J’ai écouté l’album de l’artiste, et phénomène internet, David Fils de Momone. Initialement, le personnage avait, comme pour beaucoup d’autres internautes, surgis dans mes divers flux informationnels sur TikTok et Instagram. Les logiques algorithmiques avaient donc décidé que je faisais partie des élu·e·s qui devaient alors propager la parole de David (et que potentiellement, son contenu maintiendrait mon engagement aussi longtemps que possible). Il faut bien avouer que cela n’a pas manqué. La justesse et la profondeur des paroles de ses chansons font écho à mon vécu et probablement à beaucoup d’autres personnes. Par exemple, on retrouve dans J’ai trop mangé de Kebab une véritable situation de vie : « J’ai trop mangé de kebab. J’ai des difficultés de digestion. J’ai trop mangé de kebab. C’est difficile de digérer. »
De fait, lorsque je compris qu’il avait sorti un album l’an passé, coproduit avec Nerod, et étant proche des fêtes de cette fin d’année, j’ai immédiatement su que cela allait être un cadeau fait pour la blague, et que quelqu’un dans ma famille subirait cet achat, un peu compulsif je l’avoue. Problème, j’ai écouté l’album, et il est excellent. La démarche jusqu’au-boutiste de David Fils de Momone et Nerod a su atteindre mon coeur de millenial trop gavé à la culture internet. D’où le besoin finalement d’écrire à ce sujet. Car sous le vernis shitpost, se cache un objet qui incarne les vibes contemporaines.
Bal musette et musiques ludiques taillées pour les réseaux
La plupart des chansons présentes sur l’album constatent un phénomène déjà bien connu par de meilleur·e·s observateur·ice·s de l’industrie musicale que moi. Sur les vingt titres composant l’album, la moitié dure aux alentours des 2 minutes. Parmi ces morceaux, on retrouve les titres qui ont largement contribué à la célébrité du personnage : j’ai mangé un croissant et maintenant il est absent , j’ai mangé une pomme et j’ai plein d’énergie ou encore j’ai trop mangé de kebab , déjà citée. La plupart sont alors des titres pensés pour être viraux : paroles simples, humour de répétition et mèmes internet. Dans mémoire de poisson, l’artiste tient une chanson de 50 secondes avec les paroles suivantes :
J’ai la mémoire d’un poisson dans son bocal
Ma vie tourne en rond, sans escale, et c’est fatal
Puis mes pensées dévalent, dans ce cycle banal
J’ai la mémoire d’un poisson dans son bocal
Plus fort encore, dans ma chaussette , nous avons le droit à 1 minute 44 de : « ma chaussette est coquine, elle disparaît à la machine ». La conclusion ici est sans appel : ces chansons cochent les cases des musiques virales qui reposent sur un humour jouant à la fois sur la répétition des paroles mais également sur le personnage même que s’est créé l’artiste derrière David Fils de Momone. Mais ce dernier ne s’arrête pas à ça puisque sur l’album, nous retrouvons des chansons également également taillées pour les moments de fêtes : venez venez zouker et joyeux anniversaire captent parfaitement les marqueurs pragmatiques de chansons évoquant tout ce pan de la variété française dans lequel on retrouve Patrick Sébastien et d’autres.
Bref, il ne sert à rien de rendre la chose plus exhaustive puisqu’il est assez facile de constater l’envergure de Grand gourmand. Il s’agit d’un album réactualisant la variété française en la faisant s’incarner dans un personnage issu de la culture internet, et reconnaissons-le, aux semblants tout à fait sympathiques. De fait, on se retrouve avec une production dopée par ses aspects de mème internet.
Pourtant, ponctuellement, des ruptures de registre s’insèrent au cours de l’album. Ces ruptures prennent la forme de chansons qui offrent des moments de respirations à l’ensemble. Elles font de l’album quelque chose de merveilleux à écouter.
David Fils de Momone, ruptures de registre et philosophie pérenne
Autant l’album s’inscrit clairement dans le registre potache, autant il se laisse écouter en boucle. L’une des raisons que je vois à cela est non seulement la sympathie médiatique du personnage de David mais également les quelques chansons qui deviennent par leurs textes et leurs instrumentations des moments de ruptures qui détonnent. Pour être plus clair encore, il s’agit bien d’expliciter le fait que l’album recèle des moments de poésie remarquables, comme si David Fils de Momone était une version virale TikTok inspirée par des artistes comme Philippe Katerine.
Alors, je dois bien reconnaitre qu’écouter David Fils de Momone m’a aussi (surtout) complètement fait replonger dans la discographie de Katerine et un jour, j’écrirai les raisons qui me poussent à croire que les albums de ce dernier sont, en termes de musicalités, des objets particulièrement audacieux et visibles au sein de l’industrie culturelle, contrairement à des groupes et autres artistes bien plus obscures… mais là n’est pas encore le sujet, revenons à David.
Dans La joie de vivre, David pose les premiers jalons dans le partage de sa vision du monde : « La joie de vivre, c’est de vivre sa vie, vraiment tranquille en étant ravis. […] La joie de vivre, c’est dans l’harmonie. Avec les fleurs sans aucun ennemi. » Mais ce n’est pas tout. Non seulement David s’offre le luxe de proposer un message d’amour et de paix en 2024, mais en plus, il a l’outrecuidance de faire référence volontairement ou involontairement à des mouvements philosophiques cherchant à décentrer le monde de l’humain. Dans Papillon, David chantonne : « Je passe ma vie dans les airs. Sans me soucier d’être éphémère ». Sans forcément le vouloir, il reformule des idées déjà prononcées par de nombreux autres artistes, philosophes, penseurs et penseuses. En particulier, c’est la philosophie pérenne, notamment pensée par Alan Watts qui me vient à l’esprit. Ce conférencier étasunien s’est rendu célèbre pour avoir popularisé le bouddhisme, le taoïsme et la philosophie hindou, tout en y incorporant ses propres conceptions.
Ne pas se sentir central, ni même être incontournable pour que le monde avance, voilà ce qui est sous-jacent à cette chanson de David. Alan Watts a pu prononcer des réflexions similaires sur le fait qu’il n’est pas normal de se croire important. Certains extraits de ses conférences, à ce sujet particulier, se retrouvent d’ailleurs dans le jeu Everything (O’Reilly, 2017), jeu dans lequel il est possible d’incarner absolument tout ce qui y est modélisé, à tous les niveaux : de l’échelle de Planck aux objets intergalactiques. En 2012, John Koenig nommait cette émotion « sonder », le sentiment profond de comprendre que toute personne a une vie aussi complexe qu’une autre, malgré l’incapacité de conscientiser cela à tout moment. Alors oui, du coup, nous sommes toutes et tous des papillons éphémères… Mais ce n’est pas si grave.
Je ne cherche que le bien est une chanson qui a une place particulière dans mon cœur puisque je l’ai écouté en boucle lors d’un trajet en voiture. Dans celle-ci, David nous partage quelque chose d’admirable qui est une volonté de voir le bon chez autrui :
Je ne cherche que le bien du prochain
Je ne trouve que du bon
Même chez les pires des cons
Vous m’êtes tous aimables
Vous êtes charitables
Vous êtes tous capables
D’être bien confortables
Cette chanson résonne avec moi particulièrement parce que dans mon quotidien, c’est également quelque chose qui est devenu comme un mantra. Chercher à biaiser en quelques sortes son propre regard pour déceler le merveilleux en toute chose. Certains influenceurs en ont fait leur fond de commerce comme Cinema Wins, une chaîne YouTube qui ne cherche à montrer que des points jugés positivement, même dans les films les plus critiqués. J’aime bien penser que David Fils de Momone fait peut-être référence à cela lorsqu’il chante cette chanson.
Un album finalement très ludique
Honnêtement, je n’ai pas véritablement de mots très intelligents en guise de conclusion de cet article. Dans une certaine mesure, j’aurais pu me montrer davantage critique avec le contenu de l’album. Par exemple, certaines chansons peuvent être perçues comme très inspirées ou comme des objets qui ne servent qu’à alimenter un « clout » internet en surfant sur des tendances. La chanson Chibidipap de David en est une incarnation possible. En effet, ses paroles jouent sur des allitérations et des consonances enfantines à l’instar de chansons virales comme Pilfingerdansen de Sigurd Barret ou encore plus récemment Barbaras Rhubarberbar.
| Chibidipap | Pilfingerdansen |
| Chip chap pelou pap pap Chibidipap pelou poup poup pap Chip chap pelou pap pap Chibidi bidi bibi poup poup pap Chip chap pelou pap pap Chibidipap pelou poup poup pap Chip chap pelou pap pap Chibidi chibidi chibidi pap | Flip flap flupperdupperdob Flupperdupperblib og flop Flip flap flupperdiberbob Fliperbieberblab og fløp |
De même, il n’y a aucun doute que certains pourrait attaquer l’album (ou se mettre à l’encenser) car il s’inscrit dans une forme de « plaisir coupable » socialement accepté car humoristique et conscient. Je n’éprouve pas le besoin, à titre personnel, de revenir sur les raisons qui font que « le plaisir coupable » , même lorsqu’il est utilisé de manière méliorative, sert également de distinction sociale. Pour moi, l’album est tout sauf un plaisir coupable. C’est finalement un objet complexe, qui au-delà de la blague d’un influenceur, qui possède une forte musicalité dans le sens où il y a des expérimentations, du touche-à-tout, des choses éminemment sérieuses (comme la chanson Bouffe ou Amour), du potache et ultimement, des paroles touchantes. L’album est aussi un plaisir partagé avec mon fils qui explose de rire en écoutant J’ai mangé un kiwi et maintenant il est parti.
Non, vraiment, je vais véritablement retenir cet album comme étant un objet que j’aime car j’ai l’espoir de croire qu’il est fondamentalement sincère. Deux personnalités d’internet se sont trouvées et se sont dites : « tiens mais en fait, si on pousse le délire, on peut produire quelque chose qui est vraiment à nous ». C’est un peu ce que je vois pour Grand gourmand. Vraiment, c’est surtout un album qui me fait croire que si je rencontrais David, j’adorerai prendre un pot avec lui. ■
esteban grine, 2025.







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