D’un besoin de comprendre quelques jeux vidéo à la proposition d’une ludologie socio-constructiviste : sentier et défense d’une (petite) thèse de doctorat

Tout d’abord, avant de véritablement commencer cet ultime exercice dans la trajectoire d’un doctorant, permettez-moi de saluer formellement chacun et chacune des membres du jury et de les remercier une nouvelle fois. Merci à madame Bonenfant et monsieur Gheeraert d’avoir accepté le rôle de prérapporteuse et prérapporteur. Merci à madame Monnier et monsieur Dozo pour vos rôles d’examinatrice et examinateur et enfin, merci à monsieur Genvo qui m’a accompagné durant toutes ces années de recherches.

Je remercie également les personnes présentes dans l’assistance qui sont venues me soutenir durant ces quelques heures que nous allons passer ensemble. Non sans humour, cela me conforte dans l’hypothèse que ce travail doctoral ne fut possible que par le soutien d’un réseau d’actants dont un échantillon, certes non représentatif, mais présent dans mes remerciements, se trouve ici.

Cet ici et maintenant est une occasion privilégiée pour un jeune chercheur, mais également un exercice complexe puisqu’il doit à la fois présenter son travail scientifique, mais également son cheminement en tant qu’humain acteur de sa recherche. À titre personnel, ce qui enclencha la préparation de cette soutenance, c’est une remarque de mon fils. Il venait me voir avec son nouveau carnet, un petit agenda offert par sa grand-mère et s’exclama alors en regardant mon manuscrit : « ah bah moi, j’ai un petit carnet et toi papa, ton carnet, il est très grand ! »

Cette exclamation me rappela un de mes articles : « ma thèse, c’est mon blog ! ». Je soutenais alors qu’une production scientifique à l’instar de cette soutenance peut, dans une certaine mesure, également être identifiée comme un document biographique. C’est pourquoi ma responsabilité aujourd’hui est donc de présenter comment, de questions quotidiennes, je suis venu à formuler des questions scientifiques nécessitant la construction d’un appareil théorique suffisamment flexible pour être diffusés, pour enfin aboutir à des méthodologies d’analyse qui ambitionnent d’être réappropriées dans le quotidien de futurs chercheurs et chercheuses, dans les milieux académiques et industriels.

Pour citer cet article :
Giner, E., (2023). D’un besoin de comprendre quelques jeux vidéo à la proposition d’une ludologie socio-constructiviste : sentier et défense d’une (petite) thèse de doctorat. Communication donnée à la soutenance de thèse d’Esteban Giner. Metz, Université, le 13 novembre.

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Penser les espaces vidéoludiques comme des discours sociologiques : l’ACAB dans Earthbound et le capitalocène de Mother3

Cet article est la transcription d’une communication donnée en colloque. Sa citation est la suivante :
Giner, E., (2020). Penser les espaces vidéoludiques comme des discours sociologiques : le cas des villes dans EarthBound et Mother 3. Communication donnée au colloque « Espaces Imaginés ». Le laboratoire des imaginaires, Rennes : 4, 5 et 6 mars.

L’histoire par laquelle je vais introduire cette communication suscite toute mon empathie. Le 13 novembre 1990, une jeune fille de 9 ans, Fusako Sano, est kidnappée par un homme. Cet enlèvement survient au moment ou l’équipe de Shigesato Itoi travaille sur EarthBound. Fusako Sano fu retrouvée en 2000 soit six années après la sortir du jeu. Si je commence cette communication par cet horrible événement, c’est tout d’abord parce que cette histoire fut un torrent médiatique et émotionnel fort au Japon suscitant de nombreuses critiques à l’égard de la police, considérée comme incompétente. C’est aussi parce que c’est une histoire qui arrive aux abords du studio de développement de Shigesato Itoi, auteur du corpus de jeux de cette communication, et que selon Ken Baumann (2014), elle est reliée à l’une des péripéties du jeu EarthBound (1994). Dans la ville de Twoson, l’audience joueuse apprend qu’une jeune fille répondant au nom de Paula, fut, elle aussi, kidnappée, cette fois par une secte répondant au nom des Happy Happy, et ce, pour ses pouvoirs magiques.

 Cette anecdote fait partie des exemples d’intégration du réel dans le fictionnel, ou plutôt d’une réalité pragmatique vers une réalité fictionnelle. Dès lors, de Fusako Suno au Japon à Paula à Twoson, il y a donc un processus de remédiation d’un système social vers le jeu et l’une de mes hypothèses fondamentales que je soutiens dans mon travail de thèse est que les jeux vidéo eux-même peuvent être considérés comme des systèmes sociaux simples dans le sens où l’on remplace des corrélations par des liens de causalités, où l’on remplace une complexité systémique par des boucles programmés. De ce processus émergent des discours sociologiques qui selon Pascal Fugier sont « des interprétations d’un morceau de réalité sociale construites à partir d’une boîte à outils conceptuels et méthodologiques. » (Fugier 2008:2). Cette boîte à outils conceptuel est dans le cadre de cette communication le game design. Pour certains chercheurs et chercheuses en cultural studies, les jeux vidéo peuvent être considérés comme des formes de narrations spatialisées ou d’environnements narratifs. On peut citer entre autres Janet Murray en 1997, Henry Jenkins en 2003 mais surtout, la définition de Celia Pearce qui en 1997 énonce à propos des environnements narratifs : « Simply put, it is a space that facilitates a story. » (Pearce et al 1997:440). A l’instar de Céline Matuszak (2007), je propose alors la notion d’environnement discursif, analogue à ceux de Celia Pearce : « simplement, ce sont des espaces qui facilitent un discours ».

L’objectif de cette communication porte donc sur ces espaces vidéoludiques considérés comme des discours sociologiques : quels peuvent être les enjeux et les méthodes ?

Pour répondre à cette question, je sollicite deux jeux de mon corpus de thèse qui sont EarthBound que j’ai déjà évoqué et Mother 3 qui en est la suite sortie en 2006, toujours pilotée par Shigesato Itoi. Ces deux jeux font partie de ce que j’appelle les mothertales, qui sont, dans une définition restrictive, des jeux de rôle linéaires qui subvertissent les codes du genre tout en abordant au premier degré des problématiques de sociétés. J’ai aussi choisi ces jeux car ils me permettent d’aborder les discours sociologiques de deux façons : par leur spatialité et leur temporalité puisque je considère aussi les jeux comme étant des espaces-temps fictionnels et explorables. Si Earthbound propose d’explorer des villes dans une temporalité mal définie, l’expérience de Mother 3 nous sera utile pour illustrer la temporalité des discours dans son récit qui se déroule, par son chapitrage, sur environs sur quatre années fictives.

La spatialité des discours sociologiques dans EarthBound

Cela étant dit, il est maintenant temps d’aborder le contenu même des jeux. Si je me suis intéressé aux espaces urbains dans EarthBound et Mother 3, c’est parce que Shigesato Itoi installe ses récits dans des villes occidentales principalement contemporaines mais fantasmées des années 1990 et 2000. Ces villes sont des opportunités pour la diffusion de discours et d’opinions sur un ensemble de phénomène sociaux. En effet, comme le notent Laurent Di Filippo et Patrick Schmoll :

« Le décor urbain, pour sa part, a au moins deux utilités : d’un côté, il fait office de symbole du monde moderne et, de l’autre, il sert de référence au quotidien des joueurs. Les relations qui se tissent entre la ville physique actuelle et l’activité ludique sont au cœur des processus de transformation et des nouvelles appropriations possibles » (Filippo and Schmoll 2016:133)

 Ainsi, dans Earthbound, les protagonistes Ness, Paula, Jeff et Poo traversent des villes imaginaires tirées des Amériques, de l’Europe et de l’Afrique. Chacune des villes est alors un espace explorable propice à la coconstruction d’un discours à propos d’une problématique sociale. Ainsi, l’audience traverse quatre villes du pays nommé Eagleland, le pays de l’Aigle en référence aux Etats-Unis. Onett met en conflit un gang, les Sharks (référence à West Side Story) à une police incompétente et célèbre pour ses barrages. Twoson voit sa population adhérer à une secte religieuse et dangereuse. Threed doit lutter contre une invasion de zombie causée par le déversement de polluant d’une usine limitrophe et enfin Fourside a à sa tête un maire véreux en prise avec des affaires de pots-de-vin et un détournement des forces de police qu’il utilise par sa propre protection plutôt que celle des habitants.

Ainsi, telle que je viens de le présenter, il apparaît aisément que EarthBound semble contenir des discours critiques à l’égard de phénomènes sociétaux. Cependant, il convient d’interroger comment ces discours se construisent au contact de l’audience. Pour cela, les pistes que j’explore son double : il est nécessaire d’aborder dans un premier temps le design systémique de ces espaces urbains, puis dans un second temps d’analyser ce que j’appelle des sentiers discursifs. Pour illustrer mon propos je vais me focaliser sur un cas particuliers que j’ai choisis pour son caractère actuel : le traitement de la police dans les villes du jeu EarthBound avec une focale sur la ville de Onett. A travers ce traitement, ce sera aussi l’occasion pour moi d’aborder d’autres phénomènes liés.

La police d’Eagleland

Onett est la première ville de Earthbound. Il s’agit d’une ville proche de la côte océanique Est. C’est dans cette ville que Ness, notre avatar et héros du jeu démarre son aventure. Selon les informations que l’on peut récupérer du guide du jeu, Onett est une ville de 3 500 habitants (avec 2 chiens) : il s’agit donc d’une petite ville côtière étasunienne. Au tout début du jeu nous avons deux modèles de familles nucléaires hétéronormées : celle de Ness dont le père est absent pendant l’intégralité du jeu et celle des Minchs dont les parents sont violents avec leurs enfants. Par ailleurs, la ville possède les services régaliens : une hôpital, une force de police et un pouvoir public avec la présence du maire B.H. Pirkle. La vie culturelle de la ville se résume quant à elle à une bibliothèque, une salle d’arcade, une maison côtière abandonnée et une caverne mystique.

De gauche à droite, en rouge : l’hôpital, la mairie & la police ; en bleu : la salle d’arcade la bibliothèque.

La police de Onett

Au tout début du jeu, une météorite tombe et Ness est réveillé par le vacarme de la police qui barricade l’ensemble des routes. Celle-ci est d’ailleurs célèbre pour le nombre de ses barrages. Les policiers recherchent même à obtenir un record du monde du nombre de rues bloquées par leur soin.

La présence politique, notamment avec la mairie, est impuissante face aux Sharks, un gang contrôlant le sud de la ville et dont la base se trouve dans la salle d’arcade. Le chef de ce gang, Frank Fly a une réputation suffisamment importante pour que la police de Onett ne tente rien car elle est bien trop effrayée. Cette incompétence des forces de l’ordre est appuyée par le refus du maire de prendre ses responsabilités. Une fois le gang des Shark battu, celui-ci nous rappelle :

« You beat up the town bullies, punched them out big time, kicked their butts, bit their heads off, spit in their eyes, and made them wet their pants. Then you forced them to promise not to make any more trouble. Thank you! […] However, if you encounter a dangerous situation, please don’t ask me to take any responsibility. I’ll be able to avoid any responsibility, right? » (Pirkle, ingame)

Cette première péripétie aurait pu bien se terminer sauf que les forces de police devinrent jalouse de Ness, présenté dorénavant comme le héros ayant sauvé la ville du gang. Peu de temps après, Ness, et donc l’audience, est convoqué au commissariat pour avoir trépassé une zone fermée au public malgré l’autorisation que le maire lui donna. Une fois arrivés au commissariat, le capitaine Strong nous emmène à part, en présence de cinq de ses officiers afin de se venger de Ness puisque celui-ci obtint les faveurs de la mairie, ce que la police interprète comme une offense. Le guide du jeu note, sous la forme d’une feuille de journal la nouvelle suivante :

La police attaque un enfant innocent !!
Cinq policiers, sous la direction du capitaine Strong, ont piéger un enfant du coin qui, selon leurs dires, outrepassait les limites d’une zone fermée. A leur surprise, le jeune garçon leur mit une raclée, chef inclus. L’altercation a été filmée par un témoin et sera diffusée lors du journal de ce soir.
(Nintendo, 1995, notre traduction)

En tant qu’audience, nous assistons donc à une situation où les forces de l’ordre abusent de leur pouvoir afin de se venger. Par ailleurs, il s’agit, dans une mesure relativement édulcorée de violences policières qui dans notre contexte actuel, n’est pas sans rappeler les violences que des adolescents manifestants ont connues en ces dernières années. Le cas de Mantes-La-Jolie en 2018 est un parmi d’autres.

Les autres traitement de la police dans d’autres espaces

Cette péripétie n’est que la première d’une longue liste à l’égard de la police qui est problématique à plusieurs moments du jeu. A partir de la ville de Twoson, des policiers deviennent des ennemis récurrents. La ville de Fourside, dont la population dépasse 300 000 habitants est quant à elle particulièrement intéressante car à sa tête se tient le maire Geldegarde Monotoli, ancien agent immobilier reconverti dans la politique. Encore une fois, les parallèles avec notre quotidien semblent plus que troublants puisqu’un jeu sorti en 1994 au Japon décrit la situation actuelle des Etats-Unis.

Par ailleurs, si Onett est une petite ville, Fourside, the big banana, est un pastiche de New-York, the big apple. Plusieurs problématiques surviennent alors à Fourside concernant la police. Premièrement, le pouvoir politique est tenu par une personne de la sphère économique qui en a profité pour s’approprier un ensemble de biens ne lui appartenant pas, l’immeuble Monotoli, cette Trump Tower locale. Par ailleurs, la police n’a plus pour mission de protéger les habitants de Fourside. Au contraire, elle est dorénavant entièrement consacrée à la protection du maire et de ses conseillers. Comme le mentionne l’un des habitants :

« In the old days, Mr. Monotoli was just a regular, unattractive real estate agent. Now he has the power to control the police force. I don’t think the city of Fourside is better than before. » (un habitant de Fourside, Earthbound)

A travers ce qui vient d’être énoncé, je soutiens que chacune des villes d’EarthBound permet d’aborder un aspect problématique différent à chaque fois : l’incompétence et les violences policières à Onett et le rejet de leurs missions au profit d’une caste dominante à Fourside. Ces environnements sont donc discursifs dans le sens où ce sont des contextes ayant une affordance (Norman, 2013) particulière pour suggérer à l’audience que les forces de l’ordre sont problématiques à de nombreux égards. Par ailleurs, si ces espaces sont effectivement clos, on passe d’une ville à une autre et les problèmes ne se ressemblent pas, il convient aussi de prendre en compte que le discours se construit sur une temporalité double : celle du temps de la chose racontée et celle finalement, du chemin parcouru par l’audience durant ses sessions. Cependant, afin faire apparaître clairement cela, il convient de mobiliser plutôt la suite d’EarthBound : Mother3, sortie en 2006.

La segmentation chronologique du discours dans Tazmily.

Il est important de mentionner que Mother3 déroule son récit dans un futur post-apocalyptique et que contrairement à Earthbound, structure son récit selon un chapitrage signifiant l’avancée du temps. Par ailleurs, si Earthbound ancrait son récit dans une représentation contemporaine des années 1990 des pays occidentaux, les deux villes principales de Mother3, Tazmily et New Pork City reprennent la dichotomie petite ville et grande ville entre Onett et Fourside sauf que les discours en jeux portés par ces espaces s’ancrent dans une temporalité clairement définie. En particulier, j’identifie trois moments qui viennent soutenir un discours.

Au début du jeu, le joueur ou la joueuse a le temps d’explorer Tazmily, un petit village au semblants anarchistes puisqu’aucune organisation politique n’existe. Cependant, le village reconnait aussi l’existence d’un pouvoir royal mais ceci reste vague. En tout état, on peut voir que ce village, très petit, s’inscrit dans une certaine symbiose avec la nature : respect des forêts environnantes, absence de bitume, constructions en bois, etc. On peut aussi noter les maisons qui semblent collectivisées. Par ailleurs, il est important que plusieurs discussion avec ses habitants font mention d’un phénomène intriguant : les habitants ont des échanges économiques sous la forme de dons ou de trocs. Ainsi, lorsque l’on se rend chez ce qui ressemble être un marchant, le bazar de Thomas, l’audience par le biais des personnages principaux peut se saisir de l’ensemble des objets, disponibles dans une certaine abondance contrainte.

Durant les premiers chapitres du jeu, une monnaie va être introduite et à partir de ce moment-là, l’organisation du village va évoluer pour se rapprocher d’un modèle de démocratie libérale. Si au début les habitants du village ne savent pas quoi faire de cette nouvelle monnaie, celle-ci finit par s’imposer tout en instaurant des rapports marchands systématiques entre les citoyens de Tazmily. Après une ellipse de trois années, on remarque qu’une individualisation a lieu en termes d’urbanisme puisque chaque maison du centre-ville est dorénavant séparée.

Par ailleurs, si la société semblait œuvrer collectivement en bienveillance, on remarque que cette bienveillance disparaît au moment où, nommons-le, le capitalisme apparaît. En témoigne par exemple la gestion des personnes âgées qui sont dorénavant concentrés dans une maison de retraite en ruine. Enfin, si les habitants étaient libres de leur emploi du temps, autonomes et auto-entrepreneurs, ils sont dorénavant, organisés selon des logiques d’entreprises, en témoignent l’existence désormais d’un réseau ferroviaire reliant la ville à une entreprise minière, ainsi qu’un cabaret et bien sûr New Pork City.

Ce qui émerge ici, c’est finalement que le jeu nous propose d’expérimenter le passage d’une anthropocène vers le capitalocène, terme utilisé notamment par Donna Haraway pour signifier que c’est fondamentalement, et là, je cite Emmanuel Hache : « la manière d’organiser le système productif – et non l’homme en soi – comme agent principal des évolutions écologiques » (Hache, 2018:197). Cette capitalocène atteint son summum dans la dernière partie du jeu où, les villageois finissent par abandonner Tazmily puisque le village devenu ville fantôme n’est plus en mesure de proposer des emplois stables à ses habitants. Ces derniers rejoignent alors New Pork City, dont le nom fait de nouveau référence à New York, ville qui possèdent moult lieux activités typiques de l’industrie culturelle qui selon Théodor Adorno, fait référence à un système liant production culturelle et consommation de masse (Adorno, 1964). Finalement, le jeu conclut son discours sur le capitalocène par un phénomène d’exode rurale.

De ces deux études de cas ressortent deux caractéristiques des discours sociologiques tout d’abord, l’espace explorable, par les éléments qu’ils possèdent, possède une affordance pour les discours sociologiques. Cependant, cet espace n’est pas suffisant pour coconstruire des discours. C’est pourquoi il est nécessaire d’étudier aussi la temporalité dans laquelle l’audience expérimente l’espace. Il s’agit donc alors de proposer un cheminement plus ou moins persuasive, dans le sens où ce cheminement et plus ou moins suggéré aux joueurs et joueuse.

Il est donc nécessaire d’observer les deux lorsque l’on souhaite proposer des méthodes de conception et de design de discours en jeu. C’est cette prise en compte des espaces-temps qui permet alors d’aboutir à une analyse systémique des discours.

Pour une recherche sur le design de systèmes discursifs et le design systémiques

De fait, quels outils peut-on mettre en place afin de concevoir et d’analyser les discours sociologiques en jeu ? La réponse que je formule dans mes travaux de recherches passe par l’analyse du design systémique des jeux. Ce point de départ fait référence notamment à la rythmanalyse de Henri Lefebvre. Celle-ci est simplifiée par Claire Revol de la façon suivante :

« l’espace, comme le temps, sont des produits sociaux, et que chaque société dans l’histoire produit son espace, le façonne par sa pratique. L’espace est à la fois le résultat de cette pratique sociale, son produit, et il est le support de la praxis. Ainsi l’espace social est producteur, c’est-à-dire qu’il donne lieu à toutes les activités et les contient. » (Revol, 2014:11)

Dans le cadre du jeu vidéo, je postule que c’est le game design qui agence l’espace et le temps d’une expérience. In fine, le game design agence aussi les discours par la mise en place de stratégies discursives plus ou moins persuasives et je renvoie à mes précédents travaux pour cela, notamment ce que j’ai proposé sous l’appellation de continuum persuasif-expressif, même si finalement, « continuum discursif » semble plus approprié. Ainsi, le discours se construit par la rencontre entre le game design qui met en place des stratégies discursives et l’audience qui répond par des stratégies interprétative.

Cette conception du jeu vidéo comme un système entre la machine et l’opérateur (Galloway, 2006) légitime l’analyse du design systémique des jeux vidéo. Dans son acception usuelle, le design systémique fait référence aux interrelations qu’un élément de jeu peut avoir avec d’autres éléments de jeux et ce, dans le plus grand nombre de boucles de gameplay possibles. Michael Sellers propose une définition relativement simple en trois parties :

  • « Parts: Fundamental and structural components.
  • Loops: Functional elements enabled by the structure and built from parts.
  • Whole: Aspects of architecture and theme arising from the functional elements, the loops. » (Sellers, 2017:119)

Initialement, le design systémique fait surtout référence aux éléments typiquement considérés comme faisant partie du gameplay, c’est-à-dire ce qui est jouable à un instant T de l’expérience sans forcément prendre en compte l’ensemble d’un jeu et donc ses représentations. Or ce que je constate après avoir évoqué EarthBound et Mother3, c’est que les formes des discours dépassent largement toute forme de rhétoriques susceptibles d’être spécifiques aux jeux vidéo. C’est pourquoi je préfère m’appuyer sur la définition du sociologue Alan G. Johnson d’un système, social en l’occurrence. Pour lui, un système réunit trois éléments : une structure, une culture et une écologie.

Si les deux premiers font référence à une littérature connue, notamment à travers les paradigmes épistémologiques socio-constructivistes, je précise le dernier qui fait référence à l’écologie dans son sens scientifique à savoir, les êtres vivants dans leur contexte de vie. Ainsi, j’adapte le propos de Johnson pour proposer ma définition du design systémique et in fine du système discursif d’un jeu vidéo. Il s’agit donc d’une conception qui prend en compte :

  1. Une structure qui formalise les interrelations pragmatiques et fictionnelles entre les éléments du systèmes. C’est finalement le game design systémique au sens usuel. Dans EarthBound, on se bat avec des policiers via une interface de combat et la police dans le jeu est une construction fictionnelle au même titre que la mairie, etc.
  2. Une culture qui amène les éléments discursifs avec lesquels une audience peut jouer au travers de la structure. Dans Mother 3, les objets, documents et témoignages permettent d’appréhender les formes de la société vivant à Tazmily.
  3. Une écologie qui intègre l’audience à travers son avatar, les autres joueurs et joueuses ainsi que les personnages non-joueurs. Dans Earthbound, la majeure partie du vivant vit dans des villes figées dans leurs problèmes tandis que Mother3 joue justement sur la modification du contexte de vie pour illustrer son discours.

Bien entendu, ces trois éléments ne peuvent être abordés de manière séparée puisque ma définition suit l’une des hypothèse fondamentale du design systémique à savoir que « we can create emergent wholes that are not simply the additive compound of the parts but that have entirely new and ultimately engaging properties not found in any of the parts on their own » (Sellers, 2017:248).

Avant de vous remercier pour votre lecture, je souhaite aborder un dernier point de mes recherches. Dans le cadre de mon travail doctoral, j’essaie de créer une théorie socio-constructiviste du game design des discours sociologiques en jeu et plus généralement, une théorie socio-constructiviste des jeux vidéo simplement. Durant cette communication, je me suis attaché à toujours parler de coconstruction des discours car contrairement à une certaine doxa narratologique, je rejette fondamentalement l’idée de récit préexistant l’expérience de jeu. De facto, il en va de même pour les discours. C’est pourquoi je préfère parler de sentier discursif puisque je définis déjà « le récit vidéoludique comme le résultat d’un enchaînement de controverses entre la machine et l’opérateur » (Giner, 2019).

Par ailleurs, employer l’imagerie du sentier permet aussi de rappeler qu’à aucun moment, une audience est tenue d’interpréter le contenu d’un jeu sous la forme d’un discours particuliers, à tout moment, on peut s’écarter des sentiers battus, c’est ce que les speedrunners ont très bien compris. 

Esteban Grine, 2020.


Bibliographie

  • Adorno, T. W. (1964). L’industrie culturelle. Communications, 3(1), 12‑18. https://doi.org/10.3406/comm.1964.993
  • Di Filippo, L., & Schmoll, P. (2016). La ville après l’apocalypse. Entre formalisation projective et réalisation locale. Revue des Sciences sociales, 56, 126‑133.
  • Fugier, P. (2008). Les discours sociologiques et les terrains des sociologues. Quelques préalables à la production de sociologies non dogmatiques. ¿ Interrogations ?, 7.
  • Hache, E. (2018). Effondrement, adaptation ou prospérité à l’heure du changement climatique. Revue internationale et stratégique, 109(1), 191. https://doi.org/10.3917/ris.109.0191
  • Haraway, D., & Neyrat, F. (2016). Anthropocène, Capitalocène, Plantationocène, Chthulucène : Faire des parents. Multitudes, 65(4), 75. https://doi.org/10.3917/mult.065.0075
  • Jenkins, H. (2003). Game Design as Narrative Architecture.
  • Johnson, A. (1997). The Forest and the Trees : Sociology as Life, Practice, and Promise. https://www.amazon.fr/Forest-Trees-Sociology-Practice-2014-10-12/dp/B01K3I56E8/ref=sr_1_6?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=allan+g+johnson&qid=1558196961&s=gateway&sr=8-6
  • Matuszak, C. (2007). L’environnement discursif des forums politiques : Le cas des forums d’organisations politiques marginales. https://journals.openedition.org/edc/510
  • Norman, D. (2013). The Design of Everyday Things : Revised and Expanded Edition (Revised edition). Basic Books.
  • Pearce, C., Ludtke, J., Young, C. S., deGraf, B., & Goldberg, A. (1997). Narrative environments (panel) : Virtual reality as a storytelling medium. Proceedings of the 24th Annual Conference on Computer Graphics and Interactive Techniques  – SIGGRAPH ’97, 440‑441. https://doi.org/10.1145/258734.258901
  • Revol, C. (2014). La rythmanalyse lefebvrienne des temps et espaces sociaux , Ébauche d’une pratique rythmanalytique aux visées esthétiques et éthiques. Rhuthmos, 9.
  • Sellers, M. (2017). Advanced Game Design : A Systems Approach: A Systems Approach (1 edition). Addison-Wesley Professional.

Entre médiation des savoirs et militantismes vidéoludiques

Résumé. — Après avoir modélisé l’évolution de la vidéo sur le jeu vidéo sur internet, nous considérons la période actuelle comme une période de « science populaire » dans laquelle les vidéastes médiateurs de savoirs interagissent entre eux, se citent et citent ponctuellement des acteurs des sciences académiques et techniques. A travers le traitement de deux enquêtes, l’une comprenant 11 interviews, l’autre reprenant 17 réponses à un questionnaire, nous constatons que les créateurs se consacrant à l’objet culturel « jeu vidéo » sur YouTube ont un rapport parfois conflictuel avec la légitimité qu’ils s’attribuent ou non. Nous proposons de les catégoriser à travers trois profils théoriques qui partent de leur relation avec la légitimité et qui sont corrélés à des objectifs, des situations de productions et des intentions différentes.

Mots clés. — jeu vidéo, vulgarisation, youtubers, science populaire, vidéaste

Between mediation and militancy about videogaming: a case study about French-speaking youtubers.

Abstract. — After modeling the evolution of informative videos about the video game on the Internet, we consider the current period as a period of « popular science » in which the videomakers mediating knowledge interact with and quote each other, quote academic and technical sciences from time to time. Through the treatment of two surveys, one consisting of 11 interviews and one containing 17 responses to a survey, we found that these creators who devote themselves to the cultural object « video game » on YouTube have a conflicting relationship with the legitimacy that they attribute themselves or not. We propose to categorize them through three theoretical profiles which are based on their relation to legitimacy and which are correlated with objectives, production situations and different intentions toward their audience and their creations.

Keywords. — video games, vulgarization, youtubers, gaming, popular science,

Pour citer cet article, merci d’utiliser la citation de ma communication de colloque :

Giner, E., (2017). Entre médiation des savoirs et militantisme vidéoludique : le cas des vulgarisateur.ice.s francophones sur le jeu vidéo. Communication donnée lors du colloque « YouTubers, YouTubeuses », Université de Tours : Tours.

(une version pdf sera déposée sur HAL prochainnement)

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L’esprit critique des joueurs et des joueuses, une simple question de profils ?

Bonjour à toutes et tous, tout d’abord, je tiens à remercier les organisateurs de ces journées de m’avoir convié afin de pouvoir vous présenter, je l’espère, des propos qui alimenteront vos réflexions. Mon intervention s’intitule « l’esprit critique des joueurs et des joueuses : une simple question de profils ? ». Outre le fait qu’en réalité, une question n’est jamais simple, j’ai eu beaucoup de mal à trouver une amorce qui pourrait lancer ce sujet. Puis, je suis tombé hier sur un article de TechRadar recensant les propos d’Hideo Kojima à propos des retours mitigés que son dernier jeu reçoit actuellement.

Cet article est la retranscription de mon intervention donnée au séminaire 2019 de Games For Change.
Pour citer cet article :
Giner, E. (2019). L’esprit critique des joueurs et des joueuses : une simple question de profils ?. Communication donnée lors du séminaire « Esprit critique / Esprit ludique », organisé par l’association Games For Change. Paris : les 18 et 19 novembre 2019.

Pour situer, Death Stranding est un jeu se déroulant dans un univers postapocalyptique et nous incarnons Sam Porter Bridges, un livreur de colis. D’ailleurs, nous passons le plus clair de notre à temps précisément à livrer des colis pendant la cinquantaine d’heures que dure l’aventure principale. Alors, je ne l’ai pas encore fini donc je n’irai pas m’aventurer à spolier l’histoire. Ce qui m’intéresse vraiment ici, ce sont les propos de Kojima. Expliquant les mauvaises notes que le jeu reçoit en provenance des Etats-Unis, Kojima énonce : « it’s a difficult game to understand ». Plus loin dans l’entretien, il explique la réception du jeu est fonction d’une sensibilité artistique qui ne serait pas la même en fonction des nationalités :

« I always try to create new things and disputes and discussions are fine, but it must be said that the Italians or the French have a different artistic sensibility that allows them to appreciate this kind of very original products, they are not in video games but also in the cinema. » (Kojima, 2019)

Il me semble que cette dernière citation illustre bien la problématique de mon intervention. Ici Kojima fait une distinction géographique entre les profils de joueurs. Par ailleurs, nous sommes habitués, soit par réflexe, soit par simplicité, à toujours procéder à des catégorisations de joueurs. Celles-ci peuvent reposer sur des dichotomies typiques, par exemple on distingue les casual des hardcore gamers (Ip, Jacobs, 2005), Les whales des non-consommateurs, etc. Ces typologies peuvent aussi reposer sur des matrices multifactoriels, surtout lorsque l’on s’intéresse particulièrement à des jeux de niches comme par exemple les queer games, des jeux vidéo principalement destinés à des personnes queers.    

De fait l’objectif de cette communication n’est pas de savoir si Hideo Kojima a raison ou pas mais plus d’interroger les productions académiques afin de discuter la notion d’esprit critique : avons-nous des outils afin d’analyser si oui ou non les jeux vidéo peuvent être des outils de développement de l’esprit critique et si oui ou non il y aurait des profils de joueurs et de joueuses ayant une appétence particulière pour cela ?

Lorsque l’on commence à décortiquer la notion d’esprit critique, on s’aperçoit que pour le jeu vidéo, il s’agit surtout d’un mouvement circulaire entre l’esprit critique à l’égard d’un jeu, d’un genre ou d’une production et l’esprit critique à l’égard d’un phénomène social qu’aborderait un joueur ou une joueuse en jouant à une production vidéoludique. Pour la première, nous avons déjà un terme : il s’agit de la littératie vidéoludique, notion définissant la compétence d’un joueur à se saisir d’un message contenu dans un jeu pour étendre sa propre compréhension du monde.

Les fondamentaux de l’exprit critique : entre catharsis et apprentissage social

Pour répondre à ces questions, il semble important de situer que depuis une perspective académique, nous pouvons raccrocher la question de l’esprit critique aux problématiques plus larges liés aux jeux vidéo comme support d’apprentissages, de discours et de représentations. Par exemple, José Zagal, qui travaille sur la littératie vidéoludique résument les positions des chercheurs et chercheuses à deux grandes écoles de pensées. D’un côté, il y aurait les tenants de l’apprentissage social. Dans ce cas, cette théorie suggère que les comportements que nous avons en tant que joueurs alimentent les comportements que nous avons dans d’autres pans de nos vies, et ce, via des mécaniques de renforcements notamment. Je suis violent dans un jeu, alors je deviens plus violent IRL et inversement, j’éprouve de l’empathie ingame et je serai plus empathique dans ma vie de tous les jours. De l’autre côté, il y aurait les tenants de la catharsis qui comme son nom l’indique suppose que les jeux vidéo semblent être des espaces-temps déconnectés de toutes réalités proches.

Dès lors, si l’on pense les jeux vidéo comme des supports nourrissant et accompagnant l’esprit critiques des joueurs et joueuses, cela suppose implicitement que l’on va se positionner sur une sorte de continuum entre ces deux catégories, relativement poreuses, et ce, en fonction des objets que l’on étudie. Il est toujours intéressant d’ailleurs de prendre ces positions pour étudier la façons dont certains groupes de joueurs se positionnent idéologiquement comme lorsque par exemple, certains vont considérer qu’un jeu de conflit militaire présente parfois un agenda politique particulier sur l’histoire comme c’est le cas de Battlefield 1 qui présente des erreurs factuelles majeures selon certains notamment vis-à-vis de la représentation des femmes. Alors qu’un autre jeu dans la même veine ne fait que proposer un espace vidéoludique sous couvert de pratiquer le négationnisme. 

En tout état et tout autant que dans les discussions entre amateurs et amatrices, ces deux grandes positions au semblants idéologiques dans le champs des game studies se retrouvent dans les productions académiques. Et particulièrement dans ce que je regroupe sous le terme d’études d’impact. Il s’agit là d’un corpus d’articles principalement issus de la psychologie et de la psychologie sociale anglo-saxonne qui vient régulièrement ponctuer l’actualité médiatique autour des effets que les jeux vidéo peuvent avoir sur leurs audiences.

Plonger dans les études d’impact est absolument passionnant car cela nourrit tout une histoire de la recherche sur les jeux vidéo depuis les années 1980. A première vue, il semble que ces travaux puissent nous donner de meilleurs clefs de lectures que simplement la conception très binaires proposé par José Zagal. Cependant, la quantité de productions scientifiques portent d’avantage sur des questions connexes à l’esprit critique. Par exemple, on peut noter tout un corpus consacré à l’emploi du jeu vidéo dans le cadre de pratiques pédagogiques. Même si ces études restent importantes car elles structurent le champs, leurs résultats sont souvent nuancés comme celle de l’équipe de Jereon Bourgonjon qui en 2010 tentait de mesurer la pertinence de l’usage de jeux vidéo l’école et qui conclut :

The results showed that students cannot be regarded as one homogeneous group of video game consumers, as there were large differences between groups of students in their video game consumption patterns. (2010)

Cet conception des pratiques vidéoludiques comme socialement située fait qu’il est difficile d’avoir un positionnement clair sur ces questions sans prises en compte d’un contexte particulier de jeu, mais pour cela, c’est Vincianne Zaban qui sera plus à même de parler de cela. Finalement, l’étude de ce type de corpus n’apporte que peu d’indices hormis de grandes conclusions relativement faibles sur les impacts au sens très large. Par ailleurs, il s’agit au passage d’un corpus miné par des controverses entre chercheurs, controverses que j’ai pu déjà abordées hier soir et dans d’autres textes. De fait, à l’issue de ce premier travail, hormis les enjeux liés entre les tenants de la catharsis ou de l’apprentissage social, il semble difficile d’en apprendre plus sur l’esprit critique des joueurs et son développement via l’usage de jeux vidéo.

Donc à la première question qui était : avons-nous des outils pour analyser si oui ou non les jeux vidéo peuvent être des supports de développement de l’esprit critique, la question semble beaucoup trop ambitieuse pour ne pas procéder plutôt au cas par cas. Pourtant, les données statistiques se heurtent régulièrement aux récits des joueurs et joueuses qui font preuves de réflexivité, de détachement et de pertinence. La question que l’on va donc maintenant explorer est donc : l’esprit critique est-il fonction de certains profils de joueurs et joueuses ? Pour cela, il se trouve qie tout un pan de la recherche académique s’est concentré sur la formalisation de typologies variées de joueurs et de joueuses.

Les profils de joueurs, méthodes pour inférer l’appétence des joueurs et joueuses au développement de leur esprit critique ?

Donc finalement, encore heureux qu’en parallèle de ces études d’impacts qui offrent en tant que corpus des conclusions en demi-teintes, il existe aussi de nombreux travaux en sociologie et en anthropologie qui vise à constater d’un côté les façons dont les jeux vidéo renforcent ou discutent certaines perceptions du monde et de l’autre la façon dont on peut faire des hypothèses sur la transmission d’un message en fonction de caractéristiques particulières des joueurs et joueuses. Pourtant finalement, la grande interrogation porte sur le fait de savoir si un joueur ou une joueuse va être capable de décoder le message d’un jeu. De même, lorsque l’on crée un jeu vidéo, on se représentant généralement la personne qui va y jouer. Sébastien Genvo a proposé le concept de « joueur-modèle » pour représenter la personne qui est considérée comme la destinataire principale du jeu. Pour Genvo, le joueur-modèle ou la joueuse-modèle fait donc référence à un ensemble de compétences qui sont mobilisées dans un contexte social particulier de jeu. Alors bien sûr, on pourrait tout de suite énoncer qu’à partir du moment où l’on souhaite créer un jeu qui va interroger les représentations et qui va solliciter l’esprit critique des joueurs et des joueuses, alors, automatiquement, les joueurs et les joueuses vont développer leur esprit critique. Et parce qu’ils et elles sont critiques, ils seront plus exigeants pour les jeux suivants. On se retrouve alors avec une sorte de cycle de renforcements mutuels.

De fait, la promesse semble alléchante : s’il on arrive à catégoriser les joueurs et joueuses de la sorte, il devient possible de déterminer les joueurs-modèles et donc les personnes les plus à même de développer leur esprit critique en jouant. A ce titre, les chercheurs Janne Tuunnanen et Juho Hamari ont catégorisé quatre façon de créer une typologie de joueurs et de joueuses (2012). On retrouve des segmentations en fonction des aspects géographiques, démographiques, psychographiques et comportementalistes.

Et c’est intéressant de constater que les typologies typiques de joueurs et de joueuses se retrouvent dans cette segmentation. Par exemple, la typologie de Bartle opte pour une segmentation comportementaliste des joueurs et joueuses (1996). Dans la typologie qu’il propose, il identifie les achievers, les explorers, les socialisers et les killers.

Je n’ai pas le temps ici de développer étant donné le nombre de typologies existantes dans la sphère académique à propos des joueurs et des joueuses. Tuunnanen et Hamari en retiennent douze pour une méta-analyse qu’ils ont faite à ce sujet. Ce que je retiens cependant, c’est qu’elles ne proposent pas vraiment d’interroger la notion d’esprit critique. Cet esprit critique est implicitement associé à des comportements ingame et encore, ce n’est pas si sûr. A ce moment de la communication, on pourrait supposer celle-ci finalement comme déceptive. Les études en psychosociologie sont prises dans des controverses et les typologies de joueurs et joueuses ne permettent que de faire des suppositions. Or, on sait, grâce aux données ethnographiques que des chercheurs et des chercheuses produisent que des jeux vidéo peuvent être le support d’interrogations nouvelles pour leurs audiences.

De fait, là encore, la seconde question semble insoluble. Celle-ci « y aurait des profils de joueurs et de joueuses ayant une appétence particulière pour cela ? » semble induire une caractéristique presqu’innée chez les joueurs et les joueuses et c’est finalement problématique car cela invite à déconsidérer certain joueur par rapport à d’autres soit parce qu’ils et elles n’auraient pas les compétences, soit parce qu’ils et elles n’auraient pas atteint un certain niveau de compréhension d’un sujet. Dans tous les cas, il y aurait systématiquement une raison ou une autre pour qu’un joueur ou une joueuse ne fasse pas suffisamment preuve d’un esprit critique. Finalement, c’est peut-être cet esprit critique, en tant que caractéristique d’un profil de joueur qui me semble problématique. 

Ce que je suggère ici, c’est qu’il s’agit, il me semble, d’une porte d’entrée intéressante pour interroger l’esprit critique, non pas comme une caractéristique intrinsèque des joueurs et des joueuses mais plutôt comme un moment de jeu qui apparaitrait du fait d’une communication entre le game design et une audience dans un contexte précis. De fait, la question n’est plus de s’adresser aux joueurs et joueuses avec des profils particuliers, les vrais gameurs par exemple, mais plutôt : comment faire pour structurer l’expérience de jeu de sorte accompagner le développement l’esprit critique des joueurs et des joueuses ?  

La perspective que je défends est donc double. Premièrement, il me semble important de considérer l’esprit critique ou la littératie vidéoludique non pas comme des caractéristiques propres, au contraire. Il me semble important de considérer cela comme des moments issus d’une rencontre entre des expériences et des joueurs et des joueuses qui viennent avec leur vécu, leurs itinéraires de joueurs et tout ce qui les définisse dans leurs identités. Ainsi, suivant cela, il semble que l’esprit critique, en tant que moment, est d’avantage l’affaire d’une controverse finalement entre la machine et l’opérateur·ice. Secondement, partant du postulat que je viens d’énoncer, l’esprit critique ne précède pas l’apprentissage en jeu. Je considère et défend l’idée que tout·e joueur·euse est à même de développer son esprit critique, sa littératie vidéoludique, pourvu qu’il ou elle soit accompagné·e, soit par le game design soit par le contexte de jeu via par exemple des accompagnateur·ice·s qui complètent l’expérience de jeu.

Esteban Grine, 2019.

Modéliser les récits de jeu vidéo avec la narration à n-corps

Le 7 novembre dernier, j’ai présenté lors du colloque « Lusor In Fabula », organisé par l’université de Rouen, ma proposition théorique qui s’intitule : « la narration à n-corps ». C’est une théorie importante pour moi car cela fait maintenant un peu plus d’un an qu’elle mûrit. De même, si j’ai l’impression d’en avoir été le premier instigateur, c’est un travail que j’ai réalisé en réseau, notamment avec mes collègues Rémi Cayatte, Charles Meyer et Martin Ringot. C’est avec eux que j’ai particulièrement échangé durant la formalisation de cette théorie, encore balbutiante, mais je reviendrai là-dessus plus tard.

Pour citer ma communication lors du colloque :
Giner, E. (2019). Pour une théorie radicale et dynamique des récits vidéoludiques : la narration à n-corps. Communication donnée lors du colloque « Lusor In Fabula ». Université de Rouen : les 7 et 8 novembre.
Pour citer ce billet :
Grine, E. (2019). Modéliser les récits de jeu vidéo avec la narration à n-corps. [Carnet de recherches] Les chroniques vidéoludiques. URL :

Note aux lecteur·ice·s : il s’agit ici d’un article qui n’est pas le texte de ma communication. Le texte sera déposé plus tard sur la plateforme HAL probablement et peut-être soumis à une réécriture en vue d’une publication pour des actes ou pour une publication future.

L’objectif de ce billet est donc de proposer un nouveau texte sur cette théorie. Finalement, il aurait pu se nommer : « la narration à n-corps : enjeux et méthodes ». Aussi, il ne s’agit pas du texte de la communication que j’ai donnée lors du colloque. Celle-ci sera publiée plus tard aux Archives Ouvertes et je ne manquerai pas de venir y réinsérer un lien vers sa page de téléchargement.

Ainsi donc, ce billet va suivre l’organisation de ma communication : après avoir formalisé un contexte théorique, je présente la narration à n-corps pour enfin aboutir à ses applications.

Pour bien comprendre le point de départ de la narration à n-corps, il m’est important de rappeler d’où je pars. N’étant ni littéraire, ni narratologue de formation, je m’appuie principalement sur les articles qui se trouvent dans le champs des game studies. Par ailleurs, ce qui m’a fondamentalement toujours intéressé, ce n’est pas un débat de concept. Au contraire, mon objectif est plutôt de modéliser les formes et les trajectoires que peuvent prendre un ou des récits en jeu. Si au passage, cela me permet de faire fi de certaines conventions scientifiques, comme par exemple en me positionnant contre certaines théories qui ont légitimement structurer le champs, c’est un plus.

De fait, la narration à n-corps est partie d’une représentation atypique des récits que je vivais en jeu. Par exemple, plutôt que de tenter une analyse sémiotique poussée du jeu The Witness, je me représente dorénavant son récit comme la figure ci-dessous. Cela ressemble vaguement à un système solaire. De fait, tout le propos de cet article est d’expliquer pourquoi et comment je conceptualise les récits vidéoludiques de cette façon.

Cependant, il m’est d’abord nécessaire de situer le contexte de cela. L’un des premiers phénomènes que je note est que les game studies ont toujours fait un usage poussé des métaphores de sorte à expliciter ce que sont les jeux. Je tire cette conclusion des travaux d’Olivier Caïra (2014). Ce que j’ajoute à son propos est que finalement, on peut aisément agencer ces métaphores sur différents plans de l’existence : de la fiction quantique (Blanchet, 2010) aux « bacs à sable » en passant par la théorie atomique du gameplay (Alvarez, 2018), toutes les métaphores s’inscrivent de sorte à mobiliser des éléments inscrits dans une spatialité à plus ou moins grande échelle.

« Comme l’huile et le vinaigre » : penser les jeux vidéo

Du coup, si nous avons déjà exploré les métaphores de l’infiniment petit, autant aller à l’opposé en optant pour les objets les plus lourds que nous connaissons actuellement : les corps célestes. En particulier, je tire cette théorie d’une lecture de science-fiction : « le problème à 3 corps » de Liu Cixin (2016). Dans ce roman, une planète gravite autour de trois soleils, ce qui lui empêche alors d’avoir une trajectoire stable. Dans la narration à n-corps, cette planète est l’équivalent d’un récit qui se développe : il gravite autour d’astres et même s’il apparait qu’il y a bien un commandant à bord, la gravité exerce une attraction qui oblige ce récit à emprunter une trajectoire plutôt qu’une autre. C’est cette métaphore que je vais garder pendant toute la durée de ce billet.

Durant la première partie de ma communication, je suis revenu sur plusieurs propositions théoriques qui semble, à mon sens, faire consensus dans le champs des game studies. J’ai le sentiment que l’on structure nos conceptions des jeux vidéo en nous reposant systématiquement sur des dichotomies qui viennent soit positionner deux termes en oxymores, soit positionner deux termes dont l’un serait le contenant de l’autre. Bien entendu, j’entends que l’on reste permissif et qu’il ne s’agit pas ici de cloisonner de manière exclusive les termes. J’interprète généralement ces lectures comme des continuums entre par exemple récits encastrés, présents dans les jeux, des récits émergents (ceux qui apparaissent du fait de l’action du joueur ou de la joueuse. J’ai aussi le sentiment que ce type de conceptions, en plus de reposer sur la façon dont le faux débat « ludologie – narratologie » qui structura les chercheurs et les chercheuses en fonction de prises de positions marquées, fait référence à une certaine tradition McLuhanienne de la conception des médias dont les plus récents contiennent toujours ceux qui les précédent.

Dès lors, on pourrait pousser cette analyse en formalisant de facto un tableau à double entrée qui agencerait ces théories en fonction des dichotomies qu’elles proposent pour définir les jeux vidéo. D’un côté, il y aurait les théories reposant sur une dichotomie game/play et celles s’appuyant sur une distinction entre narrativité et ludicité. De fait, la naissance de la théorie des n-corps repose aussi sur une volonté personnelle de tenter de « penser autrement » : est-ce que cela est possible ? Comment formaliser cela ? J’avoue qu’il y a aussi une volonté de ma part de me challenger. En tout état, on peut avoir dans la figure ci-dessous un exemple de ce que je veux établir : une théorie ne reposant sur aucune dichotomie pour formaliser et modéliser les récits vidéoludiques.

Aussi, il est important de noter, car il m’a semblé que c’est quelque chose que j’aurai dû préciser durant le colloque : je suis assez flexible lorsqu’il s’agit de changer de cadre théorique de sorte à appréhender un objet d’une nouvelle façon. Je ne considère absolument pas la narration à n-corps comme une théorie plus vraie que les autres, que j’emploie toute autant dans mes travaux.

Modéliser les récits vidéoludiques avec la narration à n-corps

En tout état, lorsque je présentais cette théorie comme étant « radicale », c’était pour précisément signaler mon intention de remercier les auteur·ice·s me précédant de sorte à mieux leur fermer la porte, et ce, uniquement dans le cadre de cette théorie qui reste une construction n’ayant pas pour objectif de formaliser une réalité : il s’agit d’un modèle, qui je l’espère, permet de mieux appréhender cette réalité.

De fait, l’adjectif radical fait aussi principalement référence à la façon dont je définis le « récit ». Celui-ci est dans cette théorie le résultat d’un enchaînement de controverses entre la machine et l’opérateur et ce, dans un contexte socialement ancré de jeu. Positionner le récit de cette façon aboutit à deux effets importants.

Tout d’abord, je m’extraie de la définition du récit de Gérard Genette : « l’énoncé narratif, le discours oral ou écrit qui assume la relation d’un événement ou d’une série d’événements » (Genette, 1972). De facto, le récit en tant que telle ne précède pas l’expérience de jeu dans la théorie des n-corps. Tout au plus, il existe des éléments de langage, des événements mais le récit, en tant que tel, repose alors sur une co-construction entre machine et opérateur·ice.  

Le deuxième effet de cette conception est que dans le cadre de la théorie de la narration à n-corps, je refuse systématiquement de distinguer le récit, de l’expérience et de la narration. Je précise cela car cela m’a été demandé à la suite de mon intervention. En effet, à partir du moment où je réintègre ce type de distinctions, cela contredit l’intention initiale de la proposition de s’extraire d’une conception typique de la narration, du récit, etc. Je comprends que cela puisse frustrer certaines personnes qui considéreraient alors que ce modèle n’a aucune valeur. Je ne peux que leur répondre que leur frustration ne me dérange pas, au contraire, tout en précisant qu’il ne s’agit pas de la seule conception des récits que je considère avec intérêt et que je n’ai aucun mal à m’appuyer sur des conceptions typiques. Ici, je recherche précisément une façon dont laquelle je peux m’extraire de tout cela. C’est pourquoi on peut aussi envisager la narration à n-corps comme simplement un exercice de style qui apporte des éléments intéressants de compréhension et de formalisation.

Le deuxième concept important de la narration à n-corps est celui des corps vidéoludiques que je définie comme des ensembles homogènes de situations-séquences rencontrées dans les jeux vidéo. De fait, je laisse libre les utilisateur·ice·s du modèle de formaliser et de sélectionner les critères d’homogénéité. Par exemple, je m’appuie personnellement sur des événements communicationnelles (voir le continuum persuasif-expressif, Giner, 2019) mais dans d’autres contextes, j’aurai pu m’appuyer sur les médias qui composent ce corps ou encore sur les ludèmes, etc. L’objectif est de rendre le modèle relativement plastique et applicable à des questions variées de recherches.

Par exemple, j’ai représenté le récit de Super Mario Bros (Nintendo, 1985). Pour ce jeu, j’ai identifié trois corps principaux. J’aurai pu en ajouter d’autres dans l’objectif d’être plus précis mais il s’agit surtout ici clarifier un propos. Dans ce jeu, il y a donc un corps correspondant aux niveaux, un corps correspondant aux « briefs de mission » qui sont les écrans noirs disposant des informations avant chaque niveau et les cinématiques/cliffhangers qui sont les cinématiques reposant sur un texte à l’issue de chaque monde (et nous indiquant généralement que la princesse Peach se trouve dans un autre château).

De fait, la trajectoire du récit prend la forme d’une rosace sur la figure ci-dessous (gauche). Sans revenir sur les implications de la chose, je fais l’hypothèse que plus un jeu va proposer des récits ayant des trajectoires géométriques et plus le récit sera stable. A l’inverse, plus la trajectoire semblera désorganisée et plus je considérerai le récit comme chaotique. J’ai poussé un peu le vice en réalisant six runs de SMB et même si je ne suis pas mort aux mêmes endroits, on remarque que le récit est relativement stable.

Là où le jeu Undertale propose finalement un récit plus chaotique. Après avoir séquencé les vingt premières minutes d’une run pacifist et d’une run genocide, je me suis à formaliser l’ensemble en reprenant la méthodologie que je propose. Cette fois, j’ai identifié huit corps principaux plus deux autres qui émergent du fait du comportement génocidaire du joueur ou de la joueuse (figure ci-dessous, à droite). De fait, voici dans la figure ci-dessous (à gauche) les représentations que je propose des récits d’Undertale du début jusqu’à l’apparition du titre après le combat contre Toriel.

Avant de présenter les applications du modèles en conclusion, voici dans les grande lignes les éléments essentiels de la théorie de la narration à n-corps :

  • Les jeux vidéo sont considérés comme des systèmes dans lesquels un ou des récits, qui nécessitent l’action et l’agentivité du joueur ou de la joueuse, gravitent autour de corps vidéoludiques.
  • Penser les jeux vidéo comme des systèmes ne présuppose pas les relations entre les éléments le composant. Ceux-ci sont fonction d’un réagencement suivant les actualisations progressives faites par le ou la joueuse.
  • L’objectif de la narration à n-corps est de représenter la spatialité et la temporalité d’un récit. Il est donc d’avantage question de représenter la trajectoire d’un récit plutôt que d’en connaitre sa teneur.
  • Les corps vidéoludiques sont définis par les observateur·ice·s et ce, en fonction de leur question de recherches.
  • Un même jeu peut être représenté par plusieurs systèmes de corps vidéoludiques déterminés finalement en fonction des questions de recherches.
  • La teneur métaphorique de la narration à n-corps ne se substitue pas à une méthodologie de recherche reposant notamment sur l’usage de séquenciers de sorte à proposer un travail falsifiable. 
  • Il est possible de présenter un système « ouvert » dans le sens ou celui-ci va intégrer des « corps médiatiques » qui ne sont pas présents dans le jeu vidéo étudié. Par exemple, on pourrait intégrer un corps « réseaux sociaux » pour formaliser la trajectoire d’un récit qui s’effectue à l’intérieur et à l’extérieur d’un jeu (et donc, on rapproche cette théorie de la transmédialité et de l’intermédialité).

Conclusion

Il me semble qu’avec ce billet, la modélisation du récit du jeu The Witness semble plus clair : il gravite autour du corps « exploration » de l’île et ponctuellement, on résout des énigmes.

A ce jour, l’application principale de cette théorie est de pouvoir objectifier des interprétations particulières d’un jeu, faisant le pont entre game et play. Durant ma communication, j’ai présenté aussi les prémisses d’une typologie de jeux vidéo à un corps, deux corps, trois corps, à n-corps, des récits stables, des récits chaotiques. C’est quelque chose que je n’ai pas encore formaliser plus en détails.

Par ailleurs, la narration à n-corps semble être un outil de modélisation de sorte à constater la persuasivité et l’expressivité des jeux vidéo, ce qui défait est totalement raccord avec mon travail de thèse. Aujourd’hui, la principale limite est que je n’arrive pas encore à respecter la temporalité de l’expérience à l’échelle de l’expérience effective. De fait, on a l’impression que les corps semblent équivalant à tout moment d’une expérience, or je vois les choses beaucoup plus en mouvement. En tout état, les séquenciers permettent tout de même de prendre en compte cela. Enfin, une représentation qui semble efficace et utilisable semble celle que j’ai mobilisée pour le cas d’Undertale. C’est aussi une représentation que je vais prolonger et améliorer. Une excellente proposition de Martin Ringot durant le colloque fut aussi de représenter l’attractivité des corps entre eux en plus des trajectoires des récits et cela un nouvel axe de travail. Cependant sur ce, je m’arrête là, car si mon modèle nécessite de nouvelles améliorations, mon train arrive en gare : l’heure tourne, en plus de mon modèle. Ce sera donc pour de prochains billets.

Esteban, Grine, 2019.

Entre le jeu et le joueur : les communications du CREM !

En octobre dernier s’est déroulé le colloque international « entre le jeu et le joueur : écarts et médiations » organisé par le LiègeGameLab et l’université de Liège. De manière assez chouette, mon laboratoire de recherche y était en force puisque nous étions 4 intervenants à venir présenter nos recherches respectives.

A titre personnel, j’ai été très heureux de participer au colloque, malgré un stress incommensurable (et partagé je crois par d’autres intervenant·e·s), mais aussi de voir de vrais liens entre nos recherches au sein de l’ExpressiveGameLab. Ce billet permet de réunir l’intégralité des captations de nos interventions tout en remerciant encore une fois l’équipe organisatrice et les technicien·ne·s qui ont eu la mission de faire le montage des vidéos.

Penser et analyser l’ethos ludique comme processus de médiation

Dans cette keynote, Sébastien est revenu sur les jeux expressifs – des jeux qui proposent à leurs joueur·euse·s de se mettre à la place de – mais aussi sur la notion de play design. Cette dernière propose de conceptualiser l’analyse vidéoludique non pas simplement sur l’étude d’une structure mais plutôt sur l’expérience de jeu. Il évoque aussi par la suite son travail de game designer et la façon dont il articule l’ensemble afin de proposer des expériences ludiques narrant des récits de vie.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/du-game-design-au-play-design-ethos-et-mediation-ludique/

Le « non-jeu » : une pratique à interroger

Rémi est intervenu sur les pratiques vidéoludiques visant à restreindre l’expérience-cadre déjà proposé par une situation de jeu. Partant de l’idée de « non-jeu », il déconstruit progressivement cette dernière en abordant des façons de jouer qui semblent détourner l’intention initiale des auteurs et autrices. A titre d’exemple, il présente notamment la façon dont les joueurs testent les limites des jeux, des pratiques que l’on peut assimiler aux nuzlock challenges mais aussi des pratiques politiques mobilisant les jeux pour transmettre en message.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/le-non-jeu-une-pratique-a-interroger-par-remi-cayatte/

Etre seul(e) sur une île, témoin de son apprentissage

Dans ma communication, je mobilise des outils issus de la pédagogie et des sciences de l’éducation pour modéliser des situations de communications entre le jeu et son joueur. L’idée n’est donc pas de « prouver » qu’un jeu peut être utilisable pour servir les objectifs pédagogiques de l’éducation nationale mais que fondamentalement, les jeux vidéo proposent des situations potentielles d’apprentissages et que le game design est le reflet des intentions pédagogiques et didactiques des créateurs et créatrices. J’énonce aussi que ces outils permettent d’analyser la persuasivité (volonté de persuader) ou l’expressivité (volonté d’empathie) l’expérience-cadre tout en faisant des hypothèse sur les possibles réceptions.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/etre-seule-sur-une-ile-temoin-de-son-apprentissage-e-giner/

Entre le jeu et le joueur : quel lieu pour l’exploration ?

Dernière communicant de l’ExpressiveGameLab à Liège, Guillaume est intervenu sur la notion « d’exploration » dans les jeux vidéo. Partant du constat que le mot est employé d’une pluralité de façons et ce, par toutes les communautés de pratiques (chercheurs·euses, créateurs·ices, consommateurs·ices, etc.), il définit cette dernière comme l’appropriation singulière d’un jeu par son joueur. De là, il propose de distinguer l’exploration pour raconter et l’exploration pour connaitre. Il ressort de tout cela un besoin d’outils pour analyser formellement les explorations et c’est ce vers quoi il tend dans sa communication.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/quel-lieu-pour-lexploration-approche-formelle-dune-incertitude-spatialisee-grandjean-g/

A plus !

Il ne s’agissait là que d’un court billet mais celui-ci me tenait à cœur. Je n’ai pas pu cette année faire un article qui présente l’ensemble des travaux présentés comme cela avait été le cas pour le colloque de Lausanne en 2017. Je suppose que les contraintes de temps ne sont plus les mêmes. Donc je ne peux que vous conseiller d’aller voir la chaîne youtube du LiègeGameLab qui conserve l’intégralité du colloque et de parcourir les vidéos qui y sont.

De fait, voici quelques liens qui poursuivent ce billet :

la playlist complète : https://www.youtube.com/channel/UCa97eDOOky-Bt7Ixb2h5hTA/videos

le site du LiègeGameLab avec 4 articles rédigés à propos du colloque : http://labos.ulg.ac.be/liege-game-lab/category/colloque/

Retour sur le StunFest 2018

Cette année, j’ai pu participer au stunfest au travers de plusieurs interventions. C’est pourquoi je trouve pertinent d’écrire un court billet pour recenser l’ensemble de mes interventions. Cela me permet aussi de remercier à nouveau les organisateur·ice·s, l’association 3 Hit Combo, les médiateurs des interventions auxquelles j’ai participées : CoeurDeVandale, TMDJC et Hadrien Bibard. Ce billet a donc pour vocation de réunir en un même point mes différentes interventions.

Bon visionnage ou bonne écoute !

Entre aliénations et émancipations

Les organisateur·ice·s m’ont proposé une intervention sur mes propres sujets de recherche. C’est pourquoi j’ai proposé de discuter du jeu vidéo comme un outils d’émancipation ou d’aliénation. Plutôt, j’ai proposé de théoriser un peu le sujet notamment à partir de certains concepts issus de la pensée constructiviste en pédagogie. Il ne s’agit donc pas de développer une réflexion politique (qui pourrait partir de Marx notamment ou encore de la sociologie des élites) mais plutôt de proposer des outils permettant d’inférer les potentiels émancipateurs et/ou aliénants des jeux vidéo.

Merci à TMDJC et FQPEH pour la modération.

 

Skills et Luck, deux funs inconciliables

La première table-ronde à laquelle j’ai participée se concentrait sur la problématique suivante :est-il possible de concilier le plaisir de jouer à un jeu reposant autant sur la chance que sur la compétence du ou des joueur·euse·s ?

Intervenants : Nicolas Bessombes, Esteban Grine, Rufio

Modération : Yann Chauvière


Jeux de Simulation typologie et pratiques ludiques

La seconde table-ronde à laquelle j’ai participée proposait de discuter les définition des jeux de simulation. Il s’agissait donc d’aborder plusieurs questions telles que : « comment définir ces ? », notamment par rapport à d’autres formes vidéoludiques. Secondement, il s’agissait d’aller observer les façons dont les joueurs et joueuses se saisissent de ces jeux : s’agit-il d’une forme d’escapism ou au contraire de reproduction de phénomènes précis (des métiers, des situations, etc) ?

Intervenants : Vincent Berry, Nicolas Bougeois, Esteban Grine

Modération : Hadrien Bibard

L’inscape Descartes : un outil institutionnel et ludique au service d’un campus académique

Cet article correspond à la publication d’un texte écrit avec Caroline Bessault en 2017 pour la journée d’étude SEG2017 organisée à Valenciennes. Il s’agit d’un retour d’expérience d’une durée de 3 minutes durant lesquelles nous avons présenté un dispositif ludique ayant la forme d’un jeu de piste dont l’objectif pédagogique était la découverte du campus de la citée Descartes. Ce texte a été rédigé pour la COMUE Université Paris-Est.

Pour citer la communication :

Giner, E., Bessault, C. (2017). L’inscape Descarte : un outil institutionnel et ludique au service d’un campus académique. Journée d’étude des SEG2017, Valenciennes.


Nous sommes en 2040, les villes sont devenues invivables. L’air urbain est irrespirable et la qualité de vie n’a jamais été si faible. La pollution, les déchets, les transports : nous sommes arrivés à un point de non-retour. C’est dans ce contexte et pour mettre un terme à cette situation que les grandes métropoles décident de s’unir autour d’un accord international inédit. Mais à la veille de sa signature, le document est volé par les représentants de Garbage City. Le groupe des mégapoles décident alors d’envoyer leurs meilleurs agents sur le terrain afin de retrouver le texte. Pour leur mettre des bâtons dans les roues, Garbage City disperse le document dans les multiples bâtiments du campus de la cité Descartes.

Voici le pitch qui démarre l’aventure « Inscape Descartes 2017 », première édition d’un serious game « grandeur nature ». L’objectif est simple. Multiple mais simple : faire découvrir aux primo-entrants l’ensemble des établissements qui composent le campus en amont de leur fusion en 2019.  Mais ce n’est pas tout. Il a s’agit également de créer de l’interconnaissance. Nous avons donc fait des équipes de 5 à 6 étudiants provenant d’au moins 3 établissements. Mais comme nous ne sommes pas des monstres, les plus timides avaient la possibilité de s’inscrire à deux et 25% des places étaient ouvertes aux étudiants de promos supérieures.

Le résultat a dépassé nos espérances. Nous avons sensibilisé 120 étudiants à la thématique de la ville de demain,  enjeu central de notre future université. Ils ont également pris conscience des compétences, des équipements et des services présents sur le site.

Côté organisateurs, ce fut un moment déterminant. En effet, la création du jeu a permis à 11 établissements académiques et non académiques d’apprendre à se connaitre et à travailler ensemble en amont de la fusion. Nous avions donc une vingtaine de personnes présentes aux réunions aux profils divers : présidents de BDE, directeur de service, vice-président en charge de la vie étudiante, chargés de communication, responsables de vie culturelle, fablab manager … bref, les acteurs clefs de la vie du campus réunis tous les 10-15 jours pour parler organisation mais aussi énigmes. Et ça, c’était créateur de liens tels des séminaires de connaissance réciproque.

Cerise sur le gâteau pour les deux parties, nous avons pu parler du projet I-SITE à la fois dans sa valence « vie étudiante / vie de campus » mais aussi « institutionnelle » en démontrant que le futur établissement a tout à gagner de la multitude de profils et de compétences présentes sur site.

Le fait de travailler pour la première fois ensemble à travers un événement ludique nous a donc semblé facilitateur dans le lancement d’une dynamique partagée. Nous tenons tout de même à insister sur le fait que nous avons bénéficié de la bonne volonté des acteurs, qui se sont investis en plus de leur charge de travail et ce, dans des délais très contraints. Par ailleurs, nous avons bien conscience que ce type d’événements ponctuels ne saurait se suffire à lui-même, même si nous souhaitons les étudiants et les acteurs ont faire part de leur volonté d’avoir une seconde édition.

 

Merci pour votre écoute. ■

Esteban Grine & Caroline Bessault, 2017.

Penser le Game Design comme une pratique pédagogique

Note aux lecteurs et lectrices

Je fais le choix de publier une communication que j’ai donnée l’an passée lors d’une journée d’étude proposée aux doctorants et doctorantes. Celle-ci sera aussi déposée sur « Archives Ouvertes » au format pdf. Une captation de mon intervention avait été faite ici. Je n’ai effectué qu’une seule modification au texte : j’ai nuancé mon approche phénoménologique en ajoutant [aussi]. De sorte, aujourd’hui, je m’inscris autant dans l’analyse des structures et des contenus que de leurs perceptions. Ceci étant dit, je vous souhaite bonne lecture.


 

La question des impacts des jeux vidéo sur les comportements, les systèmes valeurs et plus généralement sur les joueurs·euses est complexe au sein des game studies puisqu’elle partage les chercheurs·euses entre les tenant·e·s de la catharsis et celleux de l’apprentissage sociale (Zagal, 2010). Si les liens entre jeux et pédagogie ont déjà été relevés dans des contextes de jeux formels (tels que des situations de classes, Brougères, 1997, Alvarez, 2015) et informels (tels que les jeux multijoueurs en ligne, Berry, 2012),  nous focalisons notre recherche sur la relation entre le game design d’un jeu et le·a joueur·euse en train de jouer et ce, en prenant en compte la multiplicité des contextes. Par ailleurs, il est aujourd’hui difficile de catégoriser les jeux vidéo en fonction de leurs discours (Trépanier-Jobin, 2016), persuasifs, s’ils diffusent et imposent un message (Bogost, 2007) ou expressifs, s’ils ne proposent qu’une expérience au ou à la joueur·euse sans objectif de le·a persuader (Genvo, 2016).


Pour citer cet article :

Giner, E., (2017). Penser le Game Design comme une pratique pédagogique. Journée d’étude de l’OMNSH. Paris.


Nos travaux ont donc pour objet d’apporter des éléments à ces discussions. Nous pensons ces jeux comme des espaces potentiels d’apprentissage de concepts quotidiens et scientifiques (Vygotsky, 1934), de diffusion de représentations (Kline et al, 2003) et d’acquisition de compétences (Tardif, 2006). Le jeu vidéo est alors un support de médiation entre les game designers (les créateurs·ices) et leur audience (qu’elle soit actrice ou observatrice, Frome, 2006). Le game design (les méthodes de scénarisation de l’activité ludique) structure alors l’apprentissage du joueur. Dans ce cadre, l’objectif pour le·a game designer est d’agencer le jeu de sorte à ce que le joueur se situe dans sa zone proximale de développement (Vygotski, 1934), c’est-à-dire la zone dans laquelle il peut réussir des tâches lorsqu’il est accompagné. En ce sens, il est possible d’inscrire le game design dans la pensée socioconstructiviste pourvu que l’on considère l’activité vidéoludique comme un phénomène communicationnel.

Les situations d’apprentissages rencontrées par le·a joueur·euse et résultant de cette communication peuvent alors être représentées sous la forme d’une boucle dans laquelle un objectif pédagogique, déterminé a posteriori par le chercheur, mobilise des éléments du jeu vidéo avec lesquels le·a joueur·euse peut interagir. De cette interaction peut émerger soit une récompense, soit une punition qui seront interprétées par le·a joueur·euse. Cette interprétation détermine si le·a joueur·euse apprend ce sur quoi porte l’objectif ou s’il apprend autre chose, auquel cas il s’agit d’une externalité de cette boucle d’apprentissage.

Le game design, en structurant les éléments vidéoludiques mobilisés pour l’objectif, détermine alors des événements d’apprentissage-enseignement (Leclerc et Poumay, 2008) créés volontairement ou involontairement par le·a game designer et rencontrés par le·a joueur·euse. En catégorisant ces événements (apprentissage par imitation, exploration, réception, création, exercisation, etc.), il devient alors possible de caractériser le discours contenu dans le jeu et ainsi statuer sur son genre vidéoludique. Un événement laisse plus ou moins de marge au contrôle du joueur sur son apprentissage. Plus l’événement proposera de contingences, de situations possibles, et plus on considérera le jeu comme un espace proposant une discussion de laquelle, le·a joueur·euse pourra tirer un apprentissage possible. Il sera alors expressif. A l’inverse, si l’on considère que le jeu impose le message qu’il contient et ne laisse que très peu de contrôle au joueur·euse. Il sera dans ce cas persuasif. De même, en caractérisant les apprentissages, il devient possible d’observer si ceux-ci sont dirigés vers un phénomène particulier du jeu (l’apprentissage d’un mouvement dans une situation précise par exemple), vers le jeu dans sa globalité (un événement d’apprentissage par réception et portant sur le discours global du jeu par exemple) ou vers un phénomène qui dépasse le cadre du jeu (il s’agit là d’intégrer la question du transfert de l’apprentissage dans une autre situation que celle vécue par le·a joueur·euse).

Cependant, cette approche ne suffit pas pour analyser les relations entre le game design et les apprentissages. C’est pourquoi il a été rappelé lors de cette communication que nous analysons ces liens [aussi] d’un point de vue phénoménologique. Ainsi, c’est en observant les joueurs·euses en train de jouer que nous pensons pouvoir analyser et répondre à la question des apprentissages. De facto, nous nous émancipons de l’intention de l’auteur puisque nous concentrons notre analyse uniquement sur ce qui est contenu dans le jeu et de ce qui est observé par le·a joueur·euse. Afin de mener ces travaux directement inspirés des méthodes d’observations des audiences en acte (nous définissons cela avec le concept de user research), nous proposons à des participants de « tourner des let’s play », des vidéos connotées et connues dans la communauté des joueurs notamment grâce à des vidéastes youtuber tels que Squeezie et Cyprien. Ces let’s play sont une façon de mettre en récit vidéo l’acte de jouer et ce, de manière informelle. A travers donc l’usage de ce format et de la user research, il semble possible d’ébaucher une méthodologie qui apporte des éléments de compréhension lorsque l’on souhaite penser le game design comme une pratique pédagogique.  ■

Esteban Grine, 2017.

Bibliographie

Alvarez, J., 2015. Enrichissement d’un modèle évaluatif pour assurer une formation avec le jeu comme médiation. Presented at the Journée AIM Serious Games et Co-design, GEM.

Berry, V., Brougère, G., 2012. L’expérience virtuelle : Jouer, vivre, apprendre dans un jeu vidéo. PU Rennes, Rennes.

Bogost, I., 2006. Persuasive Games: The Expressive Power of Videogames. The MIT Press, Cambridge, MA.

Brougere, G., 1997. Jeu et objectifs pédagogiques : une approche comparative de l’éducation préscolaire. Revue française de pédagogie 119, 47–56. doi:10.3406/rfp.1997.1166

Frome, J., 2006. Representation, Reality, and Emotions Across Media. ResearchGate 8, 12–25. doi:10.7227/FS.8.4

Genvo, 2016. Defining and designing expressive games : the case of Keys of a gamespace | Kinephanos.

Leclercq, Poumay, 2008. Le Modèle des Evénements d’Apprentissage – Enseignement.

Tardif, J., 2006. L’évaluation des compétences : Documenter le parcours de développement. Chenelière Education, Montréal.

Trépanier-Jobin, 2016. Differentiating Serious, Persuasive, and Expressive Games | Kinephanos.

Vygotski, L.-S., Piaget, J., Sève, L., Clot, Y., Sève, F., 2013. Pensée et langage, 4e édition. ed. La Dispute, Paris.