Aujourd’hui, le joueur, c’est celui qui ne joue pas : discuter l’ironie et le cynisme de la gamification

Lorsque l’on regarde les 20 dernières années, que cela soit au niveau de l’emprise du ludique ou tout simplement en regardant la façon dont le Travail salarié évolue, il semble plutôt aisément constatable que nous observons une ludicisation de la société (Genvo, 2013). Tout voir comme un jeu semble devenir l’une des conventions sociales lorsque l’on se trouve dans une sphère sociale privée (les relations familiales par exemple) ou dans une sphère sociale publique. Voir tout ce qui nous entoure sous la forme de jeux apparait comme une force pour celui qui parvient à comprendre les règles et le gameplay. Pourtant, pouvons-nous supposer qu’il s’agisse d’une « bonne chose » ? A travers cet article, je vais montrer qu’il est largement nécessaire de discuter cela.

En 2016, Ian Bogost sort son Play Anything dont l’idée centrale est d’énoncer que le ludique n’est pas humain. Autrement dit, toute chose, tout objet possède des caractéristiques ludiques et qui donc peuvent devenir un support du jeu. A travers cela, il s’agit de pousser à son paroxysme la pensée procéduraliste et ludologiste dans laquelle il s’inscrit. Cependant, pouvons-nous dire que nous arrivons à tout considérer comme des jeux ? Bogost nous énonce que si tel n’est pas le cas, c’est parce que nous souffrons d’ironia, un concept qu’il propose et qu’il définit comme étant la peur des choses. Puisque nous avons peur des choses, alors nous n’avons pas envie de jouer avec, voilà résumée très succinctement sa pensée. Pour asseoir sa proposition, Bogost passe par une série d’exemples : du simple fait de jouer avec un objet inanimé jusqu’à voir le monde qui nous entoure comme un playground, un terrain de jeu. L’utilisation de ce dernier mot, playground, n’est pas neutre puisque ce faisant, il dresse au passage une critique de la proposition de Sicart. En 2014, dans play matters, celui-ci défend l’idée que si des architectes (des game designers) peuvent « créer » des environnements présentant une affordance pour le jeu, cela reste fondamentalement l’agent joueur qui définit ce qui est jeu de ce qui ne l’est pas. Bogost exclue cette idée en décentrant « l’idée de jeu » : celle-ci ne se trouve pas dans les humains mais dans les objets et c’est parce que nous sommes cyniques et ironiques que nous n’acceptons pas cela.

Deux conclusions peuvent alors être proposées à la lecture de Ian Bogost : (1) Tout ce qui nous entoure possède des caractéristiques ludiques et (2) la ludification (ou gamification) n’existe pas, on ne crée pas des choses plus ludiques qu’avant mais c’est notre regard sur le monde qui évolue. Cependant, cette façon de penser s’inscrit à mon sens dans un certain libéralisme ambiant qui aurait tendance à légitimer certains comportements puisque ceux-ci revêtiraient une « couche ludique ». Je pense particulièrement au monde du travail lorsque je dis cela : « si tu n’es pas content, tu peux partir ». Autrement dit : « si tu n’acceptes pas les règles du jeu, tu n’es pas obligé de jouer ». Il me semble que la gamification ou la ludification est un outil qui vient gommer les réalités sociales dures et brutales. En 1989, Henriot énonçait :

« Il y a des choses qui doivent rester à l’écart du jeu – on a presque envie de dire : à l’abri du jeu. Autrement dit : le jeu n’est pas tout : tout n’est pas jeu. La faim, la maladie, le chômage, la misère, la mort appartiennent à un registre où le recours à l’idée de Jeu s’avère pour le moins déplacé. La pensée du jeu n’est à sa place que dans un monde protégé, où les besoins les plus élémentaires sont satisfaits, les problèmes les plus urgents résolus. Elle apparait comme un luxe. L’immense majorat de nos contemporains continue d’admettre qu’il y a des valeurs — et plus généralement do choses qui exigent de n’être point envisagées sous l’angle du jeu et propos desquelles la notion de « sérieux » conserve sa signification et tout son poids. Si les principes sur lesquels se fonde le jeu ne sont que des règles arbitraires, susceptibles d’être modifiées au gré de la fantaisie, n’importe quoi devient possible et tous les jeux sont équivalents. A ce cynisme établi en doctrine, même les plus cyniques opposent des convictions qui leur paraissent fondées et auxquelles ils tiennent » (Henriot, 1989, p 64).

Dans ce court paragraphe, Henriot explique la facilité que certains peuvent avoir à tout considérer comme un jeu. Nous allons plus loin en faisant l’hypothèse que ce sont les dominants qui ont plus de facilité à considérer toute chose comme un jeu : le travail, les relations sociales, l’économie, etc. Il est toujours plus facile de tout voir comme un jeu lorsque l’on ne risque rien. Ce qui me frappe le plus, lorsque l’on compare Henriot et Bogost, est le glissement sémantique du cynisme. Pour le premier, tout voir comme un jeu est un dogme cynique tandis que pour le second, seuls ceux qui ne veulent pas jouer sont cyniques.  Aujourd’hui, plus qu’à aucun autre moment il est important de garder les idées claires sur ce qui est le jeu de ce qui ne l’est pas. Etre joueur ne doit signifier que l’on veut que toute chose soit jouable. Au contraire, il me semble plus que nécessaire pour le joueur de garder la sphère ludique éloignée des autres sphères de sa vie. Avec ce prisme de lecture, la ludicisation apparait comme la chose à laquelle le joueur doit se confronter. Vouloir conserver une rigidité sur l’emploi et l’application de l’idée de jeu apparait comme un outil dans la préservation de son esprit critique. ■

Esteban Grine, 2018.


Bibliographie

Bogost, P. I. (2016). Play Anything: The Pleasure of Limits, the Uses of Boredom, and the Secret of Games. New York: Basic Civitas Books.
Genvo, S. (2013). Penser les phénomènes de ludicisation à partir de Jacques Henriot. Sciences du jeu, (1). https://doi.org/10.4000/sdj.251
Henriot, J. (1989). Sous couleur de jouer : La métaphore ludique. Paris: José Corti Editions.
Sicart, M. (2014). Play Matters. Cambridge, Massachusetts: The MIT Press.

Vulgariser ses recherches sur twitter

Alors, je n’avais pas du tout prévu d’écrire à ce sujet. Je vais donc tenter de faire le plus court possible pour conserver les quelques idées que j’ai et que je souhaite partager.

A la suite de mon intervention à la cyberbase de Bron (à côté de Lyon), j’ai entrepris de résumer cette communication de popularisation sur twitter. A ce sujet, mes modèles sont Laurence De Cock et Mathilde Larrère que je suis depuis un long moment maintenant. J’ai même eu l’occasion de discuter avec Mathilde une fois et ce fut le moment où elle me partagea sa méthodologie : tout simplement prérédiger les tweets dans un document word ou autre et une fois que l’intégralité du thread est prêt, le publier dans son intégralité.

Tout cela est donc très simple et c’est ce que j’ai fait avec le thread ci-dessous. Faire cet exercice m’a fait réaliser deux choses. La première est qu’il s’agit d’un exercice très intéressant pour valoriser ses recherches mais aussi pour laisser une trace d’une intervention. L’intégralité des tweets que j’ai publié pour cela comprend 1 267 mots pour à peu près 8 000 signes (espaces incluses). Voilà une donnée plus qu’importante : faire un thread sur twitter vaut une quantité quasi égale à un véritable texte de communication (d’un format de vingt minutes).

C’est immense lorsque l’on réalise cela. Aujourd’hui, je peux immédiatement reprendre mon document word pour en faire par exemple : un texte (comme cela avait été le cas lorsque j’avais publié un article d’Haronnax de la chaîne des Chroniques Du Désert Rouge), une nouvelle communication, un fil conducteur d’une vidéo ou d’un podcast.

La deuxième chose que cela m’a fait réalisé est la suivante : il est possible de faire l’inverse. D’abord préparer son thread, pour organiser sa pensée, pour ensuite organiser sa communication. Le fait que les contraintes de twitter sont tellement fortes (nombre de caractères entre autres) fait que cela oblige à fortement structurer une pensée, un développement.

Le problème majeur de cela est que cela s’inscrit dans un format qui ne privilégie pas le côté scientifique. On est clairement dans la même critique faite à la pensée powperpoint sauf qu’elle se nomme ici la pensée twitter. Donc à titre personnel, je ne pense pas privilégier cette méthodologie pour des communications scientifiques. Clairement.Cependant, avoir vu se thread partagé, repris et diffusé me conforte dans l’idée qu’il s’agit-là peut-être d’un levier intéressant dans la popularisation de mes travaux.

Esteban Grine, 2018.



Apprendre le vivre ensemble en jouant à des jeux vidéo

La question du vivre-ensemble semble être particulièrement d’actualité lorsque l’on observe un peu la situation politique de la France. L’assemblée nationale vient en effet de faire passer un texte de loi intitulé « asile et immigration » parait comme un tollé politique pour celui qui s’intéresse de près à la question du secours aux personnes en difficulté. Voir notamment des associations comme Amnesty International pointer du doigt ce texte et le considérer comme dangereux semble être un signal fort qui m’interroge en tant que chercheur à propos des valeurs de solidarités et d’empathie que nous essayons parfois de transmettre aux générations qui nous succèdent. Plus que jamais, « vivre ensemble » est d’actualité.

Si cette introduction en la matière à de quoi faire grincer des dents pour son côté actuel, elle touche à une question dans laquelle baigne mes recherches depuis un peu plus de deux années maintenant. Nous savons que les jeux vidéo sont des objets de représentations de l’acte guerrier, militaire. Des chercheurs comme Stephen Kline ont notamment travaillé sur le concept de la masculinité militarisée (2003) repris par Genvo (2008). Ce dernier questionne le rôle de ce concept dans la médiation que propose le jeu vidéo et en guise de conclusion, aimerait observer un renversement de cette tendance à voir les jeux vidéo se saisir de ce sujet pour en faire autre chose ou pour tout simplement le délaisser au profit d’autres thématiques comme celle de l’amitié – dans tous les cas, quelque chose qui ne ressemblerait pas à la ludification d’une forme de violence.

Malgré tout, on observe quand même quelques niches ici et là de jeux vidéo tentant de proposer autre chose et ce à plusieurs degrés dans leurs discours mais aussi à propos de leur célébrité. L’un des exemples que j’aime particulièrement aborder, parce qu’il est contradictoire, est celui de Metal Gear Solid 3. Ce jeu est un véritable sandbox concernant la mise à mort de personnages non joueurs. Véritable, car le game design propose tout au long du récit des espaces dans lequel le ou la joueuse peut s’amuser à tuer ses ennemis. A l’inverse, ce jeu tient un discours particulièrement antimilitariste et pousse le joueur, dans l’une des dernières séquences du jeu, à abattre, en appuyant sur le bouton de manette, The Boss. Un personnage pour lequel le récit construit progressivement une relation d’empathie. Par ce dernier acte, ce dernier jugement, le jeu nous invite à nous interroger sur la relation que nous avons avec ces amas de pixel représentant des êtres humains.

Dans Metal Gear Solid 3, on sent, on ressent ce discours contradictoire. Il est tout de même difficile de le définir comme un jeu persuasif (Bogost, 2007), c’est-à-dire un jeu qui cherche à convaincre son joueur de quelque chose, d’un message, d’un discours. Dans tous les cas, c’est finalement encore un jeu très guerrier. Il existe des jeux au contraire qui nous invitent à agir de manière pacifiste et qui nous récompense pour cela. Ou du moins, des jeux qui nous invitent à nous soucier d’autrui. On peut notamment évoquer le cas de That Dragon Cancer qui raconte littéralement la vie d’une famille dont le dernier né est atteint d’un cancer. Le message, simple et sobre, n’a pas une vocation militante. Il s’agit plutôt d’un artefact, d’un témoignage.

Un autre jeu, bien plus satyrique a été réalisé par une développeuse afro-américaine, Momo Pixel. Hair Nah est donc un jeu qui nous fait incarner une femme noire repoussant des mains blanches essayant de toucher ses cheveux. On se retrouve donc à incarner une jeune femme noire qui essaie de voyager tranquillement et qui se fait ennuyer et harceler pendant un trajet qui la mène en vacance. S’il s’agit bien plus d’un jeu vidéo adressé à un marché de niche – qui joue à ce jeu ? -, c’est pourtant l’un des nombreux constats nous permettant de penser que oui, aujourd’hui, les jeux vidéo deviennent un média destiné à sensibiliser son public sur des problématiques sociales.

Et je prends le temps de clairement énoncer que non, il ne s’agit pas forcément de grands enjeux comme dans Metal Gear Solid. Non, il ne s’agit pas non plus de grandes idées comme dans Ico qui met en avant un sentiment d’amitié. Non enfin, il ne s’agit pas de penser un nouveau système politique et économique. Les jeux vidéo sont pluriels et de plus en plus on voit émerger des jeux qui se consacrent à de tous petits problèmes. Le bon terme est plutôt celui de « problème individuel », relatif à une personne parfois isolée. J’aime bien y associer l’idée que ce sont des jeux expressifs. Il s’agit là d’un concept proposé par Genvo qui contrairement au jeu persuasif, définit des jeux qui ne souhaite que nous donner quelques éléments de compréhension à propos d’une situation de vie. Rien de plus. Il s’agit de se mettre dans les chaussures de l’autres, sans forcément vouloir apposer dessus un discours, une tirade. Air Nah est un constat pour cela. En se mettant à la place d’une femme noire, le jeu nous propose de comprendre pourquoi ce comportement que nous pouvons avoir, est un comportement raciste, est un comportement oppressant. Il nous invite d’ailleurs en conclusion à arrêter de le faire, d’où sa dimension peut-être persuasive.

Avec ce court panorama, avec ces jeux aux antipodes, je viens quand même de passer de Metal Gear Solid 3 à Hair Nah. C’est comme si je passais sans transition d’un film hollywoodien à une production indépendante et obscure. Mon objectif est le suivant : comment en jouant, on adresse des problématiques de société au joueur ? En gros, mon interrogation, c’est « est-ce que si je fais jouer quelqu’un à un jeu en particulier, il va réfléchir au comportement qu’il a avec ses amis, sa famille, etc ? » On est clairement ici dans cette fameuse question du transfert. Est-ce que les jeux rendent violent ? Est-ce que les jeux rendent plus gentils ? Moins racistes ? Plus respectueux ? Si la première partie se consacrait à la violence, mes recherches portent plutôt sur l’inverse. Alors, funfact, l’industrie y a déjà répondu. Depuis le début des années 2000, l’explosion des serious games nous laisse penser que si tant d’argent sont dépensé dans, par exemple, des projets européens de créations de jeu dans le but de sensibiliser les enfants à quelque chose, c’est que certaines observations ont dû être faites. Mais il n’y a pas non plus besoin d’invoquer les grandes entreprises pour considérer ce parti pris. Tout récemment, la chaine YouTube « Un Bot Pourrait Faire Ça » m’a fait découvrir le manifeste de la Carewave. Il s’agit d’un mouvement qui promeut le jeu vidéo comme un outil de médiation empathique sur des sujets autour de la responsabilité collective, de l’écoute attentive et sans jugement, de l’empathie et de simplement prendre soin.

Ainsi, avec les quelques jeux que j’ai présentés, une première conclusion doit nous sauter aux yeux : les jeux sont clairement utilisés comme supports de médiation et d’apprentissage. Reste à questionner la pertinence de les utiliser pour enseigner quelque chose, mais nous ne sommes pas encore à ce moment de l’exposé. Les jeux sont utilisés comme outil d’apprentissage donc. Lorsque je présente cela, j’aime bien resituer un peu leur émergence. On sait déjà que dans les années 1990, des jeux vidéo étaient spécifiquement réalisé pour cet objectif : Adi, Adibou, Passeport, les voyages du Doctor Brain et j’en passe. On parlait alors de logiciels ludo-éducatifs. Dès lors, les jeux vidéo étaient considérés comme des activités autonomes. Les jeux contenaient des activités et des éléments pédagogiques. C’est avec l’apparition de certaines pratiques que l’on finit par utiliser le terme de serious game pour définir des jeux comme support de discours institutionnels. Serious Game et Gamification sont deux concepts qui nous proviennent principalement des sciences de gestion  bien que des notions proches avaient déjà été identifiées par le passé. Jacques Henriot notamment avait perçu en 1989 dans son livre « Sous couleur de jouer » la ludicisation de la société, c’est-à-dire un processus général amenant à considérer de plus en plus d’éléments comme faisant partie de jeux.

Bref, début des années 2000 toujours, en parallèle de jeux développés dans le but de conditionner un acte d’achat, Gonzalo Frasca propose au début le terme de « newsgame » afin de définir des jeux traitant un sujet d’actualité. Récemment, le développeur « The Pixel Hunt » a sorti le jeu « Bury Me My Love », appelé cette fois « jeu du réel » par ses auteurs. Cependant, nous restons dans la même thématique.  Il s’agit de créer un jeu à partir d’un contexte réel. Sans avoir la prétention d’enseigner quoi que ce soit ou de « mettre à la place de », l’auteur de ce dernier jeu énonçait que si cela avait sensibilisé les joueurs, alors, il avait gagné son pari. Encore une fois avec ce dernier jeu, nous sommes sur une thématique très forte qui interroge notre capacité à ressentir de l’empathie, à nous sensibiliser sur des problématiques sociétales fortes. Etrangement, cela me permet de reboucler une fois de plus avec mon introduction. Je ne sais pas si les personnes ayant voté pour le texte de loi ont joué à ce jeu, mais je fais l’hypothèse que peut-être que s’ils y avaient joué, alors les choses n’auraient pas pris cette tournure. Il ne s’agit certes que d’une hypothèse. Comme outils d’apprentissage, les jeux peuvent se révéler pertinents et ces 20 dernières années ont constaté un engouement pour cela.

En réalité, on sait depuis bien plus longtemps que le jeu est un outil d’apprentissage et d’appréhension du monde qui nous entoure. Winnicott évoquait déjà cela dans son ouvrage « Jeu et Réalité » de 1975 l’importance du jeu comme un espace, une aire intermédiaire d’expérience entre l’enfant et le monde. En jouant, nous faisons l’expérience de possibles, et si possible dans un milieu protégé. Le jeu se déroule doit se dérouler dans un environnement protégé, safe. Henriot met particulièrement l’accent sur cela et accuse de cynisme toute personne considérant des milieux dangereux comme des espaces potentiels de jeu (1989).

Dans mes travaux, je m’interroge donc particulièrement sur les relations entre les problématiques sociales et les apprentissages qui peuvent nous amener à nous interroger sur ces sujets. Je définis alors un apprentissage comme tout phénomène que le joueur conscientise de manière plus ou moins avérée. Autant dire que ma définition des apprentissages est plutôt large. Cependant, cela me permet d’aborder alors de nombreux phénomènes et d’intégrer dans ma conception des choses aussi des phénomènes de manipulation, etc.

Tout à l’heure, je parlais des jeux comme une aire intermédiaire. On aime beaucoup cela dans les game studies : considérer que les jeux sont dans une sphère plus ou moins perméable avec le reste et dans laquelle on peut expérimenter. Personnellement, cela fait écho pour moi à un concept particulièrement important de la pédagogie : celui de la « zone proximale de développement ». Il s’agit d’un concept amené par Lev Vygotski dans « Pensée et langage » (1934). Cette zone proximale de développement définit l’espace dans lequel un apprenant atteint les objectifs qui lui sont fixés lorsqu’il est accompagné.

Appliqué aux jeux vidéo, cela énonce que si je veux enseigner quelque chose à mon joueur, je dois tout faire pour qu’il se situe dans sa zone proximale. On peut alors s’interroger sur la façon dont on met en place cette zone et la réponse est que l’on ne peut pas à coût sûr faire cela. Au mieux, en tant que créateur, nous pouvons tenter d’aligner notre approche du game design par rapport aux objectifs que nous pouvons avoir en termes d’impacts. L’une des difficultés à laquelle nous faisons face est que même si l’on peut se représenter un joueur-modèle (Genvo, 2013), une espèce d’image de la personne qui va jouer à notre jeu, on ne peut pas être sûr à 100% que le message que nous souhaitons transmettre de manière plus ou moins persuasive soit effectivement reçu et décodé par le joueur.

Faire jouer pour inviter les joueurs à réfléchir sur une problématique sociale ou modifier son comportement nécessite donc de se poser une nouvelle question. Dans les sciences de l’éducation, on fait régulièrement référence à des approches pédagogiques. Le choix d’une approche définit l’intention qu’a l’enseignant ou dans mon exposé, le game designer. Pour vivre ensemble, je peux par exemple vous faire jouer à un jeu qui vous fait répéter des centaines de fois le même mouvement. Cela peut sembler aliénant si l’on parle de jeux incrémentaux façon Tap Tap Fish comme cela peut sembler émancipateur dans le cas d’une rééducation médicale. Donc voilà une réponse que je donne lorsque l’on m’interroge sur la façon de game designer un jeu vidéo lié à cette idée de « vivre ensemble ». Premièrement, quel est votre objectif ? En pédagogie, on aime bien les choses complexes donc généralement, on formule : « à la fin d’une session d’apprentissage, l’apprenant est capable de … ».

Une fois cette chose faite, la deuxième question que je pose est la suivante : « comment allez-vous enseigner cette chose à votre joueur ? » Mieux : « souhaitez-vous enseigner ou souhaitez-vous qu’il apprenne de lui-même à partir des éléments que vous lui mettez à disposition ? ». A partir de ce moment, il faut donc choisir l’approche, est-ce qu’une joueuse va apprendre à devenir meilleure en répétant un mouvement, une séquence de jeu jusqu’à ce que cela devienne un réflexe ? Où va-t-elle apprendre par elle-même en explorant un environnement ? Dans tous les cas, il est important de toujours garder en tête que le message que l’on souhaite faire passer ne dépend pas uniquement du jeu, mais aussi du contexte que l’on propose. C’est pourquoi il est important, encore une fois, de faire en sorte que le joueur puisse faire le parallèle entre la situation qu’il vit en jouant, et une situation de la vie de tous les jours. Il faut raccrocher à son expérience personnelle. C’est ce que défend notamment Doris Rusch (2009) lorsqu’elle évoque les limites du gameplay comme élément de discours. Une fois que toutes ces questions ont été posées, on peut en évoquer une dernière : « le jeu est-il suffisant pour ce genre de volonté ? ». A cela je répondrai que si le jeu peut être joué seul, il n’est pas dit que celui-ci soit suffisant. Un médiateur peut alors être nécessaire pour intervenir et créer du lien entre le jeu et la problématique sociale. Il peut s’agir d’animateurs d’atelier, comme d’enseignants, etc.

Avant de conclure définitivement, j’aimerai résumer un peu tout ce qui a été dit en prenant brièvement le cas d’Undertale, jeu sorti en 2015. Ou plutôt, il s’agit d’une séquence du jeu qui arrive lors du premier chapitre, si l’on peut dire. Il s’agit du moment où l’un des personnages du jeu nous demande de nous entrainer à résoudre pacifiquement un conflit avec l’aide d’un mannequin. Cette séquence de jeu est particulièrement intéressante à décomposer. En effet, il s’agit d’une situation d’apprentissage dans laquelle on peut observer plusieurs événements d’apprentissages :

  1. Réception-Transmission : Toriel, la protagoniste habillée en violet, nous énonce, par métalepse, un contexte ainsi que des mécaniques de jeux.
  2. Expérimentation-Réactivité : le ou la joueuse est invité·e à suivre ou rejeter les demandes faites par Toriel en « expérimentant » le système de combat du jeu.
  3. Evaluation : A l’issue de ce combat, Toriel émet un jugement sur notre comportement afin de le valider ou non. L’absence de game over nous indique que le game design laisse le ou la joueuse libre de se comporter de la façon qu’il ou elle le souhaite.

Il ne s’agit là que d’un exemple parmi de nombreux autres. Nous pourrions faire le même découpage avec Hair Nah que j’ai présenté un peu plus tôt. Finalement, apprendre à vivre ensemble en jouant à des jeux vidéo devient un objectif  réalisable. Si la question de l’évaluation des apprentissages restent pour l’instant en suspens, il me semble que le game design peut malgré tout s’ancrer dans une pratique pédagogique. Pendant cet exposé, j’ai montré de nombreux exemples utilisant des contextes sociaux pour illustrer, installer une idée de jeu. On peut forcément apprendre de tout mais il devient important de mentionner que tout ne devient pas forcément un outil ou un support efficace de médiation. Encore heureux, il devient toujours possible de détourner les jeux de leurs usages premiers en ajoutant des scénarios pédagogiques, des activités en classe ou autre part.

Ce soir, je ris. Ce soir, je danse.

Ce soir, je n’ai pas envie d’écrire pour répondre à un appel à publication. Ce soir, je n’ai pas non plus envie de travailler sur ma thèse. Ce soir, je n’ai pas envie. Ce soir, je sais que si je ne l’avais pas, j’aurais abandonné, depuis longtemps.

Hier, en discutant avec des ami·e·s, que j’aime d’amour, le sujet de mes recherches – ma vie de doctorant – est venue sans que je l’évoque premièrement. Il est venu sur la table car je suis à la frontière de deux mondes. Le monde académique, froid et dur, et le monde de la création internet, chaud et libertin. La discussion que nous avons eue m’a travaillé toute la journée d’aujourd’hui. Cela m’a interrogé sur mon parcours, non pas académique mais celui du créateur qui poste un mash-up entre deux vidéos d’analyse. Le créateur qui poste une de ses conférences lors d’un colloque avec comité scientifique et celui qui singe Jean Rocherfort.

J’ai alors remarqué à quel point ce que je propose sur ma chaîne youtube a évolué – depuis bientôt trois années que je tiens cet office. Quand je repense à mes premières vidéos, je me vois en train de préparer toute cette bibliographie… Je me vois passer des heures de montage à insérer dans la vidéo même des notes de bas de page : « pour plus de détails, voir tel·le·auteur·e, 19XX, page X ».

Je me revois fact checker absolument chaque détail. Par exemple, ma première vidéo sur la ludification. Après la première upload, je m’aperçus d’une erreur. Il était 4h du matin un samedi. Je voulais à tout prix la sortir pour 9h –quel intérêt ? Quel objecif ? je ne me souviens plus. N’en est-il que j’ai corrigé, relancé le rendu puis démarré l’upload vers 6h. Quelle aberration maintenant que j’y repense !

Cette minutie, cette précision, je l’ai porté dans mes bras comme si c’était ma fierté : « regardez, je suis différent ! J’indique mes sources ! Je fais de la vraie vulgarisation ! » Quelle bêtise.

Cela fait un an et demi que je suis en thèse. Une année et demi de recherches, de construction d’une bibliographie « exhaustive », de construction d’une pensée plus ou moins cohérente mais toujours lacunaire.

Et ce soir, je ris. Je ris de mon parcours. La compétence et la précision que j’ai acquise au fur et à mesure de mes recherches et de mes productions plus ou moins scientifiques, je l’ai perdu progressivement dans mes vidéos.

Je ris car je suis heureux : « j’ai fait une vidéo, pour moi. Pour moi seul, cela faisait longtemps ». Depuis « Play (In) Shanghai », je ne prenais plus de plaisir à la réalisation et au montage. Cela faisait longtemps que cela ne m’intéressait plus de partager une pensée froide et mécanique : « oui ceci est constaté scientifiquement, c’est écrit dans un papier de Bernard relu par Jean-Thierry ».

Hier, j’ai respiré. Ce mashup, cette passion dans la création. Tout cela, je ne l’avais plus. Quand je revois mes productions vidéo. Je remarque à quel point le niveau scientifique a baissé – lentement – progressivement – constamment.

Entre mes premières vidéos – celle sur l’hypersexualisation… Quelle horreur. Je ne peux plus la regarder. Je ne peux plus me regarder. Je faisais probablement « De La BoNnE vUlGaRiSaTiOn ». Celle qui captive son audience. Qui la retient tels des chiens en laisse : « buvez mes paroles que je vous construise un esprit critique ! »

Entre mes vidéos d’animation – toutes réalisées sur le pire logiciel du monde : camtasia que j’aime d’amour. Et mes trois compétences, à peine capable de dessiner un carré ou un cercle avec photoshop.

Entre mes échecs pour tenir des formats constants : où sont les Sessions Coupables ? Où sont les Sessions Innocentes ? Avec ce que j’ai vécu en janvier et ces bêtes accusations de plagiat, je sais que je n’ai plus envie de travailler en coopération. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je n’écrirai plus d’articles avec neufs autres auteurs et autrices.

Aujourd’hui, à quoi ressemble ma chaîne ? Un patchwork semi-scientifique, semi-artistique. Oui, sûrement. Je fais sûrement de la vulgarisation. Il doit bien y avoir des personnes qui me définissent comme un vulgarisateur.

Ma chaîne, c’est moi, c’est là où je m’exprime librement. C’est là où je ne rends de compte à personne. C’est là où je ne m’exprime pas et laisse parler mes émotions. Ce sont toutes mes contradictions, mes errances, mes incohérences.

Plus je deviens scientifique et plus j’utilise internet pour mes créations artistiques. Chercheur ? Oui, probablement. Artiste ? Ô que j’aimerais en être un. Ce soir, je sais que si je ne n’avais pas tout cela, ma chaîne, mes ami·e·s, mes pairs, j’aurais abandonné. Depuis longtemps. Un jour, j’écrirai pour parler du savant politique. Celui qui navigue entre toutes ces sphères, entre ces communautés. Un jour, j’écrirai pour expliquer ma posture épistémologique : « mais comment ai-je fait pour travailler trois années en thèse en étant scientifique et InFlUeNcEuR ? »

Ce que je sais, c’est que je ne vais pas commencer ce soir. Ce soir, je ris. Ce soir, je danse. ■

Esteban Grine, 2018.

Appel à Contributions – SANS/REGRETS

Texte de l’appel

Lorsque je raconte pourquoi j’ai démarré un projet de thèse, les gens ont toujours du mal à croire l’histoire que je leur donne. En 2015, j’ai joué à Undertale et parce que je suis un joueur de jeux vidéo dans l’âme, j’ai poussé le vice jusqu’à effectuer la genocide run – c’est-à-dire : tuer tout le monde, l’intégralité des personnages non-joueurs. Avant de venir à cet ultime résolution, j’ai effectué la true pacifist run : parcourir le jeu sans jamais commettre de meurtre. Et si j’ai fait cette run, c’est parce que lors de ma toute première partie, j’ai tué Toriel, notre maman adoptive dans le jeu. Je n’avais pas vu la possibilité de l’épargner et pendant l’entièreté de ma partie, j’ai ressenti un remord qui m’a poussé à agir de sorte à « réparer mes actions ». Pourtant, lorsque l’on y réfléchie posément, cela n’a pas de sens de regretter des actions qui sont fictives puisque de l’ordre du jeu. « Tout cela, c’était pour du faux » aurait pu dire un Huizinga (1938) voire un Caillois (1958) sortis des hautes herbes. Pourtant ce regret m’a poussé à expier mes méfaits. Ayant enchainé sur une genocide run, on ne peut pas dire que la leçon fut particulièrement efficace. La punition que j’ai reçue à la fin de cette dernière partie pavée de meurtres a été suffisante pour me donner envie de démarrer un projet de recherches. Autrement dit, j’ai regretté des actions que j’ai faites dans un jeu et cela m’a poussé à agir, d’abord en recommençant le jeu puis en partant sur un projet de vie d’une durée minimale de trois années. Ce regret est peut être partagé par d’autres joueurs et joueuses, avec d’autres jeux, avec d’autres fictions vidéoludiques et avec d’autres contextes. On peut évoquer notamment la meurtre de The Boss dans Metal Gear Solid 3, ou des actions issues d’une erreur de jugement lors d’un match sur League Of Legend, Overwatch ou encore Fortnite entre autres.

La question du regret est particulièrement intéressante dans le cadre des jeux vidéo. Si ces derniers sont des œuvres et des objets dont l’une des missions et de transmettre ou de susciter une émotion, alors le regret en devient un parangon lorsqu’il s’agit d’évoquer une potentielle spécificité. Regretter d’avoir agi dans un jeu vidéo n’a pas la même signification que regretter d’avoir vu un film ou d’avoir lu un livre. A l’instar des propos de Galloway (2006), les jeux vidéo sont des média se reposant sur une certaine activité et un ensemble d’actions réalisées par son audience au cours de la diffusion. Autrement dit, contrairement aux autres formes médiatiques où la production du récit se fait antérieurement à sa diffusion, celle-ci survient pendant lorsqu’il s’agit du jeu vidéo. Sans évoquer l’interactivité comme particularité, l’agentivité du joueur dans la fiction permet de susciter ou de travailler un panel d’émotions inaccessibles par d’autres biais, d’autres supports d’imagination, d’autres formes artistiques. Frome (2006) utilise notamment cet argument pour distinguer les émotions qui peuvent apparaitre lorsqu’une audience se retrouve face à une œuvre. On peut regretter d’avoir vu un film. Le regret, ici, est exprimé par rapport à l’objet physique, le média. Cependant, on ne peut pas regretter d’avoir agi d’une certaine façon dans un film – hormis si l’on est l’acteur dudit film. Évidemment, certains objets frontières pourraient interroger notre proposition. Cependant cette critique disparait une fois que l’on pense l’artefact d’une expression artistique sur un même continuum plutôt qu’en cases dissociables mais revenons au jeu vidéo : objet de notre intérêt.

Le jeu vidéo par l’expérience qu’il propose fait qu’un joueur ou une joueuse peut ressentir un ou des regrets par rapport à un comportement qu’il a eu en jouant. Que cela soit du fait de son agentivité sur le monde fictif, c’est-à-dire ses actions souvent réalisées à travers un avatar, ou par rapport à un autre joueur dans le cadre d’une expérience multijoueur, regretter un acte ayant lieu dans une fiction semble plus facilement envisageable en jouant qu’en regardant un film. Dans l’exemple que je prenais, celui-ci a été – de manière plutôt mitigée – un vecteur d’apprentissage. Si je ne l’ai pas dit, l’expérience que j’ai eue avec Undertale a eu un impact durable sur mon comportement de joueur : j’estime tuer moins et préférer la résolution pacifique de conflits.

Ainsi, il apparait finalement que le sentiment de regret est particulièrement confus pour moi. D’où l’intérêt de cet appel à témoignages : comprendre ce qui signifie le regret dans le cadre des jeux vidéo. Les témoignages, sous la forme de propositions de publications, devront s’ancrer dans au moins l’un des axes suivants et respecter les contraintes de rédaction.

Les axes de l’appel à témoignages

1) Le regret dans la fiction.

L’agentivité peut se définir comme le pouvoir d’interaction et de modification qu’un agent peut avoir sur un monde (fictif). Cet axe vise à interroger ce que signifie pour les joueurs le regret d’avoir réalisé une action ou fait un choix ayant un impact sur la fiction même transmise par le jeu. On peut regretter d’avoir abattu un pnj ou plus simplement parce que l’on a choisi le chemin de droite alors qu’il fallait opter pour le chemin de gauche. Autrement dit, on peut regretter des choix hautement signifiants comme des « tous petits choix » (la définition de ces derniers est alors laissée au lecteur ou à la lectrice de cet appel). Cet axe souhaite explorer une ou des facettes de cette problématique.

2) Le regret et le sentiment d’échec.

On regrette quand on échoue, ou peut-être pas ? Aussi quand on réussit ? On peut réussir une genocide run ou tout autre objectif que le jeu nous fixe tout en arrivant en bout de course déçus de notre comportement et le regrettant. Dans quelle mesure peut-on regretter quelque chose du fait d’un objectif atteint ou non fixé par le jeu ou par le joueur ? Quel est le sens que l’on donne à ce regret ? Est-ce que l’on peut regretter une action que l’on choisit de faire en toute connaissance de cause ? Mais aussi, comment exprime-t-on le regret que l’on ressent par rapport à un choix que l’on n’a pas fait ? Comment se manifeste les liens entre le regret, l’échec et la réussite ? Cet axe a pour objectif d’apporter des éléments de réponse à ces interrogations.

3) Game designer le regret.

L’une des scènes les plus célèbres du jeu vidéo correspond au moment durant lequel Snake doit abattre The Boss. Plutôt qu’une cinématique, les game designers ont choisi de donner la parole au joueur : c’est ce dernier qui doit appuyer sur la gâchette. On peut faire l’hypothèse que cette structure de jeu a souhaité susciter le sentiment de regret. Pourtant s’agit-il de la seule possibilité ? Est-elle-même efficace ?  Le regret que l’on ressent tout simplement parce que l’on perd une partie contre un autre joueur n’est-il pas plus fort ? Est-ce pertinent de comparer ces deux regrets ou y’a t-il des distinctions ontologiques ?

4) L’impact du regret sur la vie du joueur ou de la joueuse.

Le regret est une émotion forte – et contrairement à la nostalgie, il peut être immédiat – qui peut inviter les joueurs et les joueuses à changer de comportement. On peut faire l’hypothèse que le regret ressenti, l’émotion, est tel qu’un apprentissage par le joueur ou la joueuse est réalisé. Celui-ci peut in fine modifier le système de représentations voire les attitudes et les comportements des joueurs dans les jeux ou dans les autres sphères de leur vie. Mon expérience avec Undertale est un constat parmis d’autres de cela. Parce que j’ai regretté les meurtres commis, je suis aujourd’hui bien plus pacifiste dans la résolution des conflits que je rencontre dans les jeux. J’essaie aussi de faire preuve de plus d’empathie dans les conflits que je rencontre dans ma vie. Cet exemple, personnel, n’est ni vérifié, ni unique. Cet axe souhaite donc explorer les possibles transferts que font, ou pas, les joueurs entre les regrets qu’ils peuvent ressentir en jouant et leur vie.

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    • 2017. Titre de l’article
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Échéances

  • 15 Avril 2018 : Début de l’Appel à Contribution.
  • 30 Juin 2018 à 23h59 : clôture de l’Appel à Contribution (pour toute contribution transmise après le délai, merci de contacter @EstebanGrine sur twitter).
  • Les Contributions doivent être transmises à l’adresse mail suivante : chroniquesvideoludiques [ a ] gmail . com.

Utilisation des contributions

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Moeva et Gwénaël, joueurs comorien et franco-congolais

Si je pose la question « après vous être représentés une personne jouant à des jeux vidéo, comment la décririez-vous ? » Je suis presque sûr de la réponse. C’est pourquoi par un heureux hasard et avec l’aide de la communauté discord que j’anime, j’ai rencontré Moeva et Gwénaël. Moeva est comorien. Il a eu la gentillesse de m’accorder de son temps pour une interview. C’est grâce à lui aussi que Gwénaël, franco-congolais, a aussi pris le temps de répondre à mes questions.

Il est difficile aujourd’hui de se représenter la façon dont le jeu vidéo se développe dans des pays autres qu’occidentaux et particulièrement les pays africains. C’est pourquoi les témoignages de Moeva et Gwénaël sont importants. A travers une interview écrite, ils nous partagent des éléments de réponses aux questions que l’on peut se poser concernant les jeux vidéo sur le continent africain. ■

Esteban Grine, 2018.


Il s’agit de la version 2.0 de l’entretien. Merci à Marc Boissonnot et Honeyxilim pour les corrections.

Une évolution de celui-ci sera prise en compte uniquement concernant la correction progressive des fautes de grammaire et d’orthographe.

Vous souhaitez participer à la relecture ? Cela se passe ici !


Pour commencer, pouvez-vous vous présenter, raconter vos parcours et ce que vous faites aujourd’hui ?

Moeva : Je m’appelle Moeva Mondoha ! Je suis comorien de nationalité et d’origine. J’ai vécu toute ma vie dans différents pays d’Afrique : j’ai vécu aux Comores, j’ai vécu à Niamey au Niger où j’ai fait une partie de ma primaire, j’ai vécu au Burkina Faso à Ouagadougou où j’ai aussi fait une partie de ma primaire, et finalement j’ai vécu au Congo ou j’ai fait tout mon collège et le lycée dans une école française, et aujourd’hui je vis en France, et suis étudiant à E-artsup Bordeaux où je suis dans la formation Game et creative coding!

Gwénaël: alors pour faire court, je m’appelle Gwénaël Feuillard, j’ai 18 ans, et j’ai eu mon bac il y a bientôt 1 an de cela. L’année dernière j’ai passé des concours pour entrer dans des écoles de jeux vidéo que j’ai réussi. Cependant j’ai décidé de prendre une année sabbatique pour améliorer mon niveau en dessin car faire des études dans le jeu vidéo coûte cher, et je préférais prendre mon temps, et être sûr d’avoir le niveau pour ne pas me planter dès la première année. Et pour finir je voudrais être plus tard être développeur de jeux vidéo, même si je pense que c’était assez clair.

Quel est le plus vieux souvenir que vous avez et qui est lié au jeu vidéo ? Pouvez-vous nous le raconter ?

Moeva : Je peux pas affirmer que c’est véridique à 100% mais du plus loin que je me souvienne : quand j’étais bébé, aux Comores on était “en retard “ avec l’export et tout ça, on était clairement pas à la page niveau consoles et si je suis né en 1999 mes premiers pas sur des consoles étaient sur a vrai dire, une fausse console qui permettait de jouer avec des jeu de la Nes et des vielles consoles Sega. Ainsi mes premiers pas avec le jeu vidéo étaient Sonic et Mario, même si j’ai plus de souvenir avec Sonic, j’ai de cette époque finalement pas grand chose a dire.

Gwénaël : Pour ma part le plus vieux souvenir que je détiens en rapport avec le jeux vidéo, est celui d’Adibou sur un très vieil ordinateur à l’âge de 3 ou 4 ans. Dès l’instant où j’ai pu réfléchir, mes parents m’ont mis sur un ordinateur, il ne savaient pas vraiment s’en servir, mais vu que j’étais un enfant assez curieux j’ai assez facilement compris comment il fonctionnait ou du moins les bases et j’étais quasiment le seul à l’utiliser à la maison.

Est-ce que tu peux raconter un peu comment se passaient les temps de jeu vidéo ? (Organisation du temps, partagé avec les frères et soeurs, si les amis venaient jouer et tout)

Moeva : ça a vraiment beaucoup évolué avec le temps : Au début il n’y avait pas de restriction à ce niveau-là, avec mes frères et sœurs au début on jouait quasiment exclusivement sur des consoles portables, mais on jouait aussi sur console de salon et là on jouait toujours tous ensemble, le jeu vidéo à l’époque était quelque chose de familial avant tout, c’est très lié à là où j’ai vécu mais le jeu était vraiment vu comme un truc d’amis ou familial : je devais toujours privilégier les aventures multi pour que on puisse jouer quand il y avait des invités, ou quand j’avais de la famille avec moi. Avec le temps quand j’ai grandi, le jeu  est devenu une expérience plus solo, moins des instants de famille. Je n’avais pas le droit d’y jouer en semaine sauf si j’étais avec des amis ou de la famille. Si je devais ici dresser une comparaison, je sais que pendant très longtemps, le jeu vidéo a été chez moi une pratique multijoueur plutôt qu’individuelle, mes parents ont d’ailleurs été plus méfiants vis-à-vis du jeu vidéo vraiment au moment où j’ai commencé a jouer seul plutôt qu’en multi avec mes amis ou ma famille.

Gwénaël : Dans un premier temps il est important de savoir que je suis l’aîné d’une fratrie de quatre frères et sœurs, et j’ai aussi un demi frère âgé de deux ans de plus que moi. En ce qui concerne les temps de jeu ils ont énormément variés entre mon enfance et maintenant. Lorsque j’étais petit j’avais le droit de passer une heure sur ma console ou bien une heure sur l’ordinateur. Et généralement on ne jouait pas à des jeux multijoueurs en tout cas à l’époque où il n’y avait que moi, ma sœur et mon grand frère qui ne venait que pendant les vacances. En plus de cela nous n’avions à l’époque que des expériences solo, ce qui nous limitait. Puis mes deux autres frères et sœurs sont arrivé et la Wii avec, ce qui a poussé mes parents à acheter des jeux multijoueurs. À partir de ce moment le temps de jeux s’est multiplié par 3 voir même 4. De plus j’avais aussi une télé dans mon grenier que j’utilisais et sur laquelle je pouvais passer des heures sans que personne ne le sache vraiment.

Vous vous êtes pas mal baladés dans plusieurs pays d’Afrique, est-ce que vous pouvez nous donner votre point de vue sur les marchés du jeu vidéo ? Y’a t-il des pratiques particulières que tu n’as vu que dans ces pays ?

Moeva : Tout un tas à vrai dire, et je les connais surement pas toutes : En Afrique le premier truc que tu remarques vis à vis du jeu vidéo c’est en allant au marché, tu peux trouver énormément de consoles contrefaites, ou des consoles hack en vente (forcément des consoles hack de consoles rétro). En prenant en compte le prix que représente l’exportation, tout est plus cher la bas. Déjà que le jeu vidéo, ça reste une pratique qui demande beaucoup de moyens, bah forcément en Afrique avec le prix de l’export et le niveau de vie moyen des Africains, c’est encore plus compliqué. Alors tout un tas de truc alternatifs s’est développé  : déjà les fausses consoles qui sont vachement présentes dans les marchés, mais aussi le faite de “cracker les jeux “ et les “consoles”, j’irais pas jusqu’à dire que c’est ultra répandu en Afrique ou même que c’est unique là bas mais clairement c’est un truc “ancré” à la consommation du JV.

À vrai dire je pourrais élargir  à la “culture” tout court en faite, dire qu’on “crack”, ou regarde illégalement des trucs en France ça fait toujours un peu grincer des dents,  mais en Afrique avec la vitesse de la connexion, le prix de l’export + le manque d’infrastructures pour consommer des œuvres culturelles (on a pas de Fnac, être livré en Afrique c’est plus compliqué, le prix de l’export + le niveau de vie). Tout ça fait que on est beaucoup plus décomplexé sur ces choses là, aux Comores par exemple je sais que certains allaient au cybercafé rien que pour faire des téléchargements illégaux.

Pour répondre aussi à la question de base, il faut noter un truc important : il y a pas vraiment de marché du JV en Afrique, dans le sens où on ne représente pas du tout une cible ou à la limite une toute petite cible, et il existe quasiment pas de secteur du JV à part quelques petits studios indépendants qui naissent. À mon sens ce n’est pas grave, ça finira par venir, je reste persuadé que si il doit avoir quelque chose qui se développe en Afrique ils donneront les moyens pour que ça prenne réellement forme !

Gwénaël : Dans mon cas j’ai vécu en Afrique et plus précisément au Congo pendant 6 ans, de 2011 à 2017, sans jamais remettre un pied sur le territoire français. Cela signifie que j’étais complètement ancré dans la culture congolaise et que j’ai pu en voir toutes les facettes, pas seulement celles que certains de mes camarades de classes expatriés voyaient, mais aussi celles des classes moyennes et populaires congolaises. Pour ce qui est du marché du jeu vidéo dans ce pays, il est très particulier. Je me suis souvent promené dans des marchés avec ma mère et en fait en y restant juste quelques heures on comprend que plus de 90% des produits s’y trouvant sont d’origine asiatique et très souvent de mauvaise manufacture. Les consoles n’échappent pas à ce phénomène.  Le Congo étant un pays riche ne redistribuant pas ses richesses, il se retrouve avec une population très pauvres vivant avec des salaires moyens de 60000 francs CFA par individu (95€). De ce fait il est impossible pour les classe populaire de s’offrir des consoles dernière génération à 400€ depuis les pays occidentaux car en plus de cela il faut cumuler les frais d’importation qui font souvent flamber les prix. De cela résulte deux conséquences. La première étant l’arrivée en masse de contrefaçons de consoles des générations antérieures, car elles contiennent des éléments, des pièces à coût moindre. La seconde est une organisation du jeux vidéo en salle de jeux, un peu à la façon des salles d’arcade, les gens se retrouvent dans ces salles de jeux avec moins d’une dizaine de consoles, et paient tout simplement 25 ou 50 francs CFA pour jouer une partie sur fifa. Cela les pousse d’ailleurs à n’utiliser qu’une très petite gamme de jeux se limitant souvent aux simulations sportives, mettant de côté toutes les expériences plus individuelles.

Finalement, vous en tant que joueurs, comment a évolué votre pratique depuis que vous êtes enfants jusqu’à ce que vous arriviez en France ?

Moeva : Quand j’étais petit , jusqu’à ce que j’ai la wii, je jouais énormément en multi, car j’avais une famille grande, et les jeux vidéo ont toujours chez nous eu cet aspect très familial, à la limite je jouai en solo uniquement sur GBA et DS. Mais en grandissant ça a changé je jouais moins avec mes frères et sœurs et peu à peu je me suis tourné vers les expériences solo, et avec mon pc peu puissant j’ai beaucoup joué aux jeux indés et fait de l’émulation et sinon je jouais aux MMO japonais avec des amis car ça consomme pas beaucoup de connexion.

En France je me suis mis à beaucoup plus jouer en multi sur divers jeux avec mes amis d’un peu partout.

Gwénaël : En grandissant ma pratique du jeux vidéo s’est pas mal diversifiée, je passais la quasi totalité de mon temps avec Moeva, ce qui fait que j’ai les mêmes influences que lui pour la plupart. Je n’avais pas de connexion internet au Congo, du fait que j’étais dans une zone très mal couverte, ce qui fait que la plupart des jeux que j’essayais étaientt ceux que Moeva téléchargeait et les moins lourds étaient effectivement les jeux indépendants. J’ai aussi joué aux MMORPG d’Ankama à partir de mes 10 ans, qui je pense d’ailleurs font partie des jeux à m’avoir donner envie de faire du jeu vidéo. Puis en première et terminale, je ne faisais que travailler ce qui a considérablement fait baisser ma consommation de jeux vidéo qui a été presque réduite à néant.

Comment en es-tu venu à vouloir devenir game designer ? Que souhaites-tu faire après ?

Moeva : J’ai vraiment voulu devenir Game designer au collège/début de lycée, j’avais des amis à moi aussi qui voulaient le faire, et j’avais passé toute mon enfance a jouer au même jeu sur GBA, donc j’avais appris les mécaniques par cœur et je m’amuse à les analyser ou me poser la question de comment les améliorer, mais le véritable déclic c’est vraiment la découverte de ceux qui parlent de JV sur le YT français : a l’époque Ixost avec sa vidéo sur GTA IV qui m’avait marqué a un point incroyable, Pseudoless, et surtout Doc Géraud, tout ça ma fait me poser beaucoup de questions sur mon rapport au jeu vidéo, et surtout ça m’a fait réaliser tout ce que je pouvais faire avec le GD. C’est indirectement lié à là où je vivais : mais le fait que j’avais une mauvaise connexion a fait que je me suis directement tourné vers l’indépendant : là où watch dogs cotait 50e et j’y avais joué deux heures de déception, les jeux indépendants me demandaient une heure ou une nuit de téléchargement, tournaient sur mon pc daté et m’offraient des 100aines d’heures de jeu. D’ailleurs la vidéo faite par Tom_V parlant de l’avenir du jeu vidéo, en évoquant la décroissance : d’une certaine manière l’idée de composer avec ce que on a déjà et non pas chercher toujours une innovation contradictoire avec nos moyens, c’est quelque chose que je trouve déjà ancré en Afrique surtout dans mon pays d’origine les Comores.

A l’heure actuel plus tard j’aimerais pouvoir continuer à travailler dans le jeu vidéo en France.

Gwénaël : J’aimerais d’abord souligner le fait que je ne veux ni devenir game designer ni game artiste mais plutôt développeur de jeux vidéo. Je sais que cela peut paraître très idéalisé et je ne sais même  pas si le terme est correct mais par là je veux dire que j’aimerais un jour pouvoir gérer chacune des facettes de la conception à la production d’un jeu.

Je sais qu’aux yeux de certains cela peut paraître cliché, mais si j’ai d’abord eu envie de créer des jeux vidéo, c’était pour compenser ce que je ne pouvais pas faire dans certains. Ainsi j’ai commencé à prendre des notes, à faire des brouillons, à dessiner des armes que je n’avais pas dans le jeux, des objets, des cartes. Puis en 2010, j’ai découvert little big planet 2 qui fut ma plus grosse révélation sur un jeu, car ce dernier me donnait littéralement accès à un moteur de jeu gratuit, certes limité mais qui était déjà extrêmement ouvert pour un gamin de 11 ans; il permettait à la fois de construire ses environnement, mais aussi de leur imposer des contraintes physiques, de gérer le niveau d’eau, de brancher des moteurs et même de créer des petits robots appelés les sackbot auxquels on pouvait assigner un comportement. Ainsi j’ai plus ou moins découvert les rudiments du level design.

Aujourd’hui, quel sont vos regards sur la représentation des cultures africaines dans les jeux vidéo ? Arrivez-vous à citer des jeux qui y font référence ? Quel type de jeu semble le plus apprécié? En terme de visibilité, quelle image a le jeu dans les différents pays où il a pu vivre ? Quelles sont les références de jeux les plus connues/répandues? (question de Missmyu)

Moeva : Je trouve que les culture africaines ne sont pas assez représentées dans le JV, c’est dommage pour des raisons évidentes de représentation mais surtout : c’est tout un plan idéologique et mythologique, il y a une richesse folle pour créer des histoires qui est finalement peu, voir pas du tout exploité surtout dans le média jeu vidéo( sauf exception comme le cas du jeu indépendant  Aurion : L’héritage des Kori-Odan) , au cinéma il y a Black Panther qui a touché le grand public, mais a mon sens il reste beaucoup à faire, je n’arrive pas vraiment moi-même à citer des jeux auxquels j’aurais joué qui y font directement référence.

C’est peut être un peu hors sujet, mais je trouve important de noter qu’en Afrique une des problématiques dans les œuvres culturelles et même en général est de se détacher des cultures occidentales, dans le sens où culturellement un peu comme partout, on a été touché par la mondialisation, et surtout par la culture française. Quand il s’agit de nous même en créer on a tendance à suivre les standards et tenter de reproduire les schémas des œuvres d’autres pays surtout celles françaises, toute la question est vraiment de savoir exploiter nos propres codes et notre culture et c’est lié a vraiment tous nos médias a mon sens.

Ça varie vraiment d’un pays à un autre mais je sais que de manière générale les jeux les plus appréciés sont les AAA, où que j’ai pu aller, là-bas on a moins la culture du “rétro” en tout cas au niveau du jeu vidéo, ce qui est nouveau est synonyme de meilleur, là-bas avec l’accessibilité compliquée à internet, bah la télé reste un média dominant et les trucs qui marchent sont ceux qui ont le meilleur brassage médiatique, donc les jeux les plus connus sont à base de Assassin’s creed, Call of duty, GTA. Nintendo par exemple garde vraiment une image de console de jeu pour enfant. D’ailleurs quand je dis qu’on a pas la culture du “rétro”, il faut noter malgré tout que par exemple dans mon pays qui est très “en retard” sur le plan technologique, jouer a la PS2 ne fait pas de mal, les consoles les plus récentes sont favorisées mais on y joue pas dans l’optique de jouer à des vieux jeux.

Gwénaël : Contrairement à ce que l’on pourrait croire, certaines cultures africaines sont représentées dans les jeux vidéo, par exemple dans le dernier Assassin’s creed ou encore dans Uncharted 3. Cependant ce sont toujours les mêmes pays d’Afrique qui sont mis en avant, et le problèmes est que l’on ne représente jamais l’Afrique dites de “noire”; ou du moins c’est l’impression qui en ressort. Et pour ce qui en est Moeva a quasiment tout dit au dessus.

Un regard spécifique est il porté sur le fait que les productions soient essentiellement focalisées sur des personnages blancs? Un regard spécifique est il également porté sur la pratique du jeu vidéo dans le reste du monde? (question de Yue)

Moeva : je ne pense pas, mais le fait que les productions sont essentiellement focalisées sur des personnages blancs a un impact, même tout simplement le fait qu’on soit focalisé sur des problématiques occidentales, si autre part dans le monde la légitimité du jeu vidéo a encore du mal à trouver sa place, dans le jeu vidéo encore plus, il est là-bas véritablement considéré uniquement comme un média de divertissement. Toute la profondeur est moins présente voir pas du tout, pour finalement tout un tas de raisons : les productions qui trouvent écho sont les plus grosses sorties : entre un Call of duty, ou un Far cry, dur de s’y retrouver dedans en terme de thématiques ou problématiques.

Gwénaël : La question du personnage blanc ne se pose pas dans un pays tel que le Congo où le jeu vidéo se pratique comme à l’époque des salles d’arcades, le gameplay passe avant tout, le but est clairement de prendre du plaisir et du bon temps entre amis. De plus il est important de noter que malgré la colonisation, et les guerres que le pays a pu vivre, le congolais est un homme très pacifique et possède l’une des populations des plus métissées ; adorant tout simplement faire la fête et vivre. Le fait de se questionner sur la couleur d’un personnage n’aurait pas de sens pour eux car leur philosophie de vie se centre beaucoup plus sur leur façon de vivre tel que l’art de la sape, leur problèmes d’eau ou encore d’électricité ou autres problématiques du même type. Ce n’est même pas qu’il n’aimerait pas se questionner dessus, c’est tout simplement qu’il n’ont pas le temps pour cela.

Est ce qu’on entend du jeu vidéo que « ça rend violent » ou autres formes de clichés? Est ce que la prévention existe, les PEGI et tout le reste ? (Question de Yue)

Moeva : l’idée que le jeu vidéo rend violent est finalement pas du tout répandue, j’imagine qu’en cherchant on trouvera des gens qui l’affirment mais très honnêtement en Afrique, les gens ont tendance à voir le jeu vidéo comme un simple divertissement. Ils ne trouvent pas ça néfaste dans le sens de rendre violent. Il arrive de trouver des gens disant que c’est pour les enfants ou que c’est abrutissant, mais pas la question de la violence, ça s’explique aussi car toute les questionnements apportés depuis des années sur la question de la censure des œuvres en rapport avec la violence et autre et un débat qui au final en Afrique n’a jamais eu véritablement d’écho. En ce qui concerne le “PEGI” c’est le système hérité de France, et honnêtement la prévention autour n’est vraiment pas respectée, les limites d’âge ne sont pas respectées, mais toute les pubs à la télé pour prévenir des dérives, on les a aussi en général.

De vos expériences et vécus, pouvez-vous nous raconter comment cela se passe entre les gouvernements et leur gestion de l’Internet ? Quel impact cela a sur le jeu vidéo ?

Moeva : Pour le coup je vais parler uniquement du Congo car il est le cas le plus grave, et celui que je connais le mieux :

J’ai vécue à Pointe-Noire, je pourrais pas décrire totalement la situation politique mais c’est tendu, vraiment tendu, c’est de nom “ une démocratie “ mais finalement pas vraiment, voir pas du tout, c’est pas le sujet ici mais une chose est sûre : Internet est un atout de poids et ils le savent. Je suis moi-même un millenial qui a passé sa vie sur internet et qui assisté à tout un tas de phénomènes qui ont été possibles grâce à Internet. Malgré le fait que j’ai moi-même grandi en Afrique donc avec un accès plus restreint à Internet, je sais que c’est un atout incroyable. Dans un pays comme le Congo qui subit actuellement de forts conflits même s’ils ne sont pas directement apparents, et surtout qui essaye de garder une bonne image et maintenir “l’ordre”, Ils (les autorités, ndlr) font un truc simple  en cas de troubles politiques : mon année de première il y avait des périodes d’élections présidentiels, et pendant 1 semaine il n’y avait plus de connexion internet et pas d’accès aux réseaux sociaux et c’était clairement assumé. Empêcher tout rassemblement de se créer, couplé au fait qu’il était clairement déconseillé au gens de sortir de chez eux pendant cette période, c’était vraiment spécial.

La particularité de tout ça c’est que ça coupe à la fois le monde de toute information car le pays ne communique plus et empêche toute forme de rassemblement et les gens de se tenir au courant, quand je discutais avec des personne vivant à Pointe-Noire loin des endroits calmes, certains me racontaient que c’était le chaos, d’autres pouvaient me raconter des choses véritablement horribles, c’était d’autant plus flagrant car les membres de Total (une compagnie de pétrole en étroit lien avec le gouvernement, mais qui possède énormément de privilèges au Congo)  et leurs familles étaient enfermés dans des résidences spécialement pour eux, et à tout moment si ça dégénérait trop, ils étaient renvoyés directement en France.

Je m’éloigne pas mal du sujet de base, mais c’est pour insister sur l’idée que surtout au Congo, à Pointe-Noire, on a compris l’impact d’Internet, et le pouvoir que ça a et dans un pays qui subit de forts troubles, l’état connaît le poids que peut avoir internet et fait très attention à la manière dont il le gère. Je ferai constater qu’aujourd’hui je suis à l’aise pour parler de tout ça car je suis moi même en France, mais j’aurais jamais pu raconter tout cela quand j’y étais encore.

Honnêtement la pratique du jeu vidéo est finalement très peu impactée par tout ça.

Gwénaël : Donc comme Moeva j’ai vécu dans la ville de Pointe-Noire au Congo durant 6 années. Cependant je sais qu’à son opposé j’aurais tendance à dédramatiser la chose, ou du moins à concentrer mon attention sur d’autres points.

Alors en ce qui concerne le rapport de ce pays à internet, la majeure partie de la population n’y a pas accès, ou du moins n’y a pas accès de la même manière que les occidentaux. En france, la vitesse moyenne de l’adsl se situe aux alentours de 5 mo/s ; cela peut quelquefois être plus rapide ou plus lent. Au Congo la vitesse moyenne de la 3g se situe à moins de 200ko/s. Nous pouvons déjà y percevoir un manque de moyens techniques et d’intérêt évident de l’État pour les moyens qu’il met dans cette technologie. De plus les câbles internet passant par la mer cèdent tous les 6 mois ce qui n’arrange en rien la situation. Maintenant parlons du rapport de la population à internet et les principales activités qu’elle y pratique. Pour avoir passer beaucoup de temps avec les congolais, et de toutes les catégories sociales, allant du plus riche au plus pauvre, je sais et ce d’expérience que les congolais n’utilisent internet  quasiment qu’à travers les plus grosses applications de communications tel que Facebook, Whatsapp, Instagram et très peu d’autres. Des applications tel que Snapchat n’ont pas leur place, étant donné les capacités de la connexion. De plus au Congo, l’utilisation des ordinateurs est limitée, coûtant trop cher, la quasi totalité de la population n’y a pas accès. Leur utilisation se régit donc un peu de la même manière que pour les consoles, cette fois ce sont les cyber cafés qui permettent la location de ces machines à l’heure. Enfin, l’État encore une fois n’arrange pas la chose, en ne nationalisant pas les entreprises distributrices de l’internet, il n’a pas la capacité de réduire les frais d’internet, ce qui fait que les entreprises ont la possibilités de placer le prix de ce dernier là où elle le veulent. Là où un abonnement coûte une vingtaine d’euros en France, au Congo il en coûtera 150 pour une connexion avec un débit bien plus faible.

Passons maintenant au rapport entre le gouvernement congolais et internet. En mars 2016 ont eu lieu les élections présidentielles ; durant une période d’un mois nous avons été coupé du monde. Il est vrai que cela empêchait les gens de communiquer entre eux, de partager leurs avis vis-à-vis de la situation et de leur vote. Cependant, pour moi qui n’avait déjà pas l’habitude de passer mon temps sur internet, la sensation d’être coupé du monde existait déjà et je m’y étais fait, le congolais moyen aussi s’y était déjà fait. Le fait de couper internet était peut-être pour le président Denis Sassou Nguesso un moyen d’empêcher les gens de se rassembler et d’échanger, cependant le mauvais rapport de l’État vis-à-vis d’internet a habitué les congolais à user d’autre moyens de communications que ce dernier tel que les camions passant avec des prospectus pour annoncer les rassemblements. Je pense que c’est un peu hors sujet, mais il était tout de même nécessaire pour moi de mettre la lumière cela et bien faire comprendre que tout n’est qu’une question de point de vue.

Quand à ce qui est de son influence sur le jeu vidéo, je vous dirais que vu les moyens de consommation actuel du jeu vidéo au Congo, les vendeurs ont surement déjà craqué tous les jeux possibles et imaginables sortis sur les consoles jusqu’à la ps2 à peu près. Pour moi, une coupure d’internet pendant 1 mois n’a pas pu les gêner durant les élections présidentielles. Ils avaient largement de quoi consommer durant longtemps des jeux vidéo. Cependant il est vrai que cette coupure d’internet a pu effectivement gêner une toute petite partie de la population qui est la population expatriée. Elle ne représente pas plus de 2% de la population congolaise, cependant ce sont eux qui concentrent toutes les richesses et qui peuvent se permettre de conserver un mode de vie occidentale beaucoup plus accroché à la culture d’internet . Ainsi ces gens ont pu subir un changement dans leur manière de consommer les jeux et même de consommer l’information.

Merci beaucoup Gwenaël et Moeva ! A la prochaine ! ■

Parfois on meurt, parfois on vit, toujours en se battant.

Minit est un jeu dans lequel on incarne une personne qui se réveillant un matin, trouve une épée lors d’une promenade sur la plage. En la ramassant, tel Link dans l’opus sorti sur Gameboy, voit sa longévité se réduire à soixante petites secondes durant lesquelles notre avatar devra parcourir un monde afin de remédier à sa situation.

Les références à Zelda sont nombreuses dans ce jeu de rythme, proche dans l’esprit et l’intensité d’un WarioWare ou d’un Half Minute Heroes. A chaque minute nous mourrons et revenons à notre point de départ, sans pour autant perdre nos objets et nos avancées. Il y a une emphase mise sur le temps qui passe. Celui-ci est conscientisé car toujours présent à l’esprit de celui ou celle qui joue. On s’émerveille aussi du nombre de choses que nous pouvons faire en si peu de temps. La tension monte régulièrement à l’approche des dernières secondes. C’est un sentiment finalement très galvanisant. La mort n’est pas un échec mais plus un élément, un outil permettant l’imagination du joueur : « je suis mort, mais peut-être que si je fais ça de cette façon je pourrais… ».

Le jeu est finalement, en plus d’un éternel recommencement, un new game plus permanant dans lequel chaque objectif, quête et mission doit être réalisé en moins de soixante secondes. Si la proximité avec Zelda est fortement visible, celle avec les Monkey Island l’est un peu moins et pourtant, nous avons un système très proche de ces derniers dans le sens où de nombreuses quêtes correspondent finalement au fait d’apporter un objet particulier à une personne. D’une manière générale, on observe un phénomène de sérendipité : aider quelqu’un, en lui donnant de l’eau par exemple, fait que cette personne nous donne un objet nécessaire à la poursuite de l’aventure tout en nous proposant de le retrouver autre part pour autre chose. Contrairement à ce que l’on pourrait penser avec les soixante secondes accordées à chacune des vies du joueur, le jeu invite ce dernier à explorer le plus possible, ou du moins à observer finement les espaces explorables et à tester les limites, les détours et les contours possibles de la map.

L’humour repose finalement beaucoup sur l’expérience et la littératie du joueur jouant à ce jeu. Nous faire récupérer une épée au bord d’une plage au sud après notre réveil n’est pas anodin : nous vivons la même chose sur l’île de Kokolint dans Zelda : Link’s Awakening. A un autre moment, on découvre un sprite pour les palmes – objets permettant de nager – identiques à celles que l’on peut avoir dans l’opus Gameboy du héros Hylien.   L’humour est globalement plutôt référentiel donc. Très tôt dans le jeu, on découvre un chien se comportant de manière assez martiale et possédant un cache-œil : on peut y voir une référence à de nombreux chiens dans les cultures populaires dont D-Dog de Metal Gear Solid V. Globalement, le jeu alterne entre références et poncifs du genre de l’action-RPG.

C’est peut-être plus sur son histoire que le jeu se fait remarquer et notamment par les phénomènes qu’il n’explicite pas clairement. En ce sens, l’introduction du jeu m’a particulièrement interloqué sans pour autant savoir s’il s’agit d’une interprétation cohérente ou alors d’une surinterprétation. En effet, nous commençons le jeu sans timer régulant notre vie et c’est le fait de ramasser une épée qui va ajouter cette contrainte de gameplay. Autrement dit, c’est le fait de ramasser une arme qui raccourcit notre vie. Il m’est personnellement impossible de ne pas voir là un message, plus ou moins implicite, contre la prolifération des armes : leur production diminue notre espérance moyenne de vie. J’avoue être intéressé pour connaitre les intentions des auteurs à ce sujet. D’une manière générale, le jeu antagonise la production industrielle dans sa globalité – même si nous luttons précisément contre une entreprise qui produit massivement des armes. Ainsi, nous rencontrons tous les sujets liés à ces luttes sociétales : plaintes des consommateurs qui n’aboutissent pas, pollution et dégradation de l’environnement, production de masse, grèves de la part des salariés de ladite entreprise et une opacité des intérêts des personnes dirigeantes. L’aspect miteux de nombreux endroits que nous rencontrons tels que le magasin de chaussures ou l’hôtel sont d’autant de constat de la façon dont une industrie lourde peut fragiliser le tissu local en vampirisant la main d’œuvre notamment. De nombreux salariés de l’entreprise contre laquelle nous luttons se montrent insatisfaits de leur situation : en témoigne par exemple le gardien se rêvant photographe.

Il serait aberrant de concentrer le message du jeu uniquement sur cette lecture économique et sociale. Minit, créé par Jan Willem Nijman (Vlambeer), Jukio Kallio, Dominik Johann (CrowsCrowsCrows) et Kitty Calis, étonne par sa fraicheur en mélangeant avec humour des mécaniques typiques du jeu d’aventure à une course effrénée contre la montre. Son lore, pessimiste, offre quant à lui une vision critique des agissements de l’homme sur la nature et comme toujours, ces messages, implicites, restent nécessaires. ■

Esteban Grine, 2018

 

Quelle vérité peut contenir un jeu vidéo ?

La question « quelle vérité peut contenir un jeu vidéo ? » peut, à première vue, sembler naïve voire abstraite. Pourtant, la récente sortie de Kingdom Come : Deliverance et de Farcry 5 nous pousse à nous interroger sur ce pouvoir mystérieux, volontairement attribué à toute œuvre culturelle, que posséderaient les jeux vidéo. Dans le cas de Kingdom Come : Deliverance, ses auteurs lui attribuent une valeur dans le sens où ce jeu est censé représenter une réalité historique. Il y a donc bien cette idée de « vérité » potentiellement contenue. Cependant, les débats que sa sortie a engendrés ont questionné quelque chose d’autrement plus complexe qu’est la réalité historique. Critiqué pour les biais racistes de ses auteurs, on peut en effet se demander, au-delà du plaisir ludique de jouer à ce jeu, s’il est bien question d’une vérité contenue par le titre. Dans le cas de Farcry 5¸il s’agit d’une toute autre histoire. D’abord présenté comme une critique de l’extrémisme conservateur et raciste étasunien, le jeu a fait réagir des communautés suprémacistes blanches, ce qui a poussé Ubisoft à faire patte blanche en retirant tout discours potentiellement politique contenu dans son jeu. Dans ce cas, les possibles vérités contenues dans le jeu ont fait que des communautés d’interprétation ont pris peur.

Les deux cas que je viens d’évoquer sont révélateurs d’une discussion récurrente autant au sein des recherches sur les média et game studies qu’à l’extérieure entre les différentes communautés pratiquantes. Si la question pouvait sembler naïve, voilà maintenant une perspective intéressante. D’un côté nous avons un jeu qui finalement prend plutôt position pour défendre une représentation de l’histoire, il est donc difficile de parler de « vérité ». De l’autre, nous avons un jeu qui parce qu’il pouvait contenir une vérité a autant effrayé un groupe social que ses créateurs. « Est-ce qu’un jeu vidéo peut contenir une vérité ? » reste donc une question entière. Et si arrêter sa réflexion ici peut satisfaire le Stéphane Bern du jeu vidéo, il reste malgré tout de nombreuses choses à révéler.

Tout d’abord, il est important de qualifier ce que l’on entend par vérité car finalement, lorsque l’on y réfléchie bien, je n’ai encore rien dit qui mérite d’y prêter une oreille attentive. C’est donc à partir de ce moment que les choses sérieuses vont commencer.

Une première chose à noter est que la question, telle qu’elle est actuellement ne définit pas ce que l’on entend par vérité. Cela ne situe pas non plus l’ancrage théorique sur lequel nous appuyons cette définition. Par exemple, un jeu vidéo contient obligatoirement une vérité de manière absolue : celle de représenter fidèlement son code par des procédés graphiques et techniques. En tant que logiciel informatique, le jeu contient obligatoire une vérité : celle d’une machine qui parvient à traduire un code en assets, gameplay, etc. La vérité, au niveau informatique, est donc assimilée à une lecture et une application fidèle du code par la machine. Lorsqu’une erreur de lecture apparait, soit le jeu ne peut fonctionner, soit la vérité que son code contient ne peut être comprise par la machine. Le problème se situe alors, non pas en ce que l’objet contient, mais au niveau de l’interprétation et de la traduction du code.

De manière absolue, tout jeu fonctionnel contient une vérité informatique mais on peut jouer encore plus finement lorsque l’on pense les jeux vidéo comme des logiciels. Pour l’instant, je n’ai fait que l’hypothèse d’une vérité en relation avec le monde en dehors du jeu. Cependant, on peut très bien supposer que le jeu peut contenir une vérité par rapport à lui-même. Undertale¸ qui est certes une expérience cryptique et autonome de gauche, contient de nombreuses vérités que n’en seraient pas si l’on sortait de sa diégèse. Le jeu commence par des éléments de récit nous expliquant que les monstres ont été enfermés sous terre suite à leur défaite et en effet, nous rencontrons ces monstres dans ce monde sous-terrain. Parce que le jeu est un système cohérent d’une multitude d’énoncés, alors il contient de nombreuses vérités.

Cependant, il ne s’agit peut-être pas de cette vérité à laquelle les gens font référence lorsqu’ils et elles se posent cette question. Du coup, il convient alors de changer notre angle de vue pour délaisser le jeu vidéo observé comme un programme informatique ou un système cohérent pour cette fois le considérer comme une œuvre, une création issue d’un être humain. A ce moment, nous entrons donc dans le domaine du jeu vidéo pensé comme une fiction. Le terme est suffisamment parlant pour tout de suite piquer l’oreille : une œuvre de fiction peut-elle contenir une vérité ? Probablement, je ne pense pas avoir à démontrer cela. Si l’on suppose qu’une vérité se définit comme une correspondance entre un énoncé et la chose réelle qu’est censé contenir l’énoncé, alors, on peut accepter l’idée de vérité dans toute œuvre de fiction. Si j’observe que le ciel est bleu dans Call Of Duty alors je peux supposer qu’il y a bien une correspondance avec la chose réelle : nous avons effectivement aujourd’hui un ciel bleu. Dans Night In The Wood¸ le joueur voit des personnages représentant plus ou moins partiellement des réalités sociales étasuniennes. On apprend à un moment que la famille Borowski a obtenu un « crédit subprime ». Etant de « mauvais payeurs », leur maison est potentiellement la propriété de leur banque. Cette fiction correspond partiellement à une réalité : celle de nombreuses familles étasuniennes lors de la crise économique de 2008. Dans ces deux cas, le jeu vidéo contient au moins une vérité, plus ou moins partielle puisque celle-ci n’est pas mathématique mais correspond d’une manière plus ou moins aboutie à des phénomènes réels et issus d’expériences de vie. Ces vérités ne sont d’ailleurs pas forcément liées à des représentations « réalistes ». Les jeux sont des métaphores en acte disait Henriot ou des allégorithmes selon McKenzie Wark, c’est-à-dire des allégories générées par du code informatique. Bound représente particulièrement bien cela. Sous ses airs de conte de fée – nous avons tous les personnages nécessaires : une reine, une princesse, un héros et un monstre – le jeu décrit les relations complexes d’une famille plus que fragile. On y incarne une personne dont le seul refuge pour se protéger de tout est la dance, son havre de paix intérieure. Sous forme de métaphore, nous avons là encore une vérité, quelque chose qui correspond à une réalité. Une réalité finalement très personnelle, très individuelle comme un témoignage.

A partir de ce moment, on peut commencer à amener un élément de réflexion en comparant Night in the wound, Bound, Kingdome Come et Farcry 5. Le jeu vidéo semble pouvoir aisément contenir une multitude de vérités au niveau des individus, à propos d’enjeux concernant une personne ancrée dans sa réalité. Cependant, il apparait complexe de pouvoir prétendre à autre autre chose. Night in the wood reflète cela. C’est un jeu qui ne contient que des situations véritables à l’échelle des individus, rien de plus. Là où il devient important de se méfier, c’est finalement lorsqu’un jeu prétend contenir des vérités à l’échelle d’un pays ou de l’Histoire. Finalement, en disant ces propos, je réinvente plus ou moins la roue en appliquant une réflexion constructiviste à ce média : les jeux vidéo sont des œuvres de fiction. Comme ce sont des œuvres, elles contiennent les représentations que leurs auteurs ont de la réalité. Il ne s’agit donc pas de vérités mais seulement de ce que certains pensent être des vérités.

Ainsi, lorsque la question « quelle vérité contient le jeu vidéo » est posée, il s’agit principalement d’une question d’échelle. Le jeu vidéo a plus de chance de contenir des vérités à hauteur d’individus que des vérités à l’échelle de l’humanité ou de son Histoire. Cependant, il apparait qu’une dernière question subsiste : « quelle vérité contient le jeu vidéo » peut aussi être reformulée de la façon suivante : « est-ce qu’il est possible de faire tenir le jeu vidéo dans une seule et unique vérité » A cela, je répondrais qu’il faudrait d’abord supposer que le jeu vidéo, en tant qu’idée, existe, ce qui n’est pas quelque chose de nécessaire ou d’important. On peut cependant toujours se poser la question. On ne trouve pas toujours, mais il importe de chercher.

Esteban Grine, 2018.

Le joueur, un auteur comme un autre ? Post Mortem d’un article à 20 mains

L’auteur de jeu vidéo est mort, vive l’auteur.

Je prends enfin le temps de rédiger sur une expérience de recherche que j’ai vécu et terminé au tout début du mois de mars. Si j’ai mis autant de temps à partager à son sujet, c’est parce que je souhaitais être sûr que tout soit bouclé afin de pouvoir passer proprement à quelque chose d’autre. Cette expérience de recherche est liée à la publication d’un article dans le dernier numéro de la revue « Le Pardaillan ». Il s’agit de la première revue dans laquelle j’ai publié et pour son dernier numéro, il fallait proposer une réflexion autour du thème « signatures ». Sous-entendu, on pouvait interroger l’objet lui-même, le fait de signer mais on pouvait aussi pousser afin d’interroger plus généralement celui qui crée et laisse une trace de son acte sur sa création. La proposition de l’article s’est donc orientée vers cette problématique appliquée au jeu vidéo et plus précisément aux joueurs et joueuses.


Pour citer mon article :

Giner, E., Pannelay, J. et alii. (2018). Entre rouages mécaniques et créateurs organiques : signatures et citations de comportements vidéoludiques. Le Pardaillan (4). Paris : Les éditions de la Taupe Médite du centre international Michel Zevaco.


En effet, une discussion courante au sein des game studies et en dehors consiste dans la façon dont on répartit les rôles d’auteurs-créateurs entre les développeurs et les développeuses du jeu et les joueurs et les joueuses. S’il n’y a pas de consensus sur le sujet – tant mieux au final – il y a très sommairement deux positions opposées sur un même continuum. D’un côté, les procéduralistes tels que Juul s’attachent clairement au jeu vidéo comme un objet, un programme informatique. Dans son livre de 2016, Bogost va jusqu’au point d’extraire complétement la caractéristique et l’attitude ludique de l’être humain pour n’en faire qu’un élément composant les objets qui l’entoure. De l’autre, les personnes qui vont prendre en compte l’importance du joueur et dans la façon dont il attribue des propriétés ludiques à un objet quel qu’il soit. C’est le cas de Miguel Sicart par exemple qui en 2014 dans Play Matters présente les jeux vidéo comme des contextes dont des individus peuvent se saisir dans le but de jouer.


Pour soutenir la revue, vous pouvez acheter le numéro contenant mon article ici : http://lataupemedite.michelzevaco.com/index.php/catalogue-le-pardaillan/?&SingleProduct=15


Dans tous les cas, nous avons fait le choix de ne pas aborder cette discussion. Sans pour autant la critiquer, nous avons plutôt souhaité directement observer des phénomènes actés et observables qui se rapprochent de la citation ou de l’attribution d’une création ou d’une découverte. Sommairement, nous avons travaillé de manière exploratoire trois matériaux de recherches, trois terrains, trois phénomènes pour en extraire ce que l’on peut considérer comme des preuves attestant l’existence d’un auteur joueur. A l’issue d’une première partie posant un cadre théorique à ce que l’on peut considérer être un joueur-auteur (Heidenreich, 1989 ; Boisson, 2003 ; Marti, 2014) mais aussi comme un interprète proposant des performances scéniques (Frasca, 2001 ; George et Auray, 2011 ; Barnabé, 2014 ; Wagner, 2006 ; Mora, 2009 ; Verchere, 2013 ; Taylor, 2015), nous avons constitué un corpus exemplatoire provenant de l’e-sport, les plays extraordinaires (assimilant les joueurs à des comédiens faisant de nombreuses interprétations du fait de jouer) et les communautés de speedrunning. Nous concluons que si la théorie peut rester dans une discussion, notre approche par les usages constate des phénomènes irréfutables pour ce qui est de penser les joueurs comme des auteurs au sein de communautés de pratiques. Nous précisons cependant que si les joueurs ne sont pas les auteurs de récits, ils peuvent être considérés comme tel pour ce qui est des comportements, de techniques mais aussi lorsqu’il s’agit de découvertes partagées aboutissant à une meilleure compréhension du jeu en tant qu’objet informatique. Le statut de « découvreur » s’ajoute alors à celui d’auteur.

L’auteur de l’article est mort, vive l’auteur.

C’est là que vient l’idée d’organiser finalement une collaboration avec de nombreuses personnes pour rédiger cette publication. Pour cela, j’ai très vite sollicité Joël, coauteur de l’article pour ce qui est de l’organisation. Au final, ce que j’ai écrit précédemment dans ce billet n’est donc pas le fruit d’une réflexion personnelle. Il s’agit bien plus de l’aboutissement d’une réflexion collective et c’est ce que je vais maintenant évoquer car finalement, nous avons rencontré beaucoup de déconvenues mais aussi quelques moments de joie et de partage. Pour raconter cela, je vais  adopter une démarche chronologique des faits en remontant à septembre 2017.

Le choix de cette période n’est pas anonyme puisque c’est à cette période que j’ai obtenu la validation de la directrice de la revue, Luce Roudier, pour l’idée d’un article collaboratif pour le numéro (4) consacré aux signatures. Le fait d’avoir rédigé un article dans lequel il est impossible de savoir qui a écrit quoi et qui est finalement publié dans un numéro consacré à un constat de l’existence d’auteurs rend à l’ensemble un goût délicieusement méta qui n’est pas pour me déplaire. Donc, suite à l’acceptation de la proposition, j’ai contacté Joël courant octobre-novembre pour lui expliquer l’idée et mon besoin : gérer cela seul me semblait alors impossible compte-tenu de nombreuses autres échéances qui m’étaient imposées : communications en novembre, en décembre et des papiers à envoyer pour janvier.

Une fois que nous nous sommes mis d’accord sur l’organisation avec Joël – nous avons même fait un rétro planning – le projet est un peu tombé à plat entre octobre et décembre. Nous avions planifié de lancer un appel à participations fin novembre, celui-ci a été publié début janvier. Globalement, nous avons pris du retard à ce moment. Malgré tout, l’appel à participations a quand même été un succès puisque huit personnes se sont greffées au projet et ce, avec des profils extrêmement variés. Nous avons recruté des chercheurs déjà en poste, une masterante, un salarié dans le privé, un futur doctorant, une étudiante de licence et deux étudiants de collège et lycée. En termes de formation à la recherche par la recherche, j’ai l’impression d’avoir fait de ce projet quelque chose qui s’y rapproche.

Tout cela nous amène donc à janvier, mois durant lesquels l’équipe devait se rencontrer afin de discuter et échanger en direct sur les pistes que devait prendre à l’article. Pour rappel, en janvier, rien de ce que j’ai résumé dans la première partie de ce billet n’était pensé, construit ou évoqué : une page blanche totale. Pour nous organiser, j’ai donc crée un serveur discord sur lequel toute l’équipe pouvait discuter en direct soit par écrit, soit par vocal. La première rencontre (le deuxième dimanche de janvier) synchrone a clairement été un échec total et absolu, comme la seconde tentative le dimanche suivante et la troisième tentative. Finalement, le mois de janvier s’est résumé à cela. Il apparait que le travail synchrone est très complexe à mener voire impossible lorsque nous sommes dix avec des contraintes d’agenda : difficile de pouvoir connecter en même temps un collégien avec un chercheur. Notre équipe comprenait tout de même des personnes  dont les âges variaient entre 14 ans et plus de 30 ans.

Du coup, début février, nous avons dû avec Joël changer de mode opératoire afin que le projet ne reste pas totalement enlisé dans l’inaction. Si au début, on souhaitait une certaine horizontalité de la chose, j’ai dû finalement attribué à chacun un rôle et des sujets sur lesquels il fallait rédiger. Pour cela, j’ai dû prendre en compte les compétences de chacun. Joël et moi étions principalement chargés de l’introduction, des transitions et de la conclusion. A partir de ce moment, les échanges ont uniquement transité par discord en asynchrone. Si nous avions eu plus de temps dès le début, alors nous aurions pu avoir une organisation plus horizontale. Malheureusement, l’échéance arrivant au 1er mars, il a fallu accélérer les choses. J’avais donné le 20 février comme échéance pour que les textes nous soient remontés. Nous les avons finalement reçus autour du 23 ce qui nous laissa alors cinq petits jours pour faire les corrections, les mises à jour, les raccords, etc. Cela a été pour moi 5 journées éprouvantes. C’est aussi à ce moment que je remarquai avoir commis des erreurs. La plus grosse faute qui m’est imputable et que j’ai fait une demande à un auteur et sa contribution n’a quasiment pas été utilisée dans le document finale. Ayant la tête dans le guidon, je n’étais même plus capable de remarquer les quelques phrases que j’ai pu récupérer de son travail (qui devait faire une page et demi). La deuxième erreur que j’ai commise et que lors de la correction finale avant l’envoie à Luce, j’ai désactivé les droits de modification du document collaboratif contenant la dernière version du papier. Cela a coupé l’élan de certains auteurs qui était en train de corriger.

Il est certain que j’oublie des choses à propos de cette façon de travailler et d’aboutir à un document que je considère scientifique, même si nous pourrions discuter de cela. Il est tout aussi certains que je n’ai pas pu assurer le rôle que j’envisageais véritablement : entre déconvenues, absences et manquements, je n’ai clairement pas assuré à 100% le rôle d’auteur principal et de coordination. C’est quelque chose de finalement très complexe qui mériterait probablement une autre forme d’organisation. Si c’était à refaire, je privilégierais le format d’une jam pour ce genre de production à l’avenir. Quitte à créer des contraintes autant que celle-ci soit prennent une forme temporelle, thématique et toujours, évidemment, collaborative. Peut-être aussi que le travail en présentiel semble être une réponse à de nombreuses critiques qui pourraient être adressées à notre groupe de travail. Cela pourrait être intéressant, pourquoi pas, de tester par exemple des méthodes dignes de l’OULIPO. Un regret que j’exprime est de ne pas avoir pu travailler à un moment dans le temps, tous ensemble, sur un même document. C’est quelque chose que j’aimerai voir et vivre un jour, d’où l’envie de travailler sur un article en instaurant des conditions de jam – et pourquoi pas toute une revue ? ■

Esteban Grine, 2018.


Bibliographie de l’article publié dans Le Pardaillan

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Ce que les isekais disent des jeux vidéo

Figure 1 : Un lapin à corne, premier ennemi des vrmmo.

Depuis quelques temps, je concentre ma lecture de mangas sur le genre de l’isekai. Il s’agit d’un sous-genre de la bande dessinée d’aventure qui base ses ressorts scénaristiques sur les jeux vidéo de rôle. Dès lors, le point de départ de ces aventures est généralement le fait qu’un ou une joueuse achète un jeu du genre des vrmmo (des jeux massivement multijoueurs en réalité virtuelle) et  l’on va suivre progressivement ses péripéties comme c’est le cas dans Only Sense Online. Un deuxième ressort est d’amener pour une raison ou une autre le fait que ce joueur ou cette joueuse se retrouve bloqué·e. C’est le cas dans sword Art Online. Un autre ressort scénaristique est de transférer le personnage principal d’un monde à un autre, soit parce qu’il a été invoqué comme dans le cas de Tate no Yūsha no Nariagari, Konjiki no Word Master ou encore Overlord soit parce qu’il est décédé dans son monde originel comme dans Re : Monster et Kono Subarashii[1]. Je pourrais encore continuer en mentionnant d’autres œuvres, je pense par exemple au manwa ½ Prince. A partir de ce corpus d’œuvres, je souhaite mettre en exergue la façon dont ces objets représentent les jeux vidéo et ainsi que les intéractions entre les joueurs et les règles de gameplay.

Figure 2 : Le lapin à corne est étrangement une créature récurrente de l’isekai.

L’une des premières choses qui m’a frappé lors de la lecture de ces mangas est la façon dont le héros est présenté comme ayant des compétences cheatées. Il y a dès le début de ces récits un déséquilibre fondamental lorsque l’histoire se prétend sérieuse. A l’inverse, l’absence de compétence particulière rendant le héros atypique peut devenir un ressort humoristique comme c’est le cas dans Konosuba. Globalement, l’ensemble des personnages principaux sont présentés avec des compétences qui déséquilibrent l’intégralité des interactions. Dans Konjiki no Word Master, Okamura Hiiro (qui fait référence au mot anglais « hero », yuusha en japonais) possède le pouvoir de matérialiser tout ce qu’il écrit à la pointe de ses doigts. Après l’une des premières utilisations qu’il fait de son pouvoir, il conclut lui-même qu’il s’agit d’une forme de triche (figure 2).

Figure 3 : Hiiro à propos de son propre pouvoir.

Dans Overlord aussi le personnage principal est présenté comme un joueur expérimenté lui donnant un avantage conséquent par rapport aux autres personnages. De même, dans Re : Monster, celui qui devient central à l’intrigue, Tomokui Kanata, se présente au lecteur comme étant quelqu’un ayant déjà une compétence cheatée dans son monde d’origine (à savoir l’acquisition de caractéristiques propres à celui ou celle qu’il dévore). Si au début cela n’aboutit pas à la mise en place d’un écart entre lui et le reste des protagonistes, cela va très vite devenir un élément distinctif.

Figure 4 : Kanata s’adressant directement au lecteur pour expliquer un élément scénaristique.

Ainsi dans ces cas, le grinding n’est pas forcément quelque chose d’important. A l’instar d’autres mangas, comme One Piece[2]¸il ne s’agit pas d’une étape intéressante à illustrer : il est plus important de se concentrer sur les faits d’armes des personnages. Cela peut très bien se comprendre d’un point de vue du rythme de l’œuvre mais aussi des émotions que les auteurs et autrices veulent susciter. Dans le cadre des isekai, les émotions recherchées semblent être clairement les sentiments galvanisants liés au dépassement de l’individu sur ce qui l’entoure. Pourtant, il ne s’agit pas d’associer cette galvanisation à celle que l’on peut ressentir dans les nekketsu tels que Naruto ou Bleach.

Il est intéressant d’observer à ce moment un premier lien direct avec les jeux vidéo qui est la compréhension des mécaniques de gameplay. Les isekais se concentrent énormément sur de nombreuses explications. Celles-ci sont généralement transmises par le personnage principal dans de nombreux monologues. C’est quelque chose de particulièrement frappant dans Toaru Ossan No Vrmmo Katsudouki. Dans ce light novel adapté en manga, le personnage principal dont l’avatar est nommé Earth s’adresse régulièrement au lecteur afin d’expliquer directement les règles du jeu.

Figure 6 : L’explication de Earth 2/2.
Figure 5 : L’explication de Earth 1/2.

Cela relève alors de la métalepse, c’est-à-dire de l’information extra-diégétique, dans un jeu vidéo se trouve formalisé sous la forme d’un aparté directement adressée au lecteur dans une bande dessinée. J’en observe deux dans les isekais. (1) Les métalepses adressées aux personnages de la fiction comme dans Re : Monster où le personnage principal entend une voix dans sa tête ou comme dans Konjiki no Word Master où des interfaces de gestions et de didacticiels apparaissent lorsqu’elles sont invoquées par les personnages et (2) les métalepses directement adressées aux lecteurs et qui sont extra-diégétiques à la fiction contrairement aux premières.

Figure 7 : la voix interne de Rou lui annonçant avoir acquis un objet.
Figure 8 : konjiki No Word Master et son système de métalepses à l’intérieur du récit.

Dans les deux cas, il y a une forme de contrat entre le lecteur et l’auteur pour considérer cela comme faisant partie de la fiction : le héros s’adresse directement au lecteur en l’intégrant dans la fiction bien que simultanément, il y ait bien un mouvement depuis le récit vers ce qui n’en relève pas : le lecteur. Les mangas emploient très fréquemment ce type de méthodes pour faire de l’exposition. Il ne s’agit donc pas de quelque chose de propre à l’isekai mais je relève surtout ici que ce qui relève de moments extra-diégétiques actés par la machine devient une adresse directe au lecteur. Le didacticiel d’un jeu n’est alors qu’une explication ou l’exposition de ce que le ou la personnage principale comprend du monde qui l’entoure.

Dès lors, ce qui est mis en exergue dans ces œuvres n’est ni la mise en scène, ni les rencontres avec des opposants toujours plus puissants. Au contraire, c’est fondamentalement la compréhension et la préparation des combats en amont qui sont ici valorisées et ce, dans une tradition proche des écrits de Sun Tzu dans l’art de la guerre.

On s’aperçoit que de nombreux récits font un parallèle entre les classes de personnages et les classes sociales en encastrant ces premières dans des considérations sociales. En effet, on retrouve cela par exemple dans Only Sense Online lorsque Yun, le grand frère peu joueur incarnant une crafteuse[3], se fait critiqué par sa petite sœur, joueuse régulière, pour le choix de son build (ses compétences).

 

Figure 9 : Yun se faisant critiquée par sa soeur.

Dans Tate No Yuusha No Nariagari, le personnage principal comprend son désavantage lorsque personne ne décide de le rejoindre pour l’accompagner dans ses aventures. Dans les lectures que j’ai à ce jour, les personnages principaux choisissent des classes et des compétences qui sont globalement en retrait par rapport aux canons plutôt guerriers valorisés par les joueurs. C’est là pour un moi un point particulièrement flagrant des isekais : ils soutiennent l’idée que le plaisir de jeu acté ou observé provient de la compréhension, de la combinaison et de la manipulation des règles.

Figure 10 : le désavantage observé par le Héro au bouclier.

L’enjeu n’est alors pas d’observer des combats entre joueurs mais de lire la façon dont un joueur particulier lutte contre la machine, ou plutôt, affine sa compréhension et crée des connaissances à partir des règles de gameplay. Il s’agit alors aussi de révéler ces mécaniques puisque les personnages prennent régulièrement la parole où sont illustrés en train de découvrir.

Alors oui, j’aurais pu évoquer la façon dont les technologies sont présentées pour jouer à ces vrmmo : des casques qui par une pirouette scénaristique prennent aussi en compte l’odorat et ce qui relève du tactile.  J’aurais pu aussi évoquer la façon dont les personnages comparent leur vie de tous les jours avec celle qu’ils ont en jouant.

Ce sera pour un prochain billet peut-être. En attendant, voici donc les enseignements que je retiens de l’isekai : ceux-ci sont des œuvres plutôt optimistes et évangéliques qui traduisent sous la forme d’une bande dessinée l’intérêt porté à l’immersion absolue dans un jeu. Si ceux-ci sont joués en multijoueur, on retrouve pourtant généralement des personnages solitaires qui découvrent le monde. Métaphore finale de ce que sont finalement les jeux vidéo : des expériences individuelles partagées collectivement. ■

Esteban Grine, 2018.

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Figure 11 : La classe absolue.

  • Bibliographie indicative

Allain S. et Szilas N., (2012). Exploration de la métalepse dans les « serious games » narratifs, STICEF, n°19

Delbouille, J., & Barnabé, F. (2017). Jeu, narration et réflexivité : le rôle de l’avatar. Consulté à l’adresse https://orbi.uliege.be/handle/2268/214959
  • Ressources vidéo de personnes ayant déjà parlé de l’isekai
Ryo Va Vous Causer ! (s. d.). Gamers! ne parle pas de jeu vidéo, mais c’est tout de même bien. Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=7o0q4osD8Hg&feature=youtu.be&list=PLoJN8llqsKOVrfPYXL4GnpUBOhIaCkpqo
Teromik. (s. d.). Dissert’ 13 (3.1/3) : Dragon Ball et introduction à l’Isekai. Consulté à l’adresse https://www.youtube.com/watch?v=biWufbPFC0w
  • Notes de bas de pages

[1] abrégé Konosuba

[2] qui par deux fois, au moins, fait des ellipses pour signifier la montée en puissance de Luffy sans avoir à l’expliquer : on peut notamment penser à l’arc Water Seven dans lequel Luffy utilise pour la première fois le Gear2 et le Gear3. On peut aussi évoquer l’ellipse de deux années après la mort de Portgas D. Ace, période durant laquelle Luffy apprend à maitriser le Aki.

[3] c’est-à-dire une artisane.