Vidéo, poésie et jeux vidéo

Ce billet est un complément à un futur article à paraître à la suite d’un colloque auquel je participe.

Vidéo, poésie et jeux vidéo

L’une des ouvertures que je fais dans mon article sur les vidéastes francophones se consacrant au jeu vidéo est l’une des évolutions que je nomme bêtement : « la vidéo poétique sur le jeu vidéo ». Je définis cette dernière comme une vidéo présentant un éthos particulier et dont la caractéristique centrale est que des moments de gameplay sont considérés comme de la matière plastique. Le ou la vidéaste joue alors avec cette matière dans l’objectif de susciter certaines émotions chez son audience observatrice. Jusque-là, rien de nouveau, ou du moins, rien de distinguable par rapport à d’autres vidéos tenant des discours sur les jeux vidéo. C’est pourquoi j’ajoute à cela une caractéristique lyrique directement identifiable et reconnaissable aux paroles tenues par le ou la vidéaste. Ce n’est donc plus simplement un discours pour convaincre mais aussi un discours « pour parler », « pour le plaisir de parler ». Il s’agit donc à mon sens de formes textuelles proches de la poésie en vers ou en prose voire même d’autres formes poétiques : rap, slam, etc.

C’est véritablement pour moi une piste de réflexion très intéressante que je vais poursuivre. Pouvons-nous parler de discours lyrique sur le jeu vidéo ? Je pense, après quelques recherches que j’ai effectuées, que l’on pourrait considérer 2017 comme une année charnière. La scène francophone des vidéastes semblent aujourd’hui mature pour tester de nouvelles expérimentations vidéo et vidéoludiques. Alors, bien sûr, je pourrais évoquer les vidéos de rap à propos de Call Of Duty et il faudra probablement que je m’y consacre un jour mais disons que je fais l’hypothèse dans ce billet que jamais auparavant il n’y a eu autant de discours métatextuels, métacommunicationnels à propos du jeu vidéo dans les vidéos parlant de jeu vidéo ou dans les vidéos parlant d’autre chose mais avec le vocabulaire et un discours au premier degré sur les jeux vidéo.

Avec cette année qui se termine, il y a deux auteurs que je vais retenir et qui je pense, ont ouvert cette voie en 2017. Pier-re a toujours proposé des formats expérimentaux mais sa vidéo « Un vide — pensées de mes idéaux » (qui joue d’ailleurs déjà très bien sur le double sens avec son trait d’union ici écrit en tiret) fait partie des premiers, je crois, « slams vidéoludiques » (à défaut d’un autre terme plus approprié). La seconde, plus personnelle est celle du créateur Pierre Olbius qui partage un texte à propos de la dépression et qui est mis en récit, mêlant informations hyper objectives (heures précises énoncées à la voix), alternances de rythmes par la musique (suscitant l’immergence et l’émergence pour assurer une posture réflexive chez l’audience), fin brutale, images oppressives/apaisantes. Je pense que nous pourrions aussi remonter plus tôt cette année, notamment avec le texte de Tifor pour les « madeleines vidéoludiques », mis en forme par ce dernier et lu par Damastès. Je fais avec ces trois exemples le constat que certains vidéastes, aujourd’hui, veulent « esthétiser » leurs productions vidéo, leur discours et le reste. C’est pour moi annonciateur de la légitimation totale du jeu vidéo. L’une des pistes que je veux maintenant exploiter, si j’ai le temps, est donc la suivante : j’observe un transfert d’intérêt des créateur.ice.s présent.e.s sur les plateformes vidéos. Auparavant, la vidéo servait un propos sur le jeu vidéo, je constate que l’inverse est très facilement observable aujourd’hui et cela mérite d’y attacher de l’importance puisque dans ce dernier cas, le jeu vidéo est implicitement considéré comme légitime. ■

Esteban Grine, 2017.

Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur.

Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur

Undertale est un jeu sorti il y a bientôt deux ans maintenant. A la suite d’une campagne réussie sur Kickstarter, son créateur, Toby Fox, a pu se lancer pleinement dans la réalisation de son jeu. Le développement aboutit alors sur l’objet que l’on connait aujourd’hui. Sitôt sorti, sitôt encensé, le jeu a connu un succès immédiat et sa communauté a très vite grandit jusqu’à être aujourd’hui l’une des plus bavardes sur son jeu de prédilection autant sur les réseaux qu’en termes de création de contenus « fanmade ».

Pourtant, aujourd’hui, je ne vois toujours pas d’analyse approfondie du jeu hormis quelques théories sérieuses ou complotistes venant étayer certaines représentations que certains joueurs ont sur le jeu. Plutôt que d’attaquer ces théories, je préfère donc proposer la mienne qui comme cela fut le cas pour mes articles sur Majora’s Mask (2001) ou The Witness (2016) ne vient pas imposer une vision ou une compréhension du jeu. Ainsi, dans ce papier je vais soutenir la thèse suivante : pour Undertale (et Toby Fox), l’humain est bon, mais pas le joueur. Je présente la thèse sous cette forme paradoxale (le joueur est forcément humain donc bon et mauvais) car il me semble que cela incarne au plus profond ce que le jeu veut transmettre et questionner : l’éthique et la morale des joueurs. Ce faisant, je me positionne en contradiction des personnes l’ayant attaqué sur sa simplicité scénaristique. Je soutiens au contraire que le jeu est bien plus subtil et bien plus doux-amer que laisse paraitre sa première lecture, son premier parcours.

Pour argumenter ma position, je vais principalement m’appuyer sur des textes et articles de pédagogie et de game design. Ainsi, dans une première partie de cet article, nous verrons la façon qu’Undertale  a de diffuser les systèmes de représentations et de valeurs. Dans une deuxième partie, il sera nécessaire d’illustrer la façon qu’a le jeu d’orienter le comportement réflexif du joueur : comment celui-ci, en jouant au jeu, réfléchit sur ses comportements et sur sa façon d’interagir en société ? Enfin, nous verrons dans une dernière partie par quelle méthode le jeu manipule le joueur pour lui faire ressentir le regret et le remord.

Entre expressivité et persuasion, l’objectif de Toby Fox

Undertale est un jeu dont les inspirations remontent aux jeux de rôle japonais. Nombreuses sont les personnes à avoir déjà pointé du doigt earthbound comme étant le père spirituel du jeu. Toby Fox est originaire d’une communauté de fan et de modders. Dans un entretien donné Joël Couture, Toby Fow expliquait qu’en plus de mother, l’auteur s’inspirait aussi de Shin Megami Tensei. Les prémisses de l’aventure sont simples : un ou une héro amnésique se retrouve dans un donjon (l’underworld) et doit le parcourir afin de terminer l’aventure.

Undertale est un jeu qui est à cheval entre son côté expressif et son côté persuasif. En effet, il propose au joueur de ne pas combattre, ou plutôt d’éviter les conflits avec les différents monstres composant le bestiaire du jeu. Pour ce faire, l’option Act lors des moments de combats propose un menu avec des choix plutôt humoristiques afin de résoudre les combats de manière pacifiste. Ce faisant, le gameplay du jeu se rapproche alors du genre expressif dans le sens où il n’impose pas un discours particulier au joueur et n’oblige à aucun moment ce dernier de se comporter d’une façon précise. Cependant, cela vient en contradiction avec le discours tenu par certains personnages dont Toriel, deuxième PNJ rencontré après l’antagoniste principal du jeu qui nous demande de manière plutôt formelle de ne pas tuer de monstres vivant dans l’underworld. D’entrée de jeux donc, undertale enseigne au joueur selon une approche réceptive (Leclerc & Poumay, 2008) de ne pas commettre de crime puis nous laisse expérimenter et faire l’exercice de cela de manière libre. De même tout au long du jeu, il n’y aura pas véritablement de punition ou de game over lié à un mauvais choix à un mauvais moment du joueur. Les seuls moments véritables de mort vidéoludique ont lieu durant les combats rencontrés et ceux-ci sont directement liés à la compétence du joueur. Une fois, la première proposition faite par Toriel de ne pas tuer, le game design ne revient plus sur cela et laisse le joueur faire comme bon lui semble. C’est là où le côté procédural et algorithmique de l’histoire devient particulièrement intéressant puisque le joueur se retrouve sanctionné positivement ou négativement sans que cela soit clairement formel. De même, la punition n’est pas immédiate. Cela a pour conséquence de duper le joueur jusqu’au moment où un twist scénaristique apparait tout en le faisant prendre conscience que plus durement de son comportement. Nous avons déjà montré dans un précédent article sur la réflexivité la façon qu’avait le game design de responsabiliser le joueur de ses actes vidéoludiques.

Undertale est un jeu profondément humaniste. Il nous invite à interroger notre façon de jouer et ce que nous considérons de ludique. En ce sens, finalement, Toby Fox développe un game design et une pensée proche de celle de Miguel Sicart notamment. Ce dernier considère le fait de jouer comme un acte moral et éthique pour le joueur, non pas forcément que le jeu change le système moral du joueur mais plutôt que ce dernier engage son système éthique et moral dans sa façon de jouer. Ainsi, les actions qui ont lieu durant le jeu sont le reflet, le constat visible et observable de l’éthique et de la morale du joueur. Dès lors, l’idée centrale d’undertale en se présentant comme un RPG dans lequel nous pouvons éviter le meurtre d’ennemis est de dresser une critique générale sur les jeux vidéo actuels. Ces derniers, au contraire, engagent le joueur dans des actions immorales (même si elles n’ont aucun impact). L’objectif du game designer dans undertale est alors de proposer autre chose que la ludoformation de la mise à mort.

Undertale comme critique du comportement de joueur

Ainsi, dans ce jeu, il y a une première critique de notre façon de jouer. Toby Fox, volontairement ou involontairement, critique le fait que nous, joueurs et joueuses, puissions-nous amuser à mettre à mort des personnages fictifs sous prétexte que le côté ludique de l’activité excuse la morbidité de cet acte. Mais ce n’est pas tout. Une deuxième critique de notre façon de jouer se dresse de manière plus fine en filigrane de nos actions dans le jeu. En effet, si cela aura échappé au joueur, il apparait tout de même important de mentionner que le jeu undertale invite son joueur à ne pas accumuler. Autrement dit, undertale est aussi un jeu de rôle qui rejette toute forme d’accumulation capitalistique. Cela est particulièrement intéressant notamment lorsque l’on s’aperçoit que les jeux critiquant le capitalisme, de près ou de loin, reproduisent des schèmes et des modèles de fonctionnement (des règles structurées dans ce cadre-là) reproduisant notre société capitalistique. Undertale nous invite donc à ne pas conserver particulièrement de l’argent, où en tout cas à le dépenser régulièrement et uniquement sur ce qui est nécessaire : de la nourriture principalement et qui en plus est produite localement (on saluera ici la prise en compte des circuits courts mais aussi du respect de la saisonnalité des produits). Par ailleurs, deux fois dans le jeu, il nous est proposé de financer des causes humanitaires : la protection des araignées. Enfin, Fox profite d’un rapide passage pour dresser une critique du coût exorbitant des études aux Etats-Unis, de la précarité des étudiants mais aussi du manque de débouchés à la sortie du diplôme en présentant le personnage du vendeur Temmie. Celui-ci, ou celle-là, travaille pour financer ces études dans le magasin du village Temmie. Le joueur peut l’aider pour financer ses études (en payant un prix exorbitant et qui nécessite que le joueur effectue des tâches répétitives pendant un certain temps). A son retour des études, Temmie reprend son poste de vendeur comme si de rien n’était : aucune progression sociale ne semble permise alors, malgré l’obtention d’un diplôme.

Ces deux critiques faites à l’encontre des jeux vidéo se retrouve tout d’abord dans les combats que nous verrons plus loin mais surtout dans un seul élément du jeu qui pour nous vient constater cela. Undertale cristallise ses critiques de la violence vidéoludique et des logiques capitalistiques dans sa gestion des points d’expérience. En effet, in fine, avec tous les messages qui nous sont envoyés lors du jeu mais principalement par Toriel, au tout début, on nous invite à ne pas commettre de meurtre. Or, en règle générale, le fait de combattre des ennemis apportent de l’expérience si on les tue. Le fait de passer des niveaux relève en effet d’une logique d’accumulation (de points). Mais dans undertale, le fait de résoudre des conflits de manière pacifique n’en n’apporte pas. Ainsi, si l’on souhaite mener une « route pacifiste », notre avatar restera toujours au premier niveau sans franchir le second. Avec cette lecture, le message est clair : être pacifiste, c’est ne pas accumuler plus que nécessaire. On pourrait même pousser cette réflexion en rapprochant le gameplay du jeu comme l’un des premiers gameplay incarnant des logiques de décroissance. Dans cette perspective, le jeu de Toby Fox prend alors une dimension bien plus importante dans l’histoire du jeu vidéo.

Un dernier point qui semble constater notre hypothèse  sur cette lecture anticapitaliste concerne les différents impacts que peut avoir le joueur sur l’environnement vidéoludique par rapport aux RPGs orthodoxes et les jeux vidéo en général. En effet, dans la plupart des jeux, les joueurs peuvent explorer des univers mis à leur disposition en tant que potentielle ressource exploitable. Par exemple, dans les jeux Final Fantasy, un joueur peut entrer dans la maison d’un PNJ, fouiller les rangements disposés ici et là (on peut supposer un lien de propriété en calquant les règles régissant notre réalité à la diégèse du jeu) et, finalement, obtenir des objets. Dans les jeux Oblivion & Skyrim, le joueur peut faire du commerce avec n’importe quel marchand, peu importe le besoin de ce dernier. Enfin, les ressources s’inscrivent généralement dans des mécanismes de développement durable et de non exclusivité : dans Pokémon Go, il n’y a pas un nombre fini de pokémons par exemple. Cependant, dans undertale, quasiment tous les objets, hormis les objets de restauration de la santé (hamburgers, nourriture variées), sont contenus dans un ensemble fini de ressources. Dès lors, le joueur ne peut exploiter son environnement comme bon lui semble et comme dans tout autre jeu vidéo. Très tôt, en début de partie, le joueur va arriver devant un saladier rempli de bonbons. Le jeu fait la demande de n’en prendre qu’un seul, or, il est possible de se resservir. Le jeu va alors graduellement faire comprendre que ce n’est pas un bon comportement à avoir jusqu’à ce que le saladier se renverse sur le sol, rendant la ressource inutilisable. Il est ici intéressant de reformuler ce qu’il se passe dans cette situation de la façon suivante : la surexploitation d’une ressource la rend à terme inexploitable de manière durable et détériore l’environnement dans lequel elle se trouve. On retrouve aussi cet ensemble fini de ressources dans le nombre de monstres par zone du jeu : il n’y a pas de griding possible dans undertale. Au bout d’un certain nombre de combat, les zones deviennent vides : voici un nouvel exemple de la surexploitation du joueur sur l’environnement vidéoludique. C’est aussi à ce moment que le game design doit nous interroger sur la morale et l’éthique des comportements que nous avons en jouant : de quoi ces comportements sont-ils le reflet ? Une première interprétation serait qu’ils reflètent nos us et coutumes capitalistique et d’exploitation dans le monde physique.

Nous venons donc de proposer une interprétation décroissante d’undertale dans le sens où le gameplay illustre une critique de la violence et de certaines logiques capitalistiques. Ainsi, il ne faut pas non plus trop se soucier du terme employé de « décroissance ». Au contraire, il faut simplement retenir qu’undertale se pose comme l’un des représentants, peut-être le parangon ultime, d’une façon de jouer « hétérodoxe » dans le sens où le jeu propose autre chose que ce qui forme l’orthodoxie vidéoludique, à savoir la reproduction ludifiée des schèmes et des logiques néo-libérales et capitalistiques.

Combats, mises à mort & empathie pour notre prochain

Nous avons constaté notamment qu’undertale critique les comportements habituels des joueurs dans le sens où ceux-ci s’inscrivent dans des logiques oppressives. Il convient maintenant de revenir plus en détail sur  son système de combat et comment celui-ci diffuse les valeurs souhaitées par Toby Fox. Encore mieux, il convient de revenir sur la mise en récit, précisément, de l’antagonisme vidéoludique. Encore une fois, undertale dresse une critique des systèmes de combat usuels des RPGs. Le premier élément qui doit sauter aux yeux est qu’à aucun moment le jeu oblige le joueur à agir d’une certaine façon. Mieux, le game design met l’ensemble des éléments à égalité en affichant les quatre boutons d’actions sur une même ligne et de taille égale. Par exemple, c’est le contraire de ce que l’on trouve dans les jeux Pokémon récents qui mettent clairement en avant le choix d’attaquer. Ici, les options sont d’égals à égals et seul le bouton « Mercy » changera de couleur pour nous signaler que le combat peut se terminer en épargnant le ou les antagonistes. Par ailleurs et comme je l’ai déjà montré dans mon article scientifique sur la réflexivité (Giner, 2017), le jeu alterne les rythmes des séquences dans ces combats en misant sur l’humour et le potache lorsqu’il s’agit de résoudre les conflits de manière pacifique. C’est pourquoi nous n’allons pas nous y attarder outre mesure ici. Par contre, il convient d’aborder plus en détail l’attitude du joueur et la façon qu’a ce dernier de se refermer sur ses vieilles habitudes. Undertale est un jeu qui dès le début a été présenté comme un RPG dont les combats peuvent se conclure par la non-violence du joueur. Or, comme le rappelle Joël Couture dans son livre « Fallen Down » (2017), les joueurs n’arrivent pas forcément à voir les opportunités et les possibilités puisque ceux-ci n’arrivent pas forcément à sortir de leurs habitudes. Cela est particulièrement flagrant à la fin de zone de didacticiel lorsque nous devons affronter Toriel (qui est un jeu de mots pour « tutorial », « ‘torial », « Toriel »). Lors de ce combat, le joueur doit sans cesse choisir l’option « mercy » pour enfin avoir la possibilité d’épargner ce personnage. Le problème est que l’on ne voit pas immédiatement l’impact que le choix répété de « mercy » : autrement dit, il n’y a pas de feedbacks immédiats. Ainsi, malgré tous les paratextes que l’on a pu avoir ainsi que les messages dans le jeu, on a l’impression de se retrouver bloqué et d’être obligé à tuer Toriel. L’échec ressenti par le joueur jouant en souhaitant appliquer la proposition d’undertale  n’est donc pas de « perdre un combat » mais de solder un combat par la mort de son opposant. Chose qui arrive malgré tout fréquemment lors des premières runs se concluant en « neutral route ».

Encore une fois, il s’agit là d’illustrer la critique que fait undertale des habitudes et des réflexes des joueurs. Couture (2017) soutient la thèse, avec laquelle je suis d’accord, que le jeu et son game design parviennent à créer des liens affectifs envers les personnages non-joueurs. Il s’agit là bien entendu à une affection éprouvée pour des personnages de fiction, chose finalement assez banalisée dans les œuvres culturelles. Or, là où le jeu se distingue concerne la façon dont il arrive à faire ressentir une douleur émotionnelle réelle liée à un comportement du joueur se concluant sur la mort d’un personnage apprécié. Le jeu a ce génie de construire tout son game design sur la notion de regret, émotion ressentie par le joueur.

Le regret comme moteur de la thèse du jeu

Le regret est une émotion importante dans les jeux vidéo puisque c’est l’une des seules émotions qui peut être uniquement ressentie en jouant. Cependant, il convient de spécifier un peu ce que nous entendons par « regret ». Ainsi, nous considérons uniquement le regret uniquement en rapport à la fiction. Cela signifie que la personne ressentant cette émotion doit avoir eu un comportement formalisé dans la fiction qu’il parcoure. De plus, il faut que ce comportement et ses conséquences soient irréversibles. Or, généralement dans les jeux vidéo, toute action peut être rendue nulle. C’est alors à partir de ce point de départ et de ce qui a précédemment été constaté dans ce papier que Toby Fox a bâti son piège.  

Undertale est un jeu qui piège son joueur à cause de ses réflexes et de son attitude ludique et grâce au regret que cela va lui causer. Pour construire mon raisonnement cependant, nous avons besoin d’étayer mon propos autour de la construction narrative du jeu. Undertale propose une histoire qui ne se découvre que de manière très progressive et sur plusieurs runs, c’est-à-dire sur une répétition du début à la fin du jeu – nous reviendrons dans un prochain papier sur l’utilisation des cycles et des répétitions dans les jeux vidéo pour diffuser des messages et des discours. Autrement formulé, il faut comprendre que le récit, la narration, dévoile l’histoire générale sur trois parcours du jeu. Le joueur doit donc refaire le jeu au minimum deux fois et selon certaines spécificités pour atteindre les 100% de complétion et véritablement pouvoir dire « j’ai fini le jeu ». Ainsi, généralement, la première run se conclut par une fin neutre. Le jeu nous propose ensuite de refaire le parcours pour atteindre la « true pacifist ending ». A la toute fin de cette route, Flowey, l’antagoniste principal du jeu, apparait pour prévenir le joueur de ne pas poursuivre sa complétion du jeu sous prétexte que les personnages sont maintenant heureux. Recommencer n’aurait alors pas d’impact et qu’il y aura un reset complet. Il s’agit là du véritable test du jeu. Tout le game design et la critique du jeu vidéo orthodoxe qui est faite progressivement conduit à ce moment fatidique du choix. Ce choix peut être formulé de la manière suivante : le jeu nous demande de manière quasi formelle d’arrêter d’être joueur, ou du moins, d’être un joueur normal dont la pratique s’inscrit dans l’orthodoxie vidéoludique. J’avais déjà constaté, à travers les Sessions Innocentes (des sessions de jeu durant lesquelles je filme des personnes jouant peu à des jeux vidéo), qu’il était plus facile pour une personne de respecter son système de valeurs durant l’activité vidéoludique. Ainsi, l’hypothèse que je formule ici et que lorsque le discours d’un jeu entre en conflit avec le système de valeur d’un non-joueur relatif (dans le sens où il ou elle joue très peu), ce dernier va facilement terminer sa session de jeu avec l’idée qu’il ne veut pas aller dans le sens du jeu : le conflit entre le joueur et le game designer (à travers le jeu) se solde par le refus du joueur à poursuivre / à jouer.

Pour résumer ma pensée, ou plutôt la reformuler, j’interprète undertale comme une critique de nos habitudes vidéoludiques. Celles-ci sont orthodoxes car elles dérivent de notre société orientée capitaliste et néo-libérale, ce qui se retrouve dans les jeux vidéo mainstream mais aussi malgré tout dans les plus petites productions. Le moment durant lequel Flowey nous invite à ne plus jouer, le joueur sait déjà plus ou moins que pour continuer à dévoiler l’histoire, il devra exécuter la genocide route. Or, cela signifie faire table rase de tout ce qui a été déjà parcouru et surtout, cela signifie revenir à une conception orthodoxe du jeu vidéo où les personnages ne sont rien de plus que des ressources exploitables par le joueur. Si ce dernier choisit de parcourir la genocide route, alors il émet une préférence pour son plaisir vidéoludique plutôt que pour le respect d’une demande formelle (et indirecte de la part du game designer). Le test que présente Toby Fox est donc fait pour savoir si, après la true pacifist ending, le joueur va reprendre un comportement oppressif et habituel dans les jeux vidéo.

La Genocide Route, ultime alerte avant la punition finale

Ainsi, dans la lecture que je propose, la genocide route n’existe finalement que pour piéger un certain profil de joueur de jeu vidéo : ceux qui font preuve et qui maintienne leur attitude ludique malgré tous les messages et les invitations faites au joueur pour justement ne pas poursuivre  l’aventure. En ce sens, chacun des nouveaux éléments de gameplay amenés lors de ce parcours peuvent être interprétés comme des éléments testant la volonté du joueur à poursuivre et que nous pouvons lister. Premièrement, le maintien de ce parcours nécessite la mise à mort de tous les monstres de chaque zone. De même, il faudra aussi mettre en terme aux vies des personnages secondaires de l’intrigue : Toriel, Papyrus, Undyne et Sans qui sont chacun des pics de difficulté obligeant le joueur à essayer à de multiples reprises pour enfin réussir. « Stay determined » est le message apparaissant à chacune des morts et si lors des neutral routes et de la true pacifist run, cela pouvait nous remplir d’espoir, lors de la genocide route, il cache un piège pervers puisqu’il nourrit l’esprit guerrier et ludique du joueur : il doit battre les bosses se présentant devant lui, peu importe le coût que cela aura. Deuxièmement, l’ambiance proposée devient pénible et lourde à supporter : les décors sont vide, plus aucun PNJ ne se présente et tout ce qui faisait la saveur des runs neutres et pacifistes disparait : le joueur est laissé seul à lui-même avec pour seule mécanique de se battre de manière répétée et perpétuelle. Undertale devient un jeu orthodoxe et ce, dans sa plus simple expression : coloniser des territoires et abattre des éléments considérés « ennemis ».

Pourtant, il ne s’agit pas non plus pour Toby Fox de critiquer uniquement les jeux mainstream mais plutôt d’atteindre le joueur autrement. Pour rappel, l’objectif de Fox est, dans notre lecture de l’œuvre,  de critiquer les pratiques normées, standardisées des joueurs. Pour ce faire, il nous propose de parcourir une première fois le jeu. A la fin de celle-ci, un premier groupe de joueur totalement convaincu peut s’arrêter après avoir compris le message, un deuxième groupe continu. Ce groupe parcours une seconde fois le jeu en rendant tout « mieux » lors de la true pacifist route, objectif alors visé par ce groupe. A la fin de cette run, il y a à nouveau deux groupes : ceux qui vont arrêter de jouer car ils ont été suffisamment touchés par le message proposé par le jeu (qui pour rappel est que jouer est un acte moral et avec des conséquences) et ceux qui malgré toutes les mises en garde, veulent poursuivre et parcourir la genocide route. La seule stratégie, et à notre sens la plus pertinente à ce niveau de Toby Fox, est alors de faire ressentir à ces joueurs (ceux qui n’ont jamais arrêté) les émotions les plus fortes pouvant être ressenties en jouant : le regret et la culpabilité.

Cycles et châtiment du joueur pour ses méfaits

La genocide route n’existe que pour culpabiliser et susciter le regret chez les joueurs n’ayant toujours pas compris le message de Toby Fox. Le piège dressé par ce dernier pour leur faire comprendre n’en devient que plus intéressant et pertinent à étudier d’un point de vue critique et scientifique puisque cela interroge directement le rapport que peut avoir une audience à la fiction elle-même. L’une des caractéristiques les plus intéressantes des jeux vidéo, par rapport à d’autres médias, est sa capacité à nous faire ressentir soit de la fierté, soit du regret par rapport aux éléments d’une fiction. En effet, en nous obligeant à prendre part à l’action, les émotions suscitées sont différentes. L’une des spécificités des jeux vidéo (si elles existent) serait alors de penser ces objets comme des outils créant des passerelles émotionnelles directes avec les éléments fictionnels. Autrement formulé, l’une des spécificités du jeu vidéo serait de créer un sentiment de responsabilité de l’audience vis-à-vis de la fiction. Ainsi, si undertale avait été un film, le meurtre de Toriel nous aurait probablement peinés, attristés, sans plus. Or, le fait que nous soyons l’auteur de ce meurtre transforme l‘expérience et notre rapport à la fiction. l’objectif serait de créer un rapport à la fiction différent du cinéma ou de la littérature ou de toutes formes narratives. Les émotions suscitées sont alors différentes. « Nous » sommes les meurtriers qui perpétuons des comportements oppressifs dans les jeux vidéo.  De notre point de vue cependant et malgré la puissance de ces émotions et leur capacité à nous toucher, les jeux vidéo orthodoxes nous déresponsabilise vis-à-vis de ce qui se produit dans la fiction – les jeux sont comme des cercles magiques dans lesquels les actions produites n’ont pas d’impact en dehors. Là où se distingue undertale, encore une fois, réside dans le fait qu’il ne déresponsabilise pas ses joueurs et ce, en intégrant la notion d’héritage, presque au sens schumpétérien du terme : nous laissons des traces et le jeu se souvient de toutes nos actions, même celles que nous regrettons et que nous aimerions bien effacer. Sur ce sujet, Joël Couture explique bien le sentiment de regret qu’ont pu avoir les joueurs en tuant certains personnages non-joueurs. Si le joueur ne comprend pas le message de Toby Fox pendant le jeu, la genocide route existe pour lui faire comprendre a posteriori. Contrairement à d’autres jeux, notamment les titres de Telltales, qui ôte le poids de la culpabilité à son joueur en l’invitant à rejouer la fiction autrement, undertale ne pardonne jamais les crimes commis par le joueur. Après la genocide¸ le joueur ne pourra plus jamais atteindre la true pacifist ending. A la toute fin de cette dernière, si elle est parcourue après une la genocide, l’avatar change et nous observe par un regard camera glaçant : le jeu se souvient de nos actions, de nos torts. Toby Fox fait alors de son jeu un véritable miroir de l’âme du joueur. Au fond, celui-ci est un monstre et n’accédera pas à la rédemption généralement offerte par les jeux orthodoxes.

Le joueur, cette monstruosité aux yeux d’Undertale

Alors le joueur, empli de regret, se retrouve devant un choix. Soit il décide de défausser le message du jeu sous prétexte que « ceci est un jeu » (Bateson, 1977), auquel cas le game design du jeu aura définitivement échoué à transmettre le message de Fox. Soit le joueur accepte son statut de « monstre » et décide de remédier à cela et changeant son comportement dans les futurs jeux auxquels il jouera. En commençant notre article, nous avions pour objectif de soutenir la thèse qu’undertale questionne le comportement éthique du joueur. Reformulé, undertale nous interroge et propose une réponse à la question : « qu’est-ce que jouer de manière éthique ? ». La réponse que nous pourrions ébaucher serait alors la suivante : jouer de manière éthique à undertale, c’est parcourir le jeu en respectant les exigences de la true pacifist route. Plus généralement, Toby Fox nous invite à interroger la façon dont nous jouons et les comportements que nous avons lors de nos sessions vidéoludiques. Les conclusions de Fox semblent proches de celles de Miguel Sicart lorsque ce dernier, dans Play Matters, dit que nous transposons nos systèmes éthiques et moraux dans les façons que nous avons de jouer. Partant de ce propos, si nous jouons à tuer des cibles considérées ennemis dans un jeu, c’est parce que finalement nous reconnaissons une certaine forme ludique au meurtre dans notre société. Fox et Sicart reconnaissent donc les jeux vidéo comme des supports d’expression de nos systèmes de valeurs. Il ne s’agit alors pas de questionner les impacts que peuvent avoir les jeux vidéo mais plutôt de faire éclater au grand jour les vérités fondamentales du jeu vidéo. Pour Fox, ces dernières reposent sur la violence, l’oppression, la pensée capitaliste et les comportements coloniaux. Si les Humains, malgré cela, restent bons, c’est parce qu’en l’absence d’une attitude ludique fortement marquée, ils arrêtent de jouer lorsqu’ils comprennent le message du jeu ou lorsque celui-ci entre en contradiction avec leur système de valeurs. Les joueurs, par contre, maintienne leur attitude ludique et ce, peu importent les comportements atroces commis ou qu’ils s’apprêtent à commettre. C’est en ce sens, que je pense pouvoir affirmer que pour undertale¸ l’humain et bon, pas le joueur. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Il faut abattre la spécificité du jeu vidéo.

Bien que je sois en vacances, j’ai quand même pu me connecter et suivre quelques discussions qui se donnaient sur les jeux vidéo dont une qui fit quelques références à la fameuse spécificité du médium. Je prends d’écrire ma pensée aujourd’hui pour que celle-ci me soit utile dans le futur ou pour quelqu’un d’autre.

La spécificité du médium « jeu vidéo » est une question épineuse qui ne se résout pas en un court texte. Elle mérite un travail bien plus fourni que cela et des recherches bien plus poussées que ce que les pistes de réflexions que j’ai et que je vais évoquer maintenant.

Lorsque l’on souhaite proposer une réflexion sur les spécificités d’un médium, il s’agit surtout de proposer des caractéristiques qui le différencient d’un autre objet. De fait, on s’attache régulièrement à faire des tentatives de distinctions entre le jeu vidéo et les autres médias comme le cinéma, mais aussi la littérature (on pourrait aussi évoquer les arts picturaux et plastiques bien entendu). Aujourd’hui, on sait par exemple qu’il est plutôt difficile de distinguer les jeux vidéo de la littérature puisque selon certains penseurs reconnus, les jeux vidéo seraient un sous-ensemble des textes (des cybertextes selon Aarseth). Cependant, il ne s’agit là que d’une partie du problème qui concerne le jeu vidéo. En effet, celui-ci s’inscrit dans plusieurs phénomènes et objets d’étude dont les jeux et l’acte de jouer, les sports, les phénomènes communicationnels et enfin les médias. Ainsi, chercher afin de définir la spécificité du jeu vidéo, il devient donc impossible d’uniquement vouloir le différencier des autres médias. Il faut aussi s’attacher à les différencier par rapport à d’autres phénomènes. C’est par exemple ce qu’avait commencer à faire Karulahti lorsqu’il proposait de différencier les jeux vidéo des jeux en général par leur système de sanction des joueurs : celui-ci est automatique, algorithmique et s’inscrit dans le jeu lui-même (le code informatique pour être plus précis) contrairement aux autres formes de jeux nécessitant soit un acteur externe au jeu (un arbitre) soit un système de sanction par les joueurs eux-mêmes. L’exercice reste ouvert et à faire pour ce qui concerne la distinction entre le jeu vidéo et le sport.

On s’aperçoit donc que la question de la spécificité du médium est donc bien plus complexe que seulement vouloir distinguer le JV du cinéma, par exemple. Mais les difficultés ne s’arrêtent pas là. Prenons par exemple les liens entretenus entre le jeu vidéo et l’art. Pour de nombreuses personnes, les jeux vidéo sont une forme artistique (ce que je n’attaque pas ici bien entendu). Une minorité va même jusqu’à parler avec abus du « 10ème art », en oubliant que plusieurs formes artistiques se battent pour ce titre (dont la bande dessinée). En pensant le jeu vidéo comme un média, cela fait sens de l’inscrire en tant que forme artistique. Le problème vient du fait que sa nature de jeu vient discuter les relations qu’il entretient avec l’art. En effet, des penseurs comme Kendall Walton, peu évoqué en France, mais plutôt important chez les anglophones, voient les arts comme des formes ludiques (des outils pour nourrir l’imagination pour être précis). De facto, avec ces lectures contradictoires, le jeu vidéo serait « ensemble » et « sous-ensemble » en même temps et en fonction du point de vue choisi par la personne réfléchissant à ce sujet. Voici une difficulté qui s’ajoute par rapport à celles déjà évoquées.

Enfin, il convient maintenant de clairement attaquer la façon dont certains proposent de différencier les jeux vidéo des autres phénomènes. L’exemple et la caractéristique la plus fréquemment évoquée comme élément distinctif est l’interactivité. Je vais donc me reposer sur celle-ci pour faire valoir mon argumentaire. Certains penseurs font fréquemment référence à l’interactivité proposée par les jeux vidéo pour les différencier des autres médias (ce qui pose déjà problème par rapport à ce que j’ai évoqué). Cependant, à mon sens, les seules façons dont nous sommes capables de proposer des éléments distinctifs reposent sur des seuils (et leurs fixations), comme c’est le cas pour l’interactivité. En somme, à partir d’un certain seuil, on considère qu’un objet est un jeu vidéo et en dessous, il ne le serait pas. Dès lors, n’ayant pas de possibilité de fixer ces seuils objectivement, les façons de définir la ou les spécificités des JV ne peuvent être pertinente que dans un cercle très restreint de pensée (entre pairs donc). Selon moi, cet argument fonctionne aussi pour tous les seuils que certains essaient d’imposer pour définir les spécificités du JV. Ainsi, plutôt que les valeurs choisies par untel ou un autre (gameplay, interactivité, narration, etc), j’attaque la construction même de ces réflexions qui me semblent immédiatement erronées pour s’attaquer au problème de la spécificité du médium vidéoludique. Si une recherche de la spécificité doit se faire (pourquoi ?), elle ne peut en aucun cas passer par la mise en place de seuils, de niveaux, d’échelles graduées ou de barèmes. Surtout que tel que je le vois depuis ShangHai où je suis actuellement, ces seuils sont aussi affaires de contextes socio-culturels, rien de plus difficile lorsque l’on souhaite apporter scientifiquement une réponse.

Ainsi, après avoir dit tout cela, il semble que la spécificité du jeu vidéo soit une recherche vaine. Or au contraire, il me semble qu’après avoir exclu tout cela, il reste encore de nombreuses choses et caractéristiques à débroussailler. Je travaille actuellement à ce sujet dans un coin de ma tête mais ce n’est pas ici que je souhaite le partager. Finalement, ce que j’attaque et critique, c’est un peu cette façon de concevoir mathématiquement la spécificité du JV : « au-dessus de 10, un objet a la moyenne et devient un JV ». Avec cette dernière phrase, il me semble avoir déjà dévoilé une partie de ma stratégie et de mes pistes de recherches sur la spécificité du jeu vidéo, au lecteur de voir où je veux en venir. ■

Esteban Grine, 2017.

 


 

Note : je garde ce texte pour plus tard, j’aimerais bien l’enregistrer pour une vidéo !

Entre médiation des savoirs et militantismes vidéoludiques

Ce questionnaire reposant principalement sur des questions ouvertes a pour objectif de mieux connaitre les vidéastes créant des contenus sur le jeu vidéo en tant qu’objet culturel.

Il intervient dans le cadre d’une recherche qui sera présentée lors du colloque « Youtuber, Youtubeuses ». L’objectif est de focaliser notre regard non pas sur la réception mais sur la création de vidéos diffusant des informations

Nous proposons donc de définir plus précisément ces nouveaux acteurs dans la diffusion d’informations, de connaissances, de techniques mais aussi des systèmes de représentations et idéologiques liés à l’artefact culturel « jeu vidéo » tout en interrogeant leurs pratiques et leurs méthodes : quelle sont la place accordées aux connaissances scientifiques et leurs postures épistémologiques ? De quelle manière mettent-ils en scène leur soi-joueur ? Etc.

Concernant la protection des données

Il y a une petite section à la toute fin du questionnaire pour toutes les demandes liées à la protection des données. Dans tous les cas, je ne diffuse pas les réponses n’importe comment et je souhaite être respectueux de votre vie privée. Vous pouvez demander à être anonymisé·e ou autres. Dans tous les cas, il y a une section à la fin du questionnaire pour toutes les demandes particulières que vous souhaiteriez faire. Dans tous les cas, je ne diffuse pas vos informations concernant les rubriques 4 et 5 et je les anonymiserai dans ma communication.

Entre ASMR et Capitalisme, le cas des idle games

Les idles-games sont des jeux vidéo principalement sur smartphone et se sont développés depuis l’avènement de ces derniers. Le premier auquel nous pouvons penser est cookie clicker mais aujourd’hui, le genre s’est développé afin de proposer des expériences vidéoludiques plus variées, au moins concernant les aspects graphiques. Je prends donc le temps d’écrire et d’énoncer les quelques idées que j’ai développées ici et là sur ce genre et plus précisément, à partir de mon expérience sur Tap Tap Fish, un jeu sur smartphone particulièrement beau je trouve.

La mécanique centrale d’un idle-game est de cliquer ou de tapoter son écran. Il s’agit bien plus de ce second geste pour l’expérience que je relate. Ainsi, depuis que j’ai commencé à jouer à Tap Tap Fish, j’ai donc tapoté mon écran de smartphone presque 50 000 fois sur une durée effective de jeu qui doit être aux alentours de sept ou huit heures. Cependant, ce serait une erreur de supposer que ces jeux ne se résument qu’à cela. En effet, il semble que les mécaniques intègrent de plus en plus, et de manière assez fine, la prise en compte du temps puisqu’ils demandent aux joueurs d’alterner des phases de jeux à des phases de non-jeu (ou d’attente). De plus, ils demandent une certaine finesse de gestion, tout à fait discutable éthiquement. Je vais donc prendre le temps de résumer ici ma pensée.

Réencastrer les idle-games dans le genre du jeu de rôle

Outre le tapotement, il me semble nécessaire de regarder ce qu’il se passe effectivement ingame afin de comprendre pourquoi nous jouons à ces jeux. Les idle-games permettent aux joueurs d’améliorer une situation initiale par l’augmentation de statistiques. Ainsi, plutôt que le tapotement, je définirai ces jeux comme des objets dont la mécanique centrale est l’accumulation. Le terme que j’emploie n’est pas neutre et s’inscrit directement dans une lecture économique, au sens de la pensée économique, du game design. Dès lors, finalement, les idle games et particulièrement Tap Tap Fish sont particulièrement proches des jeux de rôle dont les mécaniques centrales concernent elles-aussi l’amélioration des statistiques d’un avatar. Ce qui, entre nous, n’est qu’une reformulation du processus d’accumulation (d’argents, de points d’expérience, etc.).

Dès lors, je suis clairement en train d’aligner les idle­-games, ce à quoi l’on pourrait m’attaquer. Or, je vois déjà des jeux de rôle considérés comme tels mobiliser la mécanique du tapotement. La frontière est de fait bien plus poreuse que l’on pourrait croire au début. De même, ce tapotement cache finalement un phénomène capitalistique, ce qui reste globalement dans la lignée des mécaniques employées par les jeux de rôle. C’est pourquoi j’aurai tendance à considérer les idles-games que je vois passer comme une forme particulière du jeu de rôle. Il ne reste alors plus qu’à définir ses contours. A partir de mes observations concernant Tap Tap Fish, il me semble que ces jeux représentent la forme la plus dépouillée des RPG, celle dans laquelle il n’y a absolument aucun habillage, aucune fioriture. Dans un jeu de rôle standard, le processus d’accumulation prend des chemins détournés : le joueur doit se battre ou réaliser des quêtes afin d’accumuler. Les idle-games se débarrassent de ces contraintes pour faire un lien direct entre les actions du joueur et la finalité d’accumulation qui finira par devenir chrématistique.

Ainsi, je définis les idle-games (ou dans leur version française, plus directe je trouve : les jeux incrémentaux) de la façon suivante : il s’agit d’une forme particulière du jeu de rôle dans lequel l’action du joueur a un impact direct et immédiat sur l’accumulation de valeurs. Je ne rapproche donc pas Tap Tap Fish comme un jeu proche du genre RPG mais je postule qu’il s’agit avant tout d’un RPG. De facto, je considère les jeux incrémentaux non pas comme un genre particulier mais comme un sous-genre du jeu de rôle.

Un dernier élément qui semble important à propos du game design de ces jeux concerne l’emphase portée sur la gestion du temps entre moments de jeu et moments de non-jeu. En effet, comme je le soutiens, les idle-games sont des RPG dénués de tout ce qui entrave le lien entre le joueur et l’accumulation de valeurs. Dès lors, les moments durant lesquels le joueur « n’accumule » pas se résument à patienter. Patienter par exemple que l’on soit à nouveau autoriser à accumuler. C’est le cas dans de nombreux jeux qui proposent des systèmes de cooldown. Par exemple, après utilisation d’un pouvoir dans Tap Tap Fish, celui-ci devient inaccessible au joueur pendant une période de temps plus ou moins défini. S’en suit alors un ensemble de choix à réaliser afin de maximiser les gains. Si au début, les choix du joueur ne sont pas les plus efficaces, en jouant, ce dernier va ébaucher les meilleures stratégies lui assurant la plus grande efficience de son comportement. Une fois le tapotement compris et intériorisé, c’est donc sur la gestion du temps que ses efforts vont se concentrer et c’est sur ce point que les idle-games comme Tap Tap Fish interrogent la moralité du comportement vidéoludique du joueur.

Ethique des Idle Games

Comme je le disais plus tôt, les jeux incrémentaux sont des RPG qui ne se tracassent pas pour embellir ce qui concentre l’essence de leur gameplay. Dès lors, ils sont particulièrement intéressants pour le chercheur que je suis puisqu’ils me permettent de constater certaines hypothèses que je soutiens. La première est que les joueurs jouent principalement, en occident, avec des reproductions ludiques du système capitaliste et colonialiste. Encore une fois, il ne s’agit pas de dire que c’est une bonne ou une mauvaise chose mais bien de définir ce que nous faisons. Il me semble donc qu’en tant que joueur, nous adoptons une attitude très proche de celle de l’agent économique cherchant à maximiser sa satisfaction par n’importe quel moyen. La deuxième hypothèse est que les réflexions que se font les joueurs peuvent aussi être envisagées comme des calculs couts-avantages. C’est à ce niveau qu’il nous est alors permis d’interroger les incohérences morales que l’on peut constater entre le système moral et les comportements adoptés par le joueur. L’une des incohérences que j’ai constatée dans ma façon de jouer à Tap Tap Fish est que si de manière général, je réprouve la présence de publicités dans les jeux gratuits, j’ai visionné un grand nombre de messages publicitaires volontairement en jouant. La raison est simple : visionner des publicités me donne accès à des avantages et des bonus ingame. De facto, j’étais incité à adopter un comportement que je considère normalement immoral parce que le jeu me valorisait si je me pliais à ses demandes. J’ai donc, à un moment de mon activité, décidé qu’il était plus intéressant de visionner ces publicités dans le but d’obtenir les contreparties proposées et plus rapidement. Pour résumer ce qu’il s’est passé, j’ai donc tordu mon système moral afin d’intégrer un comportement auparavant immoral dans les comportements que je considère dorénavant acceptables. Éthiquement, il me semble que cette observation est lourde de sens? En effet, j’ai écarté mon système moral sous couvert que « ceci est un jeu » ou du moins, j’ai modifié mon système moral de sorte à ce qu’il englobe les comportements immoraux que j’avais précédemment. En rendant mon système plus flexible, j’ai pu à nouveau rendre cohérent mes représentations avec mon comportement.

Il me semble que je tiens là un phénomène qui serait particulièrement intéressant à observer dans le futur et dans le cadre de mes recherches. C’est probablement un phénomène qui a déjà été observé par d’autres chercheurs je pense – comme Sicart mais aussi Genvo au niveau francophone. Je formule donc ici que les apprentissages faits dans le cadre d’un jeu vidéo va potentiellement créer des incohérences entre les nouveaux comportements des joueurs et leurs systèmes de représentations et moraux. Dès lors, ce dernier suivra un processus, qu’il faudra définir, afin d’intégrer ces nouveaux comportements afin de leur donner un statut « moraux » comparativement à leur précédent statut « d’immoraux ».

Pour le résumer simplement, je postule qu’il n’y a pas besoin de modifier son système moral pour adopter un nouveau comportement puisque de toute façon, la morale se définit après l’apparition du comportement. Je suis preneur si le lecteur a des références à me partager sur ce sujet.

Redéfinir les comportements liés aux idle-games.

L’une des choses passionnantes qu’il m’a été possible d’observer en jouant à Tap Tap Fish est la lecture économique que nous pouvons en faire. Cela vient donc nourrir, à côté de mes recherches inscrites en sciences de l’information et de la communication, mon objectif de mobiliser la pensée économique dans l’étude du game design et son réencastrement dans les game studies. Ces  lectures « économiques » que je propose sont en somme des petits plaisirs coupables mais je suppose qu’elles peuvent apporter quelques éléments de réflexions.

Très vite, en jouant, on comprend que le tapotement ne se fait avec rigueur qu’au début du jeu puisque nous allons pouvoir dépenser les points obtenus dans deux types de statistiques-resources : soit celles qui améliorent notre pseudo-avatar (une pierre créatrice de vie aquatique, cf l’image d’en-tête), soit celles qui améliorent les différents éléments de décoration de notre espace aquatique. En termes de gameplay, la distinction est majeure puisque les premières caractéristiques se réfèrent à l’obtention de points en tapotant et les secondes se réfèrent aux points obtenus automatiquement. Les dernières sont uniquement esthétiques. Enfin, le joueur a la possibilité de créer des poissons qui ont pour effet de décupler le rendement des différents éléments présentés du jeu. Le joueur doit donc choisir entre les éléments qui vont lui permettre d’obtenir plus de points et ce, afin de pouvoir dépenser ses nouveaux points dans d’autres éléments.

J’ai essayé de décrire sans trop utiliser un vocabulaire économique mais peut-être que le lecteur remarquera que je viens de faire la description d’un cycle normal d’investissements et de retours sur investissements. Autrement formulé, je viens de décrire un processus de production normal d’une entreprise d’inspiration capitaliste dans laquelle le joueur incarne finalement un actionnaire. L’objectif de Tap Tap Fish est donc, dans ce cadre, de faire un arbitrage entre soit investir dans un capital assurant un rendement automatique (une rente, un dividende) ou dans le travail (la création de valeur issue du tapotement). On peut y voir une forme de choix dans l’exploitation que nous souhaitons développer : on a le choix entre travailler nous-mêmes ou faire faire.

De même, les pouvoir utilisables par les joueurs peuvent aussi être envisagés comme des méthodes d’organisation du travail. Par exemple, le pouvoir « éruption volcanique » crée pendant une courte période de temps un rush de production. On est proche d’un système AGILE voire stakhanoviste. Enfin, les derniers choix restant aux joueurs concernent l’habillage ou l’esthétique de l’aquarium du joueur. On peut finalement traduire cela comme une façon qu’ont les actionnaires de se rémunérer en dividende en retirant une partie de la valeur produite du circuit de production (puisqu’ils ne le réinjectent pas dans les moyens de production). On pourrait même y voir une nuance chrématistique à cette façon de jouer dans le sens où le joueur finit par accumuler uniquement pour le plaisir d’accumuler.

La dernière chose qui m’a beaucoup fait rire concerne le phénomène d’hyperinflation présent dans le jeu. En effet, à chaque dépense que le joueur fait, le prix des améliorations suivantes augmente substantivement. Ce prix augmente car les moyens de production du joueur deviennent perpétuellement plus efficaces : il se produit dans le jeu une reproduction d’une courbe de progrès technologique. Ainsi, comme le joueur produit « plus » d’unités de valeur, la valeur individuelle de chaque unité diminue. Il s’opère donc un rééquilibrage des prix. Encore heureux que le joueur est capable de produire plus car sinon, il ne pourrait plus acheter de « biens ». Ainsi, le discours implicite transmis dans le jeu est aussi celui d’un discours en faveur de l’idée d’une croissance perpétuelle, chose qui dans la vie semble relativement discutable.

Conclusion

Il semble, pour ma part, que j’ai atteint les limites de Tap Tap Fish. Il est vrai que je me suis clairement amusé dessus mais ne faut-il pas finalement y voir un problème lorsque l’on s’aperçoit que les mécaniques vidéoludiques du jeu peuvent être formulées de la sorte ?

Encore une fois, cela me convainc encore plus de mobiliser l’économie et son langage pour traduire les expériences vidéoludiques de manière pragmatique. Il ne me semble pas avoir inclus ici un jugement de valeur sur ce que nous faisons mais au contraire, j’ai bien l’impression de toucher du doigt ce qui fait l’essence même de nos expériences liées aux jeux de rôle et in fine des idle-games et celle-ci n’est finalement que la reproduction de notre système social et économique sous couleur de jouer. ■

Esteban Grine, 2017.

Le flow et ses représentations chez les joueurs

Attention ! Cet article est semi-scientifique ! Pour le citer : Grine, E., 2017. Le flow et ses représentations chez les joueurs. Les Chroniques Vidéoludiques.

Le flow et ses représentations chez les joueurs

Le concept de flow, utilisé pour la première fois par Mihaly Csikszentmihalyi définit une situation mentale des individus faisant corps avec leur activité. Il y aurait donc une forme  de totale immersion doublée d’une intense conscientisation du moment vécu par le sujet durant son activité pour reprendre la théorie des moments de Lefebvre et Hess. Dans le sport, des phénomènes similaires ont déjà été étudiés et durant lesquels les athlètes témoignaient de moments conscients et inconscients en même temps. Dans The concept of flow (2014), Csikszentmihalyi et Nakamura présente le moment de flow comme un moment durant lequel un individu est totalement dédié à son activité tout en faisant preuve d’une motivation absolue pour s’assurer la réussite.

Ainsi, doté d’une définition plutôt permissive, les applications du flow se retrouvent dans de nombreuses disciplines sportives, ludiques, managériales et même politiques. Dès lors, ce concept nous interroge car son manque de précision lui permet d’être applicable dans de nombreuses et multiples situations. De même, d’autres disciplines que la psychologie positive (dans laquelle le flow s’inscrit) ont déjà largement théorisés sur des mécanismes présentant de fortes similitudes. Ainsi, par exemple, Hess a grandement participé à la construction d’une « théorie des moments » durant lesquels, un agent devient conscient et capable de percevoir l’intégralité de son environnement afin de dédier son entière concentration à une activité. Il prend notamment l’exemple de la tenue d’un journal intime, moment durant lesquels le rédacteur intériorise et conscientise son environnement. En microéconomie orthodoxe, les agents économiques agissent dans leur propre intérêt et nourrissent le mécanisme de « la main invisible », métaphore employée par Smith (1776) signifiant alors une préférence de la demande intérieure pour l’offre intérieure avant l’offre internationale, puis dévoyée par les néo-classiques pour expliquer le mécanisme permettant l’équilibre du marché. En politique, le flow permet d’expliquer les mouvements des électeurs et a posteriori, permet de mieux comprendre pourquoi un candidat a été préféré à un autre. Lakomski-Laguerre et Longuet (2004) ont proposé, en s’appuyant sur la théorie de Schumpeter, des outils de compréhension sur les acteurs hommes et femmes politiques et la façon qu’ils ont d’imposer leur idées et l’idéologie de leur parti politique aux électeurs. Il s’agit donc d’inscrire ces derniers dans une forme de flow dont ils ne sortiront pas jusqu’au jour de l’élection.

Au travers de ces quelques exemples, nous avons montré que cette notion est beaucoup employée et ce, pour de nombreuses disciplines, impliquant alors de nombreuses personnes professionnelles ou amatrices qui la mobilisent dans leurs discours. Nous souhaitons donc proposer une observation générale sur l’emploi de ce concept et les notions, les idées qui lui sont rattachées et ce principalement par les joueurs et les joueuses de jeux vidéo. Le terrain que nous avons mené permet aussi d’illustrer les réactions lorsqu’une personne emploie ce concept à un autre phénomène et les réactions qui surviennent. En l’occurrence, la production vidéo qui fut commentée propose une transition brutale entre le flow appliqué au jeu vidéo et lorsqu’il est mobilisé dans un discours philosophique ou politique. Il sera donc intéressant d’illustrer les réactions de cette transposition afin de caractériser les postures des joueurs ayant reçu ce message. Notre conclusion, ouverte, prendra la forme d’une liste commentée permettant de situer toutes les caractéristiques constituant le flow.

Méthodologie

Afin de mener cette recherche, nous avons mis en place une proto-méthode de recherche-création. Nous nommons cela une proto-méthode puisque la détermination de cette méthode est venue a posteriori de la création. Nous faisons donc plutôt un usage détourné d’une création vidéo et n’avons pas, dans la conception de cette vidéo, pensé de manière explicite une procédure de recherche. Formalisée de la sorte, il sera donc important de prendre en compte cette première limite dans notre réflexion. Deuxièmement, les commentaires extraits de cette vidéo ne constituent pas non plus un échantillon représentatif des différents profils sociologiques des joueurs de jeu vidéo. Nous pouvons cependant supposer qu’il s’agit plutôt d’un profil homme (94% de la communauté est genrée masculine entre 18 et 34 ans et habitant en France) ayant atteint un niveau licence ou master.

Les données permettant d’établir cela sont émises par YouTube et transmises au propriétaire de la chaîne hébergeant la vidéo concernée. Nous avons procédé par dépouillement des commentaires, lectures complètes et réponses ou compléments d’information. Si une discussion s’engage, nous y avons participé jusqu’à épuisement du ou des intervenants. Enfin, nous avons recensé les commentaires entre la publication de la vidéo (le mercredi 5 juillet 2017) et le dimanche 9 juillet 2017 matin. L’intégralité des commentaires est accessible en annexe du présent document. Nous n’avons exclu aucun commentaire même lorsqu’ils ne présentaient aucune réaction par rapport au contenu de la vidéo. Enfin, nous avons organisé notre synthèse selon des grands thèmes sur lesquels les commentaires reviennent fréquemment.

Résultats de la recherche

Qui déclenche le flow ? Le game design a-t-il pour finalité le flow ? L’éthique du flow ?

Les personnes ayant commenté la vidéo semblent plutôt dans la discussion pour répondre à ces questions. Tout d’abord, le discours concernant les développeurs concernant leur potentielle prétention à susciter voire imposer le flow est globalement rejeté. Le développeur du jeu est associé à une représentation plutôt positive et humble ce qui va à l’encontre des propos tenus dans la vidéo.

Si je souhaitais clairement attaquer afin de faire réagir concernant le développeur, il semble qu’il y a eu en parallèle un message involontairement véhiculé par la vidéo : le flow serait une finalité à atteindre. Malgré cette externalité, les personnes ayant commenté ont pu prendre la parole sur justement cette recherche du flow. Il apparait alors que selon les réponses obtenues, le flow n’est pas un état mental à atteindre mais plutôt quelque chose d’inhérente à l’activité vidéoludique. Ainsi, le flow peut alors être considéré comme un moyen servant d’autres objectifs, soit définis par le game designer soit définis par le joueur. De même, le flow est tant que tel n’est pas une notion particulièrement perçue comme négative. Cependant, il est intéressant de remarquer que certains commentaires illustrent un déclic chez leurs auteurs lorsque le flow est appliqué à autre chose que les jeux vidéo, notamment concernant le caractère politisé de la vidéo. Nous préférons considérer ce constat de manière délicate puisqu’il peut s’agir d’un transfert du dogme proposé dans la vidéo. Cependant, d’autres commentaires ont salué le parti pris de la vidéo puisque cela leur a permis d’interroger la notion puisque celle-ci était alors considérée comme fréquente dans les discours actuels sur les jeux vidéo.

De même , nous considérons le commentaire de « Plein Les Pixels » particulièrement éclairant sur ce sujet : « Certains ont décrété que le JV devait être ceci ou cela, plaisir, mécanique, réflexe, effort, statistiques, investissement long terme ou casual, passivité ou activité artificielle etc. et ça me semble rare (quoique important et précieux) d’interroger ce que tel ou tel modèle dominant ou concept créatif peut cautionner, sur quoi il peut s’aligner, chercher dans quel sens il ‘‘marche’’ ». D’autres commentaires ont particulièrement critiqué cette façon d’interroger l’éthique sous-tendant cette notion. Ainsi Ibx7994 écrit : « tu extrapole de façon absolue sur l’utilisation du flow par ce consortium manipulateur qu’est le grand capitale… Et enfin tu mets de façon ni argumentée ni nuancée tes opinions politiques dans la balance. Bien sûr tes opinions se défendent et bien sûr tout est politique. Mais il y a une différence entre analyser, étudier et expliquer et faire passer ses opinions politiques à la gaveuse sous couvert de parler de jeux vidéo… Ta vidéo est sans nuances, bornée, étroite d’esprit, égocentrique… c’est une honte ». Nous interprétons ce commentaire comme celui d’un joueur (ou d’une joueuse) particulièrement attaché·e à ne pas faire de lien entre le JV et d’autres objets d’études. Cela nourrit notamment la représentation d’échappatoire du jeu vidéo, objet dans lequel les joueurs peuvent s’extraire de leur condition, de manière totalement détachée du monde « réel ». Un autre commentaire étaie cette hypothèse. 2Bornot2B écrit : « le fait que tu donnes ton opinion sur les élections présidentielles, ça me perturbe plus qu’autre chose; je ne trouve pas ça comparable au jeux-vidéo (et ça semble même hors-sujet) ». Enfin, il est particulièrement intéressant de voir des parallèles se dresser entre la notion de flow appliquée au JV puis à des phénomènes plus proches de la vie des joueurs. Deyonnu met en rapport l’expérience de flow qu’il a ingame et dans son travail : « C’est vrai que je suis resté dans l’esprit « le flow dans le jeu vidéo » et ait donc ignoré ces autres facette (ayant moi-même un boulot en usine, je connais cet effet un peu trop bien, m’enfin pas au point de faire comme Charlie Chaplin xD). @Ebruof (ou Fourbe) Hum, je crois que j’ai compris la différence entre les deux, en effet, je parlais surtout de rester dans le rythme du jeu plutôt que de simplement faire une phase de « flow » ».

Immersion ou émersion dans le flow & la compétence du joueur

L’une des premières remarques qui ressort des commentaires concerne le fait que les moments de flow sont des situations agréablement vécues par les joueurs et joueuses. Ceux-ci considèrent avoir un fort degré de contrôle sur les situations vidéoludiques rencontrées. Certains remarquent qu’ils se sentent justement totalement libres, ce qui rentre en contradiction avec le propos de la vidéo. Un commentaire revient et cristallise pour nous une partie de la conception du flow. Meskimo555 évoque la symbiose qui définit cet état. « Etre dans le flow » serait donc proche d’une certaine confusion entre le jeu et le joueur, lorsque ces deux éléments sembleraient indissociables du fait de l’activité vidéoludique qui les comprend. Le flow est aussi parfois compris comme un état de transe durant lequel le joueur devient conscient de toutes ses actions en étant pourtant totalement immergé dans son activité. Bbbbbbbouli évoque cela dans son commentaire. Le moment de flow est selon son propos un moment durant lequel le joueur dépasse sa condition. Le paradoxe assimilant le flow à une forme d’hypnose revient alors au fait d’une compression du temps passé à jouer : l’on ne s’apercevrait alors plus du temps qui passe et ce n’est qu’à la sortie d’un moment de flow que nous comprendrions alors que nous avons vécu une forme d’ellipse.  Malgré cela, le commentaire de Campanellaa est très éclairant sur cette dualité : « c’est d’ailleurs pour ça que je ne parlerais pas tout à fait de pilotage-automatique, il y a tout de même une certaine agentivité qui reste, mais celle-ci est perçue comme accentuée, plus forte parce que la capacité d’exécution des tâches est accentuée par le flow ». Ce qui semble central dans une grande partie des commentaires discutant le propos de la vidéo est le fait que pour leurs rédacteurs, le flow est lié à un engagement total mais conscientisé d’un agent dans son activité selon les commentaires reçus. Cependant, cela semble rentrer en conflit avec la pensée de Csikszentmihalyi et Nakamura puisque pour ces auteurs, la conscience de soi s’atténue voire disparait. Le rapport au temps est lui aussi intéressant dans le sens où il ne semble plus y avoir de latence entre l’action et le feedback pour celui qui vit l’expérience, là par contre, cela correspond à l’idée proposée par Csikszentmihalyi et Nakamura.

Le flow comme un espace d’apprentissage

A plusieurs reprises les commentaires mentionnent le flow comme une zone d’apprentissage. JustABaziKDude, mais aussi Kago Hyperbrother font un parallèle entre ce qu’ils vivent lors d’un jeu vidéo et l’apprentissage de la musique. Ces deux internautes mentionnent notamment le bonheur lié à la réussite et le fait d’avoir atteint objectif fixé à l’avance. Le flow pourrait alors émerger d’une situation d’apprentissage durant laquelle les apprenants ne reçoivent que des « feedbacks positifs » pour reprendre les termes employés par Kago. Il semble ici qu’il y ait cependant une juxtaposition du concept de flow avec d’autres concepts, notamment celui de la zone proximale de développement, développée par Vygotski en 1934. Ce concept définit la zone mentale dans laquelle un individu, lorsqu’il est accompagné, peut réussir les tâches qui lui sont demandées. Il semble donc qu’ici, le concept de flow soit peu clair sur sa définition. L’on pourrait supposer que les deux notions présentées peuvent fonctionner ensembles et indépendamment. Cela nous permettra de prendre en compte les situations de flow durant lesquelles nous ne pouvons pas constater d’apprentissage effectif.

Dès lors, il est donc plus intéressant de considérer les deux notions comme pouvant être présentes au même moment et que celles-ci peuvent avoir un certain degré de corrélation. Par contre, il convient de clairement énoncer que les deux notions peuvent aussi émerger de manière indépendante.

Quelles représentations associées aux jeux vidéo et quel flow correspondant ?

Cette question est particulièrement intéressante dans le sens où c’est en observant les genres présentés et évoqués dans les commentaires que l’on peut définir ceux qui seraient les plus propices. Par ailleurs, cela permet aussi de définir quels sont les éléments qui sont liés au flow. A la première lecture et selon les différents exemples mentionnés en commentaire, il apparait que les éléments narratifs, n’étant pas mentionnés, ne font pas partie des éléments déclencheurs d’un moment de flow. Au contraire, ce sont plutôt les interactions directes et les mécaniques de gameplay qui permettraient cela. Ainsi, les jeux mettant l’emphase sur une action frénétique sont plus revenus en exemple que les jeux accentuant la narration et la découverte du récit. Dès lors, il devient possible de dissocier les jeux en fonction du potentiel flow qu’ils peuvent susciter chez le joueur.  Les genres qui reviennent dans les commentaires sont les suivants : les schmups, les jeux de combat en FPS, les jeux musicaux et les jeux mettant l’emphase sur le développement de réflexes chez le joueur et la rapidité des feedbacks. Ainsi, les jeux Touhou, Hotline Miami, les jeux de sports (Fifa notamment). Chacun des jeux évoqués nécessitent une assez forte réactivité. Il semble donc que le flow soit fortement lié, selon les commentaires recensés, à la rapidité de réaction des joueurs.

Cependant, cette représentation est fortement critiquable d’un point de vue scientifique et semble exclure trop rapidement d’autres facteurs déclencheurs potentiels de flow. Nous pensons notamment au fait qu’un joueur peut aussi se sentir dans le flow d’un visual novel alors que ce genre vidéoludique ne présente que très peu de situations demandant au joueur d’être rapide et réactif. L’une des pistes que nous pouvons envisager concernerait alors l’investissement émotionnel dans l’activité que le joueur mène. Nous supposons ici qu’un alignement serait alors nécessaire entre l’investissement émotionnel, la compétence du joueur et la compétence nécessaire. Ces trois éléments nous permettent de dégager alors plusieurs situations durant lesquelles le flow peut, ou non, émerger.

 

Situations desquelles le flow peut émerger dans le cadre des JV, E. Giner, 2017.
Investissement émotionnel Compétence du joueur Compétence nécessaire Moment de flow Type de flow
Fort Fort Fort Possible Immersif
Fort Fort Faible Possible Automatique
Fort Faible Faible Possible Immersif
Fort Faible Fort Peu possible Frustrant
Faible Faible Fort Très peu possible Automatique / résigné
Faible Fort Faible Possible Automatique
Faible Faible Faible possible Automatique

 

Il semble important de mentionner que ce tableau n’est finalement que peu pertinent par rapport à l’usage initial du flow et cela semble rentrer en contradiction avec certaines représentations du flow de Csikszentmihalyi et Nakamura. Le flow véritable tel qu’il semble être présenté ne peut émerger que d’une situation où la compétence du joueur et le niveau de défi (la compétence nécessaire) semblent élevées.

Ce qui semble intéressant dans les commentaires est encore une fois la présence d’un paradoxe dans les représentations du flow. Il semble qu’il y ait une confusion entre l’état de relaxation et l’état de flow. Cette confusion peut notamment s’expliquer par le fait que les deux états se reposent sur la notion de bien-être. Cependant, les différentes qualifications que nous faisons du flow, bien que pouvant sembler d’aberrations pour les connaisseurs de la notion, montrent une difficulté cette fois propre au jeu vidéo. En effet, cette notion regroupe de nombreuses activités vidéoludiques qui possèdent chacune des particularités précises. Ainsi, il nous semble que la compréhension même du flow est limitée par la compréhension même et les limites cognitives que nous avons pour définir la notion de « jeu vidéo ».

Discussions sur l’association flow-conservatisme

L’association entre le flow et le conservatisme au niveau philosophique et politique a particulièrement été discutée en commentaire. Il semble tout d’abord important de rappeler que cette lecture du flow est défendue notamment par Ian Bogost (2016). Cette association d’idées a globalement bien été reçue dans les commentaires. De même, le ratio pouces bleu/gris de YouTube semble nous indiquer que d’une manière générale, la conclusion de la vidéo a plutôt bien été accueillie bien que la transition est considérée comme surprenante. Nous savions ce segment du contenu particulièrement sensible puisque nous associons une idée globalement positive et appréciée à une notion plutôt dépréciée, il nous semble, par la population ayant commenté cette vidéo. Sans que les commentateurs soient forcément d’accord, pour ceux qui ont rédigé un avis sur ce point, ils ont globalement été ouverts à la discussion.

Les commentaires négatifs ont particulièrement été vindicatifs comme déjà mentionné. Plus globalement que seulement les aspects politiques, il semble que le flow ne convienne pas forcément à toutes les sphères ou les phénomènes de la vie d’un individu. Dès lors, le rejet de l’application de ce concept à la vie politique illustre, selon notre interprétation, chez certains joueurs une volonté de dissocier l’activité vidéoludique de tout autre comportement qui pourrait avoir une volonté, ou du moins une teinte, politique. Un premier argument que nous acceptons et rédigé par Campanellaa concerne le fait que le flow et un moment qui s’applique uniquement à l’individu, ou l’agent, et l’appliquer à un phénomène plus grand serait un non-sens. Dès lors, appliquer le flow à un collectif, d’électeurs comme cela est fait dans la vidéo, ne serait pas possible. Cependant, nous modérons cela en énonçant des états similaires ont été constatés au niveau d’une équipe ou d’un ensemble. C’est le cas par exemple du group flow. Walker (2010) a notamment étudié cela et à travers une étude menée, a constaté des expériences de social flow. Dans ce type d’expérience collective, des individus indépendant et agissant dans leurs intérêts personnels profite du et participe au flow des autres. Il est à ce sujet très intéressant de dresser des parallèles avec l’économie classique et néoclassique puisque celles-ci font appel au mécanisme de la main invisible qui peut se constater effectivement de la même manière et dont la définition est proche.

L’enjeu que nous identifions ainsi ne concerne finalement plus vraiment alors l’échelle à laquelle le flow se situe. Au contraire, avec notre lecture des commentaires, nous interprétons que l’enjeu se trouve plutôt autour de l’intensité et de la temporalité d’une expérience de flow. Il semble qu’il s’applique à une période de temps plutôt restreinte et de manière constante mais l’interrogation que nous soulevons est de savoir si nous pouvons aussi considérer des moments variables en intensité comme faisant partie d’une même expérience de flow. Une fois ce travail fait, il devient alors possible de statuer sur différents phénomènes.

Conclusions

A l’issue de cette première recherche exploratoire sur les représentations que les joueurs attribuent au flow, il apparait que cette notion reste globalement vague sur les limites de sa définition. Cela a contribué à la multiplicité des utilisations qui en sont faites et ce, avec des définitions partielles, sélectives des éléments constitutifs du flow. Mais globalement et à partir des représentations qui ont été transmises dans les commentaires qui ont été dépouillés, nous pouvons apporter des éléments de conclusion (notre opinion personnelle apparait en parenthèse). Voici donc ce à quoi correspond l’idée du flow selon les personnes ayant répondu en commentaire de la vidéo :

  1. Le flow n’est pas une finalité du game design (en accord) ;
  2. Le flow est une situation de bien-être (en accord);
  3. Le flow est un moment durant lequel le joueur est immergé et conscient de sa situation (en désaccord) ;
  4. Le flow ne sous-entend pas forcément une situation de liberté d’action (en accord) ;
  5. Le flow est relatif à certains genres vidéoludiques (en désaccord) ;
  6. Le flow sous-entend une situation d’apprentissage (en désaccord).

Limites

Cette recherche s’est appuyée sur un corpus relativement maigre et issu d’une population non représentative. La présente étude doit donc contenir un certain nombre de biais, c’est pourquoi elle ne pourrait être envisagée autre que ce qu’elle est réellement, c’est-à-dire une synthèse de commentaires avec discussion. Cependant, il convient de dire que pour la personne souhaitant approfondir ce sujet, ce travail illustre à son niveau la polysémie des représentations du concept de flow sans discuter la pertinence du concept lui-même tel qu’il a été défini par Csikszentmihalyi et Nakamura. Enfin, nous assumons le fait que nous proposons une critique du concept de flow ancrée politiquement, ce qui se constate dans les propos que nous tenons ici et dans la vidéo. Le lecteur devra donc tenir aussi de cela lorsqu’il souhaitera discuter nos propos.

Esteban Grine, 2017.

 


 

Bibliographie

  • Bogost, P.I., 2016. Play Anything: The Pleasure of Limits, the Uses of Boredom, and the Secret of Games. Basic Civitas Books, New York.
  • Hess, R., Deulceux, S., 2012. Sur la théorie des moments. Chimères 13–26.
  • Lakomski-Laguerre, O., Longuet, S., 2009. Une approche subjectiviste de la démocratie : l’analyse de J.A. Schumpeter, Abstract. Cahiers d’économie Politique / Papers in Political Economy 29–52.
  • Nakamura, J., Csikszentmihalyi, M., 2014. The Concept of Flow, in: Flow and the Foundations of Positive Psychology. Springer Netherlands, pp. 239–263. doi:10.1007/978-94-017-9088-8_16
  • Smith, A., Garnier, G., 1776. La Richesse des nations. Tome I. Flammarion, Paris.
  • Walker, C.J., 2010. Experiencing flow: Is doing it together better than doing it alone? The Journal of Positive Psychology 5, 3–11. doi:10.1080/17439760903271116

 

[1] Les données sont accessibles sur demande ou directement sur la vidéo. Aucun commentaire n’a été supprimé.

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La nécessaire déconstruction du joueur-lecteur

La nécessaire déconstruction du joueur-lecteur

Depuis les années 1990 et le colonialisme de la narratologie sur les jeux vidéo, il est facile mais pertinent d’amalgamer le.a joueur.euse de jeux vidéo à un.e lecteur.ice. Je souhaite donc discuter brièvement de ce sujet car cela touche finalement à un positionnement épistémologique important duquel je ne pourrai pas me soustraire.

Lorsqu’Aarseth termine sa thèse et publie Cybertext en 1997, il assimile les jeux vidéo à des formes, peut-être un peu plus élaborées que les autres, de textes. Chose grandement aisée dans les recherches anglosaxonnes puisqu’une petite histoire de la pensée attribue à Mc Luhan (1964) la paternité plus ou moins directe de nombreuses réflexions ayant ce postulat. Et c’est à mon sens le cas ici. Malgré les Derrida, Barthes et autres, l’apparition de Mc Luhan dans de nombreux ouvrages en media studies témoigne de sa pensée prolifique. Il y a chez lui notamment une conception particulière des médias dans le sens où le contenu d’un média est toujours un autre média. Il faut savoir que Mc Luhan voit alors le monde uniquement à travers le prisme de média, où toute chose est média contenant un autre média tels des poupées russes. Ainsi, un exemple simple de la chose serait de dire que la télévision, média par excellence des 30 glorieuses, contient le média « image », le média « son ». Ce dernier est la transcription sonore du média « texte » qui quant à lui contient la « parole » d’un.e individu.e, parole sensée représenter la « pensée » d’un.e individu.e.

En voilà un raccourci particulièrement intéressant ! chaque média contient un autre média, cela veut donc dire qu’un chercheur, par simple transitivité, peut aller observer ce qu’il se passe dans un objet d’étude qui lui est plus ou moins éloigné ! Si les jeux vidéo ne contiennent finalement que des livres, pourquoi les joueurs ne seraient-ils pas de simples lecteurs ?

Trêve de plaisanterie, la pensée de Mc Luhan à ce sujet est particulièrement intéressante dans le sens où un objet compliqué peut alors se décomposer un plusieurs objets déjà connus : le jeux vidéo est-il encore trop compliqué ? Ce n’est pas grave car il contient images et récits. Dès lors, nous pourrions analyser ces objets avec des modèles, des types de structures déjà connus issues du cinéma ou de la littérature et ce serait en plus particulièrement efficace, à défaut de pouvoir réussir ce pari dans 100% des cas.

Il n’y a pas une audience uniforme aux médias, aux œuvres

Voilà le nœud pourtant du problème dans mes observations : observer l’objet ne doit pas nous inciter à faire des amalgames avec les autres paramètres de l’expérience vécue avec l’œuvre ou pire, les réduire à l’inexistant, comme le font bon nombre de procéduralistes à propos des joueurs.euses. L’audience, elle, est encore et toujours la cinquième roue du carrosse, le canard boiteux, le mauvais élève, l’âne de la recherche, celui ou celle dont l’œuvre peut se passer pour exister. Or sa caractérisation doit nous permettre une meilleure compréhension de l’œuvre et de l’expérience que cette dernière suscite et la première chose qu’il me semble intéressant de faire est de faire table rase du vocabulaire déjà existant. Assimiler le.a joueur.euse au.à la lecteur.ice peut semble pertinent au premier abord car cela invite immédiatement la personne nous écoutant à faire des ponts entre son vécu en tant que lecteur.ice et sa potentielle expérience en tant que joueur.euse. On s’imagine alors être le.a découvreur.euse du récite, celui.celle qui dévoile et révèle le mystère au recoin d’une page ou grâce à une manette. Mais une fois que nous avons dit cela, n’avons nous pas tout dit du joueur-lecteur ?

N’est-ce pas là un travers terrible de cet amalgame tandis que des auteurs anglosaxons en théorie de l’art ont déjà dépassé ? Kendall Walton, avec sa make-believe theory, fait de l’œuvre créée par l’artiste un simple outil propice à libérer l’imagination de son observateur. L’audience devint alors cocréatrice de l’expérience vécue. Que l’artiste garde son œuvre pour lui.elle seul.e s’il.elle ne veut pas accepter cela ! Dans ce cadre, l’intérêt n’est même plus de savoir qui est auteur de quoi. Cela nous invite à nous interroger sur ce qui est finalement intéressant d’observer. Frome (2006) par exemple parle bien plus d’expériences. Il s’intéresse aussi à caractériser les audiences et les émotions suscitées par une œuvre. Voilà par exemple un angle intéressant pour déconstruire le joueur-lecteur. Dans les deux cas, il s’agit globalement d’un individu faisant un effort non négligeable pour parcourir une œuvre. Cependant, les sentiments suscités sont-ils les mêmes et en fonction de quoi ? Frome nous soutiendrait que non.

En distinguant le participant-observateur du participant-acteur dans l’expérience, Frome explique que les émotions ressenties ne sont pas du tout les mêmes en fonction des arts dans lesquels s’inscrivent les expériences vécues. Prenons une situation scénarisée et hypothétique d’un choix cornélien faire. En tant qu’observateur de ce choix (par exemple si nous sommes lecteur), nous allons ressentir un désir pour que le protagoniste choisisse une solution plutôt qu’une autre et une fois le choix réalisé, nous allons être soit heureux soit en colère, ou triste, etc. Pourtant, si nous sommes acteur par exemple en étant joueur), une fois le choix fait, allons-nous ressentir les mêmes émotions ? Je fais l’hypothèse que non, peut importe le choix, nous manquerons d’information pour pouvoir juger de cela immédiatement, pire, nous pourrions ressentir du regret. Frome pose la question suivante : est-ce que le regret ressenti par un participant vis-à-vis d’un événement d’un récit composant une œuvre  est le même, peu importe le fait d’être observateur ou participant, lecteur ou joueur ? Au-delà de la question philosophique, l’évidence montre à quel point le joueur est différent du lecteur, dans son comportement, dans les émotions ressenties, dans la gestion du temps, du stress, etc. Plus que le reste, il m’est nécessaire de sortir de vocabulaire pour parler de « participants », « d’expériences » plutôt que « joueurs » ou d’œuvres ».

Ici gît le dilemme donné au chercheur supposant trop rapidement le.a joueur.se de jeux vidéo comme un.e simple lecteur.ice. Je suppose nécessaire l’émancipation du joueur du cadre du lecteur (surtout que les réflexions sur les audiences ne nous ont pas attendus). Celle-ci bien qu’importante à mes yeux, n’est pas si primordiale que cela en fonction des objets de recherche de chacun.e. Or, il se trouve que je me sens plus en phase avec mon objet, ma méthodologie et mes ambitions de recherches en posant l’hypothèse que le.a joueur.euse n’est pas/plus un.e simple lecteur.ice. Au contraire, c’est par cette émancipation, aussi artificielle soit-elle pour celui ou celle qui me lit, que mes recherches ont un semblant d’intérêt. ■

Esteban Grine, 2017.

Susciter la réflexivité par les mécaniques ludiques

Bonjour à tous, voici l’introduction de mon article publié dans la revue « Le Pardaillan ». Vous pouvez lire les premières lignes ici. Je vous invite aussi à commander la revue pour avoir accès à plein d’articles passionnants sur les jeux et les jeux vidéo ou venir me demander l’article sur Twitter ou Discord. Votre achat permettra de soutenir la jeune recherche francophone 🙂

 

Giner, E., 2017, Inciter à la réflexivité par les mécaniques ludiques : une analyse comparée de The Witness, Undertale et The Beginner’s Guide, Le Pardaillan, Paris.

Dans une lettre ouverte à un ami, j’exprimai les réflexions que j’ai eues à l’issue de plusieurs sessions sur le jeu « Papers, Please » (Pope, 2013). Ce jeu évoque la « banalité du mal » (Arendt, 1963) sous son esthétique soviétique et sa critique des anciennes autocraties de l’Europe de l’Est. Nous y incarnons un agent gouvernemental chargé du contrôle des immigrants. Ces derniers doivent présenter un certain nombre de papiers requis par notre hiérarchie et nous avons le choix de les laisser passer ou de les en empêcher en totale connaissance de cause [2]. L’intérêt du jeu réside principalement dans le fait qu’au fur et à mesure de la progression, les règles établies par nos supérieurs vont se faire plus nombreuses, contradictoires d’un jour à l’autre, changeantes au gré des envies. Ce jeu nous propose de ressentir ce que nous aurions pu vivre à ce type de métiers et dans ces régimes politiques. Son discours se rapproche des résultats obtenus par l’expérience de l’expérience de Milgram [3]. L’une des conclusions que peuvent tirer les joueurs de Papers, Please est que même si l’autorité est considérée comme amorale et que ses décisions entrent en conflit avec le système éthique de ses salariés, ces derniers les appliquent malgré tout. Ce message pessimiste mérite d’être considéré : il est possible de tirer des conclusions éthiques quotidiennes d’un simple jeu. Pour arriver à cette réflexion, il a fallu observer notre comportement dans le jeu, nous en distancer puis raccrocher cela à notre réalité, ce qui demande un certain effort de réflexion qui peut être complexe lorsqu’immergés dans notre expérience de jeu. Il s’agit ainsi d’opérer une distanciation du jeu et de l’immersion qu’implique l’activité ludique. L’objectif de ce papier est donc de montrer comment les jeux vidéo parviennent à susciter la réflexivité chez les joueurs et les joueuses et à l’orienter vers ce qu’ils vivent dans leur vie quotidienne.

Cette brève introduction permet d’illustrer ce que cette audience peut vivre. Les joueuses [4] effectuent des allers et retours entre les expériences qu’elles vivent dans le cadre d’un jeu vidéo et des situations de non-jeu. Bien que les représentations des jeux comme des expériences déconnectées de tout ce qui ne fait pas le jeu (Huizinga, 1936 ; Caillois, 1958) restent encore des références dans la façon de les conceptualiser, les joueuses ni vivent pas forcément aussi clairement cette distinction théorique. Le lieu et le moment dans lesquels peut émerger l’acte de jouer est d’ailleurs sujet à de nombreuses discussions. Ainsi, dire aujourd’hui qu’une joueuse ne joue et ne pense au jeu qu’à l’intérieur d’une aire intermédiaire d’expérience (Winnicott, 1975), entre le rêve et la réalité, n’est plus suffisant. Henriot, notamment, note notre incapacité à nous accorder sur une délimitation du jeu :

Le jeu continue d’apparaitre et de se détacher sur fond de non-jeu. Il y a certes, de plus en plus de choses auxquelles on se déclare prêt à attribuer le statut de jeu ; mais il en existe encore beaucoup d’autres que l’on se refuse à prendre pour telles. On n’en est pas encore à parler de jeu à propos d’une grève de la faim qui se prolonge. Cela viendra peut-être (Henriot, 1989, p. 63).

Plutôt que de penser le jeu comme un espace cloisonné, il est plus intéressant de le représenter comme un espace dont les frontières poreuses permettent à une joueuse en train de jouer de se questionner sur les actions qu’elle effectue dans le cadre du jeu mais aussi faire des allers et retours entre son expérience de jeu et sa propre réalité quotidienne :

We cannot say that games are magic circles, where the ordinary rules of life do not apply. Of course they apply, but in addition to, in competition with, other rules and in relation to multiple contexts, across varying cultures, and into different groups, legal situations, and homes (Consalvo, cité par Barnabé, 2015).

Ainsi, le jeu prend une dimension de métacommunication dans laquelle une joueuse réfléchit plus ou moins sur ses actions et dans laquelle elle met en relation de manière complexe l’ensemble de ses expériences vécues dans et en dehors du jeu. Ce sont donc ses allers et retours qui font la dimension réflexive du jeu. La réflexivité est posée par Bateson comme une condition nécessaire à l’émergence du jeu. Une situation ou un objet ne pourraient être reconnus comme ludiques « que si les organismes qui  s’y  livrent  sont  capables  d’un  certain  degré  de métacommunication, c’est-à-dire s’ils sont capables d’échanger des signaux véhiculant le message : »un jeu » » (Bateson, cité par Barnabé, 2015). Cependant, s’il semble y avoir un accord général sur la portée réflexive des jeux, a fortiori des jeux vidéo, encore peu de travaux définissent la réflexivité dans sa complexité ni la façon dont le game design suscite la posture réflexive (et sa portée) chez les joueuses. Il s’agit donc d’élaborer quelques pistes permettant de conceptualiser la réflexivité offerte par le jeu vidéo. D’abord, nous définirons la réflexivité dans le cadre des jeux vidéo, pour voir ensuite comment le rythme ménage des moments propices à cette attitude. Enfin, nous évoquerons l’importance des métaphores expérientielles dans l’orientation d’une démarche réflexive. Pour cela, nous proposerons des éléments d’analyse à partir des jeux The Witness¸The Beginner’s Guide et Undertale. ■

Esteban Grine, 2017.

Et la suite ?

Je ne diffuse pas pour l’instant l’article de manière totalement libre, par contre, je peux le transmettre sur demande. Pour ce faire, vous pouvez me contacter sur Twitter. Une autre façon de se procurer mon article est d’acheter le numéro 2 de la revue « Le Pardaillan » qui propose un excellent dossier sur le jeu et le jeu vidéo. Vous y trouverez notamment un passionnant article sur les relations entre Zelda et The Binding of Isaac, un article sur le jeu dans « le club des 5 », un autre sur les adaptations vidéoludiques de Dragon Ball et tout cela se trouve ici :

http://lataupemedite.michelzevaco.com/index.php/catalogue-le-pardaillan/?SingleProduct=7


[1] Giner, E., « “Paper, Please”, le racisme systémique et la banalisation de la Terreur – Lettre Ouverte », chroniquesvideoludiques.com, consulté le 28/02/2017, URL : http://www.chroniquesvideoludiques.com/la-banalisation-de-la-terreur-lettre-a-damastes/

[2] Chaque erreur dans le jeu est punie. Lorsque l’immigrant présente l’ensemble des pièces nécessaires, nous devons le laisser passer et lorsque ce n’est pas le cas, nous devons les en empêcher.

[3] Menée dans les années 1960, cette expérience avait pour objectif de tester le rapport à l’autorité des individus et notamment leur degré d’obéissance face à une autorité qu’ils considèrent légitime.

[4] A partir de ce moment, nous préférerons l’usage du féminin pour faire référence à l’ensemble des joueurs et joueuses.[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Le protocole des Sessions Innocentes

Les Sessions Innocentes sont une série que j’ai démarrée le 19 mars 2017 et qui s’inscrit dans le cadre de mes recherches. Pour mes travaux, j’ai besoin de réunir des données sur des personnes jouant à des jeux vidéo. Je m’intéresse particulièrement aux enjeux pédagogiques des jeux vidéo qui ne sont pas forcément prévus pour cela. Ainsi, j’exclue de mon corpus tous les serious games pour me concentrer principalement sur les jeux expressifs. Les jeux expressifs sont un méta-genre vidéoludique qui se concentre plutôt sur le ou les discours des jeux vidéo. Le concept a débord été développé par Sébastien Genvo (2013, 2016) et inspira d’autres notions comme par exemple les « jeux du réel », concept utilisé par certains développeurs. Si ces jeux n’ont pas pour volonté de convaincre le joueur, mais plutôt de lui faire ressentir une expérience (de vie par exemple), alors, ces jeux rentrent dans la définition que je donne des concepts.

Ainsi, afin de tester les différentes hypothèses que je développe, je mets en place plusieurs terrains de recherches dont un : les sessions innocentes. Celles que vous pouvez voir sur ma chaîne me permettent de travailler ma méthode de recherche qui s’inspire globalement du thinking aloud protocol. Je demande à mes participants de formuler à l’oral tout ce qu’ils voient et ce qu’ils font. L’objectif de cette méthode est de les forcer à adopter une posture réflexive : ils analysent leurs comportements en même temps qu’ils agissent. Aussi, ces vidéos  me permettent de constituer ce que l’on appelle un « corpus exemplatoire ». Cela signifie que de base, j’assume de ne pas réunir un échantillon représentatif de quoi que ce soit mais que les éléments le constituant me permettront d’illustrer mes propos lors d’une réflexion hypothético-déductive (dans ce type de réflexions, j’émets un ensemble d’hypothèses que je solidifie avec des exemples). Cette méthode peut faire émerger certains biais cognitifs, c’est pourquoi je fais très attention lorsque je l’emploie.

Suite à la publication de la première session innocente, j’ai eu de très nombreux retours positifs dont certaines personnes qui proposaient de réaliser elles-mêmes ce type de vidéo, me servant ainsi de matière première pour mes recherches. J’en suis extrêmement heureux, c’est génial de montrer que la communauté (si elle existe) s’intéresse aussi à des personnes qui ne jouent pas, ou très peu à des jeux vidéo. Cependant, il faut aussi que ces vidéos soient réalisées avec une certaines méthodes pour qu’elles soient pertinentes. C’est pourquoi dans cette article je vais développer la méthodologie que j’applique et qu’il faudra reproduire ainsi que des éléments techniques à destinations des futurs réalisateurices.

Méthodologie d’entretien

Les sessions innocentes sont des entretiens semi voire non-directifs menés en observation participante. C’est-à-dire que la personne qui mène l’entretien n’influence pas la direction de l’entretien en fonction d’un thème précis. Il est uniquement là pour observer et relancer la personne qui joue, éventuellement pour approfondir la pensée du ou de la joueuse. Voici un petit guide de la façon dont il faut mener l’entretien

  1. Installer le matériel
    1. s’il s’agit d’un jeu sur smartphone, il faut filmer l’écran du smartphone avec une caméra ou un appareil photo de sorte à aussi voir les gestes effectués, les mains.
    2. Idéalement, une deuxième caméra est installée de sorte à aussi filmer le visage de la personne. Si cette dernière refuse d’être filmée, il ne faut conserver alors que la caméra filmant les mains et les actions du ou de la joueuse.
    3. Pour tout autre jeu, idéalement, il faut une captation de l’écran de jeu. Vous pouvez en faire des simples avec des outils comme OBS ou encore Fraps bien que j’ai clairement une préférence pour OBS.
    4. L’ensemble des captations doivent être au minimum en 720p (soit un cadre de 1280 par 720p).
  2. Démarrer l’enregistrement.
  3. Énoncer clairement les consignes et s’assurer que le ou la joueuse les ait bien comprises. Les consignes sont les suivantes :
    1. « Tu/vous doit/devez énoncer tout ce que tu/vous vois/voyez à l’écran. »
    2. « Tu/vous doit/devez énoncer tout ce que tu/vous fais/faites. »
  4. A aucun moment vous ne devez prendre l’initiative sur la prise de parole.
  5. Vous avez le droit d’aider le ou la joueuse mais uniquement sur sollicitation de ce ou cette dernière.
  6. Vous ne devez jamais influencer l’itinéraire du ou de la joueuse, c’est lui ou elle qui a la manette (ou le clavier), vous ne devez jamais indiquer les objectifs à suivre. Si le ou la joueuse vous questionne sur un élément et son utilité, vous pouvez lui répondre. Cependant, vous devez d’abord lui demander si elle comprend ou pas cet élément. A l’issue de sa réponse, vous pouvez lui demander si elle souhaite que vous lui expliquiez totalement l’élément, si il ou elle répond par l’affirmative, alors, seulement, vous pouvez lui expliquer l’élément concernant (dans tous ses détails).
  7. A la suite de la session, vous pouvez tenir un entretien avec le/la joueuse afin de la questionner sur son/ses comportements. Une bonne façon de procéder, par exemple, est de lui recontextualiser une action qu’elle a faite puis de lui demander pourquoi elle l’a faite.
  8. Une fois que vous avez récupéré l’ensemble des rushs, il faut que vous fassiez le montage de la vidéo finale. Celle-ci doit montrer l’écran du/de la joueuse et sa personne en train de jouer de manière synchronisée. Je vous conseille, au début de l’enregistrement, de faire un clap. Je créerai peut-être un jingle que je mettrais à disposition de la communauté pour que vous puissiez l’utiliser avec la charte graphique des SessionsInnocentes ainsi que vous inclure en tant que créateur dans le cadre du projet élargi 😀

La Charte Graphique

J’utilise la police « Lato » pour les titres, principalement ses variantes, « light » et « black ». Je vous invite à utiliser les intros suivantes pour vos vidéos :

Vous pouvez les télécharger ici : liens des sources

Et après ?

Vous avez une totale liberté sur le titre de votre vidéo bien sûr mais je vous demande d’ajouter le  » – Session Innocente « . Aussi, je vous prie de bien vouloir ajouter un lien vers ma chaine youtube ainsi que vers mon site chroniquesvideoludiques.com car, mine de rien, cela me ferait plaisir et gagner en visibilité (concernant ce projet). Une fois que vous avez publié votre vidéo, contactez moi via Twitter (@EstebanGrine) ou Discord (celui de la revue LCV) pour me signaler son existence et je tâcherai de constituer une base de données de toutes les Sessions Innocentes (sous la forme d’un recueil sur le site) 😀

N’hésitez pas à me poser des questions si il persiste une zone de flou dans les commentaires de cet article. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Play Anything, le dernier livre de Ian Bogost

J’ai lu le dernier livre de Ian Bogost et je me suis dit, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas essayer de vous partager ce que j’en ai retenu ? Play anything n’est pas un livre sur le jeu ou sur le jeu vidéo. Bogost a déjà écrit ce qu’il avait à dire sur le sujet. Non. Play Anything, c’est un essai philosophique sur comment appréhender la vie de manière générale.

Ce livre n’a pas pour objectif d’être exhaustif dans ses sources, ni même scientifique dans son contenu. On pourrait alors critiquer cette démarche qui se veut plus sensorielle et personnelle que factuelle et rigoureuse. Et pourtant, j’ai beaucoup aimé ce livre et les propos qui y sont tenus mais peut-être que pour expliquer cela, je dois vous parler un peu de moi.

J’ai une certaine tendance à visualiser tout ce qui m’entoure sous la forme de jeux respectant des mécaniques ludiques. La loi, les relations sociales et les comportements des individus respectent pour moi des règles de jeux. C’est très loin d’une représentation parfaite du monde, je vous le concède. Pourtant, c’est celle que j’ai choisi et qui me convient le mieux aujourd’hui pour appréhender l’univers et ses règles.

Tout commence par un Terrain de Jeu

Alors, je ne dis pas que l’univers est un jeu, et Bogost ne serait pas d’accord avec cette idée non plus. Au contraire, pour lui la réalité n’a pas à être définie comme un jeu. Cependant, elle contient ce qu’il appelle des situations pouvant devenir des terrains de jeux. Et potentiellement, tout peut être propice au jeu. Là, il fait référence au concept de jouabilité d’un chose. Plus une situation possède une jouabilité élevé et plus il est possible de mettre en place un jeu à l’intérieur de celle-ci. Bogost nous dit que la plupart des situations de la vie sont jouables : se balader dans un magasin, aller au cinéma, se promener dans la rue, faire la vaisselle, le ménage. Toutes ces situations sont propices à la mises en place de ce qu’il appelle un “terrain de jeu”. Même s’il n’évoque pas le concept de Ludification au sens de Raessens. Nous pourrions y voir une critique, cependant, il convient dès à présent de dire que le concept de ludification est un concept anthropocentriste : c’est-à-dire que c’est de l’humain qui est ) l’origine des terrains de jeu . Or, Bogost, comme nous l’apprenons plus tard dans le texte, propose une vision de excentrée : les terrains de jeu proviennent des objets eux-mêmes selon Bogost. Le concept de ludification ne fait donc pas sens dans l’ouvrage de Bogost.

Et contrairement à de nombreux chercheurs  qui le précédent (Huizinga entre autres), Bogost rejette l’idée que le jeu est une forme d’échappatoire, qu’il serait distinct de la réalité.  Au contraire, la mise en place de “terrains de jeu”, c’est-à-dire un espace plus ou moins définis dans lequel le jeu se produit, nécessite selon Bogost précisément d’accepter la réalité telle qu’elle se présente à nos yeux. Et pour ce faire, il est nécessaire d’observer les choses qui nous entourent et de reconnaître leur existence sans jugement de valeur. En effet, Bogost nous pose une question très simple au début de son livre : pourquoi les enfants arrivent toujours à inventer des jeux dans n’importe quelle situation ? L’on peut penser aux enfant qui dans un magasin cherche à ne marcher que sur certaines dalles du sols par exemple. Bogost demande au lecteur pourquoi les adultes ne font pas la même chose ? Selon lui, les adultes observent et acceptent moins les objets qui les entourent. Or, en reprenant Don Norman, Bogost pose l’hypothèse que c’est en observant et en acceptant les choses que l’on peut voir leurs affordances, c’est à dire l’ensemble des possibilités qu’elles offrent.

L’Ironie : l’ennemie du Jeu

Et si en tant qu’adultes, nous ne voyons plus les affordances des objets et des choses qui nous entourent, c’est, selon Bogost, à cause de l’ironie dont nous faisons preuve la plupart du temps. Il définit l’Ironie comme une stratégie de distanciation. Nous faisons preuve d’Ironie au sens de Moquerie comme d’une forme d’autodéfense. L’objectif est alors de pouvoir rapidement se protéger lorsqu’un objet nous fait défaut. Il énonce alors que nous souffrons de ce qu’il appelle l’Ironoïa : la peur des choses. Cette ironoïa doit se comprendre comme une forme de paranoïa dirigée vers les objets. Mais ce n’est pas tout. L’ironoïa est aussi paradoxale dans le sens où c’est aussi une méthode pour garder les objets qui nous entoure à une certaine proximité. Ainsi, nous gardons les choses, les phénomènes à proximité mais sommes prêts à nous en distancer au moindre problème qui pourrait survenir. Par ailleurs, Bogost rapproche beaucoup l’Ironoia du sentiment de nostalgie : cet idéal inatteignable nous obligeant à limiter ce que nous pouvons attendre des choses puisque de toute façon, nous serons déçus. Dès lors, notre ironie nous empêche de pouvoir voir la jouabilité des situations.  C’est pourquoi Bogost critique cette posture puisque c’est ce qui celui-lui nous empêche de jouer.

Pourtant, malgré notre inhérence à être ironique, cela ne nous empêche pas de rechercher l’amusement lorsque l’on joue. Mais Bogost questionne véritablement notre capacité à définir ce qui est l’amusement, ce qui est fun. En effet, on utilise l’adjectif “fun” pour caractériser un bon jeu vidéo. Mais ici, nous utilisons “fun” comme si nous utilisions l’adjectif “bon” pour un livre ou un film. De même, nous associons l’idée d’amusement à l’idée de plaisir mais Bogost confronte cette hypothèse à la réalité. Le constat qu’il propose serait même plutôt l’inverse. A partir d’une série non exhaustive d’exemples, il énonce que les situations mémorables et celles durant lesquelles nous nous sommes le plus amusés ne sont pas forcément liés aux situations pendant lesquelles nous avons été les plus heureux.

Définir l’amusement par la nouveauté

De même, ce n’est pas quand nous nous sentons en équilibre dans une situation que nous nous amusons, au contraire, nous serions plutôt dans un état proche de l’ennui. Bogost en profite également pour critiquer ouvertement l’association d’idées entre l’amusement et la théorie du flow. En effet, la théorie du flow énonce qu’il existerait une zone intermédiaire entre facilité et difficulté dans laquelle les individus sont totalement en phase avec l’activité qu’ils sont en train de réaliser. Dès lors, habituellement, cette zone est vue comme l’espace dans lequel les individus peuvent s’amuser. Or, Bogost critique ouvertement cela en expliquant qu’au contraire, la théorie du flow ne nous pousse pas à découvrir et à sortir de notre zone de confort, même si la difficulté augmente par rapport à ce que nous avons connu, celle-ci se retrouve toujours équivalente à ce que nous pouvons réaliser.

Ainsi donc, pour Bogost, la recherche de l’amusement ne correspond pas à la recherche du plaisir mais plutôt la recherche de ce qui sera mémorable. Autrement formulé, le fun est fortement lié à la recherche de la nouveauté. Et découvrir la nouveauté n’est possible qu’en observant les choses et le monde sans faire preuve d’ironie. Il est nécessaire d’accepter les choses telles qu’elles sont afin de pouvoir voir la nouveauté, symbolisée par la découverte de nouvelles affordances. S’amuser, c’est donc chercher de nouvelles applications aux choses qui nous entourent. Et pour cela, il faut savoir poser son regard sans jugement.  Il est d’ailleurs intéressant de noter que le mot “fun” anglophone provient de “Fool”. Ce personnage est lui aussi pertinent puisqu’au moyen-âge, le fou avait le rôle d’observer et de proposer des interprétations afin d’épauler les décideurs dans leurs choix. C’est en adoptant la posture du Fou que nous pouvons voir ce qui nous entoure sous la forme de terrain de jeu. Bogost nous dit qu’il suffit d’accepter la réalité telle qu’elle sans ironie et avec humilité pour comprendre que de nombreuses situations sont jouables.

C’est l’objet qui est ludique, l’humain n’a rien à voir avec cela.

Ces derniers propos sont aussi révélateurs de ce que que pense Bogost de ses prédécesseurs. En effet, pendant les premiers chapitres, il décrit un être humain qui n’est pas forcément par nature joueur, dans le sens où l’attitude ludique si chère à de nombreux chercheurs, est en fait quelque chose de bien plus complexe qu’il n’y paraît. Dès lors, Bogost fait le postulat que l’attitude ludique est bien plus contextuelle qu’intrinsèque. En effet, plutôt que de voir l’humain comme étant le point de départ d’un acte de jeu, il propose d’orienter la discussion vers les objets. C’est dans ces derniers que se trouve le jeu et non dans les Femmes et Hommes. C’est donc un objet quel qu’il soit qui possède le caractère (l’attitude ?) ludique, caractère attribué à l’humain par Huizinga et tous les chercheurs s’en inspirant.

Bogost propose de rompre avec la tradition mais il est évident que cette remarque peut très facilement s’inscrire dans une démarche constructiviste. De même, il ne s’agit finalement que de réencastrer l’acte de Jeu dans un contexte fait de relations sociales et dans un milieu précis. Ainsi, si les propos de Bogost sont pertinents, il ne sont ne sont pas novateurs. Ils cristallisent cependant dans la recherche anglosaxonne des propos qui ont déjà été abordés dans la recherche francophone (lorsque l’on parle de la nécessaire prise en compte du contexte de jeu et la mise en exergue des relations entre les agents de l’acte de jeu).

Cependant, outre cette critique que nous venons de lui adresser, il convient de faire remarquer notre sympathie pour les propos tenus. De même, la définition de “jouer” proposé par Bogost est relativement pertinente. En effet, il définit l’acte de jouer comme “The work of processing something”, ce qui donne en français moyen : “l’acte de manipuler quelque chose”. Si cette définition semble naïve, il convient de prendre en compte tous les propos précédemment tenus par Bogost. En effet, selon l’auteur, pour jouer, il est nécessaire d’observer sans ironie le monde et les objets qui nous entourent. Autrement dit, cette définition indique que jouer signifie “découvrir les affordances d’un objet”. Encore une fois, il est nécessaire de rappeler que l’amusement se trouve dans la découverte de la nouveauté selon Bogost et cette découverte n’est rendue possible qu’en exploitant, qu’en manipulant sans ironie les objets qui nous entourent.

Pour parler du Jeu, il faut parler des Contraintes

Dès lors, avec tout ce qui vient d’être dit, nous pourrions supposer qu’il est très facile de s’amuser puisqu’il ne suffit finalement que d’observer et de manipuler. Or, Bogost prend le contrepied de cette hypothèse. Cependant, encore une fois, ses propos ne sont en rien novateurs. Bogost énonce que c’est sous la contrainte que le “jeu” peut naître. Pour soutenir son propos, il part de la création artistique et énonce que si l’artiste est totalement libre de créer ce qu’il veut, il risque de ne finalement rien créer. Or c’est en s’infligeant des contraintes techniques, matériels ou comportementales que l’artiste peut créer des oeuvres d’Art. Nous retrouvons ici un postulat relativement classique dans l’Histoire de l’Art, en esthétique et dans la recherche sur le Jeu puisque les premiers travaux de Huizinga énonçaient déjà que les jeux nécessitent l’installation de contraintes. Ces contraintes prennent la forme de règles du jeu plus ou moins permissives.

Ainsi, plus on va se fixer de contraintes et plus nous aurons de facilités à adopter une attitude ludique. Cependant, Bogost critique la vision anthropocentriste des précédents penseurs ayant travaillé sur cette notion. Ici, l’une des faiblesses de Bogost est qu’il se repose principalement sur les apports de Huizinga, qui datent de 1936, or de nombreux penseurs ont retravaillé cette notion, Henriot (1969 et 1989, faisant de lui un précurseur avant Caillois) entre autres. Ainsi plutôt que d’énoncer que le jeu provient des êtres vivants, il énonce contrairement à cela qu’il provient originellement des objets entourant les êtres vivants. Ainsi, reformulé, nous jouons non pas sur notre propre initiative mais parce que ce sont les objets eux-mêmes qui possède dans une certaine mesure une ou des affordances propices à l’apparition de terrains de jeu. L’être humain quand à lui doit se défaire de son ironie, de son ironoïa, afin de pouvoir observer et comprendre les applications ludiques, déjà présentes intrinsèquement, des objets. Finalement, “jouer” pour Bogost, c’est discerner le(s) sens ludique(s) que peuvent avoir des objets et qui existent déjà. Il n’est donc pas question d’inventer des jeux mais plutôt de les découvrir. Enfin, Bogost conclut cette partie sur la nécessité de respecter les objets pour ce qu’ils sont. Il s’agit ici d’appuyer son propos sur l’origine des jeux. Ceux-ci proviennent d’abord des objets et ce sont ensuite les humains qui les “découvrent”.

Conclusion de l’ouvrage

Ainsi donc, comme nous avons pu le montrer lors de notre note de lecture, “Play Anything” soutient la thèse suivante : ce sont les objets et l’environnement eux-mêmes qui contiennent ce que Bogost nomme les “terrains de jeu”. Ce n’est donc pas l’humain qui donne un sens ludique aux choses qui l’entourent mais c’est celui qui découvre ce sens intrinsèque aux objets, à condition de s’être défait de son ironoïa, de sa peur des objets.

L’ouvrage de Bogost, comme énoncé, ne propose pas une réflexion particulière sur les jeux vidéo ou sur les jeux. Au contraire, il s’agit plutôt d’un essai philosophique sur notre conception du jeu et de comment jouer avec/dans la vie de tous les jours. Contrairement à ce qui a pu être ébauché en philosophie ou dans la recherche par le passé, Bogost choisit de détourner son regard de l’être humain (ou tout être vivant) pour valoriser les objets et l’environnement. L’intérêt de cette démarche est bien entendu de se défaire d’une vision anthropocentriste du jeu en considérant que le ludique fait partie intrinsèquement des objets. Pour Bogost, c’est aussi une façon proposer une vision plus humble de ce qu’est le jeu et ce pour deux raisons. Premièrement, ôter cette caractéristique de l’être humain permet de minimiser l’importance de son rôle dans l’acte de jouer tout en revalorisant les objets (les structures de jeu) et secondement, comme il énonce au début de sa réflexion, “jouer” nécessite d’observer le monde qui nous entoure tel qu’il l’est et de l’accepter. Bogost nous dit clairement qu’il faut “embrasser le monde qui nous entoure”, que jouer, c’est « faire ce que l’on veut avec les choses qui nous sont données ».

Discussions, limites et ouvertures

Cependant, plusieurs limites se font sentir dans cette réflexion. Premièrement, il nous aurait semblé plus pertinent de s’intéresser de manière plus approfondie aux relations entre les objets et les joueurs. En effet, à force de vouloir mettre en avant les objets et le contexte, Bogost formule non pas une représentation fondamentalement différente de ce qu’est le jeu mais simplement une inversion des rôles. Cependant, force est d’admettre que l’idée d’associer la caractéristique du jeu directement à l’objet est séduisante mais cela suscite de nouvelles questions que Bogost n’aborde pas. En effet, il place l’humain en tant que “découvreur” du sens ludique préexistant mais nous pouvons interroger dans quelle mesure celui-ci peut prétendre à ce rôle. Selon Bogost, il suffit de se défaire de son ironie afin d’observer le monde à sa juste valeur, cependant, des travaux comme ceux de José P. Zagal (2010) ont déjà approfondi cette piste de recherche en questionnant la littératie vidéoludique des individus. Dès lors, bien que les travaux de ces deux auteurs ne soient pas exclusifs, il convient de s’interroger sur les similitudes et les réponses qu’ils proposent.

De même, dans la réflexion de Bogost, le contexte historique et sociologique des individus n’est que très peu abordé or d’autres chercheurs (Henriot, Genvo entre autres) ont déjà noté l’importance de la prise en compte de ce contexte pragmatique dans la mise en place d’une situation de jeu : ce qui est jeu dans un contexte historique et géographique ne l’est pas forcément dans un autre. De même, malgré les revendication d’humilité de Bogost, la thèse du livre se repose beaucoup trop sur une vision individualiste. Proposer des axes de recherches à un niveau macro socioculturel aurait été pertinent. Par exemple, nous pourrions nous demander dans quelle mesure le regarde de l’Autre impacte la mise en place d’un terrain de jeu ? Comment un jeu est socialement validé ou critiqué ? Pour reprendre Bogost, il suffirait d’énoncer que tout cela se regroupe dans ce qu’il appelle les contraintes nécessaires à l’apparition du jeu mais afin de poursuivre cette réflexion, il conviendrait de s’interroger sur la part que chacune des contraintes peut avoir sur les terrains de jeu.

Par ailleurs, il convient de remarquer qu’à un moment dans l’ouvrage, Bogost critique la théorie du Flow de Mihaly Csikszentmihalyi en énonçant que finalement, si l’on cherche toujours à rester dans une certaine zone de confort, cela ne correspond pas à la définition de Bogost de l’amusement. Bogost accuse à raison la théorie du Flow d’un certain conservatisme. Cependant, la conclusion de Bogost ne propose finalement pas non plus de s’émanciper d’un certain « statu quo » avec l’environnement dans lequel on se trouve. Bien que l’on pourrait argumenter que sa proposition permet efficacement de justifier les processus d’innovations (l’on pourrait d’ailleurs s’amuser à tisser des liens entre la pensée de Bogost et celle de Schumpeter à propos de l’entrepreneur), cela ne s’appliquerait pas forcément dans des situations critiques comme celle d’une dictature. En effet, l’une des limites de la thèse de « Play Anything » est que le jeu n’émerge que de situations et de règles préexistantes au joueur, or cette réflexion ne prend pas en compte de manière détaillée et constatable les changements de règles formalisés par exemple par des changements de paradigmes scientifiques (l’apparition d’une nouvelle théorie) ou politiques (les révolutions sont justement le renversement d’un système de règles). ■

Esteban Grine, 2016

(modifié le 18/10/2016, ajout d’un paragraphe dans la partie « discussions, limites et ouvertures »)