D’un besoin de comprendre quelques jeux vidéo à la proposition d’une ludologie socio-constructiviste : sentier et défense d’une (petite) thèse de doctorat

Tout d’abord, avant de véritablement commencer cet ultime exercice dans la trajectoire d’un doctorant, permettez-moi de saluer formellement chacun et chacune des membres du jury et de les remercier une nouvelle fois. Merci à madame Bonenfant et monsieur Gheeraert d’avoir accepté le rôle de prérapporteuse et prérapporteur. Merci à madame Monnier et monsieur Dozo pour vos rôles d’examinatrice et examinateur et enfin, merci à monsieur Genvo qui m’a accompagné durant toutes ces années de recherches.

Je remercie également les personnes présentes dans l’assistance qui sont venues me soutenir durant ces quelques heures que nous allons passer ensemble. Non sans humour, cela me conforte dans l’hypothèse que ce travail doctoral ne fut possible que par le soutien d’un réseau d’actants dont un échantillon, certes non représentatif, mais présent dans mes remerciements, se trouve ici.

Cet ici et maintenant est une occasion privilégiée pour un jeune chercheur, mais également un exercice complexe puisqu’il doit à la fois présenter son travail scientifique, mais également son cheminement en tant qu’humain acteur de sa recherche. À titre personnel, ce qui enclencha la préparation de cette soutenance, c’est une remarque de mon fils. Il venait me voir avec son nouveau carnet, un petit agenda offert par sa grand-mère et s’exclama alors en regardant mon manuscrit : « ah bah moi, j’ai un petit carnet et toi papa, ton carnet, il est très grand ! »

Cette exclamation me rappela un de mes articles : « ma thèse, c’est mon blog ! ». Je soutenais alors qu’une production scientifique à l’instar de cette soutenance peut, dans une certaine mesure, également être identifiée comme un document biographique. C’est pourquoi ma responsabilité aujourd’hui est donc de présenter comment, de questions quotidiennes, je suis venu à formuler des questions scientifiques nécessitant la construction d’un appareil théorique suffisamment flexible pour être diffusés, pour enfin aboutir à des méthodologies d’analyse qui ambitionnent d’être réappropriées dans le quotidien de futurs chercheurs et chercheuses, dans les milieux académiques et industriels.

Pour citer cet article :
Giner, E., (2023). D’un besoin de comprendre quelques jeux vidéo à la proposition d’une ludologie socio-constructiviste : sentier et défense d’une (petite) thèse de doctorat. Communication donnée à la soutenance de thèse d’Esteban Giner. Metz, Université, le 13 novembre.

Continuer la lecture de « D’un besoin de comprendre quelques jeux vidéo à la proposition d’une ludologie socio-constructiviste : sentier et défense d’une (petite) thèse de doctorat »

Aujourd’hui, j’ai déposé ma thèse. Ou peut-être hier, je ne sais pas.

Aujourd’hui, j’ai déposé ma thèse. J’avais pourtant prévu de jouer à Baldur’s Gate 3 dès le réveil et pourtant, j’ai déposé ma thèse.

Une erreur de click. Ou encore, j’ai simplement vrillé. Au lieu de lancer le jeu, j’ai ouvert le document « 2023.09.01. MANUSCRIT ESTEBANGINER – Gold Edition Version Finale 14 – Sans Commentaire – FR – avec Résumé FR et Ang – relecture SG Validée Ultimate Edition ».

Que voulez-vous, on croit passer une bonne journée, qui s’annonce pleine de jeu vidéo, et non. En réalité, j’ai passé cette journée à faire une ultime relecture, vérifier les dernières virgules, checker les caveat suprêmes; corriger les citations définitives, exporter la version finale, voir une nouvelle faute ou un nouvel oubli et recommencer.

Il est 21h23, c’est la troisième fois que je dépose le document.

A 21h30, je dormirai probablement.

« Quelle aventure. Quelle aventure » pourrait s’exclamer le capitaine Haddock.

« Mais enfin capitaine, ce n’est que la PREMIERE thèse » pourrait répondre Tintin. « Et l’HDR ? Et les Livres ? Et la Qualif’ ? »

« Et qu’en est-il du second petit-déjeuner ? » couperait enfin Pippin, posant ultimement les seules questions qui comptent.

Aujourd’hui, ma thèse est déposée. Ou peut-être hier, je ne sais pas. Ce que je sais, c’est que je suis plus qu’heureux de ces 650 pages. Cela ne signifie pas encore que je vais soutenir, mais je suis heureux de pouvoir dire qu’elle a été remise en bonne et due forme. J’ai hâte de lire les retours de mon jury. J’ai hâte de tout ce qui va suivre, positif ou négatif. Je suis juste impatient pour ce qui vient. De retrouver mes projets laissés de côté à cause de la rédaction (dont ce carnet de recherches) et des futurs livres, vidéos, etc. j’ai bien quelques idées…

Merci infiniment à toutes les personnes qui m’ont suivi pendant toutes ces années. 8 ans de ma vie passée à l’étude des jeux vidéo. D’abord sous la forme d’une chaine YouTube, puis d’un blog et enfin un projet doctoral. 8 années passées à se construire en tant que chercheur et en tant qu’être humain, le quart d’une vie à l’instant présent. 8 révolutions calendaires à avoir la chance merveilleuse d’être entouré par tant de personnes fantastiques. 7 ans véritablement passés dans le milieu académique. Je n’ai pas pleuré en déposant ma thèse. Mais je ne peux pas m’empêcher d’avoir les larmes aux yeux en écrivant ces lignes. Je réalise tout le chemin parcouru, chemin qui s’est fait assurément en marchant.

esteban grine, 2023.

pour des études matérialistes des réalités vidéoludiques

– (It’s a snowball)
– (It’s actually a snowdecahedron)

Il s’agit-là de deux lignes de dialogues du jeu Undertale (Fox, 2015) qui, par leur existence, créent un effet de réel et un rappel à la matérialité de cette réalité vidéoludique explorée par une audience. Celle-ci incarne Frisk, et lorsqu’iel interagit avec cette boule de neige, le jeu nous confirme qu’il s’agit effectivement et symboliquement d’une boule de neige avant de nous rappeler au contraintes matérielles de production : bien que symbolisant une boule, il s’agit géométriquement d’un décaèdre.

Depuis le début des années 2010, il y a dans les études des jeux et des jeux vidéo ce que Thomas Apperley et Darshana Jayemanne appellent un tournant matérialiste. Derrière cette notion qui renvoie à une histoire très longue dans les sciences qu’elles soient humaines, positives ou autres, se cache en réalité un paradigme assez simple : prendre en compte la matérialité du jeu et ce, que cela soit en termes de relations humain-machine, de plates-formes comme les consoles et les supports de jeux, de contextes de production et enfin, de contexte dans lequel le jeu est joué (Apperley, Jayemanne, 2012)[1].

De fait, cette invitation à intégrer la matérialité du jeu, et plus spécifiquement ce qui va me concerner ici les jeux vidéo, se retrouve dans des travaux précédant l’article d’Apperley et Jayemanne (les auteur·ice·s mentionnent abondamment l’ouvrage de Nick Montfort et Ian Bogost sur l’Atari 2600) et des travaux le succédant comme par exemple le récent numéro 224 de la revue Réseaux portant sur les mondes de production du jeu vidéo (Zabban, Ter Minassian, Noûs, 2020)[2].

Mes propres travaux intègrent également cette perspective puisque la façon dont je formalise la coconstruction d’un discours vidéoludique (compris ici comme une interprétation négociée d’une réalité vidéoludique) prend en compte l’ensemble des paramètres évoqués par Apperley et Jayemanne résumés en trois axes : les études ethnographiques, le platform studies et le digital labour et plus généralement les contextes de production.

Cela étant, certaines questions de recherche qui m’animent me font prolonger cette perspective matérialiste pour intégrer également les diégèses des réalités vidéoludiques que nous explorons. Ici, «réalité vidéoludique» correspond à la réalité, au monde, qui existe de par la mise en action d’un code informatique sur une machine et qui se révèle par l’action d’une audience. De fait, j’attribue une certaine matérialité à ces univers fictionnels, chose tout à fait critiquable puisqu’ultimement, j’attribue de facto une matérialité à des choses immatérielles, non pas uniquement parce qu’elles nécessitent quelque chose de matériel pour exister, mais parce qu’elle peuvent intrinsèquement étudiées au prisme d’une certaine matérialité fictionnelle.

Dans cet article, je vais donc soutenir la perspective d’une étude matérialiste des réalités vidéoludiques, exercice qui peut sembler aberrant mais qui me semble être vecteur de nombreuses pistes de recherches intéressantes pour les études des jeux vidéo.

Matérialité existante, matérialité virtuelle, matérialité fictionnelle & matérialité attribuée

S’il y a bien une chose sur laquelle je souhaite mettre l’emphase avant toute chose, c’est que bien entendu, cette article ne se positionne pas comme une critique du tournant matérialiste, ni même des études matérialistes existantes à propos du jeu vidéo. Je considère fondamentalement ce travail comme un prolongement et c’est ce prolongement qui est le sujet d’un débat potentiel sur ce qui peut être considéré comme doté d’une certaine matérialité. En ce sens, il ne s’agit pas pour moi  d’une recherche d’une vérité mais plutôt de considérer les intérêts de penser une matérialité, non pas des jeux vidéo, mais des réalités vidéoludiques. C’est pourquoi dans ce cadre il est nécessaire de considérer que l’immatériel peut être doté d’une matérialité, à l’instar du matériel qui peut d’une certaine immatérialité si on évoque par exemple les mèmes comme étant l’équivalent culturel des gènes biologiques.

De fait, les réalités vidéoludiques existent grâce à une certaine matérialisation de leurs univers fictionnel. Christine Browaeys écrit, lorsqu’elle parle de la matérialité digitale, que «la matérialisation consiste à utiliser une matière en vue de donner forme à une abstraction. Elle consiste, par exemple, à prendre des données numériques et à les traduire pour les restituer sous une forme donnée, comme l’image (visualisation) ou le son (audition) (Chatonsky, 2015). La matérialité elle-même peut être considérée comme un flux, un processus et des connexions » (2019:15)[3]. C’est dans cette perspective qu’il est possible de penser une matérialité des mondes fictionnels. Si je m’intéresse principalement aux jeux vidéo, il semble que l’exercice soit tout aussi légitime pour d’autres médias, lorsqu’il s’agit par exemple de penser la matérialité d’une diégèse d’un film.

De fait, plus que de savoir si une réalité vidéoludique est douée d’une matérialité faisant référence à un aspect matériel, ce qui est intéressant ici est de penser cette matérialité attribuée aux fictions comme une nouvelle façon de penser les rapports humain-machine et plus encore les rapports entre humains et objets fictionnels. Cette matérialité attribuée, fictionnelle, explique notamment certaines facéties de game design que l’on va retrouver dans certains jeux vidéo. Dans Undertale ou dans Pony Pony Island, il est explicitement demandé à l’audience de ne plus jouer au jeu une fois l’une des fins obtenues. Dans Nier: Automata (2017), il s’agit de détruire sa propre sauvegarde pour aider une autre personne jouant au jeu (sans trop en révéler). Certains «mods» (des améliorations en jeu) sont susceptibles de rendre le jeu injouable si retiré (et obtenir notamment l’une des fins du jeu). Il serait possible de continuer cette liste d’exemples : la série Metal Gear Solid joue et abuse de cela. EarthBound fait des références explicites à l’audience à qui il est demandé transmettre son nom car lors du combat final, les avatars se retrouvent à prier pour que l’audience joueuse, nommée dans le texte, les aide.

Le principal intérêt que j’observe à considérer les réalités vidéoludiques depuis la perspective matérialiste soutenue ici est que cela permet d’appréhender toute sorte de phénomènes émotionnels, narratifs et vidéoludiques qui peuvent être observés en jouant tout en donnant des raisons légitimes d’agir volontairement ou involontairement. De fait, le débat ne porte pas sur le fait de savoir si une réalité vidéoludique est matérielle mais plutôt de définir les mesures dans lesquelles une certaine matérialité leur est attribuée. Pour citer à nouveau Apperley et Jayemanne :

 «Thus while it may seem odd to place Games of Empire in a critical lineage based on materiality given that the book opens with a discussion of the ‘immaterial labour’ of the ‘playbor force’, we argue in this context that immateriality is not simply an antonym of materiality but indicates newly emergent sets of virtual-actual relations.» (Apperley and Jayemanne 2012:7)

De fait, la proposition de penser cette matérialité fictionnelle et attribuée aux réalités vidéoludiques s’intègrent dans un ensemble de « tournants » structurant dans les sciences humaines et notamment dans les études des médias expliquant les développement parallèle d’un récit et de sa diégèse, parfois soutenue par le playbor et le travail des fans comme c’est le cas pour les univers alternatifs d’Undertale. Anne Besson, citant Olivier Caïra, écrit :

«Olivier Caïra propose de parler, pour rendre compte du développement de ce phénomène, et sur le modèle d’innombrables ‘‘turns’’ pris par les courants de la narratalogie, de ‘‘tournant diégétique’’ de la fiction contemporaine. Par là, il entend mettre l’accent sur le ‘‘passage d’une certaine coextensivité de la diégèse et du récit […] à un développement tous azimuts de la diégèse, bien au-delà des limites traditionnelles du récit. Cartographies et vues d’artiste, lexiques et encyclopédies […], portraits de personnages et généalogies, recettes alchimiques et guides techniques d’astronefs, baguettes magiques en plastique et chapeaux de détective en feutre, systèmes de simulation analogiques ou numériques, le récit traditionnel demeure central mais il apparaît ‘‘débordé’’ de toutes parts.» (Besson 2018:172)

Dans ce travail, ce qui est donc soutenu, c’est qu’attribuer une certaine matérialité aux choses présentes dans une réalité vidéoludique, dans une diégèse, est une hypothèse particulièrement efficace pour expliquer certains actions et comportements des audiences. Cela fait écho aux propos de Patrick Schmoll qui en 2017 écrivait : « L’attachement aux ‘‘ cyber-choses’’, dont font partie les personnages de jeux vidéo, commence à susciter l’intérêt des sciences humaines et sociales, en écho aux inquiétudes naissantes du politique » (2017:82)[4]. Cela fait également écho à certains débats sur les distinctions entre fictionnel et réel : puisque les relations entre audience et objet fictionnel sont réels et peuvent se traduire matériellement par l’expression d’émotions, alors il est possible d’attribuer une matérialité à ces objets fictionnel, par inférence.

Prolonger la culture matérielle aux réalités vidéoludiques

Par ailleurs, et ce sera le deuxième point de mon argumentation, s’inscrire dans la perspective matérialiste que je défends ici permet de mettre l’emphase sur les objets, leurs modélisations et les discours que cela peut révéler ou dans lesquels s’inscrire. Autrement dit, cela légitime l’étude des « petites choses » qui sont modélisées mais pour lesquelles il n’existe pas d’histoire car elles sont trop petites pour être étudiées. Autrement dit, en appréhendant la matérialité simulée des réalités vidéoludiques, il semble possible de poursuivre le projet James Deetz, anthropologue, qui s’est consacré dans les années 1970 à étudier non pas les cultures, mais leurs produits, pour le paraphraser (Deetz, 1996[1977]:34)[5]. Chaque assets et interaction codé et créé pour le jeu peut donc être pensé comme un artefact (numérique) digne d’intérêt en soi.

James Deetz écrit que « la culture matérielle est généralement considérée comme étant plus ou moins synonyme d’artefacts, le vaste univers d’objets utilisés par l’humanité pour faire face au monde physique, pour faciliter les relations sociales et pour améliorer notre état d’esprit » (Deetz 1996:34)[6]. Finalement, prolonger l’étude des cultures matérielles au sein même des mondes vidéoludiques ne semble pas aberrant dans cette perspective. Cela permet d’interroger fondamentalement les assets, l’évolution de leurs représentations et leurs significations partagées. Par exemple, cela permet d’appréhender pourquoi des choses comme des objets de la vie courante comme machines à écrire (Resident Evil) ou des téléphones (EarthBound) sont utilisées pour signifier des sauvegardes.  

Parler d’artefacts pour définir les assets permet aussi de faire écho à des travaux en narratologie qui interroge les façons dont, aujourd’hui, le world-building se développe en parallèle ou indépendamment des récits. Cité entre autres par Anne Besson et Simon Bréan, Richard Saint-Gelais définit un artefact fictionnel comme « un objet sémiotique […] dont l’énonciation, voire la fabrication, présuppose un univers de référence non pas réel, mais bien imaginaire […] – de sorte que l’objet en question se donne comme provenant de ce monde imaginaire » (Richard Saint-Gelais, L’Empire du pseudo. Modernités de la science-fiction, [1999], p. 312) »  (Besson 2018:176)[7]. Je n’ai pas l’intention de considérer l’intégralité des assets comme des artefacts fictionnels, mais ce que cette proposition révèle, c’est que certains assets comme les nombreux livres diégétiques présents dans la série des Elder Scrolls renforcent ce sentiment de matérialité du monde que l’on explore. Ainsi, Simon Bréan écrit :

« La superposition des états fictionnels mise en scène tend à renforcer le sentiment de matérialité des mondes construits, du fait, paradoxalement, de la logique d’interprétation symbolique qu’elle suggère. En rendant manifeste le processus d’inférence à l’œuvre dans la lecture de la science-fiction, ces textes apparaissent comme des objets plurivoques, dont l’actualisation dépend de l’activité de l’observateur et dont la visée esthétique rencontre une ambition démonstrative. » (Bréan 2014:95)[8]

De fait, si l’on s’appuie sur les propos de Bréan et de Besson, la facétie que je mets en place dans cet article est finalement d’intégrer le reste des assets considérés comme artefacts, en plus des artefacts narratifs (Bréan, 2014) et des artefacts fictionnels (Saint-Gelais, 1999). Finalement, le prolongement que je propose, attribuer une matérialité aux assets mêmes qui composent une réalité vidéoludique, nourrit surtout le projet d’étudier les assets avec la même importance que leurs équivalents du monde pragmatique. Ultimement, il ne s’agit pas défendre avec véhémence une telle proposition mais plutôt de comprendre ce qui est déjà en train de ce produire.

Esteban Grine, 2021.


[1] Apperley, T. H., & Jayemanne, D. (2012). Game Studies’ Material Turn. Westminster Papers in Communication and Culture, 9(1), Article 1. https://doi.org/10.16997/wpcc.145

[2] Zabban, V., Minassian, H. T., & Noûs, C. (2020). Les mondes de production du jeu vidéo.  Reseaux, N° 224(6), 9‑29.

[3] Browaeys, C. (2019). Chapitre 5. La matérialité digitale : Une nouvelle matérialité liée au numérique. In La matérialité à l’ère digitale. Presses universitaires de Grenoble. https://www.cairn.info/la-materialite-a-l-ere-digitale–9782706142499-page-91.htm

[4] Schmoll, P. (2017). Être amoureux d’un artefact. La fabrique du sentiment dans les jeux vidéo. Revue des sciences sociales, 58, 86‑99. https://doi.org/10.4000/revss.312

[5] Deetz, J. (1996). In Small Things Forgotten : An Archaeology of Early American Life (Revised, Expanded, Subsequent édition). Anchor.

[6] « Material culture is usually considered to be roughly synonymous with artifacts, the vast universe of objects used by humankind to cope with the physical world, to facilitate social intercourse, and to benet our state of mind. »

[7] Besson, A. (2018). Matérialisation et immatériel : Livres et world building. Actes du XLe Congrès de la SFLGC, 171‑180.

[8] Bréan, S. (2014). Des états fictionnels superposés ? Virtualités des artefacts narratifs de la science-fiction. Revue Critique de Fixxion Française Contemporaine, 0(9), 87‑99.

L’écriture inclusive et son usage dans mes travaux de thèse

L’écriture inclusive est actuellement un sujet de vif débats à propos de son usage dans les textes académiques francophones. Comme le rappellent Danièle Manesse et Gilles Siouffi, l’écriture inclusive vise à « “inclure” toutes les personnes qui peuvent se sentir non représentées par une désignation, qu’il s’agisse de sexe, d’ethnicité, de religion » (Manesse et Siouffi, 2019 : 7, cités par Steuckardt, 2020). Or, bien que cela ne soit pas une question centrale de ma thèse, mon corpus se retrouve concerné par cette problématique, en particulier parce que précisément, les équipes ayant travaillé sur ces jeux ont inclus des représentations variées et inclusives.

Ce billet est une version pour internet d’une section de mon manuscrit de thèse que je prépublie. Cet article est soumis au droit d’auteur comme l’intégralité de ce blog. Pour citer cet article, merci d’utiliser la citation suivante :
Grine., E., (2020).L’écriture inclusive et son usage dans mes travaux de thèse. Les Chroniques Vidéoludiques.

En effet, EarthBound, Mother3 et Undertale sont trois jeux qui incluent une grande diversité de représentations au sein de leurs personnages. Ces représentations font référence à un spectre très large et parfois intersectionnel. Par exemple, dans Earthbound, le personnage de Tony, ami avec Jeff (l’un des enfants du groupe de héros) a longtemps été l’objet de discussions au sein des communautés de fans à propos de son orientation sexuelle. Le traducteur du jeu pour la version américaine, Marcus Lindblom, a confirmé en interview l’orientation du personnage et a tenté d’intégrer cela avec finesse (Lindblom, 2015). Clyde Mandelin, auteur de la fan-trad de Mother3 et de l’ouvrage Legend of Localization Book 2: Earthbound, cite une interview de Shigesato Itoi dans laquelle ce dernier énonce :

Well, for example, there’s a gay person in MOTHER 2. A really passionate friend who lives in an England-like place. I designed him to be a gay child. In a normal, real-life society, there are gay children, and I have many gay friends as well. So I thought it would be nice to add one in the game, too. (Itoi, 2003, traduit par Mandelin, 2015)

Dans Mother 3, ce sont particulièrement le groupe des Magypsies qui cristallise l’importance de l’inclusivité étant donné qu’il s’agit d’un groupe de personnages non-binaires. Du moins, il est expliqué dans le jeux qu’iels ne s’inscrivent ni au genre masculin, ni au genre féminin. Plusieurs discussions entre fans ont porté sur la représentation des magypsies afin de déterminer si leur représentation s’inscrit dans un registre queerphobe, transphobe ou non. En effet, l’équipe créative s’est reposée sur des stéréotypes à l’égard des personnes transgenres et s’est inspirée de la culture drag. Il en résulte des interprétations variées au sein des communautés de joueurs et joueuses qui ont déjà été notamment discutées sur les forums historiques des joueurs et joueuses de la série comme earthboundcentral.com et Starmen.net. J’aurais le temps de revenir sur le sujet un jour dans un billet dans lequel j’aborderai plus en détail les formes de discursivités liées au character design. En tout état, j’utiliserai le pronom «iel» lorsque je leur ferai référence, ainsi qu’à tout personnage non-binaire afin d’assurer une continuité entre le lore du jeu et les propos tenus de cette thèse.

Enfin, Undertale et Deltarune offrent aussi une large variété de représentations. Tout d’abord, les avatars que sont Frisk et Chara dans le premier et Kris dans le second sont nommé·e·s en recourant au they épicène. Ensuite, les jeux proposent des personnages aux orientations sexuelles variées. Dans Undertale, Undyne et Alphys, deux deutéragonistes, forment un couple lesbien tandis que RG01 et RG02, deux gardes royaux s’avouent leurs sentiments (réciproques, tels que cela est suggéré) lors d’un combat que l’audience a avec eux. Deltarune ne fait pas non plus exception : il est possible de découvrir que Noelle Holiday, un personnage non-joueur mineur, développe « un crush », c’est-à-dire des sentiments amoureux, à l’égard de Susie.

Ainsi donc, je considère que le corpus de jeux que je mobilise pour cette thèse sont une invitation à faire un usage de l’écriture inclusive. Le Haut Conseil pour l’Egalité a proposé en 2015 un ensemble de dix recommandations afin d’effectuer une communication publique sans stéréotype de sexe (HCE, 2016 : 19). Mon interprétation de leur recommandations intègre aussi les stéréotype de genre. C’est pourquoi en général, les expressions neutres sont privilégiées («l’audience» à la place «des joueurs»). Si cet usage porte à confusion dans un contexte particulier, c’est l’usage du féminin et du masculin systématique («les joueurs et les joueuses» pour distinguer l’audience qui joue de l’audience qui regarde par exemple) qui s’impose. Enfin, le pronom «iel» est employé pour les personnes et personnages non-binaires ainsi qu’un usage systématique du point milieu pour les adjectifs les concernant. Ce point milieu, vaste sujet de débat, n’est par contre pas du tout constat dans ma pratique tellement cela varie d’un texte à un autre, d’un paragraphe à un autre.

Si je consacre tant de place à cette question et ce, même si mes travaux de thèse, de vulgarisation, de blogging,etc. ne s’inscrivent pas dans les études de genre, c’est parce que je considère mon manuscrit comme mon blog comme des formes de communications publiques. Cela fait donc référence aux recommandations du HCE. Aussi je souhaite que mon travail s’inscrive dans la période à laquelle il est produit et qu’il soit aussi un produit de cet époque ainsi que des débats se déroulant au moment de son écriture. Enfin, de par son contenu, mon travail n’aborde que très peu les questions liées aux genres. L’usage de l’écriture inclusive est donc pour moi aussi une façon de répondre à l’invitation proposée par Fanny Lignon dans l’introduction de l’ouvrage collectif Genre et jeux vidéo dans laquelle elle écrit :

Derrière cette démarche, la volonté d’ouvrir grand la porte sur un champ encore en friche et l’espoir que cette publication donnera envie à d’autres chercheur·e·s de s’engouffrer par cette ouverture pour explorer ce qu’il y a au-delà. Car il nous semble que le genre et les jeux vidéo, parce qu’ils ne sont pas encore tout à fait reconnus sur le plan académique, parce qu’ils sont le lieu où se déploient des enthousiasmes jeunes, ont tout à gagner à se rencontrer. (Lignon, 2015 : 9)

Je n’ai pas la prétention d’explorer un champ encore en friche sur lequel des collègues sont bien plus en avance, mais j’espère que l’emploi de l’écriture inclusive ici nourrira aussi et à sa mesure l’enthousiasme de futurs chercheurs et chercheuses pour ces questions et surtout, que cela participera à l’entretien de ce débat dans les sphères académiques.

Esteban Grine, 2020.


Bibliographie

L’exploration comme socialisation

Dans mes travaux de recherches, l’usage «d’exploration» est pluriel même si je fais principalement référence à l’un des rôles attendus de l’audience dans la situation de communication et donc une attitude de la part de l’audience. Plus précisément, il s’agit d’une des stratégies interprétatives qu’elle peut mettre en place en vue de décoder un sens ou de coconstruire un discours (comme j’ai déjà pu présenter l’idée dans d’autres articles). Dans ce contexte, l’exploration, comme stratégie, repose sur l’importance de l’ouverture attentionnelle curieuse qu’e Nicolas Auray et Bruno Vétel définissent de la façon suivante :

« À la différence d’un simple contrôle de l’activité qui tente de résorber les imprévus venus du contexte, l’ouverture attentionnelle curieuse, que l’on peut aussi appeler « agir exploratoire », consiste à se rendre disponible à des perturbations » (Auray and Vétel 2013:159)

De fait, par exemple, même si dans les jeux Earthbound, Mother 3 et Undertale, l’audience explore des lieux afin de révéler des éléments de l’intrigue, une autre forme d’exploration peut se superposer et correspond au comportement d’une personne se rendant disponible aux perturbation. Dans le cas de mon corpus, cela peut être un mini-jeu comme la course d’escargot dans Undertale ou la recherche d’un lieu où se faire photographier dans Earthbound.


Ce billet est une version pour internet d’une section de mon manuscrit de thèse que je prépublie. Cet article est soumis au droit d’auteur comme l’intégralité de ce blog. Pour citer cet article, merci d’utiliser la citation suivante :
Grine., E., (2020). L’exploration comme socialisation. Les Chroniques Vidéoludiques.


Continuer la lecture de « L’exploration comme socialisation »

Le socio-constructivisme vidéoludique comme paradigme scientifique

Dans le cadre de mon travail de recherche sur les jeux vidéo, je travaille dans ce qui me semble être une forme de socio-constructivisme appliqué aux jeux vidéo dans le sens où les apports théoriques que j’ai proposés jusqu’à maintenant, notamment le continuum persuasif-expressif et la narration à n-corps, s’inscrivent aussi dans ce courant théorique. La narration a n-corps est à ce sujet une théorie jusqu’au-boutiste puisqu’elle postule qu’un récit vidéoludique n’est jamais antérieur à l’expérience de jeu en présence d’une audience. Par ailleurs, mon statut, entre recherches académiques, privées productions médiatiques font que je m’encastre dans une certaine épistémologie – « l’étude de la constitution des connaissances valables », (Piaget, 1967 : 6) – qui me semble plus libre que celui de mes pairs, il semblait logique que je m’inscrive dans une pratique de recherche constructiviste puisqu’en :

« ne limitant pas les connaissances valables aux connaissances dites validées selon la méthode scientifique conventionnelle, cette vision de l’épistémologie enrichit et ouvre la conception de la connaissance scientifique pour inclure des connaissances dont la valeur est justifiée autrement qu’en référence à la méthode scientifique conventionnelle. » (Avenier 2011:375)

 En tout état, il convient de préciser ce que j’entends lorsque j’énonce m’inscrire en tant que socio-constructiviste que cela soit au niveau épistémologique ou au niveau de mes objets d’étude. Cela amène alors la question suivante : comment penser les jeux vidéo depuis une perspective constructiviste ?

Attention ! Ce texte est une ébauche pour la rédaction de ma thèse. Certains éléments seront donc réécrits ou réutilisés à des fins doctorales. Il n’est donc pas libre de droit (mais si vous voulez le citer, c’est possible !)

Continuer la lecture de « Le socio-constructivisme vidéoludique comme paradigme scientifique »

Entre le jeu et le joueur : les communications du CREM !

En octobre dernier s’est déroulé le colloque international « entre le jeu et le joueur : écarts et médiations » organisé par le LiègeGameLab et l’université de Liège. De manière assez chouette, mon laboratoire de recherche y était en force puisque nous étions 4 intervenants à venir présenter nos recherches respectives.

A titre personnel, j’ai été très heureux de participer au colloque, malgré un stress incommensurable (et partagé je crois par d’autres intervenant·e·s), mais aussi de voir de vrais liens entre nos recherches au sein de l’ExpressiveGameLab. Ce billet permet de réunir l’intégralité des captations de nos interventions tout en remerciant encore une fois l’équipe organisatrice et les technicien·ne·s qui ont eu la mission de faire le montage des vidéos.

Penser et analyser l’ethos ludique comme processus de médiation

Dans cette keynote, Sébastien est revenu sur les jeux expressifs – des jeux qui proposent à leurs joueur·euse·s de se mettre à la place de – mais aussi sur la notion de play design. Cette dernière propose de conceptualiser l’analyse vidéoludique non pas simplement sur l’étude d’une structure mais plutôt sur l’expérience de jeu. Il évoque aussi par la suite son travail de game designer et la façon dont il articule l’ensemble afin de proposer des expériences ludiques narrant des récits de vie.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/du-game-design-au-play-design-ethos-et-mediation-ludique/

Le « non-jeu » : une pratique à interroger

Rémi est intervenu sur les pratiques vidéoludiques visant à restreindre l’expérience-cadre déjà proposé par une situation de jeu. Partant de l’idée de « non-jeu », il déconstruit progressivement cette dernière en abordant des façons de jouer qui semblent détourner l’intention initiale des auteurs et autrices. A titre d’exemple, il présente notamment la façon dont les joueurs testent les limites des jeux, des pratiques que l’on peut assimiler aux nuzlock challenges mais aussi des pratiques politiques mobilisant les jeux pour transmettre en message.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/le-non-jeu-une-pratique-a-interroger-par-remi-cayatte/

Etre seul(e) sur une île, témoin de son apprentissage

Dans ma communication, je mobilise des outils issus de la pédagogie et des sciences de l’éducation pour modéliser des situations de communications entre le jeu et son joueur. L’idée n’est donc pas de « prouver » qu’un jeu peut être utilisable pour servir les objectifs pédagogiques de l’éducation nationale mais que fondamentalement, les jeux vidéo proposent des situations potentielles d’apprentissages et que le game design est le reflet des intentions pédagogiques et didactiques des créateurs et créatrices. J’énonce aussi que ces outils permettent d’analyser la persuasivité (volonté de persuader) ou l’expressivité (volonté d’empathie) l’expérience-cadre tout en faisant des hypothèse sur les possibles réceptions.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/etre-seule-sur-une-ile-temoin-de-son-apprentissage-e-giner/

Entre le jeu et le joueur : quel lieu pour l’exploration ?

Dernière communicant de l’ExpressiveGameLab à Liège, Guillaume est intervenu sur la notion « d’exploration » dans les jeux vidéo. Partant du constat que le mot est employé d’une pluralité de façons et ce, par toutes les communautés de pratiques (chercheurs·euses, créateurs·ices, consommateurs·ices, etc.), il définit cette dernière comme l’appropriation singulière d’un jeu par son joueur. De là, il propose de distinguer l’exploration pour raconter et l’exploration pour connaitre. Il ressort de tout cela un besoin d’outils pour analyser formellement les explorations et c’est ce vers quoi il tend dans sa communication.

L’article de l’intervention se trouve ici : http://www.expressivegame.com/fr/scientifiques/quel-lieu-pour-lexploration-approche-formelle-dune-incertitude-spatialisee-grandjean-g/

A plus !

Il ne s’agissait là que d’un court billet mais celui-ci me tenait à cœur. Je n’ai pas pu cette année faire un article qui présente l’ensemble des travaux présentés comme cela avait été le cas pour le colloque de Lausanne en 2017. Je suppose que les contraintes de temps ne sont plus les mêmes. Donc je ne peux que vous conseiller d’aller voir la chaîne youtube du LiègeGameLab qui conserve l’intégralité du colloque et de parcourir les vidéos qui y sont.

De fait, voici quelques liens qui poursuivent ce billet :

la playlist complète : https://www.youtube.com/channel/UCa97eDOOky-Bt7Ixb2h5hTA/videos

le site du LiègeGameLab avec 4 articles rédigés à propos du colloque : http://labos.ulg.ac.be/liege-game-lab/category/colloque/

Ce soir, je ris. Ce soir, je danse.

Ce soir, je n’ai pas envie d’écrire pour répondre à un appel à publication. Ce soir, je n’ai pas non plus envie de travailler sur ma thèse. Ce soir, je n’ai pas envie. Ce soir, je sais que si je ne l’avais pas, j’aurais abandonné, depuis longtemps.

Hier, en discutant avec des ami·e·s, que j’aime d’amour, le sujet de mes recherches – ma vie de doctorant – est venue sans que je l’évoque premièrement. Il est venu sur la table car je suis à la frontière de deux mondes. Le monde académique, froid et dur, et le monde de la création internet, chaud et libertin. La discussion que nous avons eue m’a travaillé toute la journée d’aujourd’hui. Cela m’a interrogé sur mon parcours, non pas académique mais celui du créateur qui poste un mash-up entre deux vidéos d’analyse. Le créateur qui poste une de ses conférences lors d’un colloque avec comité scientifique et celui qui singe Jean Rocherfort.

J’ai alors remarqué à quel point ce que je propose sur ma chaîne youtube a évolué – depuis bientôt trois années que je tiens cet office. Quand je repense à mes premières vidéos, je me vois en train de préparer toute cette bibliographie… Je me vois passer des heures de montage à insérer dans la vidéo même des notes de bas de page : « pour plus de détails, voir tel·le·auteur·e, 19XX, page X ».

Je me revois fact checker absolument chaque détail. Par exemple, ma première vidéo sur la ludification. Après la première upload, je m’aperçus d’une erreur. Il était 4h du matin un samedi. Je voulais à tout prix la sortir pour 9h –quel intérêt ? Quel objecif ? je ne me souviens plus. N’en est-il que j’ai corrigé, relancé le rendu puis démarré l’upload vers 6h. Quelle aberration maintenant que j’y repense !

Cette minutie, cette précision, je l’ai porté dans mes bras comme si c’était ma fierté : « regardez, je suis différent ! J’indique mes sources ! Je fais de la vraie vulgarisation ! » Quelle bêtise.

Cela fait un an et demi que je suis en thèse. Une année et demi de recherches, de construction d’une bibliographie « exhaustive », de construction d’une pensée plus ou moins cohérente mais toujours lacunaire.

Et ce soir, je ris. Je ris de mon parcours. La compétence et la précision que j’ai acquise au fur et à mesure de mes recherches et de mes productions plus ou moins scientifiques, je l’ai perdu progressivement dans mes vidéos.

Je ris car je suis heureux : « j’ai fait une vidéo, pour moi. Pour moi seul, cela faisait longtemps ». Depuis « Play (In) Shanghai », je ne prenais plus de plaisir à la réalisation et au montage. Cela faisait longtemps que cela ne m’intéressait plus de partager une pensée froide et mécanique : « oui ceci est constaté scientifiquement, c’est écrit dans un papier de Bernard relu par Jean-Thierry ».

Hier, j’ai respiré. Ce mashup, cette passion dans la création. Tout cela, je ne l’avais plus. Quand je revois mes productions vidéo. Je remarque à quel point le niveau scientifique a baissé – lentement – progressivement – constamment.

Entre mes premières vidéos – celle sur l’hypersexualisation… Quelle horreur. Je ne peux plus la regarder. Je ne peux plus me regarder. Je faisais probablement « De La BoNnE vUlGaRiSaTiOn ». Celle qui captive son audience. Qui la retient tels des chiens en laisse : « buvez mes paroles que je vous construise un esprit critique ! »

Entre mes vidéos d’animation – toutes réalisées sur le pire logiciel du monde : camtasia que j’aime d’amour. Et mes trois compétences, à peine capable de dessiner un carré ou un cercle avec photoshop.

Entre mes échecs pour tenir des formats constants : où sont les Sessions Coupables ? Où sont les Sessions Innocentes ? Avec ce que j’ai vécu en janvier et ces bêtes accusations de plagiat, je sais que je n’ai plus envie de travailler en coopération. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je n’écrirai plus d’articles avec neufs autres auteurs et autrices.

Aujourd’hui, à quoi ressemble ma chaîne ? Un patchwork semi-scientifique, semi-artistique. Oui, sûrement. Je fais sûrement de la vulgarisation. Il doit bien y avoir des personnes qui me définissent comme un vulgarisateur.

Ma chaîne, c’est moi, c’est là où je m’exprime librement. C’est là où je ne rends de compte à personne. C’est là où je ne m’exprime pas et laisse parler mes émotions. Ce sont toutes mes contradictions, mes errances, mes incohérences.

Plus je deviens scientifique et plus j’utilise internet pour mes créations artistiques. Chercheur ? Oui, probablement. Artiste ? Ô que j’aimerais en être un. Ce soir, je sais que si je ne n’avais pas tout cela, ma chaîne, mes ami·e·s, mes pairs, j’aurais abandonné. Depuis longtemps. Un jour, j’écrirai pour parler du savant politique. Celui qui navigue entre toutes ces sphères, entre ces communautés. Un jour, j’écrirai pour expliquer ma posture épistémologique : « mais comment ai-je fait pour travailler trois années en thèse en étant scientifique et InFlUeNcEuR ? »

Ce que je sais, c’est que je ne vais pas commencer ce soir. Ce soir, je ris. Ce soir, je danse. ■

Esteban Grine, 2018.

Thèse, Année 1.

Ca y est. Ma première année de thèse est terminée. Le début de la fin. C’est donc un moment intéressant pour faire le point sur mes recherches, mes projets et mes difficultés. Il se trouve que j’écris cette introduction après avoir rédigé cet article. En effet, celui-ci est particulièrement décousu. Je l’avais commencé pour une communication puis je l’ai poursuivi pour faire un bilan de l’année 2017. C’est pourquoi je prends le temps d’écrire maintenant cela : afin d’avertir le lecteur du changement de registre que j’effectue progressivement dans cet article. Nul doute qu’in fine, cela me fera rire. Bonne lecture !

L’avancée de mes recherches

La question de l’impact des jeux vidéo est récurrente dans les recherches portant sur cet objet.  Zagal (2010) revient dessus en expliquant que ce débat a lieu entre les tenants de la catharsis et les tenants de l’apprentissage social. Les premiers rejetteraient alors leur existence à travers des discours plus ou moins véhément. Les seconds considèrent ces objets comme des systèmes de représentations qui sont portés aux joueuses et joueurs. Dans le cadre de mes recherches, je considère les jeux vidéo comme les supports de discours et de représentations. Ainsi, l’une des hypothèses que je soutiens dans mes travaux est que les jeux vidéo peuvent être considérés comme des situations d’apprentissage et des supports d’apprentissage. J’aborde donc la question des impacts par la façon dont on apprend en jouant. Je cherche donc à modéliser les approches pédagogiques volontairement ou involontairement mobilisées dans la façon de game designer, c’est-à-dire de structurer, un gameplay. Pour cela, je rapproche le concept d’aire intermédiaire d’expérience (Winnicott, 1975) mobilisée par Genvo notamment pour décrire la situation de jeu (2013) de la zone proximale de développement de Vygotsky (1934). Cette dernière correspond au moment durant lequel, lorsqu’il est accompagné, un individu peut atteindre les objectifs qui ont été fixés.  Dès lors, le game design apparait comme un outil permettant au game designers et game designeuses de situer le ou la joueuse dans sa zone proximale afin d’atteindre un objectif donné. Je fais donc l’hypothèse qu’en observant le game design, il m’est possible de modéliser les différentes approches pédagogiques. Je catégorise alors les séquences de jeu en événements d’apprentissage-enseignement selon le modèle de Poumay & Leclerc (2008). Par exemple, il peut s’agir d’une situation d’apprentissage par exercisation. Dans ce cas, on peut supposer la volonté du game designer.euse à susciter l’acquisition d’un réflexe chez le ou la joueuse. Au contraire, s’il s’agit d’une situation d’apprentissage par exploration, alors le ou la joueuse sera plus libre dans les messages et les conclusions qu’il ou elle peut tirer d’une séquence de jeu.  En catégorisant de cette façon les situations rencontrées, il me semble possible de situer la façon dont le discours d’un jeu se présente aux joueuses et joueurs. Ainsi, mes travaux sont à la croisée de la discussion entre les persuasive games de Bogost (2006) et les expressive games de Sébastien Genvo (2016). Trépanier-Jobin (2016) voyait une limite à l’utilisation de ces concepts de manières exclusives, si c’est l’un ce n’est pas l’autre, puisqu’elle considérait alors que la distinction se faisait à partir des intentions des auteurs autant chez Bogost que chez Genvo. Il me semble possible de résoudre ce dilemme avec la méthodologie et la focale que je propose en observant les situations d’apprentissages composant les jeux vidéo. Dès lors, persuasive ou expressive ne seraient plus des genres se rapportant à l’éthos d’un jeu, c’est-à-dire la façon dont il présente son discours par son game design. Au contraire, ceux-ci seraient deux extrême d’un même continuum et ne se rapportant plus à un jeu dans son entièreté mais plutôt à des objectifs pédagogiques définis a posteriori par un ou une observatrice.

A travers cette proposition de modélisation, je compte retranscrire ce que des joueuses et des joueurs observent des jeux auxquels ils et elles jouent mais c’est un pan de mon travail que je n’ai pas encore pu entamer et que je compte faire cette année. L’intérêt de cela est d’observer les apprentissages observés en jouant.

Corpus & pistes de terrains

En parallèle de ce travail, j’ai démarré en 2017 une première méthodologie de terrain qui consiste au recueil de témoignages puis à leur traitement. Un premier appel à témoignage intitulé « Les Madeleines Vidéoludiques » m’a permis de réunir 14 témoignages écrits de joueurs. Il s’agissait dans cet appel de traiter du sentiment de nostalgie. Aujourd’hui, je prépare un appel sur un autre sentiment. La raison de ces recueils est que je m’intéresse aussi à la façon dont le fait de susciter un sentiment par rapport à quelque chose représenté dans un jeu vidéo peut venir modifier un système de représentations. Un exemple concret de cela peut-être le regret que l’on ressent du fait d’une action commise sur le monde. En ce sens, dans la veine des travaux de Frome (2006) à propos des émotions dans les jeux vidéo mais aussi des travaux de Barnabé et Delbouille (2017) à propos de l’agentivité des joueurs et joueuses. Dès lors, j’essaie d’observer les modifications de comportements et de systèmes de représentations et ce, par les sentiments que le game design nous suscite. J’essaie de faire une passerelle entre cela et les situations d’apprentissages que j’ai déjà présentées en faisant l’hypothèse suivante : un événement d’apprentissage suscite une émotion aux joueuses et joueurs en tant qu’agent et c’est par le biais de cette émotion suscitée qu’une modification du comportement peut s’opérer. L’émotion qui m’intéresse le plus et sur laquelle je pense que je me focaliserai à terme est le regret. Cette émotion a déjà été relevée par des auteurs issus des sciences académiques comme des journalistes, etc. Le regret est une émotion forte qui invite le ou la joueuse à adopter une attitude réflexive vis-à-vis de ce qu’il a commis en tant qu’agent agissant sur un monde représenté (la diégèse du jeu). On peut évoquer les célèbres scènes de Metal Gear Solid 3 lorsque le ou la joueuse doit abattre The Boss, la révélation de Sans dans Undertale (2015) à propos des « EXP » et des « LV ». Je pense qu’un troisième appel verra le jour entre 2018 et 2019 mais cette fois sur une émotion plus proche de l’empathie si ce n’est l’empathie elle-même. Ces terrains ont une dimension exploratoire particulièrement intéressante. En effet, ils permettent de constater, à travers divers témoignages, des formes d’impacts que les joueurs et les joueuses ont pris le temps de formuler et matérialiser à travers un texte. Les « madeleines vidéoludiques » montrent particulièrement la façon dont un jeu vidéo, ou du moins une expérience liée au jeu vidéo, peut marquer significativement le ou la joueuse et ce, sur une période de temps très longue. A travers un nouvel appel sur le regret, je suppose que des changements de comportements dans et hors les jeux sont possibles et dus à cause d’un phénomène ou d’un événement dans la diégèse du jeu et observable par le ou la joueuse. Autrement dit, je fais une hypothèse relativement typique puisqu’elle s’intègre dans une forme d’apprentissage social et plus généralement dans une pensée socioconstructiviste de la pédagogie. L’intérêt de cette appel, comme pour les « madeleines vidéoludiques », sera d’observer des joueuses et des joueurs dresser des liens de causalité entre leurs comportements et leurs systèmes de représentations aujourd’hui comme issus en partie de leurs sessions de jeu. Le regret permet aussi de potentiellement observer non pas des renforcements dans les comportements mais plutôt des contradictions, des changements et des revirements. Plus intéressant encore peut être l’observation de regrets sans modifications a posteriori du comportement mais en observant un questionnement autour des représentations. Inversement, il peut se produire des situations durant lesquelles les systèmes de représentations se modifient sans que les joueurs et joueuses modifient leurs comportements. Dans ces derniers cas, il faudra alors demander s’ils et elles ont une démarche réflexive sur cela et comment ils et elles le vivent ? Ainsi, il apparait que ces « recueils » deviennent une partie des terrains que je souhaite mobiliser pour mes travaux de thèse. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un stade très exploratoire. De même, j’ai aussi conscience des biais qu’ils impliquent. Il y a une dimension endogamique certaine que je n’ai pas encore réussi à dépasser. La réalisation d’une vidéo de lancement pour le prochain appel sera peut-être l’occasion d’observer plus d’hétérogénéité dans les réponses en termes de profils de joueurs et de joueuses.

Je pense avoir maintenant fait le point sur les terrains que je vais réaliser via internet et les réseaux sociaux. Ceux-ci ont un attrait pour moi puisque cela me permet de constater des situations informelles de jeux et durant lesquelles je ne suis pas présent en train d’observer via une forme d’observation participante comme Adrienne Shaw l’a fait par exemple en allant chez ses enquêté.e.s (2015). Une critique de ce travail est d’ailleurs le fait que je n’observe pas directement les choses et que je me repose sur des témoignages, ce qui a probablement le pire niveau de scientificité. Pour palier cela, j’ai tout de même tenté la mise en place d’un jury pour analyser les textes qui m’ont été soumis lors du premier appel. Il n’a pas très bien fonctionné mais les membres du jury ont pu lire les textes et répondre à un questionnaire afin de définir la pertinence des écrits par rapport au sujet, savoir s’ils étaient véritablement réflexifs ou s’il y avait des hors-sujets empêchant leur usage en tant que terrain. Pour les prochains appels, je proposerais quelque chose de bien plus abouti à ce niveau.

Par ailleurs, je compte aussi mener des terrains en situations formelles de jeu et les impacts que l’on pourra observer dans ces situations. Pour cela, je suis en train de monter des projets pédagogiques mobilisant des jeux et des jeux vidéo. L’intérêt sera dans ce cas de véritablement observer les personnes en train de jouer en groupe mais aussi de prendre en compte mon propre impact cette fois en tant qu’accompagnateur sur la situation de jeu. Normalement, je ne serais pas seul sur ces projets, c’est pourquoi il sera possible de mettre en place une réelle méthodologie d’observation. Je pense emprunter à l’anthropologie et les méthodes d’observations participantes mais pour cela, j’ai encore besoin de lire et de me former à ce sujet.

Les projets annexes

Au niveau des projets annexes, j’espère un jour avoir le temps de travailler un référentiel de compétence pour les joueuses et les joueurs de jeux vidéo. Ce travail repose sur l’approche de Jacques Tardif (2007, 2017) et sa définition de la compétence : un savoir-agir complexe mobilisant et combinant des ressources internes et externes au sein d’une même famille de situation. Ce travail répond à une interrogation qui me suit depuis que j’ai commencé à travailler sur les jeux vidéo, lire d’autres travaux et voir des contenus sur internet : à quel moment peut-on dire que nous sommes compétents pour parler des jeux vidéo ? Cette question peut sonner pédante et élitiste mais n’en reste pas moins valide. Plus généralement, je pense qui mieux formulée, cela donnerait : comment définir les compétences vidéoludiques ? L’intérêt que je vois ici serait de proposer autre chose que les modèles habituels de « types de joueurs et de joueuses » telle que la taxonomie de Bartle par exemple. Cela pourrait avoir un intérêt. Peut-être que cela pourra offrir un nouvel éclairage et une nouvelle compréhension de la réception d’un message en fonction des différents profils de joueuses et joueurs.

Enfin, il apparait que pour dépasser les classifications des joueuses et joueurs, il me semble pertinent d’interroger les différentes compétences qu’ils et elles développent au fur et à mesure de leurs sessions de jeu. Ainsi, plutôt que d’avoir des modèles théoriques limités par des temporalités : les alternances de profils dans l’avancement d’une partie entre autres, observer les compétences des joueurs et joueuses me permet de raccrocher à mon interrogation initiale qui porte plutôt sur ce que le « contexte pragmatique » définit.

Difficultés et conclusions

Voilà pour cette année relativement dense. Il apparait que je n’ai pas pu maintenir de nombreux rythmes tout au long des mois. J’ai dû abandonner certains projets (la numérisation de Henriot notamment), en décaler d’autres. Je n’ai pas assez lu, je rattrape comme je peux certains livres que j’aurais dû lire bien plus tôt. De même, je commence à ressentir maintenant l’insuffisance de mes connaissances et compétences en anthropologie. Vu le nombre de pistes que je lance et obtiens, il apparait que je vais devoir devenir bien meilleur dans ce domaine pour la suite. Il va aussi falloir que je diminue le rythme de propositions que je fais à droite à gauche sur un peu tout et n’importe quoi : papiers, communications & formations. En janvier 2018, j’ai deux papiers à envoyer, une formation à donner et deux communications. C’est beaucoup trop et cela m’a causé beaucoup de stress. De plus, il faut aussi que je me ménage du tout pour mon travail. Et oui, n’ayant pas de bourse d’étude, il me faut bien vivre comme la majorité des doctorants.

2018 semble donc une année de bonnes augures. Je vais normalement bouclé les terrains en situations formelles de jeux et je pourrais, grâce à ma présence sur les réseaux, compléter des corpus et réaliser des enquêtes. Je ne me sens pas trop stressé pour cela, je suppose que c’est une chance par rapport à d’autres doctorants. Les récents événements que j’ai vécu sur internet me font réfléchir de plus en plus sur ma posture de blogueur-doctorant. Il apparait que celle-ci est bien plus complexe que prévue. De fait, je compte bien plus rédiger à ce propos cette année. Je pense que méthodologiquement, cela sera pertinent.

 

Ce texte a connu une rédaction plus qu’étrange. Si au début, il s’agissait d’un support de communication pour une intervention, il s’est transformé en état des lieux de mes recherches pour au final nommer les difficultés que j’ai rencontrées et rencontre. Il est plus que temps d’y mettre en terme en vous souhaitant une bonne année. ■

Esteban Grine, 2018.

 

De mes difficultés de chercheur blogueur

De mes difficultés de chercheur blogueur

J’ai récemment fait une bêtise en tant que chercheur. Pas une grosse bêtise en terme de visibilité (surtout qu’elle aurait pu être encore moindre sans les réseaux sociaux), mais suffisamment une bêtise pour avoir ennuyé et attristé des personnes que je respecte énormément et auxquelles je tiens : j’ai tout simplement réécrit, paraphraser dans un billet de blog le sujet de thèse d’un collègue. Le billet n’est plus accessible et je n’ai pas l’intention d’étaler ce cas dans le futur. C’est d’ailleurs assez rare que sur mon blog, je m’exprime sur mon activité de doctorant. Voilà donc un moment propice pour écrire sur les difficultés que je peux rencontrer dont une que j’identifie aujourd’hui à cause de cette histoire.

Dès le début de mes recherches, j’ai fonctionné à cheval entre mes travaux de doctorant et mes travaux de producteur de contenus sur internet. Ma chaîne YouTube n’a d’ailleurs été lancée en 2015 que pour tester mes capacités à travailler de manière régulière sur plus ou moins un même sujet. C’est ensuite, en 2016, que je me suis lancé dans une activité de doctorat. L’histoire que j’ai racontée au début de cet article est révélatrice il me semble d’une difficulté que j’arrive aujourd’hui à identifier : j’évolue simultanément sur deux rythmes (Ah Lefebvre, décidément, tu n’es jamais loin), deux timelines pourrions-nous dire. Et ces deux rythmes ne sont pas synchrones. Cela peut donc amener à des conflits que je cause et que je n’arrive à comprendre qu’a posteriori.

Le 24 décembre, j’ai donc entamé la rédaction d’un billet de blog et j’ai été épris dans une « écriture passionnée ». Coucher 10 000 signes en deux heures est ce que j’appelle une « écriture passionnée » (je ne regarde alors que la production et me fiche ici de l’intention qui certes peut évidemment être passionnée dans des temporalités bien plus longues). Cela concernait un jeu qui m’a particulièrement retenu ces deux dernières semaines : Breath Of The Wild. Je considère avoir écrit dans l’instant et de manière autarcique dans le sens où je ne me suis soucié de personne lors de l’écriture. Il ne me semblait pas être mal intentionné. Avec du recul, il est bien évident que la réflexion proposée provient de nombreuses discussions que j’ai eues avec d’autres pairs dont la personne concernée que je n’ai pas citée alors que j’aurais dû le faire.

J’écris aussi ce présent billet plus par besoin personnel que pour être lu. Dès la critique que j’ai reçue, j’ai dû immédiatement faire un effort drastique pour accélérer la phase de colère, puis de déni, puis de négociation pour immédiatement passer au regret et la plus ou moins grande correction partielle de mes bêtises (Kubler-Ross, au moins ta courbe sert à quelque chose de plus utile que de dire que Link est mort). J’ai pu faire cela aujourd’hui. C’est une frayeur d’imaginer que l’inverse peut un jour se réaliser. Je me fiche pas mal de la méthode par laquelle j’ai été contacté car je l’accepte très bien dans d’autres cas mais voilà l’exercice auquel j’ai été confronté pour choisir mes réactions dont la première a été l’incompréhension et la surprise. Que se serait-il passé si j’avais choisi de bloquer les critiques et de maintenir l’article ?

Cela a été un exercice complexe. En tant que chercheur intégré dans plusieurs communautés de discours, j’ai vu mes contenus repris par d’autres pairs : blogueurs, journalistes, machins et trucs. Je n’ai pas tout le temps été cité en tant que source, ou alors injustement par rapport à d’autres sources (il y a une véritable lecture marxiste à faire en terme de monopolisation de l’espace que certaines sources prennent par rapport à d’autres : pourquoi par exemple, quand on cite deux vidéastes explicitement, on décide de faire de la publicité dans une vidéo que pour un ?). Je n’avais alors vu que le côté du plagié. Aujourd’hui, je me retrouve du côté du plagieur involontaire. J’ai pu corriger du mieux que je pouvais la situation : l’article n’a été en ligne que 30 minutes et je suis allé présenter mes plus sincères excuses à la personne concernée tout en promettant d’être plus sensible aux sujets de recherche des uns et des autres. Voilà une difficulté non négligeable, si en tant que chercheur, je ne m’aventure pas au-delà de mon sujet, en tant que blogueur, c’est la fiesta.

D’où ma difficulté à avoir le cul entre deux chaises. D’un côté, j’ai une écriture soumise à un rythme et des codes de recherche. C’est-à-dire très long avec de nombreuses barrières de protection. De l’autre, j’ai une écriture libre et sans contrainte. Cela me permet de produire beaucoup de choses mais il n’y a aucun filet lorsque je fais une bêtise. Je suis à cheval sur ces deux rythmes de production. D’un côté, j’essaie de produire des savoirs académiques. De l’autre, j’essaie de produire des savoirs populaires. Je ne fais une distinction ici que par rapport aux différentes communautés de pratiques et de discours. Je ne nivelle donc pas les savoirs et je ne souhaite pas spécialement tenir une discussion à ce sujet.

Maintenant, voici les dilemmes dans lesquels je me retrouve. Mes activités ne sont pas clairement partagées de manière équitable et chacune de mes identités nourrit l’autre. Mes articles de blog sont une façon de structurer ma mémoire et ma pensée (et parfois d’être réflexif sur ma situation de doctorant), mes recherches sont une façon de proposer de nouveaux axes de réflexions dans mes productions populaires. Par ailleurs, je comprends, plus que jamais, à quelle point la production académique est, à mon sens, dépassée par les productions populaires lorsqu’il s’agit du jeu vidéo. Aujourd’hui, en tant que blogueur, j’ai coupé l’herbe sous les pieds de quelqu’un, hier, j’ai vu des vidéos, excellentes au demeurant, proposant des réflexions similaires voire identiques et des papiers personnels qui seront peut-être publiés dans six mois ou un an. L’exemple de certains vidéastes est alors remarquable. N’y aurait-il pas de nouveaux « Nabokov des Terter » sur YouTube ? En tant que chercheur, je dois alors jongler avec mes pairs mais aussi me démarquer des contenus extraordinaires et qui nourrissent forcément mes lectures de certains jeux. Metal Gear Solid 2 a pris une toute nouvelle coloration une fois que j’ai vu et entendu les propos du vidéaste Super BunnyHop. Et aujourd’hui, sa lecture du jeu est incontournable, même pour le ou la chercheuse qui s’intéresse à ce sujet. De manière personnelle, je dois voir cela non pas comme forcément une forme de lutte, de compétition, mais aussi comme un ensemble de phénomènes merveilleux de coopération : relecture, entraide, citations existantes des un·e·s et des autres, productions collaboratives. C’est vraiment une lecture que je dois embrasser plus que certains réflexes de ma part à tout concevoir comme des luttes de classes.

La dualité des personnalités qui me sont attachées s’en retrouve dans la signature même de mes articles : Esteban Giner pour une communauté, Esteban Grine pour l’autre. C’est Esteban Grine qui a rédigé un billet nuisant à un pair d’Esteban Giner. Vouloir jongler entre ces deux univers est un exercice difficile auquel je pensais pouvoir me confronter notamment en proposant de vulgariser le travail des autres. Créer des problèmes en tant que blogueur à un collègue chercheur est une chose très désagréable à causer, puis à vivre. Je pense avoir compris cette leçon à présent et tâcherais de ne pas reproduire cela. Cela passe par le maintien de mes deux identités sans laisser l’une prendre le pas sur l’autre comme ce fut le cas avec cette histoire il me semble.

A défaut de ne rien promettre, je peux au moins signaler que si une personne lisant ce billet considère que j’aurais dû citer une autre personne ou qu’un article ne respecte pas le travail de quelqu’un, elle peut me contacter ici : @EstebanGrine sur twitter soit en public, soit en privé. Je tâcherais de rester transparent peu importe la façon dont on me contacte. Evidemment, je préfèrerais passer en premier par des messages privés (mes DM sont ouvertes) comme je l’ai moi-même déjà fait auprès d’autres collègues pour leur signaler un oubli. Le message, c’est le medium. ■

Esteban, 2017.