Incarner le présent et l’actuel – Breath Of The Wild

Breath Of The Wild comme incarnation du présent et de l’actuel

J’approche de la bataille finale contre Ganon et des dizaines de sujets me viennent en tête lorsque je pense à Zelda Breath Of The Wild. Après un premier billet sur la perte de repères et l’impossibilité d’appréhender le monde, je souhaite maintenant parler de la façon dont Zelda BOTW incarne son époque.

De manière plus générale à Nintendo, les jeux sortis sur Switch sont les reflets de notre époque. Si Mario Odyssey est pour moi l’objet le plus représentatif des jeux vidéo en 2017 et le plus cumulatif en termes de mécaniques de gameplay, Zelda cristallise les pratiques des individus dans leurs vies de tous les jours. Mario prétexte une pluralité de royaumes afin de créer des atmosphères et des ambiances différentes. Cela se matérialise en de nombreuses références artistiques. Chaque monde se distingue de l’autre par des particularités en termes de direction artistique : pixel art, hyper réalisme, low-poly, etc. Ses mécaniques proviennent de nombreux anciens jeux issus de la série des Mario 3D mais aussi d’autres licences : impossible de ne pas reconnaitre Kirby lorsque Mario se transforme et acquière les compétences des monstres. Mario Odyssey incarne le Nintendo 2017 tout en transportant l’héritage de la maison en lui redonnant une couleur actuelle. C’est un exercice périlleux qui semble malgré tout avoir conquis son public. De même, le dernier Mario adopte et s’adapte aux codes actuels du jeu vidéo : de nombreuses récompenses permettant des sessions courtes de jeux. Le JV est passé sur smartphones et se joue lorsque nous sommes dans nos transports en commun, alors Mario doit aussi proposer des situations permettant à ce genre de sessions vidéoludiques d’apparaitre. Il le fait avec brios quoique venant peut-être en contradiction avec l’expérience recherchée par des joueurs un peu plus anciens et qui avait déjà été habitués à un certain format par les Mario 3D.

Zelda Breath Of The Wild propose lui aussi une aventure qui s’adapte aux pratiques actuelles du jeu vidéo en 2017. Permettre  des sessions courtes comme des sessions longues, voilà ce que l’on comprend en jouant à ce jeu. Le sentiment de liberté proposé par le jeu doit aller en dehors du jeu : une simple sauvegarde et l’on peut directement éteindre la console. On comprend alors pourquoi les donjons, les sanctuaires, sont bien plus petits et les énigmes plus segmentées, parcellées. Il faut pouvoir reprendre une partie sans avoir à se remémorer la ou les précédentes sessions. Ceci est clairement un point commun aux nouvelles itérations de Zelda et Mario, mais, en tant qu’incarnation du présent, Zelda va beaucoup plus loin. En effet, BOTW ne fait pas que s’adapter aux pratiques vidéoludiques d’aujourd’hui, il reflète les pratiques que les gens, joueurs ou non, ont dans leur vie quotidienne. L’aspect définitivement technologique de BOTW est un premier indice de cela mais c’est surtout l’utilisation de ces technologies qui incarne le présent que nous vivons : rien de mieux que des armes qui se brisent pour refléter l’obsolescence programmée, rien de mieux que la tablette Sheika pour représenter les smartphones.

Breath Of The Wild brille par la traduction en moment vidéoludique de ce qui nous vivons dans la réalité. Link incarné par le ou la joueuse, en utilisant la tablette Sheika centrale dans le jeu, ne fait que reproduire des applications et des comportements qu’il ou elle a dans sa vie quotidienne. La compréhension et l’appréhension du monde passe par cette tablette, ce smartphone. Il est intéressant alors d’observer un changement radical entre les précédents opus et celui-ci puisque ce dernier concentre dans un même objet de nombreuses applications tandis que les anciens proposaient d’utiliser un objet pour chaque application. BOTW traduit cette concentration des usages que nous vivons tous les jours depuis une quinzaine d’années. De l’objet lié à un seul usage, nous sommes passé au tout-en-un absolu, au media center plutôt que consoles, aux smartphones plutôt que de multiples outils de bureautique.

Ainsi, Zelda BOTW et Mario Odyssey incarnent ce qu’il y a de plus actuels à propos des jeux vidéo. Par leurs mécaniques, ils actualisent des formules et des gameplay afin de : (1) mobiliser des ressources et des compétences en termes de game design internes dans le but de leur offrir une nouvelle jeunesse (c’est le cas des mécaniques de gameplay Mario Odyssey) ; (2) dresser un état de l’art en termes de direction artistique ; (3) tenir des promesses longuement tenues et soutenues (la promesse  de l’exploration des mondes ouverts comme finalité en soi entre autres) et ; (4) ludifier des comportements et des pratiques actuelles, c’est le cas de BOTW qui utilise intelligemment l’idée du smartphone pour en faire un véritable outil d’appréhension du monde. ■

Esteban Grine, 2017.

Appréhender le monde, promesse non tenue – Breath Of The Wild

Appréhender le monde, promesse non tenue de Zelda Breath Of The wild

Rassembler ses pensées pour écrire sur Breath Of the Wild est un exercice complexe. L’immensité du monde qui nous est proposé rend la tâche difficile. De facto cela peut être un excellent point d’entrée : cette impossibilité à concevoir Hyrule comme un monde fini, entier. Dans une précédente tentative de billet, je comparais Zelda Majora’s Mask et SUPERHOT. Je considère ces deux jeux comme des oxymores. Dans le premier, nous errons dans un monde qui ne fait pas attention à nous tandis que le second nous place au centre de tout, de l’espace et du temps. C’est d’ailleurs l’un des points remarquable de SUPERHOT : la façon dont il critique le nombrilisme de l’acte vidéoludique mais peut-être que j’y reviendrais un jour. Ce qui importe, c’est que dans ces deux cas, nous nous retrouvons malgré tout face des jeux nous laissant prendre la mesure de la grandeur, de la taille des environnements explorables.

Dans Majora, le monde est finalement très bien circonscrit et les actions du joueurs aussi, autant dans l’espace que dans la temporalité du jeu. Au bout d’un certain moment, on arrive à comprendre l’ensemble des enjeux qui y sont développés. On peut, malgré le fait qu’en tant que joueur nous soyons rejetés, appréhender le monde. C’est cette notion qui m’intéresse particulièrement ici : appréhender le monde. Au contraire, dans SUPERHOT, nous sommes dès le début du jeu totalement au contrôle d’absolument tous les paramètres et le jeu (ou plutôt les game designers) en est totalement au courant. Nous appréhendons les mondes qui nous sont proposés. Ce sont des matières plastiques avec lesquelles les joueurs composent. Dans ce billet, je résume finalement les propositions que nous font les jeux vidéo à cette appréhension du monde.

A travers ces deux exemples, ce que j’essaie de démontrer, c’est que peu importe la place du joueur, à côté ou central dans la trame scénaristique, les mondes sont finis dans leur code informatique et dans leurs représentations. C’est à mon sens la promesse la plus banale que peut nous faire un jeu vidéo. A mesure que notre compétence et notre maitrise grandissent, le monde perd de sa splendeur, de son immensité pour être ramené à sa représentation rationnelle. C’est peut-être ce désenchantement du monde qu’évoquait Damastès en citant Max Weber. Pour reformuler simplement la chose, les game designers & designeuses nous font la promesse de désenchanter le monde virtuel dans lequel nous évoluons.

Je ne vois absolument pas cela comme un problème. A aucun moment, dans ma vie de joueur, je ne me suis questionné sur cela et c’est sur ce point que Zelda Breath Of The Wild tranche totalement dans mon expérience. Je n’arrive pas à conceptualiser le moment où je considérerais le monde dans sa finitude. Pourtant, il est évident que par son code informatique, le jeu « fait œuvre »  dans sa complétude et sa complexité. Cependant, dans esthétique, je n’arrive pas à voir le moment où je serais « désenchanté ». J’ai l’impression que ma courbe de compétences n’est pas liée au désenchantement du monde  contrairement aux autres jeux et notamment ceux que j’ai cités. Et cela m’a aussi questionné par rapport à d’autres jeux de rôle comme Skyrim ou Oblivion qui sont deux jeux immenses en termes d’espaces explorables mais à aucun moment je ne me suis dit que je ne pouvais pas « maitriser » ces jeux, leurs intrigues, etc. Même dans Horizon Zero Dawn que j’ai beaucoup aimé, j’ai vécu la même chose.

Dans la temporalité de l’acte de jouer, c’était la maitrise et la compréhension qui précédait l’ennui. Rétrospectivement, j’ai l’impression que cela a toujours été le cas dans tous les jeux auxquels j’ai joués. Pour Breath Of The Wild, j’ai l’impression que c’est l’inverse qui va se produire. Je vais d’abord m’ennuyer avant de comprendre ou de rationaliser les terres d’Hyrule.  Mes propos peuvent sembler durs ou trop scientifiques mais autrement formulés, cela veut dire que l’univers restera (après mon passage) enchanté, merveilleux. C’est une nouvelle promesse vidéoludique qui s’offre. Sans forcer la rationalisation du monde, les comportements ludiques deviennent, pour paraphraser Guillaume Grandjean : « gratuits et cela ouvre… des perspectives… artistiques ? ». ■

Esteban Grine, 2017.

Le dilemme de la future économie du jeu vidéo

Cloud Gaming VS Cloud Computing Vs Steam, Le dilemme de la future économie du jeu vidéo

Dans une discussion animée avec Thomas et Rémi d’Un Drop Dans La Mare, nous abordions le futur du jeu vidéo et ce, surtout dans sa dimension économique de marchandise amenée d’un point A, le producteur, à un point B, le consommateur. L’interrogation principale  était la suivante : entre le cloud gaming et le cloud computing, lequel sera le survivant ?

Suite à nos échanges, il apparait que cette question n’est peut-être pas si bien posée dans le sens où il s’agit fondamentalement du même service, lié aux mêmes technologies et soutenu par un système économique identique. Dans les deux cas, nous avons un ordinateur loué à titre personnel dans le cas du cloud computing ou nous avons un ordinateur/serveur dont le catalogue de jeux est à disposition de tous, pourvu qu’un abonnement soit souscrit. Ainsi, en termes économiques, il s’agit d’une relation marchande qui suit une même logique. Nous avons là deux formes d’abonnements proposant des Softwares As A Service. L’accès aux jeux ou du moins à la machine est donc conditionné par le paiement sur une plus ou moins grande échelle de temps. Or cette problématique occulte d’autres formes d’économies possibles.

Dans ce cadre, nous inscrivons notre réflexion afin d’encastrer des marchés du jeu vidéo dans l’économie de la fonctionnalité. Cette appellation définit le processus de certains acteurs sur des marchés à remplacer la vente de biens par la vente d’un service : on ne vend plus les jeux, on vend un accès aux jeux. On ne vend plus des pneus, on vend des kilomètres (c’est le cas de Michelin pour ce dernier exemple). Dès lors aujourd’hui, si l’on regarde ce qu’il se passe au niveau du jeu vidéo, on s’aperçoit qu’il existe déjà des formes d’économies liées non pas à l’acquisition d’objets mais permettant simplement l’accès à leurs fonctions. On n’achète plus un jeu pour le jeu, l’objet physique mais on achète un droit d’utilisation pour obtenir la fonction du jeu : l’expérience. Cela semble très théorique mais de manière pragmatique, c’est exactement les services que proposent Steam, GoG, uPlay, etc.

Nous nous retrouvons donc ici avec une multitude de propositions SaaS et ce avec des philosophies différentes. D’un côté il y a donc les services qui proposent un abonnement à un catalogue et de l’autre les services qui donne un accès libre mais dont les items du catalogues sont payants. D’un côté, c’est l’entrée qui est payante mais les quelques consommations sont offertes, de l’autre, l’entrée est libre mais quasiment tout est payant mais dans une variété infinie.

Dans chacun de ces systèmes, le ou la joueuse se retrouve pris entre des avantages et des inconvénients mais c’est surtout ce qu’il va privilégier qui va nous intéresser ici : soit la liberté de partir quand il le décide, soit un accès quand il le veut à tout moment. C’est à notre sens le point central qui doit être retenu lorsqu’il s’agit de différencier ces services. Les plateformes comme Steam ont pour conséquence d’enfermer le ou la joueuse dans un écosystème. Ce dernier ayant un compte accumulant des licences d’utilisation est incité à poursuivre son accumulation sur la même plateforme et avec le même compte. Les plateformes comme Blacknut en revanche proposent aux joueurs et aux joueuses de ne pas avoir d’attache. Leur intérêt réside alors dans leur curation et le renouvellement de leur offre afin de maintenir le ou la joueuse dans une attente, une envie de renouveler son abonnement afin de découvrir de nouvelles expériences.

Si les effets pervers sont facilement observables pour les premiers services, les seconds en concentrent un certain nombre aussi. La curation est clairement un phénomène cachant des enjeux politiques et idéologiques concernant les jeux vidéo. Le choix des jeux vidéo sélectionnés est discutable pour toutes les plateformes de ce type. Le rôle du curateur ou de la curatrice prend alors trop d’importance sur les expériences possibles. Il ne faut donc pas voir cela autrement que par de la manipulation via du soft power (ce qui au demeurant, n’importe pas peu).

Finalement, pour ne pas non plus trop m’étendre, je dirai que le débat soulevé par ces formes d’économies de la fonctionnalité relève d’un positionnement philosophique du ou de la joueuse sur ce qu’il ou elle est prête à abandonner pour pouvoir jouer. Dans tous les cas, il ne devient pas propriétaire des jeux (sauf pour des cas précis de vente sans drm comme GoG). Des lors, soit il ou elle fait le choix de n’avoir qu’un droit d’accès très restreint dans le temps, soit il décide d’avoir un accès aussi pérenne que l’existence de sa prison-service, ce qui ressemble à un pari risqué quand on y réfléchit posément.

Esteban Grine, 2017.

Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie

Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie

Les rétroactions sont un sujet qui interroge aujourd’hui en pédagogie mais il peut être intéressant de faire un pas de côté pour observer la façon dont le design et le game design abordent cette question. Dans cette courte présentation, nous allons donc évoquer quelques objets ludiques et la façon dont ils diffusent des messages, des idéologies et des feedbacks à leurs joueurs.

Notre premier exemple concerne le jeu Monopoly, jeu initialement nommé The Landlord’s Game d’Elizabeth Magie conçu comme une critique de l’accaparement des Terres. Autrement dit, il s’agit d’une critique de la privatisation des Terres et presque de la pensée de John Locke. Le monopoly dans sa version actuelle par ses mécaniques de gameplay est tout l’inverse. Les règles contenant les différents feedbacks qui doivent être appliqués à la suite des actions des joueurs soutiennent un discours certes capitaliste mais il convient de pousser un peu plus en qualifiant cette forme de capitalisme : à savoir que la seule économie viable est celle des monopoles privés. par ailleurs, il convient de rappeler que les TRC, les règles de jeux et/ou de feedback s’inscrivent dans un contexte contenant des représentations schématisées ou réalistes qui coconstruisent le sens donné aux rétroactions. C’est pourquoi il est intéressant de voir le Paris représenté par le Monopoly :

Le deuxième jeu que je souhaite évoquer est le trivial Pursuit. Ce jeu est présenté comme le jeu des connaissances or il convient de spécifier cela en énonçant qu’il s’agit d’une ludification d’un système d’évaluation des connaissances. Ainsi, les rétroactions, ou plutôt les inter-réactions qui apparaissent dans le jeu s’ancrent dans une perspective sommative ; il devient donc intéressant de questionner si nous pouvons réellement considérer le Trivial Pursuit comme un jeu ayant une affordance, c’est à dire une capacité à suggérer sa propre utilisation, pour un usage pédagogique. Nous faisons l’hypothèse que ce type de jeux ne favorise pas l’émergence de situations potentielles d’apprentissage. il semble donc important de constater ici le nécessaire alignement entre l’intention, l’objectif, l’approche pédagogique et le type de rétroactions. le trivial pursuit met en exergue justement les incohérences qu’il peut y avoir entre tous ces éléments.

Notre dernier exemple concerne les jeux vidéo et plus particulièrement un certain type de comportement. En effet, il est important d’observer que lorsque nous parlons de gameplay, nous associons une structure de règles (le game) à un comportement ludique (le play). de part leur structure codée et donc rigide, on peut supposer que les jeux vidéo contraignent fortement le comportement du ou de la joueuse. Or, les game studies acceptent généralement le postulat que plus une situation est contraignante et plus le ou la joueuse fera preuve d’imagination pour se jouer du système. Les exemples les plus flagrants sont notamment contenus dans la pratique du speedrunning. Dans ce cadre, les intentions des game designers ne sont plus respectées et les joueurs mettent en place des logiques et des stratégies de détournement rendant inefficaces les techniques de rétroaction. Le game design et les jeux nous permettent donc de mettre l’accent sur les limites des systèmes et la façon dont les joueurs les exploitent. Les parallèles avec la pédagogie deviennent alors aisément observables. Les rétroactions donnent des indications sur les comportements que les apprenants doivent adopter pour s’assurer une réussite dans le système et ce, en minimisant l’effort effectué.

A travers nos exemples, nous montrons que le game design peut éclairer notre compréhension des techniques de rétroactions en classe. En effet, les jeux et encore plus les jeux vidéo rationalisent ces processus et les inscrivent dans des situations potentielles d’apprentissage. Ces dernières restent potentielles car en fonction de l’alignement pédagogique mais aussi du contexte pragmatique dans lequel se déroule l’activité de jeu, leur affordance s’en retrouvera soit potentiellement renforcée soit potentiellement diminuée ; ou du moins, les apprentissages ne seront pas identiques.  Le premier enseignement que nous retenons est le caractère constant, obligatoire et  généralement immédiat des formes de rétroactions présentes dans les jeux vidéo. Le second enseignement que nous observons est qu’un alignement est nécessaire entre l’objectif, le challenge et les rétroactions afin de ne pas créer d’incohérence (sauf si cela est voulu) à l’intérieur de la zone intermédiaire d’expérience du jeu (Winnicott, 1971). Il convient donc de questionner et de qualifier autant les rétroactions que les approches pédagogiques dans lesquelles elles s’inscrivent. Le dernier enseignement que nous définissons concerne les comportements et les réponses que peuvent effectuer les joueurs et les joueuses aux rétroactions. En effet, la mise en place d’un système d’évaluations ou de rétroactions invite l’apprenant ayant une attitude ludique (Huizinga, 1938) à tester et analyser les limites dudit système par la mise en place de règles régulatives (Duflo, 1997). Les boucles d’inter-réaction peuvent susciter aux joueurs  de donner un sens nouveau ou plutôt une nouvelle couche de significations à la communication ayant lieu, et ce, sans pour autant que cela soit conscientisé par les autres parties prenantes : le game design dans notre cas, l’accompagnateur ou l’accompagnatrice dans un contexte pédagogique.  ■

Esteban Grine, 2017.

 

Oublie-moi mon amour – Bury Me My Love

Oublie-moi mon amour – Regrette-moi mon amour

Je viens de terminer « Enterre-moi Mon Amour » (abrégé BMML par la suite). Enfin, terminer est un bien grand mot. Je viens d’atteindre plutôt l’une des fins proposées par le jeu et pas l’une des plus heureuses. Au contraire, j’ai découvert avec béatitude et surprise en sortant mon téléphone de la poche de mon manteau une fin tragique, incertaine et brutale.

Nour venait d’atteindre la Croatie et à cause de certaines circonstances, a dû se rendre à la police, sur mon conseil en plus. Sauf que la police n’a pas été tendre. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé par la suite mais cela m’interroge, forcément. Cette découverte a été assez surprenante puisque lorsque je prie mon smartphone, j’étais alors dans la voiture de ma sœur me conduisant chez mes parents. Comble de tout cela, j’étais assez grognon car je racontais l’amende que la SNCF venait de m’infliger. Bref, bien que nous étions en train de rire de mon litige, je n’étais pas spécialement dans un état d’esprit particulièrement assidu lorsque j’ouvris BMML. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir l’écran de fin du jeu, de manière si directe, abrupte. Je dois avouer que je n’ai pas compris ce qu’il s’était passé, une heure plus tôt, tout allait à peu près bien et pourtant, je me retrouvais avec un message audio particulièrement pessimiste de la part de Nour.

Au début, je ne savais pas quoi faire, complétement étourdi par la nouvelle. Puis très vite, je me suis fait la réflexion que ce n’était pas grave car je peux recommencer l’histoire, le jeu m’invite en plus à faire cela.

« Ce n’est pas grave car je peux recommencer l’histoire » ? Voilà une phrase bien récurrente dans les discours plutôt égoïste des joueurs et des joueuses. Peu importe le comportement et le sens que l’on donne à l’acte de jouer puisque dans tous les cas, on peut recommencer soit grâce à une savestate soit grâce tout simplement à la possibilité de recommencer une toute nouvelle partie. En recommençant, j’avais le pouvoir d’effacer le regret que je ressentais. Cependant, efface-t-on vraiment aussi simplement que cela une expérience vécu ? Je veux dire : même si’il s’agit bien d’une fiction que j’ai observé et à laquelle j’ai parfois participé, j’ai malgré tout ressenti des émotions suffisamment forte pour les considérer comme réelles.

Je ne fais pas partie des gens qui cloisonnent l’acte de jouer à un jeu vidéo à quelque chose en dehors de la réalité. Au contraire, je m’inspire beaucoup de la pensée de Jacques Henriot (sous couleur de jouer, 1989) qui considère l’idée de jeu comme étant un deuxième niveau de sens attribué à des actions ayant réellement un impact sur la réalité. Autrement dit, si le jeu se trouve dans la tête des gens, les comportements, eux, surviennent bien dans la réalité. Tout cela pour dire que finalement, même si BMML est une fiction, cela ne m’empêche pas de la considérer comme faisant partie de ma réalité. Comprenez-moi bien, je ne suis pas en train de dire que j’applique un univers fictionnel à la réalité. C’est tout l’inverse : j’étends ce que je considère comme la réalité à des objets de fiction puisque ceux-ci, peu importe le sens qu’ils ont, m’ont suscité d’agir de certaines façons.

Pendant cette semaine durant laquelle j’ai joué, j’ai suivi Nour, elle a agis en fonction de mes prépositions. Malgré tout, il n’y a pas eu de fin heureuse : je n’ai pas été un Dieu lui permettant de s’extraire de sa condition de personnage syrienne non joueuse. Et tout cela me chagrine énormément : « pourquoi ? Pourquoi est-elle punie ? Pourquoi suis-je puni ? Je n’ai rien fait de mal, je crois. Laissez-moi une seconde chance ! »

D’où le dilemme qui se pose maintenant au joueur que je suis : qui suis-je pour avoir une seconde chance ? N’est-ce pas là un désir égoïste ? Un besoin de rédemption ? Pourtant ce n’est qu’un jeu. Ou pas finalement, BMML, que je le veuille ou non, a pris plus de place dans mes pensées que n’importe quel autre jeu cette semaine et me voir écrire ces mots ne fait que renforcer l’idée que je me fais que « ceci n’a jamais été un jeu » pour faire un petit clin d’œil à Bateson et ça célèbre phrase : « ceci est un jeu ».

Depuis le début de mes recherches je n’ai eu de cesse que de m’intéresser à certaines émotions dont celle du regret qui s’exprime en jouant, en prenant part à certaines fictions proposées par un jeu vidéo. Je regrette, clairement, les comportements et les propositions que j’ai faite à Nour : « pourquoi lui ai-je dit d’aller à la police ? Quel bêtise inconsciente de ma part… » Et j’ai joué à un nombre suffisant de jeux m’invitant à réfléchir sur cela : Undertale, The Witness, NieR AutomatA, Pony Island et maintenant BMML.  Tous ces jeux invitent le joueur à adopter une démarche réflexive sur ce que c’est que de jouer et des engagements moraux que l’acte vidéoludique implique. Par exemple, Pony Island invite le joueur ou la joueuse à totalement supprimer le jeu et à ne jamais y rejouer sous prétexte qu’il s’agit de la seule façon de libérer définitivement les protagonistes liés au récit. Pareillement, Undertale invite son ou sa joueuse à ne pas recommencer le jeu une fois la true pacifist route réalisée. Undertale veut faire comprendre à son ou sa joueuse que ce n’est pas grave de ne pas essayer de tout faire ou tout voir par pur égoïsme vidéoludique. NieR Automata oblige le ou la joueuse à supprimer sa sauvegarde pour atteindre la fin E. The Witness quant à lui possède un puzzle extrêmement difficile car aléatoire afin d’empêcher la complétion totale.

Tous ces jeux et les game designers qui sont derrière, veulent que le ou la joueuse comprennent qu’il ne faut pas jouer de manière égoïste, qu’il faut savoir s’arrêter pour laisser la fiction à elle-même. Recommencer une partie sur BMML, cela implique que je ferais revivre toutes les horreurs que Nour a déjà vécu une fois sans qu’elle s’en souvienne et ce, par pur plaisir personnel. Je n’agis plus pour elle, j’agis pour que moi, joueur, me sente bien. Je réduis mon expérience et les éléments du jeu à ce qu’ils sont réellement : des variables d’un code informatique. Est-ce vraiment ce que je souhaite faire de BMML ?

Je regrette sincèrement que l’histoire se soit conclue de la sorte, pourtant, ai-je le droit de « réécrire » cette histoire sous prétexte que cela me fend le cœur ? Suis-je en train d’enfermer Nour dans les limbes d’un jeu vidéo ? L’obligeant à revivre les atrocités qu’elle m’a racontés ? A-t-on déjà réécrit de grands récits ? Oui, et à chaque fois, son message premier perdait en intensité. La tragédie que vit Nour ne deviendrait-elle pas juste une histoire comme celles d’autres jeux si je recommence le jeu ?

Au contraire, je dois protéger cela, je dois chérir ce sentiment de regret que j’ai, cela ne transforme que plus le regard que je porte aux réfugiés que nous devrions accueillir les bras ouverts. Je dois aussi protéger cette expérience, afin qu’elle reste vive dans ma mémoire, brulée au fer rouge. Recommencer le jeu, c’est oublier la tragédie que l’immigration forcée de Nour est. Recommencer le jeu, c’est oublier ce qu’il s’est passé en faisant semblant. Je refuse. Je ne jouerais plus jamais à « Enterre-Moi Mon Amour ». Je veux que ce regret immensément réel que j’éprouve reste vivant dans ma mémoire. Je dois maintenant apprendre à vivre avec.

Esteban Grine, 2017.

Un battement, une éternité – Far From Noise

Un battement, une éternité – Far From Noise

De nombreuses fois il m’est arrivé de me trouver dans un entre deux, un moment hors du temps dans lequel je me retrouve bloquer entre plusieurs volontés incohérentes. D’un côté je souhaitais faire marche arrière, en essayant vainement d’annuler ce que j’avais déclenché et de l’autre, je souhaitais embrasser ce futur effrayant car inconnu.

« Far From Noise » raconte cela, en poétisant le rapport que l’on a avec la peur de l’inconnu mais aussi avec la peur du monde qui nous entoure. De nombreux sujets. Oui, c’est sûr, ce jeu aborde de nombreuses problématiques : peur des étrangers, déconstruction personnelle, acceptation du fait que le monde ne tourne pas autour de nous. Il y a de nombreuses leçons de vie dans ce jeu et son auteur, Georges Batchelor, les aborde aux détours d’une discussion que le ou la joueuse entretient avec un cerf, apparition du fantastique dans un récit pragmatique. Serait-ce une hallucination ? Une déité ? Le jeu n’y répond jamais. De manière générale, le jeu ne propose aucune réponse aux questions soulevées par la conductrice, égarée, entre terre et mer.

Au fur et à mesure de la discussion, le cerf déconstruit nos arguments en les dissolvant dans une philosophie relativiste et absolue. Tout est relatif, alors pourquoi ne pas embrasser cela ? Voilà l’une des propositions du jeu. Accepter le fait de ne pas être maître de son seul destin et que ce n’est pas grave si demain, tout s’arrête. Ce n’est pas grave pour le monde qui lui, par l’horizon, restera beau, immuable, un tout absolu.

Far From Noise est beau, pas seulement dans ses graphismes mais bien dans le message qu’il porte. Il faut défaire les préjugés que nous avons, en relativisant notre situation et ce, pour ne plus avoir peur de l’inconnu mais aussi des inconnus. C’est un autre message que le jeu nous propose ici. Ponctuellement surpris par l’irruption de nouveaux animaux, c’est à chaque fois la peur qui déclenche une réaction de la conductrice et c’est en prenant le temps d’observer pour mieux les comprendre qu’elle finit par éprouver de la sympathie pour ces créatures. Je ne suis pas plus importante qu’elles. On peut s’arrêter ici mais l’on peut aussi y voir un message de paix ainsi qu’une méthode : comprendre l’autre et prendre conscience de son existence, c’est un premier pas vers un monde meilleur.

C’est aussi un premier pas nous permettant de comprendre, qu’au bord du ravin, entre naissance et mort, que nous ne sommes pas si importants que cela et c’est par les relations avec les autres que nous pouvons alors comprendre notre vie. Accepter ce relativisme dont le cerf est l’allégorie, c’est ne plus avoir peur de l’inconnu, c’est accepter la fatalité des choses et notre petitesse, lorsque nous sommes face à face avec l’éternité, sous un ciel étoilé. Et tout cela ne rend le monde que plus beau à mes yeux. ■

Esteban Grine, 2017.

Attends-moi mon amour – Bury Me My Love

Attends-moi mon amour – Bury Me My Love

J’ai commencé la semaine dernière “Enterre-moi mon amour” de The Pixel Hunt et Pierrec de l’Oujevipo. Cela fait donc maintenant un peu plus de 4 jours que j’accompagne Nour dans son périple pour me rejoindre, ou Majd, cela n’est pas important. Parfois Majd, parfois moi, je suis ses périples.

Cela fait donc 4 jours que je « joue » à ce jeu car j’ai choisi de le faire en temps réel, c’est-à-dire que la progression s’effectue avec le temps véritablement nécessaire à Nour pour aller d’une étape à une autre. Au moment où j’écris ces lignes, Nour doit d’ailleurs arriver à la frontière bulgare. Après avoir passé deux jours à Istanbul, elle trouva un passeur pouvant la déposer avant la frontière. Mais là je m’inquiète. Je m’inquiète car elle n’a pas pensé à prendre une lampe torche, et je n’ai pas eu la possibilité de lui proposer d’en prendre une… La réalité est que même si j’avais eu ce choix, je n’y aurais probablement pas songé, ou je l’aurais tout simplement défaussé.

Bref, je suis dans l’attente. Nour est déconnectée, il n’y a pas d’internet et je dois bien composer avec les informations que j’ai pour le moment. Je nourris mon imagination de ses périples, croisant les doigts pour que rien ne puisse lui arriver. C’est difficile d’avoir totalement confiance dans ces cas-là, on se retrouve bloqué, entre notre impuissance et l’obligation de totalement croire en la personne qui nous répond sans jamais nous parler de vive-voix.

L’un des tours de force de « Bury Me My Love » réside précisément dans sa façon de maintenir son joueur dans l’attente. de nombreuses fois, j’avais critiqué justement cette façon de game designer une expérience vidéoludique. J’avais été très véhément à propos des idle games qui obligent le ou la joueuse à ne pas jouer sous couvert d’une mécanique ludique spécialement mise en place pour susciter un comportement d’achat : « tu veux jouer ? passe par la caisse et tu n’auras pas à attendre ton tour ». « Enterre moi mon amour » use pourtant de la même mécanique et in fine déconstruit tous les arguments des plus fidèles ludologues qui pensent que « seul le gameplay compte », contrairement aux assets et au scénario qui importent peu. Or, nous avons là un cas flagrant et brillant de l’utilisation de « l’attente » comme élément essentiel du game design d’un jeu et ce, pour des raisons scénaristiques plutôt que mercantiles comme c’est le cas des idle games. Pareil, cette attente ne sert pas à influencer le joueur et l’inciter à revenir par l’obtention d’une carotte tel un bonus d’expérience.

Ici, l’attente est scénarisée et cela invite le joueur à guetter toutes nouvelles informations provenant de Nour. A guetter son téléphone, espérant avoir une nouvelle qui pourrait nous rassurer. L’attente permet aussi de prendre la mesure de l’exploit humain que c’est de vouloir rejoindre l’Europe. Cela nous incite à penser à Nour même quand nous ne jouons pas au jeu. Au milieu d’une réunion de travail, on en vient à se dire : « est-ce qu’elle m’a écrit ? J’espère qu’elle n’a pas eu de soucis… », lors de son trajet pour attraper le métropolitain : « tiens ! Je n’ai toujours pas eu de nouvelles ». Il y a un mélange entre notre vie et celle de Nour, entre notre réalité et cette fiction inspirée de faits réels et quotidien dans le monde.

L’attente me fait ressentir une empathie immense pour Nour, pour les immigré.e.s qui tous les jours depuis le début de cette guerre, cherchent à rejoindre l’Europe, fausse terre d’asile et complice de ce qui se passe là-bas. L’attente me fait comprendre aussi ce qu’est de rester, loin, impuissant, des personnes que nous aimons et qui luttent pour nous rejoindre. Je n’ai jamais vécu cette situation. Je croise les doigts pour ne jamais la vivre mais je crois que « Enterre-moi mon anour » m’aide à ressentir, un peu, sans comprendre, sans être « à la place de ».

Je crois que ce jeu m’aide à ressentir à toute petite échelle ce que d’autres, moins fortuné.e.s, ont vécu ou subissent exactement au moment où j’écris ces mots. ■

Esteban Grine, 2017.

Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo

Pour citer ce poster : Esteban Giner. Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo. 39e session d’études de l’Association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation (ADMEE-Canada), Nov 2017, Québec, Canada. 〈hal-01636221〉

L’émergence soudaine des jeux vidéo dans la pédagogie remonte au début des années 2000 avec l’apparition de nouveaux mots-valises comme « gamification » et « serious game ». Bogost, pour observer cette tendance ou plutôt ce nouveau genre de jeux, qualifia les jeux contenant un message et dont l’objectif était de convaincre ses joueurs de « persuasive game » (Bogost, 2006). A ce moment, il intégrait dans cette catégorie de nombreux jeux dont les « serious games ». Ces jeux se définissent de la sorte aujourd’hui car ils contiennent des messages soutenus par des institutions. En parallèle de ce nouveau marché qui s’ouvrait pour les développeurs, ce sont développés les jeux indépendants, mot-valise lui-aussi ne faisant que référence à des jeux produits et édité en dehors des entreprises de référence sur le marché : Ubisoft, Blizzard, Activision, etc. Ces jeux indés proposaient pour certains des expériences moins dirigistes pour les joueurs. Par ailleurs, on commence à voir apparaitre des témoignages d’enseignants, tous niveaux concernés, à propos d’apprenants questionnant la véracité des propos tenus dans les jeux à leurs enseignants ou inversement, questionnant les propos du pédagogue en les comparant à ceux des jeux vidéo (Lalu, Vincent, 2017). La question de l’identification des apprentissages et l’évaluation de ces objets culturels n’en est que plus légitimé.

La méthode que nous proposons a plusieurs objectifs orientés premièrement vers l’éducation au média « jeu vidéo » et secondement, à la détermination de leur pertinence dans un cadre pédagogique plus ou moins formalisé. Ainsi, il s’agit de pouvoir catégoriser les discours et les approches pédagogiques mobilisés par le game designer pour transmettre un message, puisque dans notre cas, le jeu est considéré comme une forme communicationnelle (Bateson, 1977). Par ailleurs, il est aussi nécessaire d’observer la réception de ces discours afin d’évaluer le potentiel pédagogique d’un jeu vidéo.

Le triangle pédagogique des jeux vidéo

Dans le cadre de notre proposition, nous pouvons considérer les jeux vidéo comme présentant des situations potentielles d’apprentissages formalisées à partir de la définition de Houssaye du triangle pédagogique. Dans ce cadre-là, l’expérience vidéoludique est considérée comme une forme de communication dans laquelle trois acteurs sont présents : l’étudiant-joueur, le gameplay-savoir et enfin l’enseignant-game design.  Le premier est celui supposé apprendre. Le second correspond à l’ensemble des connaissances contenues dans le jeu. Nous restons volontairement vague à ce sujet puisque nous incluons véritablement l’ensemble des éléments permettant au jeu d’exister (les assets¸ les décors, les mécaniques, le code informatique, etc.). Enfin le dernier est celui qui scénarise l’expérience du joueur. On évoque ici uniquement le game design puisque nous supposons que jouer à un jeu vidéo est une forme de communication asynchrone et intermédiée mais il s’agit surtout du game designer auquel nous faisons référence. Le triangle pédagogique est intéressant dans le sens où celui-ci suppose qu’une relation entre deux acteurs est privilégiée par rapport aux deux autres. En observant le jeu tout comme le joueur, leurs caractéristiques et les contextes, il devient possible d’établir un ensemble de marqueurs pragmatiques permettant d’inférer sur les intentions de chacun.

Les boucles pédagogiques dans les jeux vidéo

Dès les premiers ouvrages consacrés au game design, le concept de « boucle » est apparu. Il fait notamment référence aux « boucles informatique » (loop) qui permettent à un programme de répéter un ensemble d’action. La boucle pédagogique que nous proposons est quand-à-elle calquée sur la « boucle de gameplay » qui retient les 3 éléments suivant : un objectif, un challenge et une récompense. Pour notre boucle, nous faisons intervenir cette fois un objectif pédagogique, des éléments de gameplay et enfin une récompense ou une punition. Il est important de comprendre que même si les jeux vidéo peuvent contenir des objectifs pédagogiques formalisés, dans notre méthode, ces objectifs sont déterminés a posteriori par le joueur (le chercheur, l’enseignant ou l’apprenant) et il est nécessaire d’aller observer leur orientation puisqu’en fonction de cette dernière, ils seront différents. Ces objectifs sont alors liés à des éléments vidéoludiques manipulables ou non par le joueur et apparaissant selon une certaine mise en récit de l’acte de jeu par le game design.

L’événement d’apprentissage-enseignement intervient après, lorsque le joueur manipule les éléments de gameplay et qu’il obtient une rétroaction formalisée dans le jeu par une punition ou une récompense. Cependant, malgré la rétroaction, l’apprentissage n’est pas forcément constatable dans le sens où notre chemin prend en compte la pluralité des contextes pragmatiques (Genvo, 2013). Ce concept prend en compte le lieu et la temporalité dans lesquels l’acte de jouer apparait mais aussi le joueur, son niveau de compétence, sa littératie vidéoludique (c’est-à-dire sa compétence à analyser les jeux vidéo comme des objets culturels, Zagal, 2010) ainsi que son parcours et ses préférences en termes d’expériences de jeux recherchées.

Ainsi, avec la boucle pédagogique, nous proposons un outil de cadrage permettant de formaliser et d’analyser la façon dont un apprentissage peut apparaitre dans le cadre d’une session de jeu. Cependant, nous rappelons qu’il s’agit là d’une situation potentielle d’apprentissage dont l’apparition prend en compte les éléments que nous proposons. Par ailleurs, cela donne aussi des indices sur quel facteur nous pouvons infléchir en tant qu’accompagnateur ou formateur.

Qualifier la liberté du joueur dans son apprentissage

Après avoir formalisé la façon dont un apprentissage potentiel peut apparaitre en jouant à un jeu vidéo, il convient de revenir sur les événements d’apprentissage-enseignement (EAE) puisque c’est à partir de cette grille de lecture que 1/ nous allons pouvoir définir le discours contenu dans un jeu à propos d’un phénomène et 2/ nous allons pouvoir aussi proposer des directions à l’accompagnateur dans la posture qu’il doit avoir dans l’acte de jouer de l’apprenant.

Pour observer les EAE, nous nous basons sur la grille de lecture proposée par Poumay & Leclerc (2008). Celle-ci est pertinente puisqu’elle nous permet de qualifier les intentions pédagogiques d’un·e game designer à partir du game design. Dès lors, nous pouvons représenter les différentes situations rencontrées par le joueur sur un continuum persuasivité-expressivité. Selon Bogost (2006), un jeu persuasif est un jeu qui contient un message et qui cherche à convaincre (persuader) son joueur tandis que jeu expressif est un jeu proposant des situations permettant aux joueurs d’expérimenter des phénomènes qui ne lui serait pas forcément possible dans sa vie personnelle (genvo,2016). Par exemple, si nous prenons le cas d’un jeu ne proposant que des phases d’exploration, alors nous pouvons faire l’hypothèse que le game designer ne cherche pas à imposer le discours que le jeu contient. A l’opposé, un jeu ne proposant que des phases d’exercisation est quand-à-lui persuasif dans le sens où l’apprentissage est dirigiste. C’est par exemple le cas de certains jeux thérapeutiques utilisés dans certains programmes de rééducation.

Observer les EAE permet dans un premier temps de définir la façon dont les joueurs vont potentiellement apprendre les objets définis par les objectifs pédagogiques. Dans le cadre d’un terrain mené en juin 2017 en situation formelle d’apprentissage (un TD mené avec des étudiants de L1 en sciences de l’information et de la communication, nous avons constaté que les EAE proposant une plus grande liberté au joueur étaient plus approprié à des situations informelles de jeu et donc inadapté dans le cadre d’un cours formel mobilisant un jeu. Cependant, nous faisons l’hypothèse que cette apprentissage, lorsqu’il survient, abouti à des questionnements plus pérennes dans le temps chez les joueurs.

De manière plus général à propos de ce terrain mené, nous pouvons formuler quelques premières hypothèses. Premièrement, nos observations semblent confirmer les hypothèses de Zagal (2010), à savoir qu’il y aurait une corrélation entre la compétence du joueur et les situations d’apprentissages qu’ils peuvent observer et recenser. Deuxièmement, nous observons une corrélation entre les apprentissages et le contexte dans lequel la session de jeu se produit. Les apprentissages ne sont pas forcément moindres dans une situation par rapport à une autre mais ils seraient orientés différemment et fonction des objectifs du joueur et des contextes de jeu. Dernièrement et dans les sessions durant lesquelles des joueurs observent d’autres joueurs, il apparait que l’observation en miroir permet d’interroger sa propre expérience du jeu joué.

Conclusion

Les différentes modélisations que nous avons proposées dans ce poster nous permettent, dans une démarche d’éducation aux médias mais aussi d’analyse critique, d’observer et de qualifier les apprentissages potentiels issus d’une situation de jeu. Les premiers résultats constatent que si les jeux recèlent un potentiel, il apparait nécessaire de proposer une situation de jeu encadrée par un·e accompagnteur·ice en fonction des EAE observés. Lorsque le jeu est expressif, l’accompagnateur devra peut-être canaliser ou du moins susciter des pistes de réflexion à l’apprenant. Au contraire, lorsque le jeu est plutôt persuasif, l’accompagnateur devra soit renforcer les apprentissages potentiels dans le jeu s’il souhaite maintenir un certain alignement avec le message du jeu ,soit permettre une distanciation du joueur avec le jeu potentiellement dans une perspective d’éducation aux médias. ■

Esteban Grine, 2017.

Bibliographie

Bogost, I. (2007). Persuasive Games: The Expressive Power of Videogames. Cambridge, MA: The MIT Press.
Genvo, S. (2016). Defining and designing expressive games: the case of Keys of a gamespace | Kinephanos. Consulté à l’adresse http://www.kinephanos.ca/2016/defining-and-designing-expressive-games/
Houssaye, J., & Collectif. (2009). Pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui. Issy-les-Moulineaux: ESF Editeur.
Leclercq, Poumay. (2008). Le Modèle des Evénements d’Apprentissage – Enseignement.

Papillons roses, fleurs bleues et culture intensive

Minecraft peut se présenter comme un jeu de survie, quoi que l’intention de ses auteurs soit, il n’en est pas un. Stardew Valley peut se dévoiler comme une simulation agricole, quoi que l’on en pense, il n’en n’est pas seulement un. Depuis 2009 apparaissent des jeux « bacs à sable » dans lesquels il est possible de faire tout ce que l’on désire et ce, dans une certaine mesure autorisée par le gameplay du jeu. Cependant, je vais prendre le temps dans ce court billet – et avec l’exemple des deux jeux mentionnés – de démontrer que ces jeux présentés comme tels ne sont que des métaphores à différent niveau de l’esprit capitaliste d’exploitation.  

Minecraft se présente comme un jeu dans lequel il est possible de faire tout ce que l’on veut et en effet, lorsque l’on arrive dans un nouveau monde, son immensité nous écrase. L’absence de limite à son univers laisse le ou la joueuse supposer d’une liberté totale. A mon sens, il ne s’agit là que d’une illusion des plus banales associées au jeu vidéo : la promesse d’un monde dans lequel son ou sa joueuse pourra s’épanouir bien plus que dans sa réalité quotidienne. Ainsi, penser que Minecraft est un jeu d’exploration ou un jeu de survie dans lequel le joueur doit plutôt lutter contre un monde hostile est généralement l’une des premières définitions que l’on présente pour parler du jeu à un non initié. Or, je m’oppose clairement à cette idée « d’hostilité du monde » qui me semble être une caractéristique importante pour définir le « jeu vidéo de survie ». Il me semble au contraire que les mondes de Minecraft sont l’exact opposé de l’hostilité. Ce sont des jardins d’Eden dans lesquels le joueur a tout à disposition et considère tout ce qui l’entoure comme une ressource potentiel lui servant à optimiser son bien-être. A mon sens, l’exploitation de l’environnement est précisément le cœur du gameplay de Minecraft. Lorsque j’observe les interactions possibles et permises par le système de règles, il apparait clairement que ces actions ou interactions ne sont pas téléonomiques. Elles ne sont pas une finalité en elles-mêmes. Par contre, elles servent le ou la joueuse dans une certaine recherche d’une situation de bien-être dans le jeu. Je fais aussi l’hypothèse que ce bien-être passe, dans Minecraft¸ par un aspect matériel.

Ainsi, les environnements de ce jeu ne sont pas intéressants car il est possible d’explorer mais plutôt à cause du fait qu’ils proposent une affordance particulière à leur exploitation et leur optimisation de rendement. C’est en ce sens que je vois une distinction entre Minecraft, qui propose un certain degré d’exploration, à d’autres jeux qui focalisent tout leur gameplay à ce sujet comme c’est le cas pour Proteus. Impossible alors de ne pas rapprocher Minecraft de la pensée de John Locke qui voyait dans le travail le moyen de l’être humain à s’approprier, à mettre un droit de propriété sur quelque chose de naturel : c’est par le travail qu’un lieu devient une propriété. Il me semble que cela convient particulièrement au gameplay de Minecraft : le joueur s’approprie l’environnement en l’exploitant et en le transformant de sorte à ce que tout serve son bien-être. En regardant certains Playthrough, on s’aperçoit aussi qu’un plaisir esthétique dans Minecraft nait de l’optimisation et de la capacité de rendement d’une construction. Les différentes fermes automatisées nous permettent de constater cela. Ainsi, par son gameplay finalement très orienté, nous supposons que Minecraft est un jeu diffusant principalement des idées libérales autour de la privatisation des ressources mais plus généralement du rôle de la Nature comme source du bien-être du ou de la joueuse. Ainsi, il s’agit, je pense, d’une erreur que de le considérer comme un jeu de survie. « jeu d’exploitation » semble être plus approprié je pense.

C’est là où l’on peut tisser des parallèles avec Stardew Valley. Il se démarque de Minecraft dans le sens où les environnements ne sont plus générés aléatoirement et que le territoire exploitable par le ou la joueuse est circonscrit à un petit pourcentage de la map totale. Il s’agit en plus d’un terrain particulier où la propriété était déjà déterminée avant l’arrivée du ou de la joueuse : il n’est donc pas question de l’appropriation d’un espace vierge de l’activité humaine comme dans Minecraft. Cependant, le mélange des codes et des mécaniques ludiques fait que l’on peut se passer du « gameplay d’exploitation » pour se concentrer sur d’autres aspects du jeu. Là où c’est peut-être moins le cas dans Minecraft. Ainsi, les deux jeux semblent présenter des valeurs finalement libérales et capitalistes, ils se distinguent par la façon dont le joueur va appréhender le jeu. Je fais ici l’hypothèse que dans Minecraft, le ou la joueuse adopte un comportement qui pourrait être rapproché de l’organisation scientifique du travail de Taylor. Il serait alors question d’optimisation mais aussi de rationalisation de la production. A l’opposé, Stardew Valley, bien que proposant des mécaniques  très proches, déstructure l’activité du ou de la joueuse en proposant une multitude d’activités variés mais aussi de contextes créateurs de sens autres que simplement la recherche du bien-être personnel. Bien qu’étant libéral et capitaliste, le jeu laisse beaucoup plus d’espaces potentiels de sens.

A mon avis, les deux expériences sont donc très différentes en termes sémiotiques. Si les deux jeux proposent des bases de gameplay similaires, il apparait, à la conclusion de ce court billet, que Minecraft affirme bien plus son discours libéral, colonialiste et capitaliste que Stardew Valley. Ce dernier en possède un similaire mais le dilue dans des activités multiples dont les contextes atténuent le message au profit d’autres valeurs progressistes. Il ne s’agit là que d’un court billet mais il conviendrait d’approfondir ces lectures de ces deux jeux tout en intégrant d’autres objets comme Don’t Starve qui semble quant à lui véritablement proposer une expérience de survie. ■

Esteban Grine, 2017.

Super Game Lab Turbo

Super Game Lab Turbo : retour sur le colloque « penser (avec) la culture vidéoludique »

Pour citer cet article : Giner, E., 2017, Super Game Lab Turbo : Retour sur le colloque « penser avec la culture vidéoludique », Carnet des jeunes chercheurs du Crem, https://ajccrem.hypotheses.org/380

Les 4, 5 et 6 octobres s’est déroulé le colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique » organisé par le gamelab et l’université de Lausanne. Cela a permis de cristalliser l’état de la recherche mais aussi des expérimentations liées de près ou de loin au jeu vidéo et ce, au niveau de la francophonie européenne et nord-américaine puisque les participant·e·s venaient du Canada, de la Belgique, de la Suisse et enfin de la France. La conférence inaugurale de Krichane et Javet (2017) notent aussi que cet événement est un jalon pour la légitimation du jeu vidéo en tant qu’objet de recherche en Suisse mais aussi en Europe francophone.

Le colloque a proposé plusieurs axes exploratoires afin d’illustrer la pluralité des recherches actuelles sur le jeu vidéo. Le premier, que nous déterminons a posteriori du colloque, concerne l’évolution des discours et de la légitimation progressive de l’objet au niveau scientifique et politique. Ainsi, Perret et Maître (2017) ont chacun évoqué les représentations négatives des jeux vidéo dans les médias suisses. Maître note qu’à la décennie 90, « en Suisse, la Nes est devenue tellement importante que le mot Nintendo était utilisé comme synonyme de « jeux vidéo » ». Le champ lexical du jeu vidéo était alors employé pour définir une génération : « génération Nintendo, génération Game Boy ». Michael Perret déconstruit dans son intervention le lexique et les discours contenus dans certaines émissions. La conclusion de ces deux interventions fait écho à ce que postulait déjà Mc Luhan concernant le « dernier des médias » : la dernière forme médiatique est toujours l’objet de critiques virulentes. Cependant, il est nécessaire de contraster les recherches de Perret et Maître en évoquant les communications de Coville et Meunier (2017). Leurs exposés ont pour leur part évoqué la légitimation historique dans les discours politiques du jeu vidéo (Coville) et l’évolution d’une communauté scientifique organisée autour de l’objet (Meunier).  Coville constate notamment qu’un récit tenu par les acteurs économiques sur la fuite des cerveaux et la concurrence internationale a permis de mobiliser les acteurs institutionnels et politiques dans les années 2000. Cela a conduit à la création d’un crédit d’impôt pour la création de jeu vidéo géré par le CNC, marqueur pragmatique permettant de considérer le jeu vidéo comme un objet culturel. Meunier interroge la circulation des savoirs vidéoludiques. Elle constate que cette circulation est due à de nombreux acteurs universitaires, techniques et privés. Etant donné la pluralité des acteurs, elle note que « Les Game Jams sont des endroits propices pour le savoir » (2017). Ces quatre interventions ont été l’occasion de montrer l’évolution du jeu vidéo : d’abord média décrié par les journalistes, il est reconnu par le politique dans les années 2000. La recherche quant à elle produit de plus en plus de connaissances sur cet objet et s’il n’est pas encore définitivement reconnu institutionnellement, les chercheur·se·s se mobilisent dans le but de l’introduire à l’université. A cela s’ajoute les interventions de Xanthos et Jacquin (2017) et de Dozo et Krywicki (2017) qui interrogent respectivement 1/ la complexité linguistique des jeux de cartes et 2/ l’apparition des « beaux livres » consacrés aux jeux vidéo et souvent écrits par des journalistes. L’existence de ces derniers objets nous conforte dans l’idée que le jeu vidéo est un objet artistique. Enfin, Hurel (2017) constate l’importance des sphères amatrices dans la compréhension du jeu vidéo comme objet culturel ainsi que dans sa diffusion auprès de communautés parfois très restreintes.

Le jeu vidéo, lorsqu’il n’est pas une activité aliénante reproduisant des systèmes de production – Vetel, dans sa communication, évoque les activités lucratives liées à la gestion de serveurs « Dofus » privé, (2017) – est aussi devenu un enjeu pour l’éducation nationale et la pédagogie de manière générale. Nous avons donc pu écouter des retours d’expériences de plusieurs expérimentations. Philipette (2017) a proposé un retour d’expérience sur la ludification qu’il a pratiqué dans ses cours notamment en utilisant des outils comme « ClassCraft », un service qui permet la scénarisation de cours en implémentant des mécaniques de jeux de rôle. Par ailleurs, deux axes se sont distingués et illustrent les utilisations du jeu vidéo comme un support d’apprentissage.

Le premier axe fait l’hypothèse que le jeu vidéo peut être un support utilisable par des enseignants. En ce sens, il s’agit de réutiliser des jeux déjà existants et de créer des scénarios pédagogiques applicables dans des contextes particulièrement hétérogènes. Ainsi, Vincent et Lalu (2017) avaient une communication à propos de l’utilisation de jeux vidéo dans la cadre de l’apprentissage de l’histoire au collège. Vincent a notamment alerté sur l’intérêt d’évoquer les jeux vidéo en classe puisque il a observé que les élèves questionnent la véracité des propos tenus dans les jeux vidéo et par les enseignants en comparant les deux entre eux. Ils soutiennent aussi l’hypothèse de Berry, à savoir que les jeux vidéo ne sont pas des dispositifs d’apprentissage mais des activités qui peuvent générer des situations d’apprentissages. Dès lors, c’est à l’enseignant que revient la tâche de faire émerger ces dernières par la création de scénarios pédagogiques par exemple. El Mansouri et Biagioli (2017) sont intervenues sur la création et l’utilisation d’un jeu sérieux afin de sensibiliser les apprenants (dans ce cas plutôt des enfants) aux questions de nutritions. Leur présentation a offert un post-mortem intéressant dans la réalisation du jeu créé par elles-mêmes. Biagioli a rappelé l’importance d’équilibrer, ou plutôt d’aligner, les objectifs didactiques, pédagogiques avec les objectifs financiers. Enfin, Thiaux, Andlauer et Bolka-Tabary (2017) ont présenté une évaluation d’une expérimentation pédagogique mobilisant le jeu Minecraft. Ce dernier trouve sa place justifiée notamment par le fait qu’il mobiliser le « build », l’acte de construire et de modéliser l’environnement vidéoludique comme mode d’engagement du joueur ou de la joueuse (Lucas, 2017). Pour reprendre Houssaye (1993), nous retenons que les observations qu’elles ont faites constatent les changements de rôles que peuvent avoir les élèves dans un processus pédagogiques. Si la majorité considère avoir appris, les chercheuses notent aussi des cas où certains élèves prennent la position du fou ou du mort dans le triangle pédagogique. Dès lors, le non-respect des règles du jeu par ces élèves peut devenir perturbateurs, sans pour autant que cela soit incorrigible. Par ailleurs et comme l’énonce Barnabé et Delbouille (2017), le jeu vidéo montre un intérêt de par l’invitation à la réflexivité qu’il suscite. Ces dernières constatent notamment que l’avatar, considéré comme un pont vers le monde fictionnel oblige le ou la joueuse à prendre ou laisser le contrôle du jeu, l’invitant alors à questionner sa posture. Dès lors, il semble que ce soit une piste une de réflexion dans l’usage pédagogique qui peut être fait d’un jeu vidéo.

Le deuxième axe d’utilisation du jeu vidéo comme objet pédagogique concerne cette fois non pas l’utilisation mais la création d’objet vidéoludique. C’est alors de ce processus de création qu’émergent les apprentissages.  Dans ce cadre, la création de jeux est alors mobilisée afin de permettre des apprentissages propres à la matière enseignée mais aussi parfois avec l’espoir de permettre d’autres apprentissages sous formes d’externalités. Piñeros et Zabban (2017) ont notamment constaté les intérêts d’adopter une telle démarche à l’université Paris 13 avec la création d’un FabLab dédié à la création de jeux. Cet espace est utilisé de manière formelle, dans un cadre pédagogique précis, mais aussi informelle afin de créer une communauté de pratiques et d’intérêts avec les étudiants notamment. Lorsque le cadre géographique ne convient pas, c’est alors sur la temporalité que peuvent jouer les enseignants comme le montrent Quinche (2017), Chollet (2017) et Congy (2017). Balli (2017) énonce aussi que les game jams peuvent aussi servir de terrain et de méthodologie dans un cadre de recherche-action. Ces chercheur·e·s ont mobilisé la création de jeu dans des temporalités différentes en allant du très court (gamejam) au très long (sur un semestre) pour Congy. Ce dernier profita de son expérimentation pour sensibiliser ses étudiants en game design à d’autres disciplines comme l’histoire. Verbesselt et Hurel (2017) notent aussi l’intérêt de la création de jeux dans les actions citoyennes ou militantes, parfois avec une emphase sur l’importance des amateurs (Hurel, 2017) dans ce type de créations. Ces dernières sont alors le support d’échanges, de débats et de partages.

Il apparait que des grandes thématiques se sont dégagées de ce colloque autour de la pédagogie mais aussi de manière assez large autour de la légitimation de l’objet jeu vidéo comme objet culturel et de recherches. En tant qu’objet culturel, les différentes communications ont constaté les premières perceptions qu’avait le public à propos du jeu vidéo et la façon dont ses représentations associées ont évolué. D’un objet lointain voire dangereux, il a été récupéré par les communautés institutionnelles, politiques, scientifiques et amatrices pour aujourd’hui s’affirmer comme un objet culturel pleinement intégré aux loisirs et aux fictions. La présence de 4 pays francophones réunis au même endroit laisse présager un avenir intéressant et optimiste pour la recherche et la légitimation du jeu vidéo, en espérant que les prochaines éditions de ce colloque puissent aussi accueillir encore plus de pays francophones. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Bibliographie

Balli, F., 2017, Les game jams comme méthode d’apprentissage expérientiel et de co-création interdisciplinaire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Barnabé, F ., Delbouille, J., 2017, Jeu, narration et réflexivité: le rôle de l’avatar, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Chollet, A., 2017, Quand «Game Dev Tycoon» s’invite à l’Université : retour d’expérience sur le concours de programmation «Code Game Jam», Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Congy, A., 2017, Le visual novel historique comme champ d’expérimentation du game design et de la fictionnalisation de l’Histoire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Coville, M., 2017, Formuler le jeu vidéo comme un « bien culturel ». Politiques publiques françaises & reconnaissance culturelle des jeux vidéo, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Dozo, B-O., Krywicki, B., 2017, «Beaux livres» sur les jeux vidéo et presse vidéoludique: transferts et transformations du capital ludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

El Mansouri, M., Biagioli, N., 2017, Concevoir un jeu vidéo éducatif: quels enjeux culturels, didactiques et ludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Hurel, P-Y., 2017, L’amateurisme comme processus au cœur de la culture vidéoludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Lalu, J., Vincent, R., 2017, Et si on jouait à l’Histoire, histoire de jouer? , Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Lucas, J-F., 2017, Le «build», mode d’engagement et médiateur de l’expérience narrative spatialisée dans les univers vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Maître, A., 2017, Entre dénonciation et éloge de la «Nintendomanie»: les représentations des jeux vidéo dans les médias romands durant les années 1990, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Perret, M., 2017, « Parlons-en de ces problèmes » : la configuration de l’addiction et de la violence dans les jeux vidéo immersifs dans Temps Présent, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Philippette, T., 2017, Ludicisation dans l’enseignement supérieur: travaux de groupe et évaluation continue à travers Classcraft, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Quinche, F., 2017, Processus de création de serious games, recherche de critères de conception pour favoriser l’intégration dans l’enseignement, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Meunier, S., 2017, Questionner les circulations internationales des savoirs vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Thiault, F., Andlauer, L., Bolka-Tabary, L., 2017, Utilisation pédagogique du jeu Minecraft.edu dans un dispositif interdisciplinaire en collège, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Verbesselt, M., Hurel, P-Y., 2017, Ateliers de (dé)construction de jeux vidéo : une question de démocratie culturelle, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Vétel, B., 2017, De l’émulation d’un jeu en ligne au travail des gérants de serveurs illégaux, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Xanthos, A., Jacquin, J., 2017, Approche de l’évolution de la complexité linguistique dans un jeu de cartes numérique: l’exemple d’Hearthstone, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Zabban, V., Pineros, N., 2017, Ce que le jeu fait au travail et à la relation pédagogique: créer et utiliser un jeu à l’université. Le cas d’Erasmus Hispanicus, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

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