Boire les larmes des Hommes : une petite étude hors sujette sur les masculinités.

Samedi et dimanche dernier, j’ai réalisé une lecture tweetée d’un article scientifique publié en media studies mais qui se trouve aussi à la frontière des gender studies puisque les autrices se sont attachées à retracer l’histoire des mouvements activistes pour les droits des hommes. Derrière ce vocable policé se cachent des groupes oppressifs et misogynes au minimum. Cependant, cela peut s’étendre à des idéologies racistes, ultralibérale, anarcapitalistes et bien d’autres. Cet article de blog a pour objectif donc de retracer – et de conserver – la trace des mes réflexions et commentaires en allant. Le deuxième objectif est que cela permet de présenter des extraits et des citations parfaitement formatées et prêtes à l’emploi.

La référence de l’article : Marwick, A. E., & Caplan, R. (2018). Drinking male tears : Language, the manosphere, and networked harassment. Feminist Media Studies, 18(4), 543‑559.
URL : https://doi.org/10.1080/14680777.2018.1450568

L’article, dès son premier paragraphe et pardonnez moi l’expression, claque l’arbre Deku au sol en faisant référence à Anita Sarkeesian :

« The panel moderator asked why the panelists thought it was still necessary to discuss the harassment of women, given the enormous amount of attention to the topic. Sarkeesian responded, « Because I think one of my biggest harassers is sitting in the front row. » » (Marwick and Caplan 2018:544)

« Because I think one of my biggest harassers is sitting in the front row » (Marwick and Caplan 2018:544)

Marwick et Caplan, à la suite de l’anecdote faisant référence à Sarkeesian présentent le postulat de départ de leur article, à savoir que le harcèlement, contrairement aux discours populaires n’est pas l’affaire d’individus isolés. Il s’agit au contraire de harcèlement en réseaux.

« While popular discourse often frames online harassment as an issue of individual people engaged in abhorrent behavior, groups like the ASJW YouTubers—and many others—regularly encourage, promote, or instigate systemic networked harassment against their targets (Michael James Heron, Pauline Belford, and Ayse Goker 2014; Emma A. Jane 2016). » (Marwick and Caplan 2018:545)

Sans aller jusqu’à dire que toutes les formes de harcèlements sont organisées en réseaux, Marwick et Caplan présentent de nombreuses méthodes de harcèlements mettant en perspective leurs dimensions systémiques. En plus de l’exemple des youtubers précédemment cités.

« While harassing behavior is certainly not confined to anti-feminists, many of the techniques used in networked harassment, such as doxing (publishing personal information online), revenge porn (spreading intimate photos beyond their origins), social shaming, and intimidation were refined by men’s rights activists and anti-feminist gamers during a protracted online controversy known as Gamergate (Jean Burgess and Ariadna Matamoros-Fernández 2016; Shira Chess and Adrienne Shaw 2015; Adrienne Massanari 2015). » (Marwick and Caplan 2018:545)

Vient un passage particulièrement intéressant de l’article car Caplan et Marwick reviennent sur l’histoire du mouvement pour le droit des hommes (Men’s Right Movement) pour signaler qu’à ses débuts, le mouvement militait aussi contre le patriarcat en tant que système.

« The Men’s Rights Movement (MRM) has its roots in the early 1970s, as college-age men engaged with the emerging Women’s Liberation movement (John Fox 2004; Michael A. Messner 1998). Far from seeing feminism as problematic, men’s rights scholars like Warren Farrell, Marc Fasteau, and Jack Nichols acknowledged that sexism harmed women, but emphasized that strict gender roles and patriarchal society were equally harmful to men » (Marwick and Caplan 2018:546)

Ainsi, les débuts du MRM invitaient plutôt les hommes à se libérer du stoïcisme émotionnel, à interroger le partage inéquitable des tâches ménagères, etc. De plus, le MRM avait pour objectif de rapprocher les hommes des luttes féministes.

« Early « Men’s Liberation » literature discussed, for instance, emotional stoicism, unequal child support obligations, maleonly draft requirements, and the social pressures of traditional male masculinity (Coston and Kimmel 2012; Emily Shire 2013). Messner notes that the early MRM’s central goal was to « attract men to feminism by constructing a discourse that stressed how the male role was impoverished, unhealthy, and even lethal for men » (1998, 256). » (Marwick and Caplan 2018:547)

Autrement dit, dans les années 1970, on savait déjà que le patriarcat était mortel pour les hommes (suicides, etc.). Je précise aussi ici que je ne compare pas ici la mortalité des femmes, des NB et des hommes. C’est dans les années 1980 que le MRM opta en partie pour militer contre le féminisme qui aurait émasculer les hommes. Des productions médiatiques supportaient aussi ce retour à la virilité idéalisée (actionner movies, etc.).

« While some men continued fighting sexism, others embraced traditional masculinity, arguing that modern society emasculated and feminized men (Michael S. Kimmel 1995). » (Marwick and Caplan 2018:547)

Si le MRM avait pu être pro-féministe à ses débuts, ce n’est par contre pas le cas des MRA (Men’s Right Activists) qui dès le début blâmèrent le féminisme et de manière générale les progressistes pour ne pas respecter la « culture américaine ».

« The other subgroup of Men’s Rights Activists (MRAs) believed that white men in America were in crisis and that feminism—and more broadly liberalism—was to blame for the failings of American culture (Kellie Bean 2007). » (Marwick and Caplan 2018:547)

La suite de l’article revient sur la notion de « misandrie », et ce concept a une histoire très intéressante puisque ses premières utilisations remontent aux 19ème siècle. Marwick et Caplan notent que dès le début, le terme est utilisé pour discréditer les féministes.

« from its very inception, misandry was used as a synonym for feminism and as a false equivalence to misogyny. » (Marwick and Caplan 2018:549)

Et surtout, le terme est d’abord utilisé par certains MRM, le MRA et autres mouvements de la manosphère. Ce n’est qu’après, que des personnalités féministes s’accaparent la notions pour la tourner en dérision.

« This satirical approach to misandry rapidly spread on social media and feminist blogs. The joke was not that these women were finally admitting the truth of their hatred of men, but to call attention to how MRAs and anti-feminists were using misandry to discredit a political project spanning multiple decades and theoretical outlooks. » (Marwick and Caplan 2018:554)

Cependant, Marwick et Caplan concluent aussi que les journaux, contrairement à des blogeur·euse·s, ont contribué à renforcer la notion comme équivalente du féminisme. Comme quoi, en donnant la parole à tous les camps, on donne surtout la parole aux discours les plus haineux.

« journalistic practices like including quotes from « both sides » further reinforced the validity of misandry and reinforced the equivalence between structural misogyny and purported discrimination against men. While the goal of feminist bloggers was to move misandry beyond the manosphere and illuminate its false equivalence, this was not supported by media coverage. » (Marwick and Caplan 2018:554)

En tout état, leur conclusion à propos de ce terme est qu’il sagit d’un objet-frontière (au sens de Susan Star) puisque plusieurs communautés de pratiques l’utilisent sans avoir besoin de se mettre d’accord sur sa définition.

« Our research also shows that misandry serves as a boundary object, serving to coordinate and convey meaning amongst ingroup and outgroup participants, depending on the source of its use. Men’s rights communities use the term to signify a form of undesirable feminism that they argue privileges women’s rights over men’s, while feminist communities use it as a symbol of the false equivalence they believe the MRM employs in their rhetoric. » (Marwick and Caplan 2018:554)

Les autrices vont plus loin encore dans leur conclusion puisqu’elles énoncent que les journalistes n’amènent pas de lecture critique quand ils utilisent la notion, ce qui fait qu’ils l’insèrent implicitement dans son acception mainstream, à savoir celle de la MRA :

« as misandry spreads and is covered by mainstream journalists, it brings with it intrinsically misogynistic frames. From its inception, people used misandry not just to establish equivalency between discrimination against men and discrimination against women, but to denigrate those seeking to overcome structural sexism by denying its existence. » (Marwick and Caplan 2018:555)

L’article se conclut sur le besoin d’étudier l’Alt-Right (il date de 2018, donc il a probablement été écrit entre 2016 et 2017 dans sa première version. On découvrait à peine l’Alt-Right et ses rapprochement avec les MRA, etc.

« The links between the MRM and the resurgence of white nationalism online are worth investigating in more detail. Words like « cuck »—a male figure drawn from pornography who allows his wife to have sex with other men, usually Black men—function similarly to misandry, spreading white nationalist ideology (and patriarchal subjectivity) while justifying attacks on divergent points of view. » (Marwick and Caplan 2018:555)

Voilà merci d’avoir parcouru ce compte-rendu tweeté de lecture. Je remarque aussi que c’est le premier article de l’année 2020 et que de fait, cette dernière commence par un article hors-sujet. Sauf que je révèle ma « carte piège » de doctorant : « rien n’est jamais hors-sujet ». Sur ce, bonne année !

Esteban Grine, 2020.