La nécessaire déconstruction du joueur-lecteur

La nécessaire déconstruction du joueur-lecteur

Depuis les années 1990 et le colonialisme de la narratologie sur les jeux vidéo, il est facile mais pertinent d’amalgamer le.a joueur.euse de jeux vidéo à un.e lecteur.ice. Je souhaite donc discuter brièvement de ce sujet car cela touche finalement à un positionnement épistémologique important duquel je ne pourrai pas me soustraire.

Lorsqu’Aarseth termine sa thèse et publie Cybertext en 1997, il assimile les jeux vidéo à des formes, peut-être un peu plus élaborées que les autres, de textes. Chose grandement aisée dans les recherches anglosaxonnes puisqu’une petite histoire de la pensée attribue à Mc Luhan (1964) la paternité plus ou moins directe de nombreuses réflexions ayant ce postulat. Et c’est à mon sens le cas ici. Malgré les Derrida, Barthes et autres, l’apparition de Mc Luhan dans de nombreux ouvrages en media studies témoigne de sa pensée prolifique. Il y a chez lui notamment une conception particulière des médias dans le sens où le contenu d’un média est toujours un autre média. Il faut savoir que Mc Luhan voit alors le monde uniquement à travers le prisme de média, où toute chose est média contenant un autre média tels des poupées russes. Ainsi, un exemple simple de la chose serait de dire que la télévision, média par excellence des 30 glorieuses, contient le média « image », le média « son ». Ce dernier est la transcription sonore du média « texte » qui quant à lui contient la « parole » d’un.e individu.e, parole sensée représenter la « pensée » d’un.e individu.e.

En voilà un raccourci particulièrement intéressant ! chaque média contient un autre média, cela veut donc dire qu’un chercheur, par simple transitivité, peut aller observer ce qu’il se passe dans un objet d’étude qui lui est plus ou moins éloigné ! Si les jeux vidéo ne contiennent finalement que des livres, pourquoi les joueurs ne seraient-ils pas de simples lecteurs ?

Trêve de plaisanterie, la pensée de Mc Luhan à ce sujet est particulièrement intéressante dans le sens où un objet compliqué peut alors se décomposer un plusieurs objets déjà connus : le jeux vidéo est-il encore trop compliqué ? Ce n’est pas grave car il contient images et récits. Dès lors, nous pourrions analyser ces objets avec des modèles, des types de structures déjà connus issues du cinéma ou de la littérature et ce serait en plus particulièrement efficace, à défaut de pouvoir réussir ce pari dans 100% des cas.

Il n’y a pas une audience uniforme aux médias, aux œuvres

Voilà le nœud pourtant du problème dans mes observations : observer l’objet ne doit pas nous inciter à faire des amalgames avec les autres paramètres de l’expérience vécue avec l’œuvre ou pire, les réduire à l’inexistant, comme le font bon nombre de procéduralistes à propos des joueurs.euses. L’audience, elle, est encore et toujours la cinquième roue du carrosse, le canard boiteux, le mauvais élève, l’âne de la recherche, celui ou celle dont l’œuvre peut se passer pour exister. Or sa caractérisation doit nous permettre une meilleure compréhension de l’œuvre et de l’expérience que cette dernière suscite et la première chose qu’il me semble intéressant de faire est de faire table rase du vocabulaire déjà existant. Assimiler le.a joueur.euse au.à la lecteur.ice peut semble pertinent au premier abord car cela invite immédiatement la personne nous écoutant à faire des ponts entre son vécu en tant que lecteur.ice et sa potentielle expérience en tant que joueur.euse. On s’imagine alors être le.a découvreur.euse du récite, celui.celle qui dévoile et révèle le mystère au recoin d’une page ou grâce à une manette. Mais une fois que nous avons dit cela, n’avons nous pas tout dit du joueur-lecteur ?

N’est-ce pas là un travers terrible de cet amalgame tandis que des auteurs anglosaxons en théorie de l’art ont déjà dépassé ? Kendall Walton, avec sa make-believe theory, fait de l’œuvre créée par l’artiste un simple outil propice à libérer l’imagination de son observateur. L’audience devint alors cocréatrice de l’expérience vécue. Que l’artiste garde son œuvre pour lui.elle seul.e s’il.elle ne veut pas accepter cela ! Dans ce cadre, l’intérêt n’est même plus de savoir qui est auteur de quoi. Cela nous invite à nous interroger sur ce qui est finalement intéressant d’observer. Frome (2006) par exemple parle bien plus d’expériences. Il s’intéresse aussi à caractériser les audiences et les émotions suscitées par une œuvre. Voilà par exemple un angle intéressant pour déconstruire le joueur-lecteur. Dans les deux cas, il s’agit globalement d’un individu faisant un effort non négligeable pour parcourir une œuvre. Cependant, les sentiments suscités sont-ils les mêmes et en fonction de quoi ? Frome nous soutiendrait que non.

En distinguant le participant-observateur du participant-acteur dans l’expérience, Frome explique que les émotions ressenties ne sont pas du tout les mêmes en fonction des arts dans lesquels s’inscrivent les expériences vécues. Prenons une situation scénarisée et hypothétique d’un choix cornélien faire. En tant qu’observateur de ce choix (par exemple si nous sommes lecteur), nous allons ressentir un désir pour que le protagoniste choisisse une solution plutôt qu’une autre et une fois le choix réalisé, nous allons être soit heureux soit en colère, ou triste, etc. Pourtant, si nous sommes acteur par exemple en étant joueur), une fois le choix fait, allons-nous ressentir les mêmes émotions ? Je fais l’hypothèse que non, peut importe le choix, nous manquerons d’information pour pouvoir juger de cela immédiatement, pire, nous pourrions ressentir du regret. Frome pose la question suivante : est-ce que le regret ressenti par un participant vis-à-vis d’un événement d’un récit composant une œuvre  est le même, peu importe le fait d’être observateur ou participant, lecteur ou joueur ? Au-delà de la question philosophique, l’évidence montre à quel point le joueur est différent du lecteur, dans son comportement, dans les émotions ressenties, dans la gestion du temps, du stress, etc. Plus que le reste, il m’est nécessaire de sortir de vocabulaire pour parler de « participants », « d’expériences » plutôt que « joueurs » ou d’œuvres ».

Ici gît le dilemme donné au chercheur supposant trop rapidement le.a joueur.se de jeux vidéo comme un.e simple lecteur.ice. Je suppose nécessaire l’émancipation du joueur du cadre du lecteur (surtout que les réflexions sur les audiences ne nous ont pas attendus). Celle-ci bien qu’importante à mes yeux, n’est pas si primordiale que cela en fonction des objets de recherche de chacun.e. Or, il se trouve que je me sens plus en phase avec mon objet, ma méthodologie et mes ambitions de recherches en posant l’hypothèse que le.a joueur.euse n’est pas/plus un.e simple lecteur.ice. Au contraire, c’est par cette émancipation, aussi artificielle soit-elle pour celui ou celle qui me lit, que mes recherches ont un semblant d’intérêt. ■

Esteban Grine, 2017.

Susciter la réflexivité par les mécaniques ludiques

Bonjour à tous, voici l’introduction de mon article publié dans la revue « Le Pardaillan ». Vous pouvez lire les premières lignes ici. Je vous invite aussi à commander la revue pour avoir accès à plein d’articles passionnants sur les jeux et les jeux vidéo ou venir me demander l’article sur Twitter ou Discord. Votre achat permettra de soutenir la jeune recherche francophone 🙂

 

Giner, E., 2017, Inciter à la réflexivité par les mécaniques ludiques : une analyse comparée de The Witness, Undertale et The Beginner’s Guide, Le Pardaillan, Paris.

Dans une lettre ouverte à un ami, j’exprimai les réflexions que j’ai eues à l’issue de plusieurs sessions sur le jeu « Papers, Please » (Pope, 2013). Ce jeu évoque la « banalité du mal » (Arendt, 1963) sous son esthétique soviétique et sa critique des anciennes autocraties de l’Europe de l’Est. Nous y incarnons un agent gouvernemental chargé du contrôle des immigrants. Ces derniers doivent présenter un certain nombre de papiers requis par notre hiérarchie et nous avons le choix de les laisser passer ou de les en empêcher en totale connaissance de cause [2]. L’intérêt du jeu réside principalement dans le fait qu’au fur et à mesure de la progression, les règles établies par nos supérieurs vont se faire plus nombreuses, contradictoires d’un jour à l’autre, changeantes au gré des envies. Ce jeu nous propose de ressentir ce que nous aurions pu vivre à ce type de métiers et dans ces régimes politiques. Son discours se rapproche des résultats obtenus par l’expérience de l’expérience de Milgram [3]. L’une des conclusions que peuvent tirer les joueurs de Papers, Please est que même si l’autorité est considérée comme amorale et que ses décisions entrent en conflit avec le système éthique de ses salariés, ces derniers les appliquent malgré tout. Ce message pessimiste mérite d’être considéré : il est possible de tirer des conclusions éthiques quotidiennes d’un simple jeu. Pour arriver à cette réflexion, il a fallu observer notre comportement dans le jeu, nous en distancer puis raccrocher cela à notre réalité, ce qui demande un certain effort de réflexion qui peut être complexe lorsqu’immergés dans notre expérience de jeu. Il s’agit ainsi d’opérer une distanciation du jeu et de l’immersion qu’implique l’activité ludique. L’objectif de ce papier est donc de montrer comment les jeux vidéo parviennent à susciter la réflexivité chez les joueurs et les joueuses et à l’orienter vers ce qu’ils vivent dans leur vie quotidienne.

Cette brève introduction permet d’illustrer ce que cette audience peut vivre. Les joueuses [4] effectuent des allers et retours entre les expériences qu’elles vivent dans le cadre d’un jeu vidéo et des situations de non-jeu. Bien que les représentations des jeux comme des expériences déconnectées de tout ce qui ne fait pas le jeu (Huizinga, 1936 ; Caillois, 1958) restent encore des références dans la façon de les conceptualiser, les joueuses ni vivent pas forcément aussi clairement cette distinction théorique. Le lieu et le moment dans lesquels peut émerger l’acte de jouer est d’ailleurs sujet à de nombreuses discussions. Ainsi, dire aujourd’hui qu’une joueuse ne joue et ne pense au jeu qu’à l’intérieur d’une aire intermédiaire d’expérience (Winnicott, 1975), entre le rêve et la réalité, n’est plus suffisant. Henriot, notamment, note notre incapacité à nous accorder sur une délimitation du jeu :

Le jeu continue d’apparaitre et de se détacher sur fond de non-jeu. Il y a certes, de plus en plus de choses auxquelles on se déclare prêt à attribuer le statut de jeu ; mais il en existe encore beaucoup d’autres que l’on se refuse à prendre pour telles. On n’en est pas encore à parler de jeu à propos d’une grève de la faim qui se prolonge. Cela viendra peut-être (Henriot, 1989, p. 63).

Plutôt que de penser le jeu comme un espace cloisonné, il est plus intéressant de le représenter comme un espace dont les frontières poreuses permettent à une joueuse en train de jouer de se questionner sur les actions qu’elle effectue dans le cadre du jeu mais aussi faire des allers et retours entre son expérience de jeu et sa propre réalité quotidienne :

We cannot say that games are magic circles, where the ordinary rules of life do not apply. Of course they apply, but in addition to, in competition with, other rules and in relation to multiple contexts, across varying cultures, and into different groups, legal situations, and homes (Consalvo, cité par Barnabé, 2015).

Ainsi, le jeu prend une dimension de métacommunication dans laquelle une joueuse réfléchit plus ou moins sur ses actions et dans laquelle elle met en relation de manière complexe l’ensemble de ses expériences vécues dans et en dehors du jeu. Ce sont donc ses allers et retours qui font la dimension réflexive du jeu. La réflexivité est posée par Bateson comme une condition nécessaire à l’émergence du jeu. Une situation ou un objet ne pourraient être reconnus comme ludiques « que si les organismes qui  s’y  livrent  sont  capables  d’un  certain  degré  de métacommunication, c’est-à-dire s’ils sont capables d’échanger des signaux véhiculant le message : »un jeu » » (Bateson, cité par Barnabé, 2015). Cependant, s’il semble y avoir un accord général sur la portée réflexive des jeux, a fortiori des jeux vidéo, encore peu de travaux définissent la réflexivité dans sa complexité ni la façon dont le game design suscite la posture réflexive (et sa portée) chez les joueuses. Il s’agit donc d’élaborer quelques pistes permettant de conceptualiser la réflexivité offerte par le jeu vidéo. D’abord, nous définirons la réflexivité dans le cadre des jeux vidéo, pour voir ensuite comment le rythme ménage des moments propices à cette attitude. Enfin, nous évoquerons l’importance des métaphores expérientielles dans l’orientation d’une démarche réflexive. Pour cela, nous proposerons des éléments d’analyse à partir des jeux The Witness¸The Beginner’s Guide et Undertale. ■

Esteban Grine, 2017.

Et la suite ?

Je ne diffuse pas pour l’instant l’article de manière totalement libre, par contre, je peux le transmettre sur demande. Pour ce faire, vous pouvez me contacter sur Twitter. Une autre façon de se procurer mon article est d’acheter le numéro 2 de la revue « Le Pardaillan » qui propose un excellent dossier sur le jeu et le jeu vidéo. Vous y trouverez notamment un passionnant article sur les relations entre Zelda et The Binding of Isaac, un article sur le jeu dans « le club des 5 », un autre sur les adaptations vidéoludiques de Dragon Ball et tout cela se trouve ici :

http://lataupemedite.michelzevaco.com/index.php/catalogue-le-pardaillan/?SingleProduct=7


[1] Giner, E., « “Paper, Please”, le racisme systémique et la banalisation de la Terreur – Lettre Ouverte », chroniquesvideoludiques.com, consulté le 28/02/2017, URL : http://www.chroniquesvideoludiques.com/la-banalisation-de-la-terreur-lettre-a-damastes/

[2] Chaque erreur dans le jeu est punie. Lorsque l’immigrant présente l’ensemble des pièces nécessaires, nous devons le laisser passer et lorsque ce n’est pas le cas, nous devons les en empêcher.

[3] Menée dans les années 1960, cette expérience avait pour objectif de tester le rapport à l’autorité des individus et notamment leur degré d’obéissance face à une autorité qu’ils considèrent légitime.

[4] A partir de ce moment, nous préférerons l’usage du féminin pour faire référence à l’ensemble des joueurs et joueuses.[/fusion_builder_column][/fusion_builder_row][/fusion_builder_container]

Le protocole des Sessions Innocentes

Les Sessions Innocentes sont une série que j’ai démarrée le 19 mars 2017 et qui s’inscrit dans le cadre de mes recherches. Pour mes travaux, j’ai besoin de réunir des données sur des personnes jouant à des jeux vidéo. Je m’intéresse particulièrement aux enjeux pédagogiques des jeux vidéo qui ne sont pas forcément prévus pour cela. Ainsi, j’exclue de mon corpus tous les serious games pour me concentrer principalement sur les jeux expressifs. Les jeux expressifs sont un méta-genre vidéoludique qui se concentre plutôt sur le ou les discours des jeux vidéo. Le concept a débord été développé par Sébastien Genvo (2013, 2016) et inspira d’autres notions comme par exemple les « jeux du réel », concept utilisé par certains développeurs. Si ces jeux n’ont pas pour volonté de convaincre le joueur, mais plutôt de lui faire ressentir une expérience (de vie par exemple), alors, ces jeux rentrent dans la définition que je donne des concepts.

Ainsi, afin de tester les différentes hypothèses que je développe, je mets en place plusieurs terrains de recherches dont un : les sessions innocentes. Celles que vous pouvez voir sur ma chaîne me permettent de travailler ma méthode de recherche qui s’inspire globalement du thinking aloud protocol. Je demande à mes participants de formuler à l’oral tout ce qu’ils voient et ce qu’ils font. L’objectif de cette méthode est de les forcer à adopter une posture réflexive : ils analysent leurs comportements en même temps qu’ils agissent. Aussi, ces vidéos  me permettent de constituer ce que l’on appelle un « corpus exemplatoire ». Cela signifie que de base, j’assume de ne pas réunir un échantillon représentatif de quoi que ce soit mais que les éléments le constituant me permettront d’illustrer mes propos lors d’une réflexion hypothético-déductive (dans ce type de réflexions, j’émets un ensemble d’hypothèses que je solidifie avec des exemples). Cette méthode peut faire émerger certains biais cognitifs, c’est pourquoi je fais très attention lorsque je l’emploie.

Suite à la publication de la première session innocente, j’ai eu de très nombreux retours positifs dont certaines personnes qui proposaient de réaliser elles-mêmes ce type de vidéo, me servant ainsi de matière première pour mes recherches. J’en suis extrêmement heureux, c’est génial de montrer que la communauté (si elle existe) s’intéresse aussi à des personnes qui ne jouent pas, ou très peu à des jeux vidéo. Cependant, il faut aussi que ces vidéos soient réalisées avec une certaines méthodes pour qu’elles soient pertinentes. C’est pourquoi dans cette article je vais développer la méthodologie que j’applique et qu’il faudra reproduire ainsi que des éléments techniques à destinations des futurs réalisateurices.

Méthodologie d’entretien

Les sessions innocentes sont des entretiens semi voire non-directifs menés en observation participante. C’est-à-dire que la personne qui mène l’entretien n’influence pas la direction de l’entretien en fonction d’un thème précis. Il est uniquement là pour observer et relancer la personne qui joue, éventuellement pour approfondir la pensée du ou de la joueuse. Voici un petit guide de la façon dont il faut mener l’entretien

  1. Installer le matériel
    1. s’il s’agit d’un jeu sur smartphone, il faut filmer l’écran du smartphone avec une caméra ou un appareil photo de sorte à aussi voir les gestes effectués, les mains.
    2. Idéalement, une deuxième caméra est installée de sorte à aussi filmer le visage de la personne. Si cette dernière refuse d’être filmée, il ne faut conserver alors que la caméra filmant les mains et les actions du ou de la joueuse.
    3. Pour tout autre jeu, idéalement, il faut une captation de l’écran de jeu. Vous pouvez en faire des simples avec des outils comme OBS ou encore Fraps bien que j’ai clairement une préférence pour OBS.
    4. L’ensemble des captations doivent être au minimum en 720p (soit un cadre de 1280 par 720p).
  2. Démarrer l’enregistrement.
  3. Énoncer clairement les consignes et s’assurer que le ou la joueuse les ait bien comprises. Les consignes sont les suivantes :
    1. « Tu/vous doit/devez énoncer tout ce que tu/vous vois/voyez à l’écran. »
    2. « Tu/vous doit/devez énoncer tout ce que tu/vous fais/faites. »
  4. A aucun moment vous ne devez prendre l’initiative sur la prise de parole.
  5. Vous avez le droit d’aider le ou la joueuse mais uniquement sur sollicitation de ce ou cette dernière.
  6. Vous ne devez jamais influencer l’itinéraire du ou de la joueuse, c’est lui ou elle qui a la manette (ou le clavier), vous ne devez jamais indiquer les objectifs à suivre. Si le ou la joueuse vous questionne sur un élément et son utilité, vous pouvez lui répondre. Cependant, vous devez d’abord lui demander si elle comprend ou pas cet élément. A l’issue de sa réponse, vous pouvez lui demander si elle souhaite que vous lui expliquiez totalement l’élément, si il ou elle répond par l’affirmative, alors, seulement, vous pouvez lui expliquer l’élément concernant (dans tous ses détails).
  7. A la suite de la session, vous pouvez tenir un entretien avec le/la joueuse afin de la questionner sur son/ses comportements. Une bonne façon de procéder, par exemple, est de lui recontextualiser une action qu’elle a faite puis de lui demander pourquoi elle l’a faite.
  8. Une fois que vous avez récupéré l’ensemble des rushs, il faut que vous fassiez le montage de la vidéo finale. Celle-ci doit montrer l’écran du/de la joueuse et sa personne en train de jouer de manière synchronisée. Je vous conseille, au début de l’enregistrement, de faire un clap. Je créerai peut-être un jingle que je mettrais à disposition de la communauté pour que vous puissiez l’utiliser avec la charte graphique des SessionsInnocentes ainsi que vous inclure en tant que créateur dans le cadre du projet élargi 😀

La Charte Graphique

J’utilise la police « Lato » pour les titres, principalement ses variantes, « light » et « black ». Je vous invite à utiliser les intros suivantes pour vos vidéos :

Vous pouvez les télécharger ici : liens des sources

Et après ?

Vous avez une totale liberté sur le titre de votre vidéo bien sûr mais je vous demande d’ajouter le  » – Session Innocente « . Aussi, je vous prie de bien vouloir ajouter un lien vers ma chaine youtube ainsi que vers mon site chroniquesvideoludiques.com car, mine de rien, cela me ferait plaisir et gagner en visibilité (concernant ce projet). Une fois que vous avez publié votre vidéo, contactez moi via Twitter (@EstebanGrine) ou Discord (celui de la revue LCV) pour me signaler son existence et je tâcherai de constituer une base de données de toutes les Sessions Innocentes (sous la forme d’un recueil sur le site) 😀

N’hésitez pas à me poser des questions si il persiste une zone de flou dans les commentaires de cet article. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Play Anything, le dernier livre de Ian Bogost

J’ai lu le dernier livre de Ian Bogost et je me suis dit, pourquoi pas ? Pourquoi ne pas essayer de vous partager ce que j’en ai retenu ? Play anything n’est pas un livre sur le jeu ou sur le jeu vidéo. Bogost a déjà écrit ce qu’il avait à dire sur le sujet. Non. Play Anything, c’est un essai philosophique sur comment appréhender la vie de manière générale.

Ce livre n’a pas pour objectif d’être exhaustif dans ses sources, ni même scientifique dans son contenu. On pourrait alors critiquer cette démarche qui se veut plus sensorielle et personnelle que factuelle et rigoureuse. Et pourtant, j’ai beaucoup aimé ce livre et les propos qui y sont tenus mais peut-être que pour expliquer cela, je dois vous parler un peu de moi.

J’ai une certaine tendance à visualiser tout ce qui m’entoure sous la forme de jeux respectant des mécaniques ludiques. La loi, les relations sociales et les comportements des individus respectent pour moi des règles de jeux. C’est très loin d’une représentation parfaite du monde, je vous le concède. Pourtant, c’est celle que j’ai choisi et qui me convient le mieux aujourd’hui pour appréhender l’univers et ses règles.

Tout commence par un Terrain de Jeu

Alors, je ne dis pas que l’univers est un jeu, et Bogost ne serait pas d’accord avec cette idée non plus. Au contraire, pour lui la réalité n’a pas à être définie comme un jeu. Cependant, elle contient ce qu’il appelle des situations pouvant devenir des terrains de jeux. Et potentiellement, tout peut être propice au jeu. Là, il fait référence au concept de jouabilité d’un chose. Plus une situation possède une jouabilité élevé et plus il est possible de mettre en place un jeu à l’intérieur de celle-ci. Bogost nous dit que la plupart des situations de la vie sont jouables : se balader dans un magasin, aller au cinéma, se promener dans la rue, faire la vaisselle, le ménage. Toutes ces situations sont propices à la mises en place de ce qu’il appelle un “terrain de jeu”. Même s’il n’évoque pas le concept de Ludification au sens de Raessens. Nous pourrions y voir une critique, cependant, il convient dès à présent de dire que le concept de ludification est un concept anthropocentriste : c’est-à-dire que c’est de l’humain qui est ) l’origine des terrains de jeu . Or, Bogost, comme nous l’apprenons plus tard dans le texte, propose une vision de excentrée : les terrains de jeu proviennent des objets eux-mêmes selon Bogost. Le concept de ludification ne fait donc pas sens dans l’ouvrage de Bogost.

Et contrairement à de nombreux chercheurs  qui le précédent (Huizinga entre autres), Bogost rejette l’idée que le jeu est une forme d’échappatoire, qu’il serait distinct de la réalité.  Au contraire, la mise en place de “terrains de jeu”, c’est-à-dire un espace plus ou moins définis dans lequel le jeu se produit, nécessite selon Bogost précisément d’accepter la réalité telle qu’elle se présente à nos yeux. Et pour ce faire, il est nécessaire d’observer les choses qui nous entourent et de reconnaître leur existence sans jugement de valeur. En effet, Bogost nous pose une question très simple au début de son livre : pourquoi les enfants arrivent toujours à inventer des jeux dans n’importe quelle situation ? L’on peut penser aux enfant qui dans un magasin cherche à ne marcher que sur certaines dalles du sols par exemple. Bogost demande au lecteur pourquoi les adultes ne font pas la même chose ? Selon lui, les adultes observent et acceptent moins les objets qui les entourent. Or, en reprenant Don Norman, Bogost pose l’hypothèse que c’est en observant et en acceptant les choses que l’on peut voir leurs affordances, c’est à dire l’ensemble des possibilités qu’elles offrent.

L’Ironie : l’ennemie du Jeu

Et si en tant qu’adultes, nous ne voyons plus les affordances des objets et des choses qui nous entourent, c’est, selon Bogost, à cause de l’ironie dont nous faisons preuve la plupart du temps. Il définit l’Ironie comme une stratégie de distanciation. Nous faisons preuve d’Ironie au sens de Moquerie comme d’une forme d’autodéfense. L’objectif est alors de pouvoir rapidement se protéger lorsqu’un objet nous fait défaut. Il énonce alors que nous souffrons de ce qu’il appelle l’Ironoïa : la peur des choses. Cette ironoïa doit se comprendre comme une forme de paranoïa dirigée vers les objets. Mais ce n’est pas tout. L’ironoïa est aussi paradoxale dans le sens où c’est aussi une méthode pour garder les objets qui nous entoure à une certaine proximité. Ainsi, nous gardons les choses, les phénomènes à proximité mais sommes prêts à nous en distancer au moindre problème qui pourrait survenir. Par ailleurs, Bogost rapproche beaucoup l’Ironoia du sentiment de nostalgie : cet idéal inatteignable nous obligeant à limiter ce que nous pouvons attendre des choses puisque de toute façon, nous serons déçus. Dès lors, notre ironie nous empêche de pouvoir voir la jouabilité des situations.  C’est pourquoi Bogost critique cette posture puisque c’est ce qui celui-lui nous empêche de jouer.

Pourtant, malgré notre inhérence à être ironique, cela ne nous empêche pas de rechercher l’amusement lorsque l’on joue. Mais Bogost questionne véritablement notre capacité à définir ce qui est l’amusement, ce qui est fun. En effet, on utilise l’adjectif “fun” pour caractériser un bon jeu vidéo. Mais ici, nous utilisons “fun” comme si nous utilisions l’adjectif “bon” pour un livre ou un film. De même, nous associons l’idée d’amusement à l’idée de plaisir mais Bogost confronte cette hypothèse à la réalité. Le constat qu’il propose serait même plutôt l’inverse. A partir d’une série non exhaustive d’exemples, il énonce que les situations mémorables et celles durant lesquelles nous nous sommes le plus amusés ne sont pas forcément liés aux situations pendant lesquelles nous avons été les plus heureux.

Définir l’amusement par la nouveauté

De même, ce n’est pas quand nous nous sentons en équilibre dans une situation que nous nous amusons, au contraire, nous serions plutôt dans un état proche de l’ennui. Bogost en profite également pour critiquer ouvertement l’association d’idées entre l’amusement et la théorie du flow. En effet, la théorie du flow énonce qu’il existerait une zone intermédiaire entre facilité et difficulté dans laquelle les individus sont totalement en phase avec l’activité qu’ils sont en train de réaliser. Dès lors, habituellement, cette zone est vue comme l’espace dans lequel les individus peuvent s’amuser. Or, Bogost critique ouvertement cela en expliquant qu’au contraire, la théorie du flow ne nous pousse pas à découvrir et à sortir de notre zone de confort, même si la difficulté augmente par rapport à ce que nous avons connu, celle-ci se retrouve toujours équivalente à ce que nous pouvons réaliser.

Ainsi donc, pour Bogost, la recherche de l’amusement ne correspond pas à la recherche du plaisir mais plutôt la recherche de ce qui sera mémorable. Autrement formulé, le fun est fortement lié à la recherche de la nouveauté. Et découvrir la nouveauté n’est possible qu’en observant les choses et le monde sans faire preuve d’ironie. Il est nécessaire d’accepter les choses telles qu’elles sont afin de pouvoir voir la nouveauté, symbolisée par la découverte de nouvelles affordances. S’amuser, c’est donc chercher de nouvelles applications aux choses qui nous entourent. Et pour cela, il faut savoir poser son regard sans jugement.  Il est d’ailleurs intéressant de noter que le mot “fun” anglophone provient de “Fool”. Ce personnage est lui aussi pertinent puisqu’au moyen-âge, le fou avait le rôle d’observer et de proposer des interprétations afin d’épauler les décideurs dans leurs choix. C’est en adoptant la posture du Fou que nous pouvons voir ce qui nous entoure sous la forme de terrain de jeu. Bogost nous dit qu’il suffit d’accepter la réalité telle qu’elle sans ironie et avec humilité pour comprendre que de nombreuses situations sont jouables.

C’est l’objet qui est ludique, l’humain n’a rien à voir avec cela.

Ces derniers propos sont aussi révélateurs de ce que que pense Bogost de ses prédécesseurs. En effet, pendant les premiers chapitres, il décrit un être humain qui n’est pas forcément par nature joueur, dans le sens où l’attitude ludique si chère à de nombreux chercheurs, est en fait quelque chose de bien plus complexe qu’il n’y paraît. Dès lors, Bogost fait le postulat que l’attitude ludique est bien plus contextuelle qu’intrinsèque. En effet, plutôt que de voir l’humain comme étant le point de départ d’un acte de jeu, il propose d’orienter la discussion vers les objets. C’est dans ces derniers que se trouve le jeu et non dans les Femmes et Hommes. C’est donc un objet quel qu’il soit qui possède le caractère (l’attitude ?) ludique, caractère attribué à l’humain par Huizinga et tous les chercheurs s’en inspirant.

Bogost propose de rompre avec la tradition mais il est évident que cette remarque peut très facilement s’inscrire dans une démarche constructiviste. De même, il ne s’agit finalement que de réencastrer l’acte de Jeu dans un contexte fait de relations sociales et dans un milieu précis. Ainsi, si les propos de Bogost sont pertinents, il ne sont ne sont pas novateurs. Ils cristallisent cependant dans la recherche anglosaxonne des propos qui ont déjà été abordés dans la recherche francophone (lorsque l’on parle de la nécessaire prise en compte du contexte de jeu et la mise en exergue des relations entre les agents de l’acte de jeu).

Cependant, outre cette critique que nous venons de lui adresser, il convient de faire remarquer notre sympathie pour les propos tenus. De même, la définition de “jouer” proposé par Bogost est relativement pertinente. En effet, il définit l’acte de jouer comme “The work of processing something”, ce qui donne en français moyen : “l’acte de manipuler quelque chose”. Si cette définition semble naïve, il convient de prendre en compte tous les propos précédemment tenus par Bogost. En effet, selon l’auteur, pour jouer, il est nécessaire d’observer sans ironie le monde et les objets qui nous entourent. Autrement dit, cette définition indique que jouer signifie “découvrir les affordances d’un objet”. Encore une fois, il est nécessaire de rappeler que l’amusement se trouve dans la découverte de la nouveauté selon Bogost et cette découverte n’est rendue possible qu’en exploitant, qu’en manipulant sans ironie les objets qui nous entourent.

Pour parler du Jeu, il faut parler des Contraintes

Dès lors, avec tout ce qui vient d’être dit, nous pourrions supposer qu’il est très facile de s’amuser puisqu’il ne suffit finalement que d’observer et de manipuler. Or, Bogost prend le contrepied de cette hypothèse. Cependant, encore une fois, ses propos ne sont en rien novateurs. Bogost énonce que c’est sous la contrainte que le “jeu” peut naître. Pour soutenir son propos, il part de la création artistique et énonce que si l’artiste est totalement libre de créer ce qu’il veut, il risque de ne finalement rien créer. Or c’est en s’infligeant des contraintes techniques, matériels ou comportementales que l’artiste peut créer des oeuvres d’Art. Nous retrouvons ici un postulat relativement classique dans l’Histoire de l’Art, en esthétique et dans la recherche sur le Jeu puisque les premiers travaux de Huizinga énonçaient déjà que les jeux nécessitent l’installation de contraintes. Ces contraintes prennent la forme de règles du jeu plus ou moins permissives.

Ainsi, plus on va se fixer de contraintes et plus nous aurons de facilités à adopter une attitude ludique. Cependant, Bogost critique la vision anthropocentriste des précédents penseurs ayant travaillé sur cette notion. Ici, l’une des faiblesses de Bogost est qu’il se repose principalement sur les apports de Huizinga, qui datent de 1936, or de nombreux penseurs ont retravaillé cette notion, Henriot (1969 et 1989, faisant de lui un précurseur avant Caillois) entre autres. Ainsi plutôt que d’énoncer que le jeu provient des êtres vivants, il énonce contrairement à cela qu’il provient originellement des objets entourant les êtres vivants. Ainsi, reformulé, nous jouons non pas sur notre propre initiative mais parce que ce sont les objets eux-mêmes qui possède dans une certaine mesure une ou des affordances propices à l’apparition de terrains de jeu. L’être humain quand à lui doit se défaire de son ironie, de son ironoïa, afin de pouvoir observer et comprendre les applications ludiques, déjà présentes intrinsèquement, des objets. Finalement, “jouer” pour Bogost, c’est discerner le(s) sens ludique(s) que peuvent avoir des objets et qui existent déjà. Il n’est donc pas question d’inventer des jeux mais plutôt de les découvrir. Enfin, Bogost conclut cette partie sur la nécessité de respecter les objets pour ce qu’ils sont. Il s’agit ici d’appuyer son propos sur l’origine des jeux. Ceux-ci proviennent d’abord des objets et ce sont ensuite les humains qui les “découvrent”.

Conclusion de l’ouvrage

Ainsi donc, comme nous avons pu le montrer lors de notre note de lecture, “Play Anything” soutient la thèse suivante : ce sont les objets et l’environnement eux-mêmes qui contiennent ce que Bogost nomme les “terrains de jeu”. Ce n’est donc pas l’humain qui donne un sens ludique aux choses qui l’entourent mais c’est celui qui découvre ce sens intrinsèque aux objets, à condition de s’être défait de son ironoïa, de sa peur des objets.

L’ouvrage de Bogost, comme énoncé, ne propose pas une réflexion particulière sur les jeux vidéo ou sur les jeux. Au contraire, il s’agit plutôt d’un essai philosophique sur notre conception du jeu et de comment jouer avec/dans la vie de tous les jours. Contrairement à ce qui a pu être ébauché en philosophie ou dans la recherche par le passé, Bogost choisit de détourner son regard de l’être humain (ou tout être vivant) pour valoriser les objets et l’environnement. L’intérêt de cette démarche est bien entendu de se défaire d’une vision anthropocentriste du jeu en considérant que le ludique fait partie intrinsèquement des objets. Pour Bogost, c’est aussi une façon proposer une vision plus humble de ce qu’est le jeu et ce pour deux raisons. Premièrement, ôter cette caractéristique de l’être humain permet de minimiser l’importance de son rôle dans l’acte de jouer tout en revalorisant les objets (les structures de jeu) et secondement, comme il énonce au début de sa réflexion, “jouer” nécessite d’observer le monde qui nous entoure tel qu’il l’est et de l’accepter. Bogost nous dit clairement qu’il faut “embrasser le monde qui nous entoure”, que jouer, c’est « faire ce que l’on veut avec les choses qui nous sont données ».

Discussions, limites et ouvertures

Cependant, plusieurs limites se font sentir dans cette réflexion. Premièrement, il nous aurait semblé plus pertinent de s’intéresser de manière plus approfondie aux relations entre les objets et les joueurs. En effet, à force de vouloir mettre en avant les objets et le contexte, Bogost formule non pas une représentation fondamentalement différente de ce qu’est le jeu mais simplement une inversion des rôles. Cependant, force est d’admettre que l’idée d’associer la caractéristique du jeu directement à l’objet est séduisante mais cela suscite de nouvelles questions que Bogost n’aborde pas. En effet, il place l’humain en tant que “découvreur” du sens ludique préexistant mais nous pouvons interroger dans quelle mesure celui-ci peut prétendre à ce rôle. Selon Bogost, il suffit de se défaire de son ironie afin d’observer le monde à sa juste valeur, cependant, des travaux comme ceux de José P. Zagal (2010) ont déjà approfondi cette piste de recherche en questionnant la littératie vidéoludique des individus. Dès lors, bien que les travaux de ces deux auteurs ne soient pas exclusifs, il convient de s’interroger sur les similitudes et les réponses qu’ils proposent.

De même, dans la réflexion de Bogost, le contexte historique et sociologique des individus n’est que très peu abordé or d’autres chercheurs (Henriot, Genvo entre autres) ont déjà noté l’importance de la prise en compte de ce contexte pragmatique dans la mise en place d’une situation de jeu : ce qui est jeu dans un contexte historique et géographique ne l’est pas forcément dans un autre. De même, malgré les revendication d’humilité de Bogost, la thèse du livre se repose beaucoup trop sur une vision individualiste. Proposer des axes de recherches à un niveau macro socioculturel aurait été pertinent. Par exemple, nous pourrions nous demander dans quelle mesure le regarde de l’Autre impacte la mise en place d’un terrain de jeu ? Comment un jeu est socialement validé ou critiqué ? Pour reprendre Bogost, il suffirait d’énoncer que tout cela se regroupe dans ce qu’il appelle les contraintes nécessaires à l’apparition du jeu mais afin de poursuivre cette réflexion, il conviendrait de s’interroger sur la part que chacune des contraintes peut avoir sur les terrains de jeu.

Par ailleurs, il convient de remarquer qu’à un moment dans l’ouvrage, Bogost critique la théorie du Flow de Mihaly Csikszentmihalyi en énonçant que finalement, si l’on cherche toujours à rester dans une certaine zone de confort, cela ne correspond pas à la définition de Bogost de l’amusement. Bogost accuse à raison la théorie du Flow d’un certain conservatisme. Cependant, la conclusion de Bogost ne propose finalement pas non plus de s’émanciper d’un certain « statu quo » avec l’environnement dans lequel on se trouve. Bien que l’on pourrait argumenter que sa proposition permet efficacement de justifier les processus d’innovations (l’on pourrait d’ailleurs s’amuser à tisser des liens entre la pensée de Bogost et celle de Schumpeter à propos de l’entrepreneur), cela ne s’appliquerait pas forcément dans des situations critiques comme celle d’une dictature. En effet, l’une des limites de la thèse de « Play Anything » est que le jeu n’émerge que de situations et de règles préexistantes au joueur, or cette réflexion ne prend pas en compte de manière détaillée et constatable les changements de règles formalisés par exemple par des changements de paradigmes scientifiques (l’apparition d’une nouvelle théorie) ou politiques (les révolutions sont justement le renversement d’un système de règles). ■

Esteban Grine, 2016

(modifié le 18/10/2016, ajout d’un paragraphe dans la partie « discussions, limites et ouvertures »)