaliser tout ce que je pouvais faire avec le GD. C’est indirectement lié à là où je vivais : mais le fait que j’avais une mauvaise connexion a fait que je me suis directement tourné vers l’indépendant : là où watch dogs cotait 50e et j’y avais joué deux heures de déception, les jeux indépendants me demandaient une heure ou une nuit de téléchargement, tournaient sur mon pc daté et m’offraient des 100aines d’heures de jeu. D’ailleurs la vidéo faite par Tom_V parlant de l’avenir du jeu vidéo, en évoquant la décroissance : d’une certaine manière l’idée de composer avec ce que on a déjà et non pas chercher toujours une innovation contradictoire avec nos moyens, c’est quelque chose que je trouve déjà ancré en Afrique surtout dans mon pays d’origine les Comores.

A l’heure actuel plus tard j’aimerais pouvoir continuer à travailler dans le jeu vidéo en France.

Gwénaël : J’aimerais d’abord souligner le fait que je ne veux ni devenir game designer ni game artiste mais plutôt développeur de jeux vidéo. Je sais que cela peut paraître très idéalisé et je ne sais même  pas si le terme est correct mais par là je veux dire que j’aimerais un jour pouvoir gérer chacune des facettes de la conception à la production d’un jeu.

Je sais qu’aux yeux de certains cela peut paraître cliché, mais si j’ai d’abord eu envie de créer des jeux vidéo, c’était pour compenser ce que je ne pouvais pas faire dans certains. Ainsi j’ai commencé à prendre des notes, à faire des brouillons, à dessiner des armes que je n’avais pas dans le jeux, des objets, des cartes. Puis en 2010, j’ai découvert little big planet 2 qui fut ma plus grosse révélation sur un jeu, car ce dernier me donnait littéralement accès à un moteur de jeu gratuit, certes limité mais qui était déjà extrêmement ouvert pour un gamin de 11 ans; il permettait à la fois de construire ses environnement, mais aussi de leur imposer des contraintes physiques, de gérer le niveau d’eau, de brancher des moteurs et même de créer des petits robots appelés les sackbot auxquels on pouvait assigner un comportement. Ainsi j’ai plus ou moins découvert les rudiments du level design.

Aujourd’hui, quel sont vos regards sur la représentation des cultures africaines dans les jeux vidéo ? Arrivez-vous à citer des jeux qui y font référence ? Quel type de jeu semble le plus apprécié? En terme de visibilité, quelle image a le jeu dans les différents pays où il a pu vivre ? Quelles sont les références de jeux les plus connues/répandues? (question de Missmyu)

Moeva : Je trouve que les culture africaines ne sont pas assez représentées dans le JV, c’est dommage pour des raisons évidentes de représentation mais surtout : c’est tout un plan idéologique et mythologique, il y a une richesse folle pour créer des histoires qui est finalement peu, voir pas du tout exploité surtout dans le média jeu vidéo( sauf exception comme le cas du jeu indépendant  Aurion : L’héritage des Kori-Odan) , au cinéma il y a Black Panther qui a touché le grand public, mais a mon sens il reste beaucoup à faire, je n’arrive pas vraiment moi-même à citer des jeux auxquels j’aurais joué qui y font directement référence.

C’est peut être un peu hors sujet, mais je trouve important de noter qu’en Afrique une des problématiques dans les œuvres culturelles et même en général est de se détacher des cultures occidentales, dans le sens où culturellement un peu comme partout, on a été touché par la mondialisation, et surtout par la culture française. Quand il s’agit de nous même en créer on a tendance à suivre les standards et tenter de reproduire les schémas des œuvres d’autres pays surtout celles françaises, toute la question est vraiment de savoir exploiter nos propres codes et notre culture et c’est lié a vraiment tous nos médias a mon sens.

Ça varie vraiment d’un pays à un autre mais je sais que de manière générale les jeux les plus appréciés sont les AAA, où que j’ai pu aller, là-bas on a moins la culture du “rétro” en tout cas au niveau du jeu vidéo, ce qui est nouveau est synonyme de meilleur, là-bas avec l’accessibilité compliquée à internet, bah la télé reste un média dominant et les trucs qui marchent sont ceux qui ont le meilleur brassage médiatique, donc les jeux les plus connus sont à base de Assassin’s creed, Call of duty, GTA. Nintendo par exemple garde vraiment une image de console de jeu pour enfant. D’ailleurs quand je dis qu’on a pas la culture du “rétro”, il faut noter malgré tout que par exemple dans mon pays qui est très “en retard” sur le plan technologique, jouer a la PS2 ne fait pas de mal, les consoles les plus récentes sont favorisées mais on y joue pas dans l’optique de jouer à des vieux jeux.

Gwénaël : Contrairement à ce que l’on pourrait croire, certaines cultures africaines sont représentées dans les jeux vidéo, par exemple dans le dernier Assassin’s creed ou encore dans Uncharted 3. Cependant ce sont toujours les mêmes pays d’Afrique qui sont mis en avant, et le problèmes est que l’on ne représente jamais l’Afrique dites de “noire”; ou du moins c’est l’impression qui en ressort. Et pour ce qui en est Moeva a quasiment tout dit au dessus.

Un regard spécifique est il porté sur le fait que les productions soient essentiellement focalisées sur des personnages blancs? Un regard spécifique est il également porté sur la pratique du jeu vidéo dans le reste du monde? (question de Yue)

Moeva : je ne pense pas, mais le fait que les productions sont essentiellement focalisées sur des personnages blancs a un impact, même tout simplement le fait qu’on soit focalisé sur des problématiques occidentales, si autre part dans le monde la légitimité du jeu vidéo a encore du mal à trouver sa place, dans le jeu vidéo encore plus, il est là-bas véritablement considéré uniquement comme un média de divertissement. Toute la profondeur est moins présente voir pas du tout, pour finalement tout un tas de raisons : les productions qui trouvent écho sont les plus grosses sorties : entre un Call of duty, ou un Far cry, dur de s’y retrouver dedans en terme de thématiques ou problématiques.

Gwénaël : La question du personnage blanc ne se pose pas dans un pays tel que le Congo où le jeu vidéo se pratique comme à l’époque des salles d’arcades, le gameplay passe avant tout, le but est clairement de prendre du plaisir et du bon temps entre amis. De plus il est important de noter que malgré la colonisation, et les guerres que le pays a pu vivre, le congolais est un homme très pacifique et possède l’une des populations des plus métissées ; adorant tout simplement faire la fête et vivre. Le fait de se questionner sur la couleur d’un personnage n’aurait pas de sens pour eux car leur philosophie de vie se centre beaucoup plus sur leur façon de vivre tel que l’art de la sape, leur problèmes d’eau ou encore d’électricité ou autres problématiques du même type. Ce n’est même pas qu’il n’aimerait pas se questionner dessus, c’est tout simplement qu’il n’ont pas le temps pour cela.

Est ce qu’on entend du jeu vidéo que « ça rend violent » ou autres formes de clichés? Est ce que la prévention existe, les PEGI et tout le reste ? (Question de Yue)

Moeva : l’idée que le jeu vidéo rend violent est finalement pas du tout répandue, j’imagine qu’en cherchant on trouvera des gens qui l’affirment mais très honnêtement en Afrique, les gens ont tendance à voir le jeu vidéo comme un simple divertissement. Ils ne trouvent pas ça néfaste dans le sens de rendre violent. Il arrive de trouver des gens disant que c’est pour les enfants ou que c’est abrutissant, mais pas la question de la violence, ça s’explique aussi car toute les questionnements apportés depuis des années sur la question de la censure des œuvres en rapport avec la violence et autre et un débat qui au final en Afrique n’a jamais eu véritablement d’écho. En ce qui concerne le “PEGI” c’est le système hérité de France, et honnêtement la prévention autour n’est vraiment pas respectée, les limites d’âge ne sont pas respectées, mais toute les pubs à la télé pour prévenir des dérives, on les a aussi en général.

De vos expériences et vécus, pouvez-vous nous raconter comment cela se passe entre les gouvernements et leur gestion de l’Internet ? Quel impact cela a sur le jeu vidéo ?

Moeva : Pour le coup je vais parler uniquement du Congo car il est le cas le plus grave, et celui que je connais le mieux :

J’ai vécue à Pointe-Noire, je pourrais pas décrire totalement la situation politique mais c’est tendu, vraiment tendu, c’est de nom “ une démocratie “ mais finalement pas vraiment, voir pas du tout, c’est pas le sujet ici mais une chose est sûre : Internet est un atout de poids et ils le savent. Je suis moi-même un millenial qui a passé sa vie sur internet et qui assisté à tout un tas de phénomènes qui ont été possibles grâce à Internet. Malgré le fait que j’ai moi-même grandi en Afrique donc avec un accès plus restreint à Internet, je sais que c’est un atout incroyable. Dans un pays comme le Congo qui subit actuellement de forts conflits même s’ils ne sont pas directement apparents, et surtout qui essaye de garder une bonne image et maintenir “l’ordre”, Ils (les autorités, ndlr) font un truc simple  en cas de troubles politiques : mon année de première il y avait des périodes d’élections présidentiels, et pendant 1 semaine il n’y avait plus de connexion internet et pas d’accès aux réseaux sociaux et c’était clairement assumé. Empêcher tout rassemblement de se créer, couplé au fait qu’il était clairement déconseillé au gens de sortir de chez eux pendant cette période, c’était vraiment spécial.

La particularité de tout ça c’est que ça coupe à la fois le monde de toute information car le pays ne communique plus et empêche toute forme de rassemblement et les gens de se tenir au courant, quand je discutais avec des personne vivant à Pointe-Noire loin des endroits calmes, certains me racontaient que c’était le chaos, d’autres pouvaient me raconter des choses véritablement horribles, c’était d’autant plus flagrant car les membres de Total (une compagnie de pétrole en étroit lien avec le gouvernement, mais qui possède énormément de privilèges au Congo)  et leurs familles étaient enfermés dans des résidences spécialement pour eux, et à tout moment si ça dégénérait trop, ils étaient renvoyés directement en France.

Je m’éloigne pas mal du sujet de base, mais c’est pour insister sur l’idée que surtout au Congo, à Pointe-Noire, on a compris l’impact d’Internet, et le pouvoir que ça a et dans un pays qui subit de forts troubles, l’état connaît le poids que peut avoir internet et fait très attention à la manière dont il le gère. Je ferai constater qu’aujourd’hui je suis à l’aise pour parler de tout ça car je suis moi même en France, mais j’aurais jamais pu raconter tout cela quand j’y étais encore.

Honnêtement la pratique du jeu vidéo est finalement très peu impactée par tout ça.

Gwénaël : Donc comme Moeva j’ai vécu dans la ville de Pointe-Noire au Congo durant 6 années. Cependant je sais qu’à son opposé j’aurais tendance à dédramatiser la chose, ou du moins à concentrer mon attention sur d’autres points.

Alors en ce qui concerne le rapport de ce pays à internet, la majeure partie de la population n’y a pas accès, ou du moins n’y a pas accès de la même manière que les occidentaux. En france, la vitesse moyenne de l’adsl se situe aux alentours de 5 mo/s ; cela peut quelquefois être plus rapide ou plus lent. Au Congo la vitesse moyenne de la 3g se situe à moins de 200ko/s. Nous pouvons déjà y percevoir un manque de moyens techniques et d’intérêt évident de l’État pour les moyens qu’il met dans cette technologie. De plus les câbles internet passant par la mer cèdent tous les 6 mois ce qui n’arrange en rien la situation. Maintenant parlons du rapport de la population à internet et les principales activités qu’elle y pratique. Pour avoir passer beaucoup de temps avec les congolais, et de toutes les catégories sociales, allant du plus riche au plus pauvre, je sais et ce d’expérience que les congolais n’utilisent internet  quasiment qu’à travers les plus grosses applications de communications tel que Facebook, Whatsapp, Instagram et très peu d’autres. Des applications tel que Snapchat n’ont pas leur place, étant donné les capacités de la connexion. De plus au Congo, l’utilisation des ordinateurs est limitée, coûtant trop cher, la quasi totalité de la population n’y a pas accès. Leur utilisation se régit donc un peu de la même manière que pour les consoles, cette fois ce sont les cyber cafés qui permettent la location de ces machines à l’heure. Enfin, l’État encore une fois n’arrange pas la chose, en ne nationalisant pas les entreprises distributrices de l’internet, il n’a pas la capacité de réduire les frais d’internet, ce qui fait que les entreprises ont la possibilités de placer le prix de ce dernier là où elle le veulent. Là où un abonnement coûte une vingtaine d’euros en France, au Congo il en coûtera 150 pour une connexion avec un débit bien plus faible.

Passons maintenant au rapport entre le gouvernement congolais et internet. En mars 2016 ont eu lieu les élections présidentielles ; durant une période d’un mois nous avons été coupé du monde. Il est vrai que cela empêchait les gens de communiquer entre eux, de partager leurs avis vis-à-vis de la situation et de leur vote. Cependant, pour moi qui n’avait déjà pas l’habitude de passer mon temps sur internet, la sensation d’être coupé du monde existait déjà et je m’y étais fait, le congolais moyen aussi s’y était déjà fait. Le fait de couper internet était peut-être pour le président Denis Sassou Nguesso un moyen d’empêcher les gens de se rassembler et d’échanger, cependant le mauvais rapport de l’État vis-à-vis d’internet a habitué les congolais à user d’autre moyens de communications que ce dernier tel que les camions passant avec des prospectus pour annoncer les rassemblements. Je pense que c’est un peu hors sujet, mais il était tout de même nécessaire pour moi de mettre la lumière cela et bien faire comprendre que tout n’est qu’une question de point de vue.

Quand à ce qui est de son influence sur le jeu vidéo, je vous dirais que vu les moyens de consommation actuel du jeu vidéo au Congo, les vendeurs ont surement déjà craqué tous les jeux possibles et imaginables sortis sur les consoles jusqu’à la ps2 à peu près. Pour moi, une coupure d’internet pendant 1 mois n’a pas pu les gêner durant les élections présidentielles. Ils avaient largement de quoi consommer durant longtemps des jeux vidéo. Cependant il est vrai que cette coupure d’internet a pu effectivement gêner une toute petite partie de la population qui est la population expatriée. Elle ne représente pas plus de 2% de la population congolaise, cependant ce sont eux qui concentrent toutes les richesses et qui peuvent se permettre de conserver un mode de vie occidentale beaucoup plus accroché à la culture d’internet . Ainsi ces gens ont pu subir un changement dans leur manière de consommer les jeux et même de consommer l’information.

Merci beaucoup Gwenaël et Moeva ! A la prochaine ! ■

Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs

Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs : signatures et citations de comportements ludiques

Dans le cadre d’un numéro d’une revue qui se prépare, nous souhaitons écrire avec Jok un article qui porte sur les phénomènes de signatures et de citations des comportements qui ont lieu en jouant à des jeux vidéo et entre joueur.euse.s. En effet, Fanny Barnabé, dans ses travaux de thèses mais aussi dans des communications, a travaillé sur les détournements possibles avec les jeux vidéo. Dans une communication donnée à Ludovia en 2014, elle questionnait les speedrunneurs et leur potentiel statut d’auteurs (Barnabé, 2014). D’autres personnes ont aussi ces réflexions notamment ici. Nous proposons de poursuivre ces travaux en élargissant aux superplayers mais aussi à toutes les formes d’expression se faisant dans et avec les jeux vidéo. Si certains termes sont ici galvaudés, je souhaite préciser que le travail final se voudra bien plus respectueux à l’égard des concepts et des personnes ayant déjà travaillé sur ce sujet.

Le jeu vidéo, par sa double nature de comportement et de fiction (Juul, 2006), nous invite à questionner qui est l’auteur du déroulement des récits qu’il propose. Bien que le fait de mobiliser la notion d’interactivité comme élément distinctif des jeux vidéo par rapport à d’autres médias soit discutable, il semble malgré tout que leurs créateurs s’attachent particulièrement à illustrer cela comme une spécificité de ce médium. De facto, de nombreux éléments et marqueurs présents et directement observables font des jeux vidéo des objets particulièrement intéressants à étudier lorsqu’il s’agit de questionner qui sont les auteurs des récits qu’ils proposent. La question à laquelle nous souhaitons donc apporter des éléments de discussion est la suivante : qui sont les personnes qui sont auteurs ou autrices des actes et des comportements apparaissant en parcourant le récit d’un jeu vidéo.

Une première lecture de ce dilemme serait alors de penser les game designers comme les véritables créateurs de ces jeux. Ils définissent une structure et attribuent des rôles définis aux joueuses et joueurs. Ces derniers ne sont alors que des rouages d’une mécanique plus ou moins bien huilée. C’est plus ou moins le postulat formulés par les plus revêches des ludologues bien que cela rentre en contradiction avec les intentions initiales de Gonzalo Frasca lorsqu’il employa cette appellation pour la première fois (Frasca, 2003). Malgré tout, il apparait que les discours mettant en avant les développeurs et les game designers en tant qu’auteurs ont permis de légitimer les jeux vidéo en tant qu’objets culturels. Pour notre proposition, nous souhaitons prendre le contrepied de cette théorie sans la renier ni la critiquer.

En effet, d’autres ont déjà disserté sur ce sujet et nous souhaitons faire un pas de côté pour interroger le joueur ou la joueuse non pas comme un lecteur-modèle (Eco, 1985) mais comme un.e auteur.ice. En ce sens, nous excluons le statut d’objet culturel, d’œuvre afin de développer notre pensée. Dans cet article, nous souhaitons observer qu’une seule facette du jeu vidéo, à savoir sa nature de jeu au sens exprimé par Juul (2006). Pour observer cela, nous allons mettre en avant des phénomènes qui permettent de penser la chose en ce sens. Des exemples simples peuvent immédiatement être exprimés : système de highscores et leaderboards sont de cas durant lesquels les joueurs et les joueuses sont reconnu.e.s pour la façon dont ils se sont comporté.e.s. Par ailleurs, nous nous focaliserons aussi sur les communautés de speedruns et de productions de contenus culturels autour des speedruns. En effet, il est fréquent qu’un ou une speedrunneuse cite un ou une autres joueuses pour avoir découvert un trick ou une technique particulière. De facto, il y a déjà des pratiques effectives qui permettent de penser les joueuses et les joueurs comme des autrices et des auteurs.

Ce papier aura pour objectif d’explorer ces axes que nous proposons tout en proposant qualifiant les productions des joueurs et joueuses sans pour autant leur attribuer un rôle qui minimiserait le travail des game designers et des équipes créant effectivement la structure du jeu.

Bibliographie indicative

Barnabé, F., 2014. Le speedrun : pratique compétitive, ludique ou créative ? Trajectoire d’un détournement de jeu vidéo institué en nouveau game.
Cayatte, R., 2016. L’appropriation de contenus vidéoludiques : les mondes possibles du jeu vidéo. http://www.revue-interrogations.org.
Hughes, M.J., 2017. What motivates the authors of video game walkthroughs and FAQs? A study of six GameFAQs contributors. First Monday 23. https://doi.org/10.5210/fm.v23i1.7925

Explications et Inscriptions

Voilà pour la présentation du projet de travail, maintenant, vous vous demandez peut-être pourquoi j’écris tout cela ?

Avec Jok, nous souhaitons écrire de manière ouverte et collaborative cet article. Nous allons avoir à peu près 30 000 signes pour développer une pensée commune sur le joueur.euse – auteur.ice. Cela veut donc dire que tout intervention est accueillie chaleureusement !

Si vous souhaitez contribuer à un papier scientifique, à titre d’une première expérience parce que vous souhaitez faire de la recherche plus tard, ou tout simplement parce que oui, la recherche, ensemble, c’est vraiment amusant. Jok et moi vous proposons donc de vous inscrire en remplissant le formulaire ci-dessous. Seules les personnes ayant rempli le formulaire auront accès aux documents et seules les personnes ayant effectivement rédigé seront mentionnées dans le papier final qui sera publié dans la revue Le Pardaillan pendant l’année 2018.

Il y aura des ateliers d’écritures durant lesquels Jok et moi coordonnerons les actions de chacune et chacun. Le parcours est plutôt bien balisé, nous savons à peu près où nous souhaitons nous diriger mais, les références, les auteurs, les exemples, tout cela proviendra de nous en tant que communauté rédactrice d’un seul et unique document final.

Attention, il faudra donc que vous soyez disponibles lors des ateliers d’écritures. L’organisation de la rédaction se fait un peu comme une jam ! Bonne ambiance et sérénité pour écrire quelque chose de scientifiquement solide.

 

 

Entre médiation des savoirs et militantismes vidéoludiques

Ce questionnaire reposant principalement sur des questions ouvertes a pour objectif de mieux connaitre les vidéastes créant des contenus sur le jeu vidéo en tant qu’objet culturel.

Il intervient dans le cadre d’une recherche qui sera présentée lors du colloque « Youtuber, Youtubeuses ». L’objectif est de focaliser notre regard non pas sur la réception mais sur la création de vidéos diffusant des informations

Nous proposons donc de définir plus précisément ces nouveaux acteurs dans la diffusion d’informations, de connaissances, de techniques mais aussi des systèmes de représentations et idéologiques liés à l’artefact culturel « jeu vidéo » tout en interrogeant leurs pratiques et leurs méthodes : quelle sont la place accordées aux connaissances scientifiques et leurs postures épistémologiques ? De quelle manière mettent-ils en scène leur soi-joueur ? Etc.

Concernant la protection des données

Il y a une petite section à la toute fin du questionnaire pour toutes les demandes liées à la protection des données. Dans tous les cas, je ne diffuse pas les réponses n’importe comment et je souhaite être respectueux de votre vie privée. Vous pouvez demander à être anonymisé·e ou autres. Dans tous les cas, il y a une section à la fin du questionnaire pour toutes les demandes particulières que vous souhaiteriez faire. Dans tous les cas, je ne diffuse pas vos informations concernant les rubriques 4 et 5 et je les anonymiserai dans ma communication.