Thèse, Année 1.

Ca y est. Ma première année de thèse est terminée. Le début de la fin. C’est donc un moment intéressant pour faire le point sur mes recherches, mes projets et mes difficultés. Il se trouve que j’écris cette introduction après avoir rédigé cet article. En effet, celui-ci est particulièrement décousu. Je l’avais commencé pour une communication puis je l’ai poursuivi pour faire un bilan de l’année 2017. C’est pourquoi je prends le temps d’écrire maintenant cela : afin d’avertir le lecteur du changement de registre que j’effectue progressivement dans cet article. Nul doute qu’in fine, cela me fera rire. Bonne lecture !

L’avancée de mes recherches

La question de l’impact des jeux vidéo est récurrente dans les recherches portant sur cet objet.  Zagal (2010) revient dessus en expliquant que ce débat a lieu entre les tenants de la catharsis et les tenants de l’apprentissage social. Les premiers rejetteraient alors leur existence à travers des discours plus ou moins véhément. Les seconds considèrent ces objets comme des systèmes de représentations qui sont portés aux joueuses et joueurs. Dans le cadre de mes recherches, je considère les jeux vidéo comme les supports de discours et de représentations. Ainsi, l’une des hypothèses que je soutiens dans mes travaux est que les jeux vidéo peuvent être considérés comme des situations d’apprentissage et des supports d’apprentissage. J’aborde donc la question des impacts par la façon dont on apprend en jouant. Je cherche donc à modéliser les approches pédagogiques volontairement ou involontairement mobilisées dans la façon de game designer, c’est-à-dire de structurer, un gameplay. Pour cela, je rapproche le concept d’aire intermédiaire d’expérience (Winnicott, 1975) mobilisée par Genvo notamment pour décrire la situation de jeu (2013) de la zone proximale de développement de Vygotsky (1934). Cette dernière correspond au moment durant lequel, lorsqu’il est accompagné, un individu peut atteindre les objectifs qui ont été fixés.  Dès lors, le game design apparait comme un outil permettant au game designers et game designeuses de situer le ou la joueuse dans sa zone proximale afin d’atteindre un objectif donné. Je fais donc l’hypothèse qu’en observant le game design, il m’est possible de modéliser les différentes approches pédagogiques. Je catégorise alors les séquences de jeu en événements d’apprentissage-enseignement selon le modèle de Poumay & Leclerc (2008). Par exemple, il peut s’agir d’une situation d’apprentissage par exercisation. Dans ce cas, on peut supposer la volonté du game designer.euse à susciter l’acquisition d’un réflexe chez le ou la joueuse. Au contraire, s’il s’agit d’une situation d’apprentissage par exploration, alors le ou la joueuse sera plus libre dans les messages et les conclusions qu’il ou elle peut tirer d’une séquence de jeu.  En catégorisant de cette façon les situations rencontrées, il me semble possible de situer la façon dont le discours d’un jeu se présente aux joueuses et joueurs. Ainsi, mes travaux sont à la croisée de la discussion entre les persuasive games de Bogost (2006) et les expressive games de Sébastien Genvo (2016). Trépanier-Jobin (2016) voyait une limite à l’utilisation de ces concepts de manières exclusives, si c’est l’un ce n’est pas l’autre, puisqu’elle considérait alors que la distinction se faisait à partir des intentions des auteurs autant chez Bogost que chez Genvo. Il me semble possible de résoudre ce dilemme avec la méthodologie et la focale que je propose en observant les situations d’apprentissages composant les jeux vidéo. Dès lors, persuasive ou expressive ne seraient plus des genres se rapportant à l’éthos d’un jeu, c’est-à-dire la façon dont il présente son discours par son game design. Au contraire, ceux-ci seraient deux extrême d’un même continuum et ne se rapportant plus à un jeu dans son entièreté mais plutôt à des objectifs pédagogiques définis a posteriori par un ou une observatrice.

A travers cette proposition de modélisation, je compte retranscrire ce que des joueuses et des joueurs observent des jeux auxquels ils et elles jouent mais c’est un pan de mon travail que je n’ai pas encore pu entamer et que je compte faire cette année. L’intérêt de cela est d’observer les apprentissages observés en jouant.

Corpus & pistes de terrains

En parallèle de ce travail, j’ai démarré en 2017 une première méthodologie de terrain qui consiste au recueil de témoignages puis à leur traitement. Un premier appel à témoignage intitulé « Les Madeleines Vidéoludiques » m’a permis de réunir 14 témoignages écrits de joueurs. Il s’agissait dans cet appel de traiter du sentiment de nostalgie. Aujourd’hui, je prépare un appel sur un autre sentiment. La raison de ces recueils est que je m’intéresse aussi à la façon dont le fait de susciter un sentiment par rapport à quelque chose représenté dans un jeu vidéo peut venir modifier un système de représentations. Un exemple concret de cela peut-être le regret que l’on ressent du fait d’une action commise sur le monde. En ce sens, dans la veine des travaux de Frome (2006) à propos des émotions dans les jeux vidéo mais aussi des travaux de Barnabé et Delbouille (2017) à propos de l’agentivité des joueurs et joueuses. Dès lors, j’essaie d’observer les modifications de comportements et de systèmes de représentations et ce, par les sentiments que le game design nous suscite. J’essaie de faire une passerelle entre cela et les situations d’apprentissages que j’ai déjà présentées en faisant l’hypothèse suivante : un événement d’apprentissage suscite une émotion aux joueuses et joueurs en tant qu’agent et c’est par le biais de cette émotion suscitée qu’une modification du comportement peut s’opérer. L’émotion qui m’intéresse le plus et sur laquelle je pense que je me focaliserai à terme est le regret. Cette émotion a déjà été relevée par des auteurs issus des sciences académiques comme des journalistes, etc. Le regret est une émotion forte qui invite le ou la joueuse à adopter une attitude réflexive vis-à-vis de ce qu’il a commis en tant qu’agent agissant sur un monde représenté (la diégèse du jeu). On peut évoquer les célèbres scènes de Metal Gear Solid 3 lorsque le ou la joueuse doit abattre The Boss, la révélation de Sans dans Undertale (2015) à propos des « EXP » et des « LV ». Je pense qu’un troisième appel verra le jour entre 2018 et 2019 mais cette fois sur une émotion plus proche de l’empathie si ce n’est l’empathie elle-même. Ces terrains ont une dimension exploratoire particulièrement intéressante. En effet, ils permettent de constater, à travers divers témoignages, des formes d’impacts que les joueurs et les joueuses ont pris le temps de formuler et matérialiser à travers un texte. Les « madeleines vidéoludiques » montrent particulièrement la façon dont un jeu vidéo, ou du moins une expérience liée au jeu vidéo, peut marquer significativement le ou la joueuse et ce, sur une période de temps très longue. A travers un nouvel appel sur le regret, je suppose que des changements de comportements dans et hors les jeux sont possibles et dus à cause d’un phénomène ou d’un événement dans la diégèse du jeu et observable par le ou la joueuse. Autrement dit, je fais une hypothèse relativement typique puisqu’elle s’intègre dans une forme d’apprentissage social et plus généralement dans une pensée socioconstructiviste de la pédagogie. L’intérêt de cette appel, comme pour les « madeleines vidéoludiques », sera d’observer des joueuses et des joueurs dresser des liens de causalité entre leurs comportements et leurs systèmes de représentations aujourd’hui comme issus en partie de leurs sessions de jeu. Le regret permet aussi de potentiellement observer non pas des renforcements dans les comportements mais plutôt des contradictions, des changements et des revirements. Plus intéressant encore peut être l’observation de regrets sans modifications a posteriori du comportement mais en observant un questionnement autour des représentations. Inversement, il peut se produire des situations durant lesquelles les systèmes de représentations se modifient sans que les joueurs et joueuses modifient leurs comportements. Dans ces derniers cas, il faudra alors demander s’ils et elles ont une démarche réflexive sur cela et comment ils et elles le vivent ? Ainsi, il apparait que ces « recueils » deviennent une partie des terrains que je souhaite mobiliser pour mes travaux de thèse. J’ai bien conscience qu’il s’agit d’un stade très exploratoire. De même, j’ai aussi conscience des biais qu’ils impliquent. Il y a une dimension endogamique certaine que je n’ai pas encore réussi à dépasser. La réalisation d’une vidéo de lancement pour le prochain appel sera peut-être l’occasion d’observer plus d’hétérogénéité dans les réponses en termes de profils de joueurs et de joueuses.

Je pense avoir maintenant fait le point sur les terrains que je vais réaliser via internet et les réseaux sociaux. Ceux-ci ont un attrait pour moi puisque cela me permet de constater des situations informelles de jeux et durant lesquelles je ne suis pas présent en train d’observer via une forme d’observation participante comme Adrienne Shaw l’a fait par exemple en allant chez ses enquêté.e.s (2015). Une critique de ce travail est d’ailleurs le fait que je n’observe pas directement les choses et que je me repose sur des témoignages, ce qui a probablement le pire niveau de scientificité. Pour palier cela, j’ai tout de même tenté la mise en place d’un jury pour analyser les textes qui m’ont été soumis lors du premier appel. Il n’a pas très bien fonctionné mais les membres du jury ont pu lire les textes et répondre à un questionnaire afin de définir la pertinence des écrits par rapport au sujet, savoir s’ils étaient véritablement réflexifs ou s’il y avait des hors-sujets empêchant leur usage en tant que terrain. Pour les prochains appels, je proposerais quelque chose de bien plus abouti à ce niveau.

Par ailleurs, je compte aussi mener des terrains en situations formelles de jeu et les impacts que l’on pourra observer dans ces situations. Pour cela, je suis en train de monter des projets pédagogiques mobilisant des jeux et des jeux vidéo. L’intérêt sera dans ce cas de véritablement observer les personnes en train de jouer en groupe mais aussi de prendre en compte mon propre impact cette fois en tant qu’accompagnateur sur la situation de jeu. Normalement, je ne serais pas seul sur ces projets, c’est pourquoi il sera possible de mettre en place une réelle méthodologie d’observation. Je pense emprunter à l’anthropologie et les méthodes d’observations participantes mais pour cela, j’ai encore besoin de lire et de me former à ce sujet.

Les projets annexes

Au niveau des projets annexes, j’espère un jour avoir le temps de travailler un référentiel de compétence pour les joueuses et les joueurs de jeux vidéo. Ce travail repose sur l’approche de Jacques Tardif (2007, 2017) et sa définition de la compétence : un savoir-agir complexe mobilisant et combinant des ressources internes et externes au sein d’une même famille de situation. Ce travail répond à une interrogation qui me suit depuis que j’ai commencé à travailler sur les jeux vidéo, lire d’autres travaux et voir des contenus sur internet : à quel moment peut-on dire que nous sommes compétents pour parler des jeux vidéo ? Cette question peut sonner pédante et élitiste mais n’en reste pas moins valide. Plus généralement, je pense qui mieux formulée, cela donnerait : comment définir les compétences vidéoludiques ? L’intérêt que je vois ici serait de proposer autre chose que les modèles habituels de « types de joueurs et de joueuses » telle que la taxonomie de Bartle par exemple. Cela pourrait avoir un intérêt. Peut-être que cela pourra offrir un nouvel éclairage et une nouvelle compréhension de la réception d’un message en fonction des différents profils de joueuses et joueurs.

Enfin, il apparait que pour dépasser les classifications des joueuses et joueurs, il me semble pertinent d’interroger les différentes compétences qu’ils et elles développent au fur et à mesure de leurs sessions de jeu. Ainsi, plutôt que d’avoir des modèles théoriques limités par des temporalités : les alternances de profils dans l’avancement d’une partie entre autres, observer les compétences des joueurs et joueuses me permet de raccrocher à mon interrogation initiale qui porte plutôt sur ce que le « contexte pragmatique » définit.

Difficultés et conclusions

Voilà pour cette année relativement dense. Il apparait que je n’ai pas pu maintenir de nombreux rythmes tout au long des mois. J’ai dû abandonner certains projets (la numérisation de Henriot notamment), en décaler d’autres. Je n’ai pas assez lu, je rattrape comme je peux certains livres que j’aurais dû lire bien plus tôt. De même, je commence à ressentir maintenant l’insuffisance de mes connaissances et compétences en anthropologie. Vu le nombre de pistes que je lance et obtiens, il apparait que je vais devoir devenir bien meilleur dans ce domaine pour la suite. Il va aussi falloir que je diminue le rythme de propositions que je fais à droite à gauche sur un peu tout et n’importe quoi : papiers, communications & formations. En janvier 2018, j’ai deux papiers à envoyer, une formation à donner et deux communications. C’est beaucoup trop et cela m’a causé beaucoup de stress. De plus, il faut aussi que je me ménage du tout pour mon travail. Et oui, n’ayant pas de bourse d’étude, il me faut bien vivre comme la majorité des doctorants.

2018 semble donc une année de bonnes augures. Je vais normalement bouclé les terrains en situations formelles de jeux et je pourrais, grâce à ma présence sur les réseaux, compléter des corpus et réaliser des enquêtes. Je ne me sens pas trop stressé pour cela, je suppose que c’est une chance par rapport à d’autres doctorants. Les récents événements que j’ai vécu sur internet me font réfléchir de plus en plus sur ma posture de blogueur-doctorant. Il apparait que celle-ci est bien plus complexe que prévue. De fait, je compte bien plus rédiger à ce propos cette année. Je pense que méthodologiquement, cela sera pertinent.

 

Ce texte a connu une rédaction plus qu’étrange. Si au début, il s’agissait d’un support de communication pour une intervention, il s’est transformé en état des lieux de mes recherches pour au final nommer les difficultés que j’ai rencontrées et rencontre. Il est plus que temps d’y mettre en terme en vous souhaitant une bonne année. ■

Esteban Grine, 2018.

 

Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs

Lorsque les joueuses et les joueurs devinrent autrices et auteurs : signatures et citations de comportements ludiques

Dans le cadre d’un numéro d’une revue qui se prépare, nous souhaitons écrire avec Jok un article qui porte sur les phénomènes de signatures et de citations des comportements qui ont lieu en jouant à des jeux vidéo et entre joueur.euse.s. En effet, Fanny Barnabé, dans ses travaux de thèses mais aussi dans des communications, a travaillé sur les détournements possibles avec les jeux vidéo. Dans une communication donnée à Ludovia en 2014, elle questionnait les speedrunneurs et leur potentiel statut d’auteurs (Barnabé, 2014). D’autres personnes ont aussi ces réflexions notamment ici. Nous proposons de poursuivre ces travaux en élargissant aux superplayers mais aussi à toutes les formes d’expression se faisant dans et avec les jeux vidéo. Si certains termes sont ici galvaudés, je souhaite préciser que le travail final se voudra bien plus respectueux à l’égard des concepts et des personnes ayant déjà travaillé sur ce sujet.

Le jeu vidéo, par sa double nature de comportement et de fiction (Juul, 2006), nous invite à questionner qui est l’auteur du déroulement des récits qu’il propose. Bien que le fait de mobiliser la notion d’interactivité comme élément distinctif des jeux vidéo par rapport à d’autres médias soit discutable, il semble malgré tout que leurs créateurs s’attachent particulièrement à illustrer cela comme une spécificité de ce médium. De facto, de nombreux éléments et marqueurs présents et directement observables font des jeux vidéo des objets particulièrement intéressants à étudier lorsqu’il s’agit de questionner qui sont les auteurs des récits qu’ils proposent. La question à laquelle nous souhaitons donc apporter des éléments de discussion est la suivante : qui sont les personnes qui sont auteurs ou autrices des actes et des comportements apparaissant en parcourant le récit d’un jeu vidéo.

Une première lecture de ce dilemme serait alors de penser les game designers comme les véritables créateurs de ces jeux. Ils définissent une structure et attribuent des rôles définis aux joueuses et joueurs. Ces derniers ne sont alors que des rouages d’une mécanique plus ou moins bien huilée. C’est plus ou moins le postulat formulés par les plus revêches des ludologues bien que cela rentre en contradiction avec les intentions initiales de Gonzalo Frasca lorsqu’il employa cette appellation pour la première fois (Frasca, 2003). Malgré tout, il apparait que les discours mettant en avant les développeurs et les game designers en tant qu’auteurs ont permis de légitimer les jeux vidéo en tant qu’objets culturels. Pour notre proposition, nous souhaitons prendre le contrepied de cette théorie sans la renier ni la critiquer.

En effet, d’autres ont déjà disserté sur ce sujet et nous souhaitons faire un pas de côté pour interroger le joueur ou la joueuse non pas comme un lecteur-modèle (Eco, 1985) mais comme un.e auteur.ice. En ce sens, nous excluons le statut d’objet culturel, d’œuvre afin de développer notre pensée. Dans cet article, nous souhaitons observer qu’une seule facette du jeu vidéo, à savoir sa nature de jeu au sens exprimé par Juul (2006). Pour observer cela, nous allons mettre en avant des phénomènes qui permettent de penser la chose en ce sens. Des exemples simples peuvent immédiatement être exprimés : système de highscores et leaderboards sont de cas durant lesquels les joueurs et les joueuses sont reconnu.e.s pour la façon dont ils se sont comporté.e.s. Par ailleurs, nous nous focaliserons aussi sur les communautés de speedruns et de productions de contenus culturels autour des speedruns. En effet, il est fréquent qu’un ou une speedrunneuse cite un ou une autres joueuses pour avoir découvert un trick ou une technique particulière. De facto, il y a déjà des pratiques effectives qui permettent de penser les joueuses et les joueurs comme des autrices et des auteurs.

Ce papier aura pour objectif d’explorer ces axes que nous proposons tout en proposant qualifiant les productions des joueurs et joueuses sans pour autant leur attribuer un rôle qui minimiserait le travail des game designers et des équipes créant effectivement la structure du jeu.

Bibliographie indicative

Barnabé, F., 2014. Le speedrun : pratique compétitive, ludique ou créative ? Trajectoire d’un détournement de jeu vidéo institué en nouveau game.
Cayatte, R., 2016. L’appropriation de contenus vidéoludiques : les mondes possibles du jeu vidéo. http://www.revue-interrogations.org.
Hughes, M.J., 2017. What motivates the authors of video game walkthroughs and FAQs? A study of six GameFAQs contributors. First Monday 23. https://doi.org/10.5210/fm.v23i1.7925

Explications et Inscriptions

Voilà pour la présentation du projet de travail, maintenant, vous vous demandez peut-être pourquoi j’écris tout cela ?

Avec Jok, nous souhaitons écrire de manière ouverte et collaborative cet article. Nous allons avoir à peu près 30 000 signes pour développer une pensée commune sur le joueur.euse – auteur.ice. Cela veut donc dire que tout intervention est accueillie chaleureusement !

Si vous souhaitez contribuer à un papier scientifique, à titre d’une première expérience parce que vous souhaitez faire de la recherche plus tard, ou tout simplement parce que oui, la recherche, ensemble, c’est vraiment amusant. Jok et moi vous proposons donc de vous inscrire en remplissant le formulaire ci-dessous. Seules les personnes ayant rempli le formulaire auront accès aux documents et seules les personnes ayant effectivement rédigé seront mentionnées dans le papier final qui sera publié dans la revue Le Pardaillan pendant l’année 2018.

Il y aura des ateliers d’écritures durant lesquels Jok et moi coordonnerons les actions de chacune et chacun. Le parcours est plutôt bien balisé, nous savons à peu près où nous souhaitons nous diriger mais, les références, les auteurs, les exemples, tout cela proviendra de nous en tant que communauté rédactrice d’un seul et unique document final.

Attention, il faudra donc que vous soyez disponibles lors des ateliers d’écritures. L’organisation de la rédaction se fait un peu comme une jam ! Bonne ambiance et sérénité pour écrire quelque chose de scientifiquement solide.

 

 

Les ponts dans les jeux vidéo

Et si on parlait des ponts dans les jeux vidéo ? Car des ponts dans le jeu vidéo, il y en a.

Des ponts sur lesquels on roule dans Mario Kart ou des ponts sous lesquels on passe dans Uncharted 4.

Des ponts qu’on traverse en solitaire comme Alan Wake dans la nuit, ou en groupe dans Pokemon Y, à condition qu’on nous laisse passer.

Des ponts pour passer au dessus de l’eau dans A Link to the Past, ou pour traverser la lave dans Super Mario Bros, qui même s’escamotent à notre avantage.

Des ponts qu’on hésite à franchir dans Dark Souls, ou qu’on traverse à toute vitesse dans Track Mania Stadium.

Des ponts routiers qu’on survole en zigzag dans DoDonPachi 2, et sous lesquels on passe dans GTAV.

Des ponts que l’on parcours à pieds dans Transistor, en calèche dans Assassin’s Creed Syndicate,

En vélo dans Pokemon émeraude, en voiture, en train et même en gondole dans Final Fantasy XV.

Des ponts desquels on se jette, dans Metal Gear Solid 2, et des ponts que l’on escalade dans Dying Light.

Des ponts qui servent de point de vue dans The Witcher 3, d’autres de point de repère dans The Last of Us.

Des ponts qu’on voit en fond dans Guilty Gear, et des ponts qu’on ne voit pas dans Mario Odyssey.

Des ponts futuristes dans Portal 2, de très vieux ponts dans Skyrim, voire carrément en ruine dans Hyper Light Drifter.

Des ponts qui s’effondrent sous nos pieds dans Uncharted 2, et qui même se transforment, en chauve-souris par exemple dans Castlevania IV,

Le Golden Gate dans Watch Dog 2, le Tower Bridge dans Midtown Madness 2, le pont de Brooklyn dans The Division,

Bref des ponts dans le jeu vidéo en veux-tu en voilà. De quoi, bien évidemment, faire un petit point sur la question.

On peut commencer par dire que l’omniprésence du pont dans le jeu vidéo est sans doute un peu l’héritage des sidescrollers 2D, qui lui ont donné quelques unes de ses plus célèbres habitudes, de déplacement d’abord, avec le saut, et d’organisation des espaces à traverser ensuite, avec les ponts comme autant de plateformes. De jolis ponts de bois dans Sonic Master System. Rapidement beaucoup moins sages, déstructurés dans Super Mario World, mouvants dans Metal Slug 2, parcellaires dans Wonder Boy.

Et donc sur les ponts de jeu vidéo on saute, mais aussi on se bat. Contre un hélicoptère dans Half Life 2, contre des guerriers squelettes dans Dungeons & Dragons – Tower of Doom. Le pont est souvent noeud de tension. En duel dans Prince of Persia 2, ou en affrontement de groupe dans Planetside 2. On cherche à le prendre ou à le défendre, dans Medal of Honor, et de nouveau dans Call of Duty WWII quelques années plus tard.

Si le pont est un lieu de passage, il se retrouve pourtant, dans le cadre du jeu, souvent entravé. Entravé, par le feu, dans Dragon Quest 8, par une énigme, dans Silent Hill Shattered Memories, voir même, par plusieurs dans The Witness. Le pont bloqué sert aussi à mettre en scène la confrontation, on l’a dit, résolue au mieux par la parole dans Divinity Original Sin. Ou le passage en force dans Tenchi o Kurau II

Le pont est parfois frontière: entre deux quartiers dans GTA 4,  entre deux îles dans Wind Waker où se décide le départ. Il est aussi point de passage avec d’autres mondes, horrifique au début de Résident Evil 4 par exemple.

Rarement très solides, les ponts de jeux vidéo semblent toujours vouloir s’effondrer sous nos pieds, qu’ils soient de bois dans Uncharted ou de pierre dans Three Wonders; nous interdisant tout retour en arrière. Et encore quand on ne les fait pas sauter nous-même, pour assurer sa fuite dans The Witcher 3, en résistance à l’occupant dans The Saboteur, ou par simple plaisir dans Just Cause 3. Heureusement il nous arrive aussi de les construire, dans City Skylines, dans Poly Bridge. De les révéler avec de l’encre dans The Unfinished Swan, ou du papier dans Paper Mario. Souvent des ponts de fortune, dans Snakebird ou Tomb Raider par exemple. Ils se construisent même tout seuls dans Mario Galaxy.

Bref, si on ajoute les ponts fractals de Manifold Garden, les ponts glitchés de Memory of a Broken Dimension et les ponts esheriens dans Fragments of Euclid, les ponts dans le sable de Journey, et le pont grand comme une ville dans Bravely Default, sans oublier les ponts de cartes dans les airs d’Alice Madness Returns, ni les ponts rubans, dans les airs toujours, de Bound, alors on peut dire que le pont est, dans les jeux vidéo, décidément partout; ce qui nous a donné des envies de classement. C’est donc parti pour un TOP 5 subjectif, celui de nos meilleures scènes liées de près ou de loin aux ponts dans les jeux vidéo.

Notre numéro 5. De tous les ponts rencontrés dans la série Zelda, le plus mémorable n’est peut-être pas le pont Gerudo qui reste encore à construire, ni le pont du duel où l’on s’affronte sur monture et devant soleil couchant, peut-être pas non plus le très intimidant pont Hylia, serein sur son lac, mais le bien plus modeste pont Kokiri où se joue à la fois la perte amoureuse et la sortie de l’enfance.

Notre numéro 4. Rayman Legends, ou plus précisément Castle Rock, niveau musical détonnant, sans doute plutôt une muraille qu’un pont, mais qui se traverse comme si elle en était un. D’ailleurs des ponts on en voit tout le long, qui s’effondrent, bien sûr, au rythme furieux de la traversée.

Pour notre numéro 3, on se devait d’évoquer les cruels défis lancés par les ponts de jeu vidéo. Dans Sonic 2, les passerelles capricieuses de Chemical Plant Zone, dans Adventure of Link aussi, des ponts terrifiants par dizaines, mais surtout et c’est pour nous une évidence Road to nowhere dans Crash Bandicoot. Ascenseur émotionnel de tous les instants, entre autres à cause de la rigidité de son personnage, ce niveau est pour nous un des ponts les plus douloureusement marquants du jeu vidéo

Notre numéro 2, Fumito Ueda, évidemment, dont l’obsession pour les ponts traverse toute sa production. Des ponts partout dans un forteresse de pierre, piège monumental et trompeur pour Ico et Yorda, ou long jusqu’au sublime, en passerelle tendue vers le fantastique dans Shadow of the Colossus. Et surtout des ponts à chaque instant dans The Last Guardian, souvent dans l’urgence et l’effondrement, ou dans la poésie de leur fragilité. Mais c’est quand ils sont fiables qu’ils nous plaisent le plus; lorsque déplié, et un peu par surprise, le pont se fait pont d’envol.

Finalement, les ponts qu’on préfère, ce sont peut-être ceux qu’on construit nous-même, dans Minecraft, qu’ils soient longuement planifiés ou improvisés dans l’instant, seul ou en coopération, dans toutes les matières, dans tous les espaces, pour traverser ou rejoindre… tout ce qu’on voudra.

Damastès, Weis & Baptiste, 2017.

La richesse des nations – Catane

Catane est un jeu dans lequel les joueuses et les joueurs doivent étendre leur territoire sur une île. Pour ce faire, ils et elles doivent utiliser des ressources qu’ils et elles peuvent récupérer des différents terrains et environnements présents sur le plateau du jeu. L’une des particularités du jeu est qu’au début de chaque partie, chaque joueur et joueuse place progressivement leurs colonies sur les terrains qu’il ou elle souhaite occuper. Le placement initial des premières colonies est donc crucial puisque c’est cet événement qui détermine alors les divers avantages de chacun des joueurs. Une colonie se place à l’intersection de plusieurs terrains sur lesquels sont indiqués des nombres entre 1 et 12. Un lancer de dés détermine alors à chaque tour quels terrains rapportent des ressources aux joueurs ayant une colonie limitrophe. Par exemple, une joueuse lance et obtient un 8 aux dés. L’ensemble des terrains étant associés à des 8 génère alors des ressources. Dès lors, il apparait que le placement initial des joueurs et des joueuses est décisif selon deux paramètres. Premièrement, les joueurs sont invités à occuper les meilleures places. Celles-ci doivent soit apporter des ressources nécessaires pour les constructions élémentaires, soit s’inscrire dans une stratégie de spécialisation : volonté de monopoliser une ressource par exemple, devenir particulièrement productif, etc. Secondement, les joueurs et les joueuses sont invité.e.s à se positionner en fonction des plus fortes probabilités de production. Pour cela, ils et elles doivent sélectionner des terrains associés à des nombre comme 6, 8, etc.

Smith et ses avantages

Dès lors généralement, la partie démarre avec un ensemble de déséquilibres entre les joueuses et les joueurs. Certains ont des avantages tandis que d’autres sont clairement désavantagés. Il est alors particulièrement intéressant de voir cela d’un point de vue économique pour expliquer les mécanismes ludiques. En effet, les situations qui apparaissent en chaque début de partie reflètent la répartition des ressources et plus généralement illustrent de nombreux principes théoriques énoncés dans « La Richesse des Nations » d’Adam Smith repris par la suite par David Ricardo. Il convient donc alors de les aborder ici. En effet, c’est amusant de remarquer que les règles constitutives de ce jeu sont une forme d’application ludique de théories économiques vielles de plus de deux cents ans.  Dans leurs ouvrages, Smith et Ricardo se sont attachés à expliquer, selon eux, les écarts de développement entre les pays. Ils abordent pour l’un les avantages absolus et pour l’autre les avantages comparatifs. Ces deux concepts font tout de même référence à une même idée que certain pays sont avantagés par rapport à d’autres. En fonction de leurs avantages, les pays se spécialisent dans certains domaines et non dans d’autres. Il y a donc une idée que ces avantages expliquent (1) la spécialisation des pays dans une économie mondialisée et (2) l’existence d’une division du travail à l’échelle internationale : deux pays ont intérêt à s’échanger les productions pour lesquelles ils sont respectivement les meilleurs. Ricardo va plus loin que Smith en postulant qu’un pays ne doit pas seulement se comparer à d’autres pays mais aussi par rapport à lui-même en observant les filières pour lesquelles il est meilleur. Dans ses écrits, c’est de cette de cette façon qu’il explique que même si le Portugal peut produire des machines-outils, il a plutôt intérêt à se spécialiser dans la production de vin. L’observateur.ice averti.e remarquera alors que la théorie des avantages de Ricardo qui sont alors « comparatifs » est un outil de justification d’une forme coloniale de l’économie puisque les pays développés ont tout intérêt à maintenir des pays émergents à un certain niveau technologique par exemple. Si Ricardo ne voyait pas de problème à maintenir un pays dans la production d’un bien technologiquement peu abouti, il est évident que les enjeux ne sont pas les mêmes entre la production de vin et la production de machines-outils.

Catane et Ricardo sont sur un bateau

Catane met en exergue cela. En début de partie, chaque joueuse et joueur a pour objectif d’obtenir un « avantage comparatif » car cela va permettre de générer des rapports de forces inégaux avec ses adversaires (nous respectons dans ce jeu logique de concurrence capitaliste bien entendu). L’exemple du bois et de l’argile est criant de vérité. Ces deux ressources sont nécessaires pour les premières constructions (des routes et des colonies). Il est donc crucial pour les joueuses et les joueurs d’acquérir ces ressources en début de partie. On pourrait même alors rapprocher le processus de développement d’une nation d’un ou une joueuse dans Catane de la théorie du décollage économique de Rostow mais c’est une autre histoire. Dès le début d’une partie, on peut alors immédiatement faire des prédictions sur les joueurs et les joueuses qui ont opté pour ce type de ressources (pourvues que les jets de dés soient bons). Les nations qui se développent le plus rapidement en début de partie sont celles (1) qui ont le plus de chances de gagner et (2) qui installent des rapports de force immédiatement avec les nations qui ne peuvent pas se développer. On retrouve donc des rapports Nord-Sud.

Le développement rapide permet deux choses aux joueuses et joueurs qui le vivent. Premièrement, dans un esprit colonialiste, leur objectif devient d’abord de privatiser les terres avant de les travailler. C’est ce qu’il s’est passé avec la colonisation européenne de l’Afrique et des Amériques. Secondement, il s’agit de réduire le potentiel de négociation des autres joueurs soit (1) en s’accaparant les zones d’échanges : les ports permettent d’échanger des ressources contre d’autres à moindre coût ou (2) en mettant en place des stratégies rendant les terres exclusives, c’est-à-dire inaccessible aux autres même si apparemment, le partage des ressources communes ne nuirait ni à l’un.e ni à l’autre. A propos des rapports entre joueur.euse.s , l’un des phénomènes passionnants à observer concerne uniquement le temps de jeu. Catane illustre à mon sens parfaitement ce qu’il se passe au niveau politique internationale : les joueur.euse.s les plus riches sont celles et ceux qui ont le temps de jeu le plus long allant jusqu’à plusieurs minutes tandis que les tours des joueurs et les joueuses les plus pauvres sont les plus expéditifs, voire ne se réduisent qu’au lancé de dés. Il y a pour moi un parallèle flagrant entre ce qu’il se produit dans Catane et les échanges internationaux. On peut même pousser cette lecture un peu plus loin, ou alors en resserrant notre focus en disant que Catane reflète les écarts de temps de parole entre différents groupes sociaux. Si Catane représentait la France, il deviendrait alors possible de faire des parallèles pour déterminer quels sont les joueurs qui remportent la partie.

L’oppression des riches

Observer le jeu Catane depuis l’économie est révélateur de ce qui fait sens ludique aujourd’hui en occident il me semble. Il s’agit dans ce jeu de reproduire des schémas colonialistes d’accaparement des ressources et de leur privatisation. Par ailleurs, les échanges et les relations entre les joueur.euse.s sont révélateurs des formes actuelles de rapports de force entre les pays. Pourtant, Catane est un jeu salué par la critique, les joueurs et les joueuses. La seule conclusion que je peux alors proposer est qu’il illustre particulièrement ce que nous sommes réellement.

Esteban Grine, 2018.

Link le mondialisé – Breath Of The Wild

Si dans ses représentations Zelda Breath Of The Wild s’inspire à mon sens énormément des sociétés japonaises, il en est tout autre de ses mécaniques de gameplay. S’il est définitivement japonais, il semble pertinent de le contextualiser dans des phénomènes de mondialisation de la création vidéoludique. En effet, beaucoup de personnes voient en ce Zelda un changement de paradigme pour le jeu vidéo, l’exploration, etc. Cependant, dans ses mécaniques et la proposition qu’il nous fait, ne s’agit-il pas plus d’un pont ? D’une passerelle entre une façon occidentale de game designer un jeu et une façon orientale ?

En effet, en posant les choses, on remarque que les précédents Zelda, malgré leur orientation résolument tournée vers l’action, proposaient des expériences relativement linéaires et dirigistes, du moins pour les épisodes 3D sur consoles de salon. Il s’agit là d’une philosophie très japonaise de penser la création d’un jeu de rôle. A chaque instant, les joueurs n’avaient en réalité qu’une seule chose à véritablement faire et ce, dans un certain ordre. Dans un sens, Breath Of The Wild fait la même chose lorsqu’il nous demande « d’abattre Ganon » dès la fin du plateau du prélude. Cependant, l’une des distinctions qui a toujours été observées dans les jeux de rôles japonais arrivés en France en fanfare concerne la mise en avant d’éléments constitutifs d’une narration fortement visible : soit des cinématiques avec l’exemple de Final Fantasy, soit des boîtes de dialogues longues, etc. A l’inverse et par facilité, les jeux de rôle occidentaux ont toujours été définis par les possibilités qu’ils offrent en terme de libertés et de choix dans la façon dont ils sont appréhendés. Les jeux Bethesda en sont les parangons, les archétypes. Il s’agit là bien entendu d’une facilité d’esprit pour celles et ceux souhaitant absolument marquer une distinction entre jeux orientaux (en incluant aussi les jeux chinois comme l’excellent Tales Of Wuxia) et les jeux occidentaux.

Alors, présenter Breath Of The Wild comme un changement de paradigme qui dépasse la série semble erroné. Tout d’abord parce que des précédents jeux de rôle japonais proposaient déjà des formes d’exploration relativement libres (en prenant en compte les limites techniques de l’époque). C’était le cas par exemple de Super Hydlide sorti sur Megadrive au début des années 1990. Dans ce jeu, le joueur est libre d’explorer le monde qui lui est proposé et le récit relativement difficile d’accès n’aidait pas à rendre l’expérience dirigiste (et digeste).

Ainsi donc, je note deux choses dont la première est finalement que les Zelda 3D ne se sont jamais véritablement démarqués d’une certaine tradition de conception orientale. Malgré leur côté exploration et action, leurs mises en récit restent chronologiquement linéaire : les joueurs n’ont qu’une seule chose à faire, à chaque fois, à chaque instant. Ce n’est plus le cas dans Breath Of The Wild qui opte pour une expérience proche des Elder Scrolls. La seconde est que Zelda Breath Of The Wild ne propose pas quelque chose de fondamentalement nouveau dans la liberté donnée aux joueurs et joueuses, tout au plus quelques incrémentations et améliorations bien réalisées (l’escalade est personnellement l’une des meilleures expériences que j’ai eu et Doc Géraud en parle mieux que moi). Comme dans Oblivion ou Skyrim, les joueurs et les joueuses peuvent choisir de faire avancer la ou les trames narratives, chacune de manière linéaire, à n’importe quelle rythme et dans l’ordre qu’ils ou elles veulent.

Toutes ces pensées m’amènent à considérer la dernière itération de Zelda plutôt comme un exemple flagrant d’une certaine mondialisation dans les propositions de gameplay. Je fais alors l’hypothèse ici qu’il s’agit alors plus d’une passerelle entre game designs orientaux et occidentaux que d’un véritable renouveau. A sa sortie, on pouvait l’imaginer comme un changement radical pour le jeu de rôle mais peut-être qu’il ne s’agit finalement que du plus occidental des Zelda. Il devient alors le reflet, comme d’autres jeux (Monster Hunter World semble aller dans cette direction), d’une idée mondialisée du jeu vidéo de rôle. L’expérience de jeu m’est particulièrement plaisante (mes 110h de jeux en sont témoins) mais je ne peux m’empêcher de me demander si ce n’est pas finalement parce qu’elle est plus proche d’une certaine norme, d’un certain standard ?

Esteban Grine, 2017.

Retours sur la QuelqueChose Jam !

Du 26 au 28 décembre 2017, le Discord LCV a organisé une gamejam sur le thème de « quelque chose ». L’objectif était alors de proposer un temps de création pour toutes et tous les membres du discord avec un chan audio dédié aux discussions entre les jammeurs et les jammeuses. Etant donné que nous n’avons finalement que peu de game designers sur le discord, l’idée était de proposer un espace permettant la création de tout et n’importe quoi d’où le nom de la jam proposé par Sironium. Le choix des dates s’est fait de manière arbitraire mais à notre étonnement, nous avons eu 31 participants et participantes et un total de 21 projets soumis. Une majorité de ces derniers comprennent aujourd’hui des jeux vidéo mais il y a eu quelques projets photographiques, etc.

L’intégralité de la jam s’est déroulée à distance via discord. Cela implique une temporalité assez étrange. Si je faisais partie des personnes travaillant le jour, j’ai vu aussi la situation inverse avec d’autres groupes qui commençait à arriver sur le chan vocal assez tardivement tout en restant une bonne partie de la nuit. Aussi, j’ai appris a posteriori que des petits groupes de travaux s’étaient constitués en parallèle. Si les chans de textuels et vocaux du discord LCV servaient de hubs centraux, en parallèle, d’autres groupes de discussion se sont formés dans le cadre de projets collaboratifs. J’en note au moins deux : le groupe de discussion du jeu deglindoggo et le groupe podcast. Il y en a peut-être eu plus.

L’une des observations principales que j’ai constatées concerne la façon dont les jammeurs et les jammeuses ont travaillé. Il apparait que chacun et chacune travaillait plutôt de manière solitaire. Les échanges à propos des projets ne concernaient pas forcément de l’entraide. Le chan vocal fut surtout des moments d’échanges à propos du jeu vidéo (de Zelda Breath Of The Wild particulièrement) sans que cela concerne directement les projets. Malgré aussi le caractère très informel de la jam, les dernières heures ont été des moments de panique et de stress pour certain.e.s participants et participantes. J’en fus particulièrement étonné. Je ne m’attendais pas à ce que la contrainte de temps soit prise tant à cœur par quelques-uns et quelques-unes. Malgré tout, cette limite reste pertinente dans le sens où la mise en place d’un cadre nourrit l’imagination. Une jam est un jeu dans lequel nous jouons à créer des choses et c’est par la mise en place de règles constitutives (Duflo, 1997) que cela devient un outil dont ses utilisateurs et utilisatrices se saisissent pour susciter leur imagination. En ce sens, les jams s’inscrivent dans la pensée de Kendall Walton mais aussi de Henriot. « Sous couleur de jouer » (1989), nous ne faisons que travailler et nous créons des objets artistiques. Les jams sont donc des objets, des systèmes organisationnels qui donnent du sens (ludique). Il s’agit donc là d’une surcouche, d’une nouvelle strate sémantique. Les échanges et les créations ont été possibles parce qu’il y avait un deuxième niveau de communication compris et accepté par l’ensemble des participants et des participantes. Cela n’a pas empêché malheureusement l’abandon de certains projets dont un particulièrement que beaucoup de jammeurs et jammeuses attendaient : un escape room / FMV. Ce projet aurait été véritablement génial à voir.

Pour une première jam, il me semble que le discord LCV s’en est très bien tiré. L’organisation, sans être chaotique, était proche de l’autogestion. Il me semble que cela a été une expérience aussi très positive mais je n’ai pas véritablement de données à ce sujet. Cependant, ce billet m’a permis de noter quelques conclusions de cette expérience qui sera renouvelée, je l’espère. En attendant, il me semble que cela peut aussi être un outil particulièrement efficace dans des situations pédagogiques et des situations professionnelles. J’ai quelques connaissances dans le cadre de mon travail qui travail justement sur la mobilisation d’outils tels que les jams pour proposer de nouvelles situations pédagogiques à leurs étudiants et étudiantes. Je me verrais bien organiser des jams à l’université je dois bien l’avouer. La « QuelqueChose Jam » est en tout cas un premier pas vers cela.

Pour conclure, rien de mieux que de remercier aussi l’intégralité des participants et participantes, des observateurs et des observatrices qui se sont amusé.e.s avec nous pendant ces 3 jours. C’était mortel ! J’ai même pu créer mon premier jeu vidéo. Il est d’ores et déjà sûr que le discord réorganisera d’autres événements de ce genre, peut-être des qui permettront plus de projets collaboratifs. En tout cas, ce sera l’occasion de voir de nouveaux billets à ce propos sur LCV ! ■

Esteban Grine, 2017.

 

Le reflet de cultures japonaises – Breath Of The Wild

Zelda Breath Of The Wild est une œuvre qui s’inscrit bien plus dans une lecture et une représentation de la société japonaise que les précédents opus de cette série. J’aimerais dans ce billet m’attacher plus précisément à parler des héros et de ce qu’ils et elles m’évoquent. En effet, je suis un lecteur assidu de mangas. Cela ne signifie pas que je suis compétent dans la façon de décoder Breath Of The Wild en tant qu’artefact issu d’une culture japonaise. Au contraire, je serais bien malin de vouloir prétendre à ce statut. Cependant, mon parcours d’Hyrule et les discussions que j’ai eues m’ont tout de même fait aboutir à la conclusion que ce jeu est reflète bien plus le Japon que les précédentes itérations de la série. De même, bon nombre de personnages sont évocateurs d’un style sino-japonais en termes de récit. Impossible de ne pas non plus voir certaines constructions typiques de récits chinois. Ainsi, je vais m’attacher ici à évoquer les références qu’il me semble avoir observé lors de mes sessions sur le dernier Zelda.

Un jeu ancré dans une narration traditionnelle

Le tout début du jeu est particulièrement fascinant. Link se réveillant et sortant d’un cocon de pierre et de métal m’ont évoqué la naissance du roi-singe, Sun Wukong en chinois, Son Goku en japonais. Le héros naissant sous la montagne pour sortir de son œuf, voilà un trope du conte sino-japonais. Le roi d’Hyrule, sous la forme d’un pauvre vieillard est le maitre de Link. Il va alors lui transmettre son savoir et ses compétences afin de permettre à son apprenti de sortir du plateau du prélude, havre de paix dans ce monde post apocalyptique. J’y retrouve un peu du maitre du Sun Wukong qui enseigna à ce dernier 72 transformations. J’aime beaucoup cette idée de rapprocher Link du personnage du « Voyage en occident ». En effet, Sun Wukong est le parangon du héros asiatique, c’est aussi quasiment le modèle de tous les personnages principaux des récits japonais prenant la forme de manga nekketsu. Quelqu’un de plus patient que moi pourrait se concentrer sur tous les parallèles qu’il y a à dresser entre les Zelda et le récit chinois que je mentionne.

Les 4 prodiges, archétypes du nekketsu

Je vais ici principalement me concentrer sur les archétypes des nekketsu que je retrouve dans BOTW, à commencer par 4 champions, prodiges dans la version française. Pour rappel, les nekketsu sont des récits mettant en exergue la résolution de conflits par un ou des héros. Ces conflits vont généralement crescendo dans leurs représentations. De nombreuses valeurs y sont généralement diffusées dont notamment l’amitié, l’esprit d’équipe (nakama et compagnie), la volonté de travailler dans un but commun où chacun connait sa place dans le groupe (souvenons-nous d’Usopp qui rentra en conflit avec Luffy à Water Seven pour immédiatement revenir, masqué cette fois), etc.  Mipha, Daruk, Urbosa et Revali sont à mon sens des parangons, des archétypes des membres que l’on retrouve en tant que personnages centraux dans un manga. Mipha est une jeune zora très attachante mais il s’agit là d’un des tropes les plus typiques à propos de la représentation féminine par certain.e.s auteur.ice.s japonais.e.s, à savoir : la bienveillance et la non prise de parole comme traits caractéristiques du personnage. Il doit s’agir du membre du groupe ayant le moins de lignes de dialogue, elle est aussi laissée à l’écart lors de scène montrant le collectif en train de discuter. Mipha a aussi tout de la caricature de « l’amie d’enfance amoureuse du protagoniste principal » que l’on retrouve dans de nombreux mangas. Si Mipha est adorable, c’est parce qu’il s’agit aussi d’une représentation de la culture Moe. A l’opposé, Urbosa apparait comme une femme distante mais tout de même concernée par les événements. Je retrouve personnellement beaucoup du personnage de Nico Robin de One Piece. De manière générale, j’observe de nombreux parallèles entre les personnages du manga et de Zelda. Urbosa montre aussi un attachement maternelle envers Link et Zelda comme le montre Damastès (2017) notamment. Personnellement, je vois en Urbosa une représentation vidéoludique de la femme Tsundere, distante mais qui devient progressivement attachante. Daruk quand à lui représente le « bon vivant », celui qui rigole, qui est heureux peu importe la situation. Il peut aussi dans une certaine mesure représenter une personne n’ayant pas de frontière dans ses relations sociales : il frappe notamment Link dans le dos lors d’un souvenir. Il peut être malvenu au Japon de se montrer trop expressif et Daruk vient incarner cela dans BOTW. Je n’y vois pas spécialement une critique mais cela me semble suffisamment visible pour l’évoquer. Enfin, Revali incarne le « gentil concurrent », le prétentieux attachant. Dans de nombreux mangas, ce genre de personnages est mis en avant pour être positionné en « faux antagoniste » du personnage principal. On y retrouve Sasuke du manga Naruto mais aussi Uriû Ishida du manga Bleach. Ce type de personnage est utilisé dans le but de renforcer la grandeur du héros. Dans Zelda, Revali finit par adouber Link puisque ce dernier parvient à le délivrer de l’emprise de Ganon.

Finalement, dans la constitution de ces héros, Zelda BOTW reste particulièrement proche des canons narratifs japonais à destination d’un public jeune. Là où se démarque franchement Nier automatA de Yoko Taro. Ce dernier dépasse largement le genre du nekketsu pour s’ancrer dans des récits définitivement plus seinen que shonen.

Les peuples comme les reflets de la société japonaise

D’une manière générale, il est aussi très intéressant d’observer les différentes races d’Hyrule comme des reflets de la société japonaise. Si Urbosa incarne une matriarche tsundere, son peuple, les Gerudo représente il me semble la culture Gyaru ou Kogaru, c’est-à-dire des jeunes femmes japonaises aux cheveux décolorés et bronzées. Les Gerudo regroupent à elles seules plusieurs fantasmes japonais autour des femmes. Il est évident que leur représentation dans BOTW est à associer aux divers phénomènes culturistes dont la muscular girl que l’on retrouve dans certains mangas du type pantsu. Aussi, il est intéressant de voir que les citadines de cette société matriarcale dirigent leurs forces vers le fait d’être une « bonne épouse » : cours de cuisine, cours de séduction. La femme y est aussi représentée comme tentatrice tandis que l’homme se doit de rester à l’écart ou naïf sur ces questions. Voir des Gerudo prendre des cours de cuisine m’évoque cette tendance que je vois dans les mangas à propos des Kogarus. Il s’agit dorénavant de les exposer en incluant des éléments de la culture moe : manque de confiance, crédulité, ignorance de certains faits et gestes. Je pense notamment au manga Gal Gohan dont le récit présente une gyaru prenant des cours de cuisine. Pour toutes ces raisons, les Gerudo de BOTW sont particulièrement d’actualité dans les sujets de représentations que l’on retrouve dans les productions culturelles japonaises. L’intérêt grandissant des japonais pour les Kogaru et les muscular girls explique leurs chara design ainsi que leurs traits de personnalités. Synonyme de légèreté, les Gerudos contrastent avec le reste des peuplades d’Hyrule.

A propos des relations amoureuses au Japon et surtout leur représentation dans les jeux vidéo, je serais très heureux d’avoir une discussion avec Léticia Andlauer qui travaille sur les visual-novels japonais de drague. Je reste très approximatif dans mes propos, c’est pourquoi, si vous êtes intéressés par ces sujets, je vous invite à découvrir son travail et la contacter directement ici =>

https://twitter.com/Leticiandlr

A l’extrême opposé, les Zoras m’évoquent le sérieux et l’esprit du travail d’équipe = l’antithèse complète des Gerudo en somme. Leur histoire indique qu’ils ont ensemble construit leur lieu de vie totalement décloisonné et non privatif, à l’instar des représentations que l’on peut avoir des environnements d’entreprises japonaises. Le collectif prend le pas sur l’individualité. Sidon, le prince de ce peuple, à l’inverse de la reine actuelle des Gerudo, se soucie d’abord de la collectivité avant de soucier de ce que cette dernière pense de lui. Il connait sa place et ne souhaite pas non plus interférer, remplacer dans les esprits, sa défunte sœur Mipha. Il y a chez les Zora une certaine volonté de protéger les traditions culturelles. Le rejet des hyliens de certains Zora ressemble fortement au Japon du début du XXème siècle qui interdisait l’entrée sur son sol d’immigrants ou tout simplement de marchands, coloniaux ou pas. On retrouve donc une forme de protectionnisme extrême qui se veut tout de même plus ouvert. En témoigne de cela le changement de posture du conseiller du roi Zora, réfractaire au début puis acceptant l’aide de Link. La mémoire de Mipha est aussi entretenue par la valorisation de ses actions. La relation qu’a Sidon avec sa sœur est d’ailleurs très emblématique de cela. Mipha est considérée comme un niveau de perfection inatteignable. Son statut d’icône ne peut être remis en cause par aucun Zora, elle l’est par définition.

Ainsi, les Zora représentent une certaine organisation sociale japonaise. Je considère qu’il s’agit là surtout des organisations valorisant le travail. Les Gorons sont quant à eux dans une organisation qui me fait penser aux systèmes mafieux. Il y a un fort respect hiérarchique, les gorons n’ont pas le droit de toucher aux canons du chef par exemple, et il y a un certain côté vénal de leur part à vouloir exploiter la montagne pour en tirer ses richesses. Le fait que les Gorons soient aussi esthétiquement proches des Sumos par leur vêtement rend l’ensemble extrêmement cohérent. Dans Freakonomics de Steven Levitt, les auteurs montraient un écosystème passionnant entre les jeux d’argent, la culture sumotori mais aussi les Yakuzas.  Les Piafs sont quand eux peut-être la représentation d’une forme d’élite. Ces deux derniers peuples me sont plus difficiles à définir puisque j’ai l’impression qu’ils sont moins nombreux que les Gerudos et les Zoras, particulièrement pour les Piafs que je n’ai côtoyés que très peu hormis Kass et celui qui nous conduit à la bête divine. Ces derniers sont tout de même intéressants puisqu’ils représentent des parents ayant quitté leurs familles afin de poursuivre un objectif de vie. J’ai l’impression que cela peut refléter plusieurs choses : traumatismes des familles séparées pendant la seconde guerre mondiale, travail du père dans une autre ville, expatriation d’un parent travaillant à l’étranger, etc. Il y a aussi des choses à voir dans ce cas-là. Il ne reste alors plus que les Hyliens et les descendants des Sheikas pour incarner la population japonaise réparti entre culture traditionnelle pour les Sheikas du village Kokorico et culture mixte pour les hyliens d’Hateno et du sud d’Hyrule (proches alors des régions du pacifique). Je ne vais pas m’attarder ici sur leur cas puisque les deux m’ont moins saisi. Cela se voit dans mon écriture : les Zoras et les Gerudos sont les peuples que j’ai le plus côtoyé étant donné que je n’ai pas encore pris le temps de réaliser les quêtes des populations du nord d’Hyrule. J’y reviendrais donc peut-être prochainement.

Conclusion

Pour conclure, j’ai apporté ici une lecture très personnelle du jeu. Je la suppose cependant fortement partagée par de nombreuses personnes dont celles avec qui j’ai discutées et qui se reconnaitront. Breath Of The Wild apparait comme un jeu reflétant la société japonaise tout en reproduisant avec facilités des codes du genre du nekketsu. Ainsi, plus que les opus précédents, il apparait comme un témoignage de ce qu’est la société japonaise aujourd’hui. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Cet article n’aurait jamais été possible sans les discussions et les échanges que j’ai eus avec les gens du discord LCV mais aussi des vidéos de Damastès et particulièrement sa lecture du peuple Gerudo que je reprends et agrémente ici. Sans ses avertissements, j’aurais aussi loupé de nombreuses choses.

Cet article a été écrit pendant la

 

De béton et d’acier – Horizon Zero Dawn

Cette série photo a été réalisée pendant la « Quelque Chose Jam ». J’ai choisi de réaliser des photos prenant pour modèle une ville en ruine avant que le soleil ne se couche. Il s’agit de décors qui ont été créés pour le jeu Horizon Zero Dawn, cher à mon cœur et dont le mode photo est incroyable.

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Jouer à voler – Breath Of The Wild X Fugl X Aer

Cette année, je me suis particulièrement focalisé sur des jeux mettant en avant des mécaniques de vol. Plus précisément, c’est surtout cette fin d’année qui m’a étonné puisqu’en quelques mois, à peine deux, j’ai joué à Fugl, AER et Zelda Breath Of The Wild. En parallèle, j’ai découvert grâce à la chaîne d’ « Un Bot Pourrait Faire Ça » le jeu Copoka et par la chaîne de Seldell le jeu Superflight. Etrangement, nous voilà déjà avec un corpus particulièrement intéressant car d’actualité. Alors, certes, nous pourrions très bien nous plonger dans les méandres de l’histoire des gameplays autour de cette mécanique en nommant d’autres jeux comme Mario 64, Sonic & Tails (& Knuckles)[1] mais je vais principalement me concentrer sur les 3 premiers jeux auxquels j’a joués.

En effet, « voler » a toujours fait partie de l’histoire des jeux vidéo. Je ne prendrais donc pas le temps de retracer un historique puisque SpaceWar! (1962) m’offre déjà une preuve et la non nécessité d’être exhaustif ici ; que les jeux mettant en scène Mario propose à partir de la version occidentale de Doki Doki Panic (1988) propose cela ; que Superman 64 reproduit honteusement cette mécanique. Bref, nul besoin de cela pour l’exercice que je réalise aujourd’hui.

Cependant, il convient malgré tout de proposer une définition de cette mécanique du « vol » sur laquelle je vais me concentrer afin de restreindre le sujet aux jeux que je souhaite aborder. Ainsi, je définis ici le gameplay du vol de la façon suivante :

Un gameplay focalisé sur le vol correspond à la mise en place de règles constitutives (Duflo, 1997) permettant le déplacement plus ou moins libre du ou de la joueuse selon 3 axes directionnels dans le cadre des jeux en trois dimensions et 2 axes directionnels dans le cadre des jeux en deux dimensions et ce, sans obliger l’avatar du joueur à toucher un élément contraignant (un sol, un mur physique) composant le level design ou l’environment design.  

De manière assez drôle, la définition que je propose ne permet pas de distinguer les situations de vols aux situations de nages. En effet, il me semble impossible de définir cette mécanique uniquement par des éléments ludiques. Il me semble que dans ces cas précis, nous sommes obligés d’intégrer l’importance des représentations graphiques. On peut alors se rapprocher du concept de métaphores expérientielles (Rusch, 2008) pour expliquer la nécessité de la représentation d’un décors nous permettant de comprendre qu’il s’agit bien de voler (et non de nager).

Aussi, il apparait que les jeux que j’ai sélectionnés ne correspondent qu’à une situation de vol atmosphérique. Je ne cherche donc pas à comprendre ici le game design et le gameplay des situations de vols proposées par exemple dans le dernier Call Of Duty se déroulant dans un futur proche. Cependant, comble de la coïncidence (ou pas), il me semble que BOTW, Fugl et AER sont des parangons de trois philosophies distinctes dans la façon de game designer le vol.

En premier lieu, il convient d’aborder Breath Of The Wild, non pas parce qu’il propose une mécanique extraordinaire. Au contraire, je trouve BOTW particulièrement banale dans sa façon de designer l’acte de voler. La Paravoile ne se distingue finalement pas véritablement de la feuille mojo de Wind Waker. Ce qui dénote évidemment, c’est l’environnement qui, par son immensité et sa verticalité, nous donne plaisir à utiliser l’objet. Cependant, il convient ici de clairement statuer qu’il s’agit plutôt de « planer ». Dans une certaine mesure, c’est quelque chose de typique dans les jeux vidéo. Par contre, je retiens l’action qui est demandée au joueur. En effet, j’ai eu une assez mauvaise impression de la paravoile et de cette mécanique au début de ma partie sur BOTW. Je trouvais alors particulièrement désagréable de devoir maintenir le stick analogique gauche de ma manette (ou mablette pour ce qui se souviennent de la communication de Nintendo à propos de la Wii U) pour pouvoir avancer. J’ai trouvé cela désagréable jusqu’au moment où je fis le rapprochement avec la barre d’endurance de Link. Alors, tout devint cohérent dans ma réflexion : voler ou planer est un effort et il est nécessaire de la faire signifier au joueur par une action physique. Voici la philosophie principale que j’observe à propos de BOTW. Le fait de planer est un effort et il est important de créer un alignement entre un effort représenté dans le jeu, la barre d’endurance qui diminue, et un effort physique réel de la part du joueur : maintenir le joystick pour avancer. Il s’agit à mon sens d’une philosophie de game design relativement classique mais l’alignement des efforts représentés et réels est devenu pour moi un choix de game design particulièrement intéressant. Par ailleurs, cela aligne cette mécanique avec le reste des objets basés sur divers systèmes de péremption.

Si Zelda BOTW est le dernier jeu chronologiquement parlant, AER est le premier puisque j’y avais déjà joué à l’Indiecade Paris. Il me semblait cependant important d’aborder Zelda en premier car je considère sa proposition comme la plus typique des trois jeux. AER se distingue de tout ce à quoi j’ai joué auparavant car il fait du vol sa mécanique centrale en jouant sur des phénomènes de transformations qui permettent au joueur ou à la joueuse d’alterner entre des phases en tant qu’humaine et des phases en tant qu’oiseau. Autant dans Zelda que dans AER, c’est la seconde pression du même bouton qui nous fait passer d’un état « au sol » à un état « dans les airs. Ici aussi l’espace et l’environnement joue sur le sentiment de liberté. Première chose notoire, il n’est plus obligé de maintenir un effort pour permettre le vol. Par ailleurs, les décors sont particulièrement épurés. Nous ne faisons que parcourir un monde parcellaire dont les seuls morceaux de terres sont des petites îles. Le plaisir de voler n’est donc pas lié à mon sens à l’évitement d’objets, ou du moins, il s’agit là d’un aspect minoritaire. Au contraire, tout le plaisir de voler est lié au sentiment de vitesse, au fait de transpercer des obstacles comme les nuages mais aussi à frôler d’autres objets comme l’eau. De même, on remarque le cadre qui se détache de notre avatar tout en augmentant le FOV. Cela augmente le sentiment de distance et de vitesse. Dans AER, le plaisir de voler est lié au sentiment de vitesse et au fait de faire de grands mouvements, de belles grandes trajectoires tout en passant à travers des objets. Le plaisir est aussi lié à l’alternance de phases de vol et de chute. Il y a une façon de susciter des formes de vertige dans le gameplay.

Vient enfin le dernier jeu sur lequel je vais me concentrer : Fugl. Dans ce dernier jeu, tout en voxel, le plaisir de voler n’est ni lié à un effort comme c’est le cas pour Zelda, ni lié au fait de parcourir de longue distance de manière vertigineuse avec AER. Ici, le plaisir de voler s’effectuer par des trajectoires serrées, le fait de naviguer entre les montagnes et de zigzaguer. Même si l’on ne chute pas, il devient intéressant d’imiter certains comportements comme réaliser des piqués, frôler des éléments de l’environnement. Contrairement aux précédents jeux, ce sont les mouvements du joueur qui doivent être rapides. L’utilisation des voxels oblige aussi le ou la joueuse à ne pas fixer son regard sur son avatar mais à aussi observer les décors, vallées inondés, mangroves, cavernes scintillantes en été ou en hiver. Illogismes et incohérences créent alors un monde merveilleux à parcourir avec fougue. Il devient alors intéressant de comparer Fugl et AER. Si les deux nous invitent à observer leur environnement, ils s’y prenne de deux manières différentes. Le premier, par son décor vallonné nous maintient dans la surprise de ce qui va survenir. L’absence de musique et la procéduralité des décors nous invitent à rester en alerte permanente ou du moins, à mobiliser le plus possible notre attention. Le second, par la présence d’une musique et l’absence d’obstacle à éviter nous propose une expérience plus lente. On en vient à plutôt fixer notre regard sur un point à atteindre et qui est assez éloigné de nous. AER se rapproche finalement de ce que propose Zelda BOTW lorsque nous planons à ce niveau.

A travers ces quelques jeux, je dégage 2 façons de game designer des gameplay liés au fait de voler. Il est évident que j’aurais pu parler d’autres jeux encore. Je pense notamment à Race The Sun qui mériterait que l’on s’y attèle vu la discussion autour des énergies renouvelables qu’il propose. Tout d’abord, Zelda BOTW nous apprend que l’acte de voler peut être contraint dans une temporalité donnée. Cette temporalité prend la forme d’une barre d’endurance dans le cas de Zelda mais des jeux plus anciens comme Mario 64 ou Spyro définissent une contrainte de temps seulement. Avec Fugl AER, j’observe qu’il y a deux grandes philosophie lorsqu’il s’agit de proposer des expériences de vol aux joueuses et joueurs. Premièrement, l’acte de voler peut correspondre au fait d’effectuer des trajectoires longues. L’expérience est alors plutôt lente. Le ou la joueuse ont une vue dégagée, ce qui leur permet de fixer des point d’arrivée très lointain. Entre temps, ils et elles peuvent observer les décors à l’avis. Zelda BOTW et AER s’inscrivent totalement dans cette structure de jeu, le temps long invite le ou la joueuse à se fixer des objectifs sur un moyen ou long terme dans l’acte de jouer. Secondement, l’expérience de voler peut exiger aux joueuses et joueurs de rester en alerte du fait d’un environnement contraint. L’objectif s’inscrit alors dans des stratégies d’évitement. La temporalité du jeu n’inclue pas forcément un point d’arriver. Il s’agit ici pour les joueuses et joueurs de penser et d’être vifs à très court terme.

A travers ces exemples, je pense constater que quelques petits changements peuvent grandement changer l’expérience finale du joueur en terme. Il ne s’agit dont plus de penser ce phénomène comme unifié puisqu’avec seulement trois jeux, j’ai constaté trois façons distinctes de voler. Il serait dorénavant intéressant de poursuivre ce travail en constituant un véritable corpus de jeu puis en qualifiant le plus précisément les expériences proposées. Un travail d’orfèvre s’ouvre à nouveau devant moi. ■

 

Esteban Grine, 2017.

 

Cet article a été écrit pendant la

 

[1] J’adore particulièrement cette blague dans ce contexte car elle fait totalement sens avec le sujet de cet article.

De mes difficultés de chercheur blogueur

De mes difficultés de chercheur blogueur

J’ai récemment fait une bêtise en tant que chercheur. Pas une grosse bêtise en terme de visibilité (surtout qu’elle aurait pu être encore moindre sans les réseaux sociaux), mais suffisamment une bêtise pour avoir ennuyé et attristé des personnes que je respecte énormément et auxquelles je tiens : j’ai tout simplement réécrit, paraphraser dans un billet de blog le sujet de thèse d’un collègue. Le billet n’est plus accessible et je n’ai pas l’intention d’étaler ce cas dans le futur. C’est d’ailleurs assez rare que sur mon blog, je m’exprime sur mon activité de doctorant. Voilà donc un moment propice pour écrire sur les difficultés que je peux rencontrer dont une que j’identifie aujourd’hui à cause de cette histoire.

Dès le début de mes recherches, j’ai fonctionné à cheval entre mes travaux de doctorant et mes travaux de producteur de contenus sur internet. Ma chaîne YouTube n’a d’ailleurs été lancée en 2015 que pour tester mes capacités à travailler de manière régulière sur plus ou moins un même sujet. C’est ensuite, en 2016, que je me suis lancé dans une activité de doctorat. L’histoire que j’ai racontée au début de cet article est révélatrice il me semble d’une difficulté que j’arrive aujourd’hui à identifier : j’évolue simultanément sur deux rythmes (Ah Lefebvre, décidément, tu n’es jamais loin), deux timelines pourrions-nous dire. Et ces deux rythmes ne sont pas synchrones. Cela peut donc amener à des conflits que je cause et que je n’arrive à comprendre qu’a posteriori.

Le 24 décembre, j’ai donc entamé la rédaction d’un billet de blog et j’ai été épris dans une « écriture passionnée ». Coucher 10 000 signes en deux heures est ce que j’appelle une « écriture passionnée » (je ne regarde alors que la production et me fiche ici de l’intention qui certes peut évidemment être passionnée dans des temporalités bien plus longues). Cela concernait un jeu qui m’a particulièrement retenu ces deux dernières semaines : Breath Of The Wild. Je considère avoir écrit dans l’instant et de manière autarcique dans le sens où je ne me suis soucié de personne lors de l’écriture. Il ne me semblait pas être mal intentionné. Avec du recul, il est bien évident que la réflexion proposée provient de nombreuses discussions que j’ai eues avec d’autres pairs dont la personne concernée que je n’ai pas citée alors que j’aurais dû le faire.

J’écris aussi ce présent billet plus par besoin personnel que pour être lu. Dès la critique que j’ai reçue, j’ai dû immédiatement faire un effort drastique pour accélérer la phase de colère, puis de déni, puis de négociation pour immédiatement passer au regret et la plus ou moins grande correction partielle de mes bêtises (Kubler-Ross, au moins ta courbe sert à quelque chose de plus utile que de dire que Link est mort). J’ai pu faire cela aujourd’hui. C’est une frayeur d’imaginer que l’inverse peut un jour se réaliser. Je me fiche pas mal de la méthode par laquelle j’ai été contacté car je l’accepte très bien dans d’autres cas mais voilà l’exercice auquel j’ai été confronté pour choisir mes réactions dont la première a été l’incompréhension et la surprise. Que se serait-il passé si j’avais choisi de bloquer les critiques et de maintenir l’article ?

Cela a été un exercice complexe. En tant que chercheur intégré dans plusieurs communautés de discours, j’ai vu mes contenus repris par d’autres pairs : blogueurs, journalistes, machins et trucs. Je n’ai pas tout le temps été cité en tant que source, ou alors injustement par rapport à d’autres sources (il y a une véritable lecture marxiste à faire en terme de monopolisation de l’espace que certaines sources prennent par rapport à d’autres : pourquoi par exemple, quand on cite deux vidéastes explicitement, on décide de faire de la publicité dans une vidéo que pour un ?). Je n’avais alors vu que le côté du plagié. Aujourd’hui, je me retrouve du côté du plagieur involontaire. J’ai pu corriger du mieux que je pouvais la situation : l’article n’a été en ligne que 30 minutes et je suis allé présenter mes plus sincères excuses à la personne concernée tout en promettant d’être plus sensible aux sujets de recherche des uns et des autres. Voilà une difficulté non négligeable, si en tant que chercheur, je ne m’aventure pas au-delà de mon sujet, en tant que blogueur, c’est la fiesta.

D’où ma difficulté à avoir le cul entre deux chaises. D’un côté, j’ai une écriture soumise à un rythme et des codes de recherche. C’est-à-dire très long avec de nombreuses barrières de protection. De l’autre, j’ai une écriture libre et sans contrainte. Cela me permet de produire beaucoup de choses mais il n’y a aucun filet lorsque je fais une bêtise. Je suis à cheval sur ces deux rythmes de production. D’un côté, j’essaie de produire des savoirs académiques. De l’autre, j’essaie de produire des savoirs populaires. Je ne fais une distinction ici que par rapport aux différentes communautés de pratiques et de discours. Je ne nivelle donc pas les savoirs et je ne souhaite pas spécialement tenir une discussion à ce sujet.

Maintenant, voici les dilemmes dans lesquels je me retrouve. Mes activités ne sont pas clairement partagées de manière équitable et chacune de mes identités nourrit l’autre. Mes articles de blog sont une façon de structurer ma mémoire et ma pensée (et parfois d’être réflexif sur ma situation de doctorant), mes recherches sont une façon de proposer de nouveaux axes de réflexions dans mes productions populaires. Par ailleurs, je comprends, plus que jamais, à quelle point la production académique est, à mon sens, dépassée par les productions populaires lorsqu’il s’agit du jeu vidéo. Aujourd’hui, en tant que blogueur, j’ai coupé l’herbe sous les pieds de quelqu’un, hier, j’ai vu des vidéos, excellentes au demeurant, proposant des réflexions similaires voire identiques et des papiers personnels qui seront peut-être publiés dans six mois ou un an. L’exemple de certains vidéastes est alors remarquable. N’y aurait-il pas de nouveaux « Nabokov des Terter » sur YouTube ? En tant que chercheur, je dois alors jongler avec mes pairs mais aussi me démarquer des contenus extraordinaires et qui nourrissent forcément mes lectures de certains jeux. Metal Gear Solid 2 a pris une toute nouvelle coloration une fois que j’ai vu et entendu les propos du vidéaste Super BunnyHop. Et aujourd’hui, sa lecture du jeu est incontournable, même pour le ou la chercheuse qui s’intéresse à ce sujet. De manière personnelle, je dois voir cela non pas comme forcément une forme de lutte, de compétition, mais aussi comme un ensemble de phénomènes merveilleux de coopération : relecture, entraide, citations existantes des un·e·s et des autres, productions collaboratives. C’est vraiment une lecture que je dois embrasser plus que certains réflexes de ma part à tout concevoir comme des luttes de classes.

La dualité des personnalités qui me sont attachées s’en retrouve dans la signature même de mes articles : Esteban Giner pour une communauté, Esteban Grine pour l’autre. C’est Esteban Grine qui a rédigé un billet nuisant à un pair d’Esteban Giner. Vouloir jongler entre ces deux univers est un exercice difficile auquel je pensais pouvoir me confronter notamment en proposant de vulgariser le travail des autres. Créer des problèmes en tant que blogueur à un collègue chercheur est une chose très désagréable à causer, puis à vivre. Je pense avoir compris cette leçon à présent et tâcherais de ne pas reproduire cela. Cela passe par le maintien de mes deux identités sans laisser l’une prendre le pas sur l’autre comme ce fut le cas avec cette histoire il me semble.

A défaut de ne rien promettre, je peux au moins signaler que si une personne lisant ce billet considère que j’aurais dû citer une autre personne ou qu’un article ne respecte pas le travail de quelqu’un, elle peut me contacter ici : @EstebanGrine sur twitter soit en public, soit en privé. Je tâcherais de rester transparent peu importe la façon dont on me contacte. Evidemment, je préfèrerais passer en premier par des messages privés (mes DM sont ouvertes) comme je l’ai moi-même déjà fait auprès d’autres collègues pour leur signaler un oubli. Le message, c’est le medium. ■

Esteban, 2017.