Catégorie : Pixel Libre

  • Quelques pensées à propos de Shin Megami Tensei

    Quelques pensées à propos de Shin Megami Tensei

    Au cours du dernier mois, j’ai beaucoup joué à la série Shin Megami Tensei. En particulier j’ai découvert cette série avec le 5e épisode sortie sur switch et que j’ai dévoré en un peu moins d’une semaine. Dans la foulée, j’ai réussi à me dégoter une copie du 3e opus de la série, opus que je viens également de terminer. Etant donné que j’ai beaucoup de choses à dire sur ce jeu mais qu’il me manque également beaucoup de temps pour pouvoir les rédiger, je me suis dit qu’un billet comprenant quelques notes et pensées à propos de ces jeux serait déjà un bon exercice si un jour je veux entamer une véritable réflexion sur la série d’Atlus.

    Avant toute chose, il semble quand même important de mentionner que ce billet contient principalement des débuts de réflexion. C’est pourquoi il ne peut m’être tenu rigueur de ne pas avoir poussé l’ensemble de ces réflexions plus loin que ce qui est présenté ici.

    1. une superposition des réalités postapocalyptiques

    Ce qui m’a frappé dans les 2 jeux auxquels j’ai joués, dans un premier temps, c’est le fait que la temporalité dans laquelle se déroule leurs récits n’est pas celle à laquelle on est habitué en tant que joueur et joueuse occidentaux. En effet, dans SMT5, le présent se déroule à la fois sur un plan où Tokyo est détruite et un plan ou Tokyo ne l’est pas. En parcourant le récit, on apprend que le Tokyo encore debout est en réalité une reproduction d’un Tokyo déjà détruit. Cependant, ce qui est intéressant, c’est de voir et de positionner non pas les diégèses de ces jeux comme étant des périodes linéaires mais fondamentalement comme étant des réalités qui se superposent. Les héros et héroïnes peuvent alors voyager entre ces réalités mais il n’y a pas fondamentalement de réalité plus importante qu’une autre toutes sont sur un même plan d’existence. Et C’est pourquoi je parle de réalité postapocalyptique ici plutôt que de monde ou de récits où d’histoire. Dans SMT3, le monde explorable est une bulle, un seuil ou encore une zone intermédiaire entre un monde qui vient d’être détruit et un nouveau monde au bord de la création.

    Ce que je trouve de fondamentalement intéressant à travers cette conception de la temporalité, c’est qu’elle met d’égal à égal des réalités qui dans une conception peut être plus occidentale n’auraient pas les mêmes degrés d’importance. fondamentalement, il n’est pas question de discerner le vrai du faux dans la série Shin Megami Tensei. Cependant, il est question de se positionner par rapport à une vérité, ou plutôt une Raison (pour reprendre les notions présentées ans le jeu), afin d’orienter la destinée du monde.

    2. De SMT3 à SMT5, faire le choix d’un rapport au monde

    Dans SMT3, l’audience joueuse doit se positionner par rapport à la création d’un nouveau monde. Cette création nécessite le choix d’une raison. Cette raison orientera et structurera le nouveau monde. Ainsi, derrière des conflits armés, ce sont des raisons qui s’affrontent. Dans le jeu, 3 raisons sont proposées aux audiences. La première, Yosuga, est la raison du plus fort. Un monde créé à partir de cette raison serait un monde chaotique ou la loi du plus fort règne. La 2e, Shijima, est une raison qui prône l’ordre, où l’humanité ne fait plus état de ses émotions. Enfin la dernière raison, Musubi, valorise l’individualité avant tout Et où chacun et chacune vie de manière isolée sans l’influence d’autres personnes. Par rapport à ces 3 raisons, il est également possible de choisir de ne souscrire à aucune d’elles afin de réinstaurer un monde fait d’incertitudes. Dans SMT5, On retrouve un positionnement similaire avec une raison favorisant l’ordre (ce qui dans le jeu signifie le choix d’un seul et unique Dieu), une raison favorisant le chaos (ce qui dans le jeu fait émerger une infinité de déités en compétition les unes avec les autres) ou enfin une raison neutre qui aboutit à la fin de ce cycle de création et de destruction de monde.

    Ce qui est particulièrement intéressant avec cette série de jeux vidéo, c’est qu’ils proposent à leurs audiences d’exercer leur croyances et leur morale au sein d’un espace vidéoludique à propos de ce à quoi souscrire une organisation sociale. Même si l’on ne voit jamais ce nouveau monde arriver, toute la progression du jeu et orientée de sorte à aider l’audience dans cet ultime choix en l’exposant à diverses explications légitimant ou critiquant ses raisons. À travers ce choix, la série permet à son audience de faire l’expérience d’une société idéale. De fait, Bien que les raisons exposées soient simplistes, elles permettent métaphoriquement à l’audience de modéliser un système social structurant les relations des individus qui en font partie.

    On pourrait également aller plus loin dans Une interprétation socio-anthropologique dans le sens où SMT5 positionne de manière assez clair un conflit entre une religion monothéiste et une religion polythéiste. Le jeu nous laisse choisir alors vers quelle organisation religieuse pencher. Cependant, il serait difficile de ne pas voir ici, en extrapolant un peu, alors certains rapports de force entre le Japon et l’Occident, au moins depuis une perspective culturelle. Certains éléments du lore évoquent également ce rapport de force comme par exemple le fait que le Japon ne dispose pas de sa propre faction lui permettant de se protéger en dehors de l’organisation Bethel ce qui n’est pas sans rappeler la situation dans laquelle le pays s’est retrouvé après la 2nde guerre mondiale. Il est cependant nécessaire de noter que restreindre la lecture du jeu à cela ce serait qu’une erreur réductrice bien entendu.

    https://twitter.com/EstebanGrine/status/1460170139240853509?s=20

    Ouverture

    Finalement ce qui est intéressant avec la série, c’est frontalement qu’elle propose un autre regard sur les récits postapocalyptiques. Plutôt que de représenter une humanité au bord de l’effondrement, plutôt que de se concentrer sur des enjeux interpersonnels, les deux jeux auxquels j’ai pu jouer ce mois-ci fondent leurs dilemmes sur l’Après. Pour cela, ces quelques notes font état de deux principes au coeur d’une certaine recette. Premièrement, c’est la simultanéité des temporalités qui permet de faire l’expérience de plusieurs réalités. Il n’est pas seulement question de recréer un monde, il est davantage question de proposer une nouvelle réalité. Dans SMT3, il s’agit d’un entre-deux. Dans SMT5, Il s’agit de plans d’existence différents mais tous réels., on pourrait reprocher au jeu de ne pas développer leurs personnages mais ce serait un reproche fait à tort tant ceux-ci ne sont que les vecteurs de discours sur la forme que devrait prendre la réalité à laquelle l’audience souscrit. Ultimement, cette série m’a marqué pour sa proposition à l’égard du postapocalyptique ainsi que les réflexions qu’elle propose à l’égard de la responsabilité de l’audience sur la diégèse. Peut-être qu’un jour je continuerais le développement de ces deux axes.

  • De victimes à cataclysmes : iconographies des baleines vidéoludiques

    De victimes à cataclysmes : iconographies des baleines vidéoludiques

    Le 19 février dernier a eu lieu la Journée Internationale de la Baleine et pour l’occasion, les tenant·e·s du compte Twitter du Master AMINJ[1] ont eu la bonne idée de démarrer une discussion dans le but de recenser quelques apparitions de l’animal dans les jeux vidéo. Encore une fois comme avec le réseau social, il suffit d’une bouteille lancée pour rapidement obtenir un corpus foisonnant et bien qu’il ne soit pas exhaustif, force est de constater que c’est assez pour dégager quelques tendances quant à l’usage de ces animaux en jeu.

    C’est aussi toujours dans le but de documenter ce types de questions – peut-être laissées de côté – que cet article présente de manière assez succinctes quelques observations issues de ce corpus encore une fois non exhaustif, mais terriblement intéressant lorsqu’il s’agit de croiser, encore et toujours, animal studies et game studies.

    Motifs des baleines vidéoludiques

    Avant tout, parmi la petite trentaine de jeux identifiés comme contenant des baleines[2], il semble que l’on retrouve les quatre motifs associés aux baleines et identifiés en 2012 par Philippe Simon. Ceux-ci sont : la grande taille de l’animal, la baleine-île, le monstre dévorant et la naufrageuse (2012)[3]. Dans son cas, Simon observe ces motifs lorsqu’il parle de la « baleine littéraire ». Cependant, il semble que l’on retrouve ces motifs lorsqu’il s’agit de baleines vidéoludiques. La grande taille de l’animal est systématiquement récurrente : les plus petites baleines identifiés sont les Pokémons baleines (Waylord mesure 15 mètres pour seulement 400 kilos)[4] et Del Lago (Resident Evil 4) qui ne doit pas faire beaucoup plus. Le motif de la baleine-île est plus irréguliers. Il peut alors être métaphorique comme le Poisson-Rêve de Link’s Awakening (1993) ou clairement être objet avec une matérialité dans la diégèse : Narisha dans Skyward Sword. Le monstre dévorant est relativement explicite avec Sin, baleine qui matérialise une sorte de cataclysme dans Final Fantasy X, Kyogre dans Pokémon Rubis & Saphire ou encore Jabu Jabu dans Ocarina Of Time. Cela fait écho au léviathan qui dans la Bible est un monstre marin. Enfin, la motif de la naufrageuse est également récurrent et sous toutes ses formes. Les plus spectaculaires se retrouvent dans Breath Of The Wild sous formes de fossiles, dans Death Stranding avec toute la symbolique des marées noires, dans Dishonored et Life Is Strange pour signifier les ravages des actions des joueurs et joueuses sur la réalité vidéoludique.

    De victimes à cataclysmes : les agentivités des baleines

    Observer ces motifs est une première étape permettant finalement de constater des similarités entre baleines littéraires et baleines vidéoludiques. Cependant, il est possible de pousser la réflexion en contextualisant l’apparition des baleines en fonction de leurs différentes diégèses. Il y a alors un phénomène particulièrement intéressant qui est une transition entre une identité de victime (la naufrageuse) et une identité bien plus agentive qui est celle du monstre dévorant. Cette transition semble suivre le réalisme donné à la diégèse. Autrement dit, plus une diégèse s’inscrit dans un imaginaire science-fictionnel ou fantastique et plus celle-ci aura une agentivité et sera associée à une entité créatrice (le Poisson-Rêve dans Link’s Awakening) ou destructrice (Sin dans Final Fantasy X). En réalité, il n’est pas étrange d’octroyer une plus grande agentivité à des animaux dans une fiction. Ce qui m’interpelle, c’est fondamentalement la dimension de cette agentivité car les baleines vidéoludiques semblent plutôt avoir un impact à l’échelle du monde lorsqu’elles reprennent les motifs du monstre dévorant ou de la baleine-île.

    Cela étant, il est tout aussi intéressant de remarquer que si leur taille gigantesque sert cette agentivité, leurs intérieurs sont également l’occasion de citer le Docteur Who : « It’s bigger on the Inside! ». Les cas de Jabu Jabu (Ocarina of Time) mais également de Humphrey (Omori) permettent de constater que les baleines sont également des marqueurs pragmatiques permettant de légitimer des espaces non-euclidiens.

    Midspoil de OMORI dans le paragraphe ci-dessous, surlignez pour le voir.

    À tel point que cela peut également tendre vers des infinis toujours plus petits. Par exemple, à un moment clef de l’intrigue, Humphrey génère des versions plus petites de lui à l’intérieur de lui-même et avalent tout en s’avalant en même temps, instaurant une certaine récursivité vers infiniment petit.

    Entre cultures baleinières et quête de vérités

    Ultimement, il convient de mentionner deux dernières observations. Premièrement, il est indéniable qu’au-delà de l’animal, c’est toute la culture autour de la baleine qui peut se retrouvée intégrée dans les jeux vidéo. Michael J. Moore, dans un article de 2011, note que hormis les pays chasseurs de baleines, en réalité, tous les pays tuent volontairement par la chasse ou involontairement par la pêche ces animaux (2014)[5]. Le combat contre Del Lago dans Resident Evil 4 s’inspire de cette culture de la chasse à la baleine et évoque la pêche aux harpons puisque Léon S. Kennedy doit abattre le monstre uniquement avec ces outils. Secondement, les Zelda font un usage de la baleine qui rappelle également une quête de connaissance : le Poisson-Rêve révèle ultimement la réalité du monde à Link dans Link’s Awakening et Narisha, une fois vaincu, transmet à Link de nouvelles informations cruciales pour la poursuite de sa quête. A l’instar de Moby Dick (Melville, 1851) et de l’analyse qu’en fait André Duhamel (2011)[6], la recherche de ces baleines dans ces deux jeux peut être associée à la recherche d’une vérité, potentiellement destructrice pour celui qui s’est donné cette mission.

    Conclusions ?

    Pour conclure, encore une fois une première vérité semble éclater à la fin de cet article : le temps consacré à cette question révèle bien plus de ramifications de réflexions que ce que j’aurai pu envisager en démarrant ce travail, sur le ton de l’humour, il faut bien l’avouer.

    Secondement, et c’est qui m’intéresse le plus ici, c’est que de l’étude des baleines vidéoludiques se dégage une tendance à leur attribuer une agentivité qui se réalise à l’échelle du monde dans sa globalité si le récit s’inscrit dans un univers science-fictionnel ou fantastique. Dernièrement, ce travail lance un projet bien plus grand de classification des animaux vidéoludiques en fonction de deux paramètres : leurs agentivités dans le récit et le registre réel et/ou fictionnel des réalités vidéoludiques dans lequel ces agentivités s’exercent. Pour les baleines, il semble que ces agentivités (passives vers actives) aillent de l’identité de victime à l’identité de cataclysme mais il serait passionnant d’adopter ce cadrage pour l’étude d’autres animaux vidéoludiques.

    Esteban grine, 2021.


    [1] http://www.master-crea-numerique.fr/

    [2] Et accessibles à ces deux adresses :

    https://twitter.com/MetzJeu/status/1362845041211936769

    &

    [3] Simon, P. (2012). La baleine en morceaux : Distribution intertextuelle et contingence du monstre chez Rabelais. In Lieux de mémoire antiques et médiévaux (p. 339‑354). BSN Press. https://www.cairn.info/lieux-de-memoire-antiques-et-medievaux–9786169078180-page-339.htm

    [4] Wailord—Poképédia. (s. d.). Consulté 22 février 2021, à l’adresse https://www.pokepedia.fr/Wailord

    [5] Moore, M. J. (2014). How we all kill whales. ICES Journal of Marine Science, 71(4), 760‑763. https://doi.org/10.1093/icesjms/fsu008

    [6] Duhamel, A. (2011). Moby-Dick de Herman Melville : De l’allégorie de la caverne à l’allégorie de la baleine. Études littéraires, 42(2), 97‑110. https://doi.org/10.7202/1011523ar

  • Les « À Peu Près Awards » 2020

    Les « À Peu Près Awards » 2020

    La fin d’année se dessinant enfin, il est temps de révéler les lauréats de cette première édition des « À Peu Près Awards », véritable cérémonie s’il en est et tout à fait légitime. Sans plus attendre, voici donc les gagnants : jeux, studio, joueurs et joueuses, commentateurs et commentatrices qui ont marqué l’année 2020.

    L’Award des plus beaux ours vidéoludiques

    Immortal Fenyx Rising, par sa superbe modélisation des ours améliore fondamentalement l’expérience de jeu que l’on pouvait avoir avec les ursidés. Surtout si l’on compare le jeu avec son prédécesseur, Zelda Breath Of The Wild, nul doute que IFR remporte haut-la-main cet award clairement mérité (en plus du fait qu’il s’agit d’un excellent jeu si vous y jouer dans sa version originale en anglais).

    L’Award du jeu où caresser un chien est plus intéressant que de draguer des dieux et des déesses

    Hadès par son gameplay intransigeant permet à chacun de ses joueurs et joueuses de caresser, non pas une ou deux, mais bien TROIS têtes de chien avec ce bon gros toutou de Cerbère. Clairement le personnage le mieux écrit du jeu également. Félicitation donc à SuperGiant pour enfin avoir innover lorsqu’il s’agit de répondre à la question ; can you pet the dog ?

    L’Award de la plus gentille des grands-mères

    Ici, le comité avoue profiter d’un vice de procédure puisque c’est Granny du jeu Moon The Remix RPG sorti originellement en 1997 mais réédité en 2020 sur Nintendo Switch qui remporte cet award. Parce que Granny est toujours à l’écoute pour également nous offrir des cookies avant de partir à l’aventure et ce, depuis plus de vingt ans maintenant, elle mérite amplement cet award.

    L’Award du personnage le plus explosif de l’année 2020

    Dans l’excellentissime Paper Mario The Origami King , Bob-Omb n’est pas comme les autres Bob-Omb. en plus de régulièrement permettre aux protagonistes de briser le quatrième mur, il se révèle drôle et attachant et ce, avec un véritable arc de rédemption qui fera pleurer chacun et chacune à chaude larme. Clairement un personnage qui nous a fait exploser de rire.

    L’Award de la coupe de cheveux la plus cyberpunk de 2020

    Encore une fois, le jury a saisi l’opportunité de ne pas récompenser des jeux qui, parce qu’ils possèdent un nom générique, semblent destinés à recevoir tous les awards concernant la catégorie dans laquelle ils s’inscrivent. Donc, pour l’award de la coupe de cheveux la plus cyberpunk, le jury a décidé de récompenser Sam Porter Bridges qui en 2020 a porté des lunettes, une valve et même un crabe.

    l’Award de l’hommage en jeu le plus cool fait à un artiste décédé

    Assassin’s Creed est un jeu merveilleux pour plein de bonnes raisons. L’une d’elles concerne la quête « The Prodigy » durant laquelle un prêtre empêche un artiste de chanter sa musique « satanique ». Une fois le prêtre vaincu, l’artiste nous remercie et se met à chanter « Smack My Bishop ». L’hommage est évidemment fait à Keith Flint (The Prodigy), décédé l’an dernier.

    A noter également : Keith dans AC Valhalla aurait pu également remporter l’award de la coupe la plus cyberpunk de 2020.

    L’Award du Jeu Vidéo ayant fait un parallèle approximatif et douteux entre son récit et le conflit israélo-palestinien

    The Last Of Us Part 2 n’est pas un jeu très gentil avec son audience. Nul doute qu’il est cependant mémorable tant la violence exprimée dans son game design martèle la rétine de ses audiences. C’est pourquoi dans un monde où tout le monde est méchant, on a toujours besoin de gens encore plus méchants. Pour y arriver, rien de plus simple, il suffit de les objectifier et d’empêcher toute forme d’empathie à leur égard. C’est ce que parvient à faire TLOU2 avec les séraphites, dépeints comme des archétypes de fanatiques religieux.

    L’Award du jeu qui a été associé à Hitler par un·e journaliste probablement bien intentionné·e mais dont le message est brouillé par un titre complétement aux fraises

    Garrett martin, Cyberpunk 2077 et Paste Magazine remportent à eux trois cet award, très spécifique, mais qui permet de rappeler que faire des parallèles entre un jeu et un dictateur est probablement problématique, même quand le message sous-jacent n’est pas cela ou que cela n’en a pas été l’intention de l’auteur·ice. Félicitations à eux trois pour ce travail collaboratif probablement involontaire.

    L’Award du management ayant prouvé que le crunch faisait perdre de l’argent aux actionnaires.

    Par sa gestion désastreuse du mois de décembre, CD Projekt Red est sous le feu de la rampe. Bad Buzz is still a Buzz, as they say. Une perte de 29% de l’action a suivi à la sorti du jeu selon Gameblol (source : gameblog . fr/ news/ 94149-cd-projekt-red-l-action-chute-en-bourse-apres-la-sortie-de-c). Cependant, comme disent les jeunes : eat the rich. et pour citer Adam Kiciński, finalement, le crunch, c’est pas si mal.

    L’Award du commentateur ayant fait en live un commentaire ultra beauf et sexiste pour considérer les violences sexuelles comme étant la marque des grands jeux alors que c’est bien évidemment complétement con, faux et dangereux.

    Pour son travail dans la banalisation des violences sexistes, le jury couronne la carrière de JC. Après avoir débuté la décennie par le harcèlement d’une créatrice (que nous ne nommerons pas ici, mais que nous saluons sincèrement) de jeux vidéo, JC termine 2020 en beauté.

    https://twitter.com/JulienChiezeOOC/status/1336005822934036487?s=20
  • Une petite histoire à propos de Megalovania de Toby Fox

    Une petite Threadospective de #Megalovania :O #Undertale #Smash #BoomShakalaka

    Tout d’abord, c’est intéressant de rappeler que #Megalovania est une contraction de transylvania et de « Megalomania » une musique du RPG Live A Live. Il n’y a pas vraiment de ressemblances Megalovania fait réf à Megalomania notamment dans sa structure 😮

    La première occurrence de #Megalovania apparait donc dans #EarthboundHalloweenHack, qui comme son nom l’indique est un hack de earthbound réalisé pas Toby Fox pour un concours organisé par http://Starmen.net

    Contrairement aux apparence, la deuxième occurrence de #Megalovania ne se trouve pas dans #Undertale mais dans #Homestuck… un webcomic dispo à cette adresse https://homestuck.com A ce moment, le titre s’écrit MeGaLoVania.

    A noter, deux versions de Megalovania ont été réalisées l’univers étendu de #Homestuck : pour #AlterniaBound (un ms paint adventure) et #Brodylovania

    Mais tous ces détours ne nous mènent toujours pas à #Undertale. En effet, Toby Fox réalise une version de #Megalovania pour le fangame #MotherCognitiveDissonance.

    Il s’agit d’un fangame de 2014 qui situe son histoire entre #Mother1 et #Earthbound. => http://cogdis.tazmily.com

    A noter qu’en 2012, Toby Fox fait mention de Megalovania dans une nouvelle musique intitulée « Megalo Strikes Back » !

    « Megalo Strikes Back » se trouve dans un album sobrement intitulé « I miss you – Earthbound 2012 », album collectif disponible sur Bandcamp. Cet album est plus important qu’il n’y parait puisqu’on y trouve aussi une (la 1ère ?) occurrence de « Fallen Down » .

    Voilà ! nous y sommes enfin : le #Megalovania d’ #Undertale . Sorti en 2015, c’est un morceau qui sera particulièrement repris par les fans pour des mashups, des remix et autres.

    Entre autres, pour rester, disons, dans la timeline « officielle », on peut noter la cover de RichaadEB présente dans l’album « Determination – purple side » vendu sur bandcamp ET fangamer.

    Tout ce long périple qui s’est étalé sur plus d’une décennie (jusqu’à présent) nous amène à la dernière version de #Megalovania, à savoir le remix que Toby Fox a réalisé pour #SmashBrosUltimate.

    Maintenant que cette « timeline » officielle est bouclée (pour le moment), j’ai envie de vous partager quelques remix ou mashups réalisés par des personnes incroyables.

    Mais avant tout, loin de moi l’envie d’oublier un partenariat entre Toby Fox et l’équipe de #GrooveCoaster (que @MisterFlech m’a fait découvrir d’ailleurs). Pour l’occasion, la musique n’a pas vraiment été retravaillée.

    Le premier mashup que je veux partager est au croisement des mes goûts musicaux puisqu’il s’agit d’un mashup entre #Megalovania et « Water Of Nazareth » de #JusTicE. Le mashup a été réalisé cette fois par BotanicSage.

    Ce qui est particulièrement intéressant avec #Megalovania, c’est qu’elle a tout ce qui faut pour offrir de chouette remix dans un style EDM, comme par exemple la proposition de LiterallyNoOne partagée par TheFatRat.

    Après, si on commence à mettre un pied dans le fandom dédié aux détournement de #Megalovania, on en sort plus jamais… mais #Exelovania mérite d’être citée.

    Toujours dans le remix EDM, on trouve aussi le Sim Gretina Remix qui groove Papyrus sans le moindre respect.

    sur #SuperMarioMaker2, on trouve aussi de quoi se faire plaisir, avec les contraintes du jeu : on a l’impression que lea musicien*ne tourne les pages de sa partition au mauvais moments ^^’

    Mais bien sûr, ce n’est pas avec Mario Maker que les gens se sont amusés à rejouer #Megalovania. Par exemple, des fous et des folles furieuses se sont déjà prêtées à l’exercice dans #Minecraft.

    Voilà je m’arrête là car c’est sans fin… Fortnite a aussi ses versions de #Megalovania mais je préfère vous laissez avec ce remix de 10 heures : MOGOLOVONIO

    doggolovania.

    Obligé de rajouter les versions des univers alternatifs de #Megalovania

    Voilà ! c’est tout pour cette petite histoire ! Il s’agit d’une version rapide d’un thread que j’avais fait sur cette musique et dont voici le tweet originel.

    esteban grine, 2020 [2019].

  • Death Stranding infini // Death Log infini

    Death Stranding infini // Death Log infini

    Et bien salut à toi Pier-re. A l’heure à laquelle je te parle, on est le 24 juillet 2020 et en fait, c’est très compliqué, le temps de remettre un peu les choses en forme, nous sommes maintenant le 2 août – mélange infini des temporalités.

    C’est étrange parce que pendant toute cette saison, tu m’as adressé des messages vocaux au début et à la fin. De mon côté, c’est très paradoxal parce qu’au moment où tu vas voir ces mots rédigés, moi, je les aurais prononcés à travers un transcripteur et je m’amuse à penser que pendant que, toi, tu vas lire ces mots – peut-être tu t’imagineras ma voix en train de te parler – il y aura en réalité toute une remédiation complexe en réalité derrière ce texte.

    Death Stranding est merveilleux, le plus beau jeu auquel j’ai joué cette année. Cependant, plus que le jeu en lui-même, en fait, c’est vraiment nos propos, nos paroles, qui me rendent heureux au moment où je t’écris, au moment où je te parle. J’ai eu beaucoup de plaisir à réécouter les épisodes de cette saison. C’était un peu étrange de s’entendre. Une sorte de dissonance cognitive que j’ai vécue pendant toutes ces vidéos.

    C’était comme si deux étrangers communiquaient des propos que j’aurais pu tenir, mais sans avoir l’impression d’y avoir participer. Ce sont un peu ces émotions que j’ai eues à chaque épisode. Je me disais à chaque fois : « voilà, ils disent des choses avec lesquelles je suis d’accord. Ces personnes racontent des choses intéressantes et j’aurais bien aimé les penser moi-même ».

    C’était très plaisant de discuter avec toi. Cela faisait tellement longtemps déjà que que toi et moi, on échangeait pour qu’on aille se faire plein de projets ensemble. Je ne vais pas mentir à qui que ce soit qui lira ce message. Clairement, je ne suis ni l’instigateur ni le créateur ni la personne qui est fondamentalement à l’origine de ce projet en tout le mérite, vraiment, te revient. Et je suis très heureux en fait, merci sincèrement car sans toi, cela n’existerait pas.

    C’était une brève lettre que je voulais l’adresser afin de te partager le bonheur que j’ai eu à réécouter et à découvrir des propos qui me semblent à la fois être les miens, les tiens et ceux de deux parfaits inconnus.

    Plein de bisous, à bientôt. 

    Esteban Grine, 2020.

  • Marcher pour se reposer, le Coping By Gaming

    Marcher pour se reposer, le Coping By Gaming

    Cela fait maintenant huit semaines que je suis confiné chez moi, à télétravailler, dormir, manger, profiter de ma famille et de mon bébé. Cela fait aussi depuis qu’il est sorti que je joue au remake de ce qui fut mon premier Final Fantasy, échangé contre un Crash Bandicoot en 1999. Sans être particulièrement bluffé par le jeu, je dois bien avouer que je prends plaisir à le parcourir en le slowplayant. Plus particulièrement, cela fait maintenant plus de 27h que je traverse Midgar en marchant, uniquement.

    Or, depuis que j’ai acheté Final Fantasy 7, j’essaie de comprendre pourquoi le fait de marcher dans ce jeu est devenu pour moi la seule façon de l’appréhender. Car au-delà du plaisir de prendre son temps ou de me rendre disponible à émerveillement que procure la découverte de Midgar (Auray & Vétel, 2013), j’avais le sentiment que cette slowrun était bien différente des autres slowruns que j’ai pu faire sur Zelda, AC Odyssey ou encore Death Stranding.

    Pendant plusieurs semaines, j’ai donc cherché à comprendre les émotions que me prodiguait ff7. Je pense avoir compris maintenant. Généralement, ces déclics entraînent chez moi des questions de recherche, c’est pourquoi dans cet article il va être question des jeux vidéo en tant que coping strategies ou stratégies d’adaptation.

    Au sens large, une stratégie d’adaptation, ou un mécanisme d’adaptation, est un processus permettant à un individu de faire face à une problématique anxiogène, stressante, etc. Faisant référence à toute une littérature dédiée aux mécanismes d’adaptation, Loton et al définissent ces derniers de la façon suivante :

    L’adaptation fait référence aux « efforts cognitifs et comportementaux en constante évolution pour gérer des demandes externes et/ou internes spécifiques qui sont évaluées comme taxant ou dépassant les ressources de la personne ». (Loton et al 2016:570, ma traduction)

    Dans la littérature académique, il apparaît avec le très bref état de l’art que j’ai mené, que généralement, les mécanismes d’adaptation sont étudiés au prisme des troubles potentiels de l’addiction que des joueurs et joueuses peuvent développer à l’égard d’une pratique de jeu qui peut leur être nocive. En particulier, les premières études que j’ai parcourues ont pour objectif principal d’interroger ces mécanismes comme pouvant potentiellement être des causes à un trouble du jeu vidéo (Plante et al, 2019). D’autres études portent plutôt sur les façons dont certains groupes de joueurs ou de joueuses mettent en place des mécanismes d’adaptation de sorte à pouvoir faire l’expérience d’un jeu vidéo tout en limitant l’environnement toxique dans lequel peut se dérouler le jeu. Jesse Fox et Wai Yen Tang ont étudié auprès d’un échantillon de 293 femmes les stratégies que ces joueuses mettaient en place afin de faire face à la toxicité des jeux en ligne (2016). Afin de limiter le harcèlement en ligne, Fox et Tang notent que leurs enquêtées évitent le tchat, choisissent des avatars d’un autre genre, s’exprime de manière neutre, se font passer pour des enfants quand leur capacité vocale le leur permet, etc. (2016).

    Ainsi, même si considérer les jeux vidéo comme des mécanismes d’adaptation semble pertinent, les recherches que j’ai parcourues semblent surtout questionner les liens que ces mécanismes ont avec un potentiel trouble du jeu vidéo. Or ce qui m’intéresse ici, en prenant en compte mon expérience récente avec Final Fantasy 7, c’est fondamentalement ces mécanismes d’adaptation. Ou plutôt, ce qui m’intéresse, c’est de formaliser ici que le fait de jouer, et plus particulièrement le slowplay et les slowruns, sont en soi des stratégies que j’ai mises en place afin de soulager mon stress et mon anxiété, deux paramètres générés à la fois par la quantité de travail que j’ai l’impression d’avoir en étant en télétravail et le confinement, qui plus largement est causé par une pandémie globalisée.

    Le phénomène du coping by gaming comme un mécanisme permettant de gérer une réalité, un phénomène et le stress lié à cela est déjà documenté, notamment avec des audiences en situation de handicap. The Washington Post a d’ailleurs recensé quelques témoignages intéressants à ce sujet :

    “I don’t think about being disabled when I’m in my gaming setup and talking to everyone,” Reece, 33, said. “Just Jackson ‘pitbullreece,’ just sitting here playing, and that’s what makes me me.”

    In the United States, one in four people have a disability, according to Centers for Disease Control and Prevention. Gaming allows many of them to do things in a virtual space they could only dream of in reality. It also helps them connect and overcome social anxiety and feelings of depression.

    “It’s my escape,” said Brian “Wheely” McDonald, 31, who has arthrogryposis, causing the normally elastic tendons in his hands to stiffen. “I’m not disabled in video games. I have people telling me all the time how amazing I am at games.”

    Ben entendu, il est hors de question de comparer ma situation à celles évoquées par The Washington Post. Elles ne sont ni équivalentes, ni pertinentes. Cependant, cela révèle une pluralité de raisons pour lesquelles une personne peut être amenée à utiliser le jeu vidéo comme une stratégie d’adaptation. Sans creuser plus cela car ce n’est pas non plus l’objectif de cet article, il est possible de représenter ces causes sur un axe micro <=> mezzo <=> macro. Par exemple, si je joue à FF7R en ne faisant que marcher, c’est pour gérer mon anxiété à l’égard du télétravail (mezzo) et pour gérer mon anxiété à l’égard du confinement et de la pandémie. Techniquement, cette pratique du jeu vidéo n’est pas non plus isolées, dans une enquête reprise par The Independant, mais que je n’arrive pas à retrouver, 55% des joueurs et joueuses utilisent les jeux comme un moyen de ventiler, de gérer son stress. Dans un article publié en 2018, Bowditch et al notent l’existence de relation entre coping et escapism. Même si le sujet de leur travail portait sur les impacts négatifs dû à un escapism considéré comme une stratégie de coping, les autrices concluent en constatant l’existence d’effets positifs sur le stress ressenti tous les jours :

    « this study demonstrated that having an engaged, problem-focused style of coping with everyday stressors was not only associated with fewer negative outcomes in relation to escapism; it also seems to play a role in protecting individuals against negative gaming outcomes more generally. » (Bowditch et al 2018:94)

    Cependant, caractériser ma pratique actuelle simplement comme une coping strategy ou comme échappatoire ne suffit pas. En effet, les travaux que j’ai parcouru alertent justement sur le fait que le coping fait référence à de nombreuses stratégies et mécanismes qui peuvent être bénéfique ou non. Bowditch et al notent justement cette complexité dans leurs travaux (2018). Loton et al considèrent deux grandes « familles » de stratégies d’adaptation : les stratégies d’approches et les stratégies d’évitement. « L’approche » fait référence aux efforts de concentration pour gérer un événement stressant et « l’évitement » comprend « des activités ou des changements cognitifs pour éviter des situations par le biais de la diversion (distanciation cognitive) ou du retrait » (Loton et al, 2016:570, ma traduction). De la même façon que pour les causes micro, mezzo ou macro, il ne s’agit pas ici de catégories exclusives. Ma slowrun de Final Fantasy 7R semble, selon mon ressenti, à cheval entre efforts de concentration et diversion. A un niveau micro, le fait de marcher dans FF7R me donne l’impression d’être maitre de mon rythme, ce que le télétravail m’empêche. A un niveau macro, jouer à FF7R est une façon pour moi de gérer l’actualité liée au confinement et à la pandémie.

    Globalement, à partir de ces deux échelles, il me semble possible de cartographier les différents mécanismes d’adaptations utilisant les jeux vidéo comme support. Cette cartographie me semble importante car elle permet de formaliser clairement les raisons d’une telle pratique tout en étant susceptible de faire des hypothèses sur les effets positifs ou négatifs par une stratégie particulière sur les joueurs et joueuses qui en font usage. A l’issue de mes sessions sur FF7R, il m’est possible, dans une démarche autoethnographique, de formaliser les mécanismes d’adaptation ou de coping que je déploie dans le contexte actuel.

    A l’issue de ce travail, relativement court et nécessitant d’être discuté, il me semble tout de même possible d’envisager le jeu vidéo comme une stratégie d’adaptation ayant des impacts positifs sur les joueurs et les joueuses, particulièrement en situation de crise sanitaire. Comme d’habitude, c’est fondamentalement ma pratique d’un jeu vidéo qui m’a suggéré cette question et finalement cette hypothèse : si je joue à FF7R en slowrun, actuellement, c’est principalement parce que cela me permet de gérer le stress et l’anxiété que le confinement suscite chez moi. J’aurai aussi tendance à penser que ces propos sont partagés par de nombreuses personnes. Surtout lorsque l’on voit que l’OMS soutient des initiatives comme #PlayApartTogether dont l’objectif est de sensibiliser les audiences à la distanciation sociale, le confinement, la santé mentale, etc. Etant donné que cet article ne s’inscrit dans aucun de mes axes de recherches doctorales, je ne pense pas que je poursuivrai la discussion. Ceci étant, rien que le fait d’avoir écrit et partagé mon ressenti et ces quelques recherches sont aussi, dans une certaine mesure, une façon pour moi de gérer mon anxiété. ■

    Esteban grine, 2020.


    Bibliographie indicative

    • Bowditch, L., Chapman, J., & Naweed, A. (2018). Do coping strategies moderate the relationship between escapism and negative gaming outcomes in World of Warcraft (MMORPG) players? Computers in Human Behavior, 86, 69‑76. https://doi.org/10.1016/j.chb.2018.04.030
    • Can games improve your mental health? PAX panel explores the rise of games as a coping mechanism. (2019, septembre 3). GeekWire. https://www.geekwire.com/2019/can-games-improve-mental-health-pax-panel-explores-rise-games-coping-mechanism/
    • Fox, J., & Tang, W. Y. (2017). Women’s experiences with general and sexual harassment in online video games : Rumination, organizational responsiveness, withdrawal, and coping strategies. New Media & Society, 19(8), 1290‑1307. https://doi.org/10.1177/1461444816635778
    • Loton, D., Borkoles, E., Lubman, D., & Polman, R. (2016). Video Game Addiction, Engagement and Symptoms of Stress, Depression and Anxiety : The Mediating Role of Coping. International Journal of Mental Health and Addiction, 14(4), 565‑578. https://doi.org/10.1007/s11469-015-9578-6
    • Plante, C. N., Gentile, D. A., Groves, C. L., Modlin, A., & Blanco-Herrera, J. (2019). Video games as coping mechanisms in the etiology of video game addiction. Psychology of Popular Media Culture, 8(4), 385‑394. https://doi.org/10.1037/ppm0000186
  • A propos des liens entre les manosphères et les jeux vidéo

    A propos des liens entre les manosphères et les jeux vidéo

    Bien que l’industrie du jeu vidéo essaie d’inclure de plus en plus de joueurs et joueuses, en particulier des minorités, elle a encore beaucoup à faire. Comme le souligne Emma Vossen, chercheuse en études culturelles qui a travaillé sur les phénomènes de gatekeeping : «women are routinely subjected to gendered harassment while playing games, and in physical spaces of games culture, such as conventions, stores, and tournaments» (Vossen, 2018:4).

    Afin de lutter contre les groupes oppressifs qui harcèlent les minorités, des entreprises intègrent dans leur équipe des personnes hautement qualifiées pour réfléchir et développer des stratégies afin de favoriser l’inclusion comme une valeur importante qui se reflète dans les créations. Cette inclusivité est intégrée dans des jeux vidéo comme Life Is Strange, Assassin’s Creed Odyssey dans lesquels tous les joueurs peuvent choisir d’avoir des relations amoureuses avec des hommes et des femmes avec Alexios ou Kassandra. Néanmoins, la compréhension des manosphères est importante en raison de deux phénomènes.

    Ce billet a grandement été inspiré par le merveilleux travail de Thomas V. et bien que je ne mobilise pas les mêmes bibliographies, ce serait erroné de ma part de dire que son documentaire a eu une grande influence sur mon travail, ce billet et sur mes idées.

    D’une part, peu de groupes sociaux, mais bruyants, continuent de s’appuyer sur des idées oppressives. Ces groupes, majoritairement composés d’hommes, harcèlent les femmes, les féministes, les «libéraux» au sens anglosaxon de progressistes et tentent de recruter des jeunes hommes, notamment parmi les joueurs de jeux vidéo. Ces groupes ont également tendance à harceler les employés des entreprises produisant des jeux vidéo et forcément, cela concerne directement l’industrie. Une récente étude britannique réalisée par Ukie, un groupe de réflexion britannique, a montré que 21% des travailleurs de l’industrie du jeu vidéo se considèrent comme LGBTQIA +.

    D’autre part et derrière ce sombre tableau, les jeunes générations sont de plus en plus fluides entre les genres. « Millenials » et « Gen Z » sont même surnommés « genderfluid generations ». Par ailleurs comme les enfants de la génération Z sont de futurs joueurs et joueuses, il est important de comprendre comment les groupes de haine se comporteront afin de définir notre politique. Selon l’enquête #MOIJEUNE, citée par l’ADN Groupe, plus d’un dixième des jeunes entre 18 et 30, actuellement, «  ne se considèrent ni homme, ni femme. Pour se définir, c’est la catégorie non-binaire qui convient à 36% d’entre eux, quand d’autres optent pour « gender fluid » (11%), ou ne se sentent appartenir à aucune des catégories de genre (8%) » (Hadjadji, pour l’ADN, 2019).

    Autrement dit, nous sommes dans la problèmatique suivante : actuellement, des groupes oppressifs issus des manosphères s’organisent pour harceler ou influencer des joueurs et des joueuses qui selon certaines études sortent des modèles performatifs traditionnels des genres. L’objectif de ce billet et n’est pas de comprendre les groupes LGBT+ qui semblent être des moteurs positifs d’innovations et d’inclusivités dans le milieu du jeu vidéo. En effet, pour cela, je renvoie aux travaux d’Adrienn Shaw et de Bonnie Ruberg (2015 ; 2017 ; 2020). Au contraire, l’objectif sera de se focaliser sur les manosphères à partir de travaux déjà menés en gender studies et en game studies.

    (suite…)
  • Du grimdark aux bleak joys : sentiers vidéoludiques d’une morosité moderne

    Du grimdark aux bleak joys : sentiers vidéoludiques d’une morosité moderne

    Metal Gear Solid 4 est un jeu déceptif dans le sens où la fin proposée sort complétement des récits typiques s’appuyant sur le schéma classique du monomythe. Son héros, Snake, n’est plus que l’ombre de lui-même. Autrefois puissant et sûr de lui, il est dorénavant une personne âgée, vieillie artificiellement dans la diégèse car étant un clone, son ADN n’est pas régie par les mêmes règles biologiques que les nôtres. C’est aussi un artifice pour l’équipe de Hideo Kojima pour enfin être tranquille et ne plus avoir à travailler sur la licence Metal Gear Solid. Le jeu se conclut en apprenant qu’il ne lui reste que peu de temps à vivre et qu’il compte bien en profiter comme il peut. Loin d’être une apothéose, le jeu se termine sur une émotion entre le doux et l’amer, entre la joyeux et la morosité.

    Cette suite vidéoludique rentre dans la case des bleakquels qui selon le chroniqueur cinéma de The Guardian Luke Holland définit comme des suites déceptives offrant des fins plutôt misérables à nos héros (2020). Pour justifier son propos, il mobilise tout un corpus de références : Logan (2017), Star Trek : Picard (2020), la dernière trilogie Star Wars (2015, 2017 & 2019). La chercheuse Lisa Habegger observe elle aussi un phénomène similaire dans la littérature pour jeunes adultes qu’elle nomme le bleak realism :

    « The most recent trend in young adult literature is the focus on « bleak » novels. These books tend to focus on topics that can be unsettling and uncomfortable, such as rape, murder, sexual and physical abuse. Some of today’s top young adult authors are writing these « sophisticated, edgy books about issues that reflect today’s more complex society and culture » (Carter 9). » (Habegger 2004:2)

    Les propos de Habegger sont intéressants dans le sens où elle met en relation la complexification des sociétés et des cultures (notamment, selon moi, par la démultiplication de constructions sociales), et la morosité des récits. Holland, quant à lui, identifie les directions que prennent les franchises concernant les trajectoires de leurs personnages. Luke Skywalker, tout comme Logan et Snake évoqués tantôt, est un exemple de cela. Par ailleurs, ce sont les thèmes abordés par ces œuvres qui sont aussi selon Habegger la raison de leur morosité. Elle les résume au « 4D » : Death, divorce, disease and drugs.

    De fait, il semble que les œuvres qui s’inscrivent dans un registre morne ont toujours existé. En témoigne par exemple Roméo et Juliette qui se conclut par les suicides des deux amants. Ceci étant, la période actuelle semble particulièrement propice à la valorisation de la morosité. En témoigne les récompenses obtenues par Parasite (2019) que l’on peut inclure dans le bleak realism, genre originellement inscrit dans des époques modernes. Dans les propositions vidéoludiques récentes, l’un des parangons du bleak realism pourrait être Lie in my heart de Sébastien Genvo (2019) et qui semble cocher trois des « 4D » évoqués plus tôt. Dans ce jeu, l’audience incarne un homme dont l’ex-conjointe met fin à ses jours. A partir de ce fait divers, l’audience suit quelques péripéties suscitant l’empathie avec les personnages du jeu. L’un de ses moments les plus poignants est notamment l’annonce de la mort de l’ex-conjointe à son fils. Ce jeu par ailleurs questionnent d’autres tendances d’actualité comme le sharenthood mais c’est un sujet que je ne poursuis pas ici (Plunkett, 2019).

    Cependant, la morosité en tant que registre imprègne dorénavant aussi les œuvres de science-fiction. Comme cela a notamment été travaillé par d’autres, il semble que les mouvements littéraires autour du punk postmoderne soient les plus fertiles pour imaginer les futurs possibles de l’humanité. Ainsi, plusieurs genre sont apparus, particulièrement dans lebut de proposer une alternative au grimdark dont le postulat de chacune des fictions qui s’y réfèrent est qu’en aucun cas, le bon existe. Le solarpunk est le plus évocateur dans le sens où il définit :

    « an upcoming genre in speculative fiction, which focuses on worlds that feature clean and renewable energy resources, set in futurist eco-utopia’s—through which it defies our contemporary societal structures. » (Martens, 2019)

    Le Hopepunk fait aussi référence au grimdark dans le sens où il s’y oppose également. Alexandra Rowland, autrice, est celle qui a proposé le concept en l’opposant directement au grimdark. Aja Romano revient dessus en le définissant de la façon suivante :

    « Depending on who you ask, hopepunk is as much a mood and a spirit as a definable literary movement, a narrative message of “keep fighting, no matter what.” If that seems too broad — after all, aren’t all fictional characters fighting for something? — then consider the concept of hope itself, with all the implications of love, kindness, and faith in humanity it encompasses. Now, picture that swath of comfy ideas, not as a brightly optimistic state of being, but as an active political choice, made with full self-awareness that things might be bleak or even frankly hopeless, but you’re going to keep hoping, loving, being kind nonetheless. » (Romano, 2018)

    Ainsi, contrairement au grimdark¸ le hopepunk milite pour un optimisme politique dans le sens où être optimiste et croire en de meilleurs futurs sont des positionnements politiques sur l’échiquier. Rowland complète Romano de la façon suivante :

    « Hopepunk says that genuinely and sincerely caring about something, anything, requires bravery and strength. Hopepunk isn’t ever about submission or acceptance: It’s about standing up and fighting for what you believe in. It’s about standing up for other people. It’s about DEMANDING a better, kinder world, and truly believing that we can get there if we care about each other as hard as we possibly can, with every drop of power in our little hearts. » (Rowland, quoted in Romano 2018)

    Cependant, il semble que le hopepunk et le solarpunk ne couvrent pas toutes les possibilités explorables avec des prémisses aussi globales (l’écocritique et l’optimisme). C’est pourquoi il apparaît que le genre du bleak joy semble être une troisième voie explorable puisque ce registre associe la joie à la morosité et ce, dans des contextes fictionnels fondamentalement ancrés dans des thématiques écologiques. Selon Matthew Fuller et Olga Goriunova, les deux auteur·ice·s de l’ouvrage Bleak Joys : Aesthetics of Ecology and Impossibility (2020), le genre du bleak joy

    « is a way of thinking thinks that are commonly and culturally figured as negative without losing the force of their impact but also without succombing te the luster of mere doom » (2020).

    Autrement dit, l’objectif derrière cette notion est de développer une esthétique des crises écologiques que nous vivons actuellement. Dans le champs vidéoludiques, plusieurs œuvres peuvent y faire référence, Zelda Breath Of The Wild, Nier Automata, The Last Of Us et le très récent Death Stranding. Stalker revient régulièrement en tant que jeu ayant une atmosphère morose. Shadow Of The Colossus aussi. Ce rapport esthétique se construit dans le mélange d’émotions oxymoriques suivant : espoir, désenchantement, déterminisme, empathie. Les œuvres comme Death Stranding sont alors des constats d’acceptations des crises sociales et environnementales tout en formalisant des messages d’amour et d’empathie. Ainsi, dans le jeu, l’audience est amenée à valoriser les liens sociaux d’amitiés tout en ayant conscientiser la fin prochaine du monde. Par ailleurs, là où le bleak realism semble se focaliser sur des récits restreints à quelques individus, le bleak joy met d’avantage l’écologie, considérée ici dans sa définition scientifique, comme étant au centre des intrigues émotionnelles. Par ailleurs, étant donné que le hopepunk et le solarpunk ne s’oppose pas, le bleak joy semble d’avantage être un contraire au solarpunk puisque dans le premier, l’écologie semble s’effondrer alors que dans le second, c’est tout le contraire. De même, cela permet une certaine finesse dans la distinction puisque le bleak joy semble s’appuyer sur des registres émotionnels similaires au solarpunk : on reste dans une forme d’empathie et de joie. Alors, je ne discute pas ici de savoir si la joie morose peut être considérée comme un genre ou comme un registre. A titre personnel, je la considérerai plutôt comme un registre, le temps de voir émerger un corpus conséquent d’œuvres ayant des caractéristiques similaires.

    Fondamentalement, Death Stranding s’inscrit dans le registre du bleak joy, ou de la joie morose, étant donné le contexte environnemental qu’il propose à son audience. Cependant, il apparait que c’est précisément ce contexte morose qui rend le jeu si beau à mon sens : Death Stranding, contrairement à d’autres récits apocalyptiques parvient à esthétiser l’effondrement, là où les œuvres post-apocalyptiques tendent à laisser de côté leurs fins du monde (qu’elles soient par effondrements, catastrophes ou autres bombes atomiques), au profit de la reconstruction. Cependant, le jeu de Kojima Productions parvient à susciter une palette d’émotions particulièrement vastes malgré les doutes que l’on pourrait avoir à l’encontre du bleak joy en tant que genre. Ici, il s’agit à mon sens d’un constat que les récits s’inscrivant dans un mélange oxymorique d’émotions entre la morosité et la joie sont particulièrement féconds si l’on souhaite proposer une histoire ayant un impact fort sur son audience aujourd’hui. ■

    Esteban Grine, 2020.


    Bibliographie

    Fuller, M., & Goriunova, O. (2019). Bleak Joys : Aesthetics of Ecology and Impossibility (1re éd.). University of Minnesota Press.

    Habegger, L. (2004). Why Are Realistic Young Adult Novels So Bleak? : An Analysis of Bleak Realism in A Step From Heaven. https://scholarworks.iupui.edu/handle/1805/1351

    Holland, L. (2020, janvier 21). Rise of the ’bleakquel’ : Your favourite heroes are back – and more miserable than ever. The Guardian. https://www.theguardian.com/tv-and-radio/2020/jan/21/picard-amazon-skywalker-star-wars-woverine-logan

    Martens, R. (2019, mai). Tracing Petromelancholia through Solarpunk Storyworlds. 2019 International Conference on Narrative, Date: 2019/05/30 – 2019/06/01, Location: University of Navarra, Pamplona, Spain. https://lirias.kuleuven.be/2471290

    Romano, A. (2018, décembre 27). In the era of Trump and apocalyptic change, Hopepunk is weaponizing optimism. Vox. https://www.vox.com/2018/12/27/18137571/what-is-hopepunk-noblebright-grimdark

    Solarpunk, the LGBT Community, and the Importance of Imagining Positive Futures. (s. d.). Consulté 8 mars 2020, à l’adresse http://readvitality.com/solarpunk-the-lgbt-community-and-the-importance-of-imagining-positive-futures/

  • le design systémique au prisme des sciences humaines

    le design systémique au prisme des sciences humaines

    Depuis mon arrivée à Ubisoft en 2018, mon travail a été de conceptualiser les tendances, les phénomènes, les médias et bien sûr les jeux vidéos à travers la perspective des sciences sociales. Les gens ont tendance à définir le jeu comme une forme d’exploration. Janet Murray, l’une des premières chercheuses en jeux vidéos (si ce n’est la première anglosaxonne à s’y intéresser par un autre angle que celui de la psychologie sociale), parle même de narration environnementale : les jeux racontent des histoires à travers leur monde. Néanmoins, en tant que chercheur en sciences humaines, je dirais que si nous explorons dans les jeux, nous explorons surtout des espaces sociaux. J’admets que j’ai tendance à considérer tout comme quelque chose de  » 100% social  » (pour ma défense, c’est en quelque sorte mon travail). D’où le nom de l’une des études que j’ai réalisées :  » social by design  » (SbD), qui fut possible grâce à l’ensemble de mon travail doctoral. J’alerte sur ce sujet pour mes pairs doctorant·e·s : le travail de thèse crée un nombre d’externalités non négligeables et c’est vraiment ce qu’il s’est passé pour moi dans ce cas.

    Cette étude visait à théoriser les expériences que nous vivons en jouant à des jeux vidéo dans une optique de sciences sociales et non de conception de jeux. Rien d’extraordinaire côté académique mais plutôt intéressant pour une entreprise car cela m’a permis de faire rentrer certains noms. Par exemple, en ce moment, je fais énormément de forcing pour vulgariser les travaux d’Alenda Chang. En tout état, si mon étude existe, c’est parce que je mobilise fortement mes travaux de thèse que je vulgarise en quelques sortes puis transpose au sein d’Ubisoft.

    Et de temps en temps, ici ou dans d’autres travaux, j’écris :  » tout est social  » ou  » tous les jeux vidéo sont sociaux « , c’est plutôt une Hot Take car tout le monde n’est pas d’accord avec ça.  Néanmoins, ce que je trouve intéressant, c’est que cela propose des débats avec une perspective sociale en tête. Par exemple, pourquoi des jeux comme Dark Souls seraient-ils sociaux ? Peut-être que du point de vue de la conception de jeux, DS est plutôt une expérience en solo et je ne le conteste pas. Mais d’un point de vue sociologique, il semble impossible de faire l’impasse sur cette lecture.

    Ainsi, l’étude que j’ai réalisée propose plutôt à ses lecteurs de mettre mes chaussures de chercheur ascendant sociologue lors de l’analyse et de la création de jeux vidéo : quelle serait une version sciences sociales du design systémique ? Ou encore, quelle serait une version sociale des objectifs de conception des jeux ? Du coup, c’est aussi ce que je propose de faire ici car je crois avoir un lectorat aussi composé de game designers, de développeur·euse·s et de toutes sortes de métiers qui ne sont pas forcément familiarisé·e·s avec les outils des sciences humaines. C’est donc le bon moment pour moi de parler de cela pour le jour où les personnes qui me liront seront amené·e·s à travailler avec des « chercheurs en sciences humaines / biaisé·e·s / trop perché·e·s / trop de gauche / etc. ».

    Cet article vise donc plutôt à partager les points de vue d’un chercheur/sociologue lorsqu’il observe des jeux vidéo. Cela me permet donc de vulgariser : une partie des façons dont je considère les jeux vidéo et une partie de mon travail de chercheur au sein d’une entreprise privée. Chose qui, dite en passant, manque terriblement dans les formations doctorales.

    La conception systémique à travers un prisme social

    Lorsque les concepteurs de jeux parlent de conception systémique (systemic design), ils font référence à l’idée que chaque élément d’un jeu doit être d’une manière ou d’une autre relié aux autres (et je simplifie l’idée de base ici). De plus, tout devrait faire partie d’une mécanique de jeu différente. Dans le jeu Death Stranding, dans lequel les joueurs incarnent un livreur dans une version effondrée de l’Amérique du Nord, les colis ont différentes fonctions : ils doivent être livrés, mais servent aussi d’armes. C’est systémique.

    Les systèmes sont également importants dans les sciences sociales car ils consistent en des interrelations entre leurs éléments (qui peuvent être des êtres humains ou non, si on adopte comme moi une conception latourienne). Selon la définition d’Alan G. Johnson, un système social se compose d’une écologie (les environnements et les êtres vivants), d’une structure (les interrelations entre ces éléments) et d’une culture (qui fait référence à l’histoire, aux documents produits par la population, etc.) Ainsi, si nous devions considérer les jeux vidéo comme de petits systèmes sociaux simplistes, ces trois caractéristiques pourraient nous aider à les définir. Death Stranding, qui est un jeu merveilleux, peut être défini à travers ces caractéristiques :

    • Il a une écologie : dans le jeu, l’humanité s’est effondrée, et peu de survivants se sont rassemblés dans des villes abritées qui ne sont pas reliées entre elles. L’environnement est devenu sauvage, même s’il n’y a presque plus d’animaux à part les humains.
    • Il a une structure : le gouvernement n’est plus et une énorme entreprise, Bridges, l’a en quelque sorte remplacé. En tant que livreur, nous sommes récompensés pour nos livraisons. La structure comprend également la manière dont les joueurs peuvent interagir dans le jeu avec des personnages non jouables et avec d’autres joueurs. La structure de DS empêche les joueur·euse·s d’être toxiques ou méchants envers les PNJ et les autres joueurs (notamment grâce à son « social strand system« , que je ne peux pas approfondir ici).
    • Il a une culture : toute la narration du jeu a construit une forte tradition qui encourage les joueur·euse·s à se connecter et à faire le bien, mais de plus, DS fait référence à l’histoire des jeux en monde ouvert (et la contredit) puisqu’il a adopté la marche et les comportements non violents comme ses deux mécaniques de base, même s’il existe des armes.

    Ce bref exemple offre, selon moi, une illustration d’une façon d’intégrer la conception systémique dans les sciences sociales. Dans ma perspective de chercheur/sociologue, la conception systémique fait référence à ces trois éléments et à la manière dont ils interagissent les uns avec les autres. Et c’est ce cadre que j’utilise lorsque j’analyse les systèmes sociaux en jeu.

    D’ailleurs, avec mes travaux de thèse, cela m’a donné l’occasion de proposer une différenciation entre les systèmes sociaux. Par exemple, je considère Minecraft comme un système social libre parce que sa structure consiste à créer d’autres structures. Son écologie est centrée sur les constructeurs et sa culture est plutôt libre : nous pouvons nous comporter comme un explorateur ou un agriculteur ou autre. World Of Warcraft, au contraire, est un système social organisé. Street Fighter est un système social conflictuel alors que Two Brothers ou Keep Talking and nobody explode sont tous deux des systèmes sociaux associatifs.

    Bien que les jeux puissent contenir différents systèmes sociaux, cette heuristique m’aide à comprendre pourquoi les joueurs interagissent entre eux alors qu’il n’y a presque pas de fonctionnalité sociale comme dans le jeu Journey et pourquoi ils n’interagissent pas autant que nous le souhaiterions, même s’il y a des tonnes de caractéristiques sociales. Cette heuristique m’a également conduit à une version différente des objectifs de la conception de jeux.

    Formaliser les objectifs de la conception des jeux à travers un prisme social

    La première question qui a lancé l’étude « social by design » était essentiellement la suivante : comment les jeux vidéo peuvent-ils améliorer la vie sociale des joueur·euses ? Et si cette question semble simple, il était impossible d’y répondre de manière simple ou non biaisée.

    La première explication est que l’inclusion de fonctionnalités sociales (comme le ping ou le voice chat) ne suggère pas aux joueurs d’interagir les uns avec les autres. Je dirais que c’est l’ensemble du jeu qui suggère, plus ou moins spécifiquement, un comportement ou des façons de jouer à un jeu. En effet, si les fonctionnalités sociales se réfèrent principalement à la structure d’un système. Je m’interrogerais alors sur l’écologie et la culture. Une fois de plus, dans Death Stranding, nous avons une structure sociale qui est le social strand system©Kojima. Mais ce n’est pas tout, toute la narration du jeu (sa culture) suggère aux joueur·euse·s de se connecter les un·e·s aux autres à la fois dans le jeu et, dans une moindre mesure, en dehors du jeu. Son écologie suggère également cette même idée puisque les PNJ expriment leur besoin de se connecter alors que les joueurs qui ont aimé le jeu semblaient rechercher une expérience qui les amènerait à s’interroger sur les socialités, les sociétés et enfin la vie et l’univers.

    Néanmoins, on peut certainement considérer que tous les jeux ne cherchent pas le même impact social que Death Stranding. Par exemple, des jeux comme Overwatch tentent de suggérer la coopération et l’esprit d’équipe, à travers une fois de plus, tout son système. Du point de vue du sociologue, je dirais donc qu’il existe au moins trois catégories d’objectifs :

    • Les objectifs économiques qui font référence à tout ce qui peut être comptabilisé : le capital économique (gagner de l’argent, la célébrité, les followers, etc.).
    • Les objectifs sociaux qui font référence au capital social, qui est le nombre et la force des relations qu’un joueur peut développer à travers un jeu : être dans une guilde, jouer avec des amis dans heave Ho ou avec des étrangers comme dans VR Chat (pourquoi pas les deux ?).
    • Les objectifs culturels qui font référence au capital culturel (et j’inclue dedans le capital sémantique), c’est-à-dire tout ce qui renforce la capacité d’une personne à donner du sens et à donner un sens à quelque chose : opinions, discours, connaissances, expériences partagées, etc.

    Certes, on pourrait convenir que je ne suis pas très innovant puisque je fais référence à Pierre Bourdieu ( et d’autres comme Robert Putnam), dans l’énonciation de ces objectifs. Mais une fois de plus, cela m’aide à qualifier le mélange d’objectifs d’un jeu. Si Death Stranding est résolument orienté vers des objectifs culturels, il crée également des liens faibles entre les acteurs. Les jeux comme Fortnite sont beaucoup plus axés sur des objectifs sociaux et économiques.

    Si le capital social peut être stimulé instantanément, le capital culturel peut changer es joueurs et joueuses sur le long terme. Non pas que les jeux aient directement un impact, mais plutôt que ceux-ci exposent leurs audiences à de nouveaux messages qui peuvent être ou non intégrés par ces dernières, puis réinterprétés, etc. C’est alors à nous de choisir de nous concentrer sur un capital ou sur un autre à travers nos productions (ou tous ?).

    Chaque fois que je joue à un nouveau jeu, ce sont les lentilles que j’utilise pour l’analyser : quel est son système social qui me suggère de me comporter ainsi et quels sont ses objectifs ? C’est la question que je me pose toujours lorsque je fais de l’exploration sociale dans un jeu. ■

    esteban grine, 2020.

  • Les discours de Death Stranding (1/4) : à propos de l’effondrement.

    Les discours de Death Stranding (1/4) : à propos de l’effondrement.

    Death Stranding est un jeu complexe par les thématiques qu’il aborde de manière déstructurée. Si un grand nombre de propos surviennent au cours de la trame principale, le jeu laisse son audience libre d’explorer ses bases de données mélangeant des mails fictionnels, des interviews des personnages principaux et toute une encyclopédie à propos d’artefacts culturels qui nous sont pour le coup contemporains.

    Attention, cette série d’articles révèle des éléments clefs de l’intrigue et de l’histoire de Death Stranding.

    (suite…)