Jeux vidéo violents et comportements agressifs, une nouvelle étude corrobore la catharsis

Un récent papier sur les relations houleuses entre les contenus violents des jeux vidéo et les comportements agressifs a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux cette semaine. En tout cas, il s’est suffisamment fait remarqué pour que la RTBF en fasse un article[1] (dont le premier paragraphe présente une erreur sur le nombre de personnes constituant l’échantillon). Je pense que ce n’est qu’une question de temps avant que des journaux français s’y intéressent. De facto, j’ai décidé d’en faire une lecture commentée sur twitter que j’ai un peu remanié ici pour en faire un billet présentable.

Globalement l’article commence par un état de l’art tout ce qu’il y a de plus classique dans la littérature anglo-saxonne afin de positionner le débat autour d’un lien de corrélation entre jeu violents et comportements agressifs. L’article poursuit en critiquant les théoriciens de l’apprentissage social (learning theory). Cela nous donne un insight : les chercheurs n’évoquent pas fondamentalement la catharsis alors que tel que je l’interprète, ils s’en revendiquent.

Pour rappel, Zagal (2010) oppose la (social) learning theory à la théorie de la catharsis (le jeu comme exutoire). Par ailleurs, ils expriment que les recherches précédentes constatent surtout un lien avec la frustration. Frustration qui nait d’un « besoin psychologique » de compétences. Hypothèse : ici, les chercheurs font une distinction entre les émotions que l’on peut avoir à l’égard du récit vidéoludique et les émotions que l’on peut avoir à l’égard de l’objet informatique (Frome, 2006).

On retrouve par la suite un tacle légitime fait aux recherches sur le sujet : ces dernières reposent sur les témoignages des joueurs, et donc plein de biais peuvent en émerger. Pour rappel, le témoignage est considéré scientifiquement comme la preuve la moins « solide » (je ne suis pas d’accord avec cela car il me semble nécessaire de procéder au cas par cas en réalité). Du coup, nouvelle méthode, les chercheurs ont transmis des questionnaires à des carers (les représentants légaux des enfants) qui les remplissent en observant l’échantillon de 1004 jeunes.

We measured youth aggression and prosocial behaviour with carer responses using a behavioural screening questionnaire [52] that has been widely employed by researchers, educators and clinicians to assess the psychosocial functioning of children and adolescents ranging in age from 4 to 17 years. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171477)

Cela rajoute une strate de solidité mais je ne suis pas sûr que cela résout les problèmes de biais (c’est devenu des interprétations).

Sans revenir sur la constitution de l’échantillon, car celle-ci semble respecter les standards anglo-saxons (bien que les résultats ne sont pas intégralement partagés), je note cependant que plus de 90% de l’échantillon est composé de jeunes blancs et blanches. Problème : les chercheurs ne reviennent pas vraiment sur les carers qui ont donc rempli les questionnaires. Comme discuté avec un autre collègue chercheur (@MeTaPeRi), l’imprécision faite à l’égard des carers peut au mieux être considéré comme non pertinent ou au pire comme une faute professionnelle. Dans le cas où les carers sont les parents des enfants de l’échantillon, comment ne peut s’interroger sur les biais que peuvent contenir leurs observations ?

Là où je m’interroge, c’est qu’apparemment, il n’y a pas eu d’observation participante formellement énoncées. Les carers n’ont pas non plus regardé jouer ou ne sont pas allé *chez* l’enquêté (dans le cas où il ne s’agirait pas de personnes vivant avec l’enquêté). Le temps d’observation n’est pas non plus évoqué (sauf si j’ai mal lu, c’est possible).

C’est à partir de ce moment que l’article devient de moins en moins clair. La méthode est la suivante : les carers remplisse le SDQ (questionnaire sur les comportements agressifs) tandis que les jeunes remplissent un mini questionnaire sur leurs pratiques vidéoludiques.

Globalement, je passe les tableaux de résultat car tout est dit dans leur résumé :

Sensitivity and exploratory analyses indicated these null effects extended across multiple operationalizations of violent game engagement and when the focus was on another behavioural outcome, namely, prosocial behaviour. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171474)

A ce stade de la lecture, j’observe deux biais et non des moindres. Le premier concerne la non remise en cause du cadre des définitions proposées par l’ESRB et PEGI pour définir si un jeu contient des propos violents. Et ça, je veux dire, c’est probablement pas la faute des chercheurs car vu le temps passé pour cette recherche, ils ne pouvaient probablement pas remettre tout en cause non plus… BREF ! Se reposer sur ces outils (PEGI et ESRB), c’est donc inscrire plus ou moins sa réflexion dans un cadre d’analyse fourni par un consortium industriel qui s’autorégule. Pour Rappel, PEGI n’est PAS un système d’évaluation produit par un gouvernement ou l’union européenne. C’est l’ISFE qui le gère (qui est un lobby des publishers).

Le second problème fondamental que je vois à l’article concerne le fait qu’il ne définit pas les comportements agressifs. Il ne définit pas non plus ce que les chercheurs entendent par « violence ». On comprend avec le SDQ que les comportements observés sont individuels. Autrement dit, l’article n’aborde pas les violences qui peuvent être le résultats d’oppressions systémiques. Par exemple, le SDQ ne regarde pas si un jeune va harceler ou oppresser des personnes issues de minorités spécifiques.

Du coup, après avoir évité un premier écueil (celui des témoignages), l’article échoue à distinguer les formes de comportements violents que peuvent avoir les enfants. Et je pense que c’est ce manque le plus aujourd’hui au débat. Avant d’interroger la causalité qu’un jeu violent peut avoir, il est nécessaire de distinguer les violences systémiques, des violences individuelles, des comportements pro-sociaux, des comportements agressifs. On peut avec des comportements pro-sociaux tout en reproduisant des violences systémiques. (Personnellement, si je devais faire un article sur le sujet, ce serait vraiment mon point d’entrée).

Ce dernier problème que je souligne est un comble quand on s’aperçoit que les chercheurs eux-mêmes avouent la nécessité de changer de cadre théorique, d’un nouveau standard pour l’interprétation des significations issues des jeux vidéo :

Given interactive media and their effects are inherently subjective, we believe working toward adoption of a new standard for interpreting the practical significance of media effects would serve the literature well as a benchmark against which putative effects of emergent technologies such as virtual reality, augmented reality and artificial intelligence may be judged. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171485)

En définitive, l’article conclut à l’absence de corrélation significative entre les contenus des jeux vidéo et les comportements agressifs ou pro-sociaux des adolescents :

Results from these confirmatory analyses provided evidence that adolescents’ recent violent video game play is not a statistically or practically significant correlate of their aggressive behaviour as judged by carers. Preregistered sensitivity and exploratory analyses demonstrated this finding was consistent across three different operationalizations of violent game content and two ways of measuring key adolescent behaviours relating to aggressive and prosocial behaviours. In other words, we found adolescents were not more or less likely to engage in aggressive or prosocial behaviours as a function of the amount of time they devoted to playing violent games. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171486)

Ainsi donc, il s’agit donc d’un article qui en proposant une nouvelle méthodologie apporte de nouveaux résultats corroborant les théories de la catharsis. C’est donc plutôt quelque chose d’intéressant et de pertinent (bien que personnellement, je reste particulièrement critique de cela). Cependant, on peut être un peu déçu que les chercheurs, conscients du besoin changer de cadre, reproduisent une recherche toute somme typique des papiers anglo-saxons.

En guise de conclusion personnelle, l’article est pertinent et il rejoint mon corpus de thèse. Les chercheurs pointent d’ailleurs les limites de leur travail et reconnaissent que leur méthodologie puisse être faussée (self-reported) tout en faisant un appel du pied aux entreprises qui ont plein de données sur leurs joueurs·euses. La conclusion du papier est malgré tout intéressante : ce n’est pas parce qu’on joue à un jeu contenant des propos violents (selon l’ESRB ou PEGI) qu’un·e jeune adoptera des comportements agressifs. Comme déjà énoncé, le papier n’interroge pas les oppressions systémiques et c’est pour moi son plus gros défaut. ■

Esteban Grine, 2019.

Sources mobilisées :


Przybylski Andrew K., et Weinstein Netta. « Violent video game engagement is not associated with adolescents’ aggressive behaviour: evidence from a registered report ». Royal Society Open Science 6, no 2 (2019): 171474. https://doi.org/10.1098/rsos.171474.

Revues de presse :


« Pas de lien entre les jeux vidéo violents et l’agressivité des adolescents selon une étude d’Oxford ». RTBF Info, 15 février 2019. https://www.rtbf.be/info/medias/detail_pas-de-lien-entre-les-jeux-video-violents-et-l-agressivite-des-adolescents-selon-une-etude-d-oxford?id=10146438.

« Violent Video Games Found Not to Be Associated with Adolescent Aggression | University of Oxford ». Consulté le 16 février 2019. http://www.ox.ac.uk/news/2019-02-13-violent-video-games-found-not-be-associated-adolescent-aggression.


[1] « Pas de lien entre les jeux vidéo violents et l’agressivité des adolescents selon une étude d’Oxford ». RTBF Info, 15 février 2019. https://www.rtbf.be/info/medias/detail_pas-de-lien-entre-les-jeux-video-violents-et-l-agressivite-des-adolescents-selon-une-etude-d-oxford?id=10146438.