L’impossible anonymat

Il y a peu, une collègue de recherche, qui se reconnaîtra peut-être, m’a partagé un appel à communication pour lequel je pense faire une proposition. Cependant, là n’est pas le sujet. En échangeant avec cette collègue, je lui énonce à un moment que j’ai une proposition toute prête à être partagée. En réponse, elle me dit alors qu’elle se doutait bien que l’appel pouvait m’intéresser.

En réalité, ce bref échange s’est fait en trois tweets. Cependant, cela m’a quand même interpellé car cela fait écho à une problématique que je vis en tant que chercheur-doctorant, blogueur, analyste et de temps en temps, vidéaste streamer. En effet, je suis en « slasheur » : quelqu’un qui cumule une variété de métiers différents mais relativement connecté. Ce statut s’accompagne dans mon cas d’une caractéristique particulière : l’impossibilité d’être anonyme en tant que chercheur. 

J’ai le sentiment que mon existence contredit les protocoles scientifiques académiques. La façon dont je vis mon expérience de thèse rend caduques certaines pratiques. En particuliers dans mon champs disciplinaires : les sciences du jeu.

De base, les sciences du jeu, ou les game studies, sont un tout petit monde francophone. J’estime que nous sommes maximum 150 personnes en Europe et Amérique de nord à effectuer des recherches que le jeu vidéo en français. Et probablement que je surévalue ce nombre.

Si l’on veut faire un trait d’humour, les game studies francophones respectent parfaitement le nombre de Dunbar, nombre erroné mais célèbre indiquant le nombre de relation qu’un individu est capable de maintenir au sein des réseau. Donc de fait, mon champ disciplinaire est si petit qu’en réalité tout le monde de connait. Probablement que tout le monde a lu au moins une fois un papier de tout le monde.

Par ailleurs, chacun·e a ses spécialités. Je travaille sur les discours dans les jeux vidéo, forcément que je m’entends bien avec Sébastien Genvo (la chance, c’est mon directeur), Rémi Cayatte, l’expressive game lab, etc. On travaille littéralement sur les mêmes sujets. Par ailleurs, mon corpus de thèse est composé des mothertales. À ce jour, dans les publications francophones, on est deux à avoir fait de ces jeux des objets d’études : Fanny Barnabé (2016 pour sa mention d’undertale dans sa thèse, 2019) et moi (2017, 2020).  Accessoirement, on sait aussi qui travaille sur Fortnite, sur Zelda, sur Minecraft…

Tout cela pour dire une chose simple : dans le champs : tout le monde connaît tout le monde. Si, en colloque, le comité scientifique reçoit une proposition sur Undertale ou Earthbound, ce comité aura toutes les raisons de parier sur le fait que c’est moi qui l’ait proposée.

Cependant, ça, c’était globalement quelque chose que j’avais accepté. Or, on peut dire que j’ai une double peine de part ma position médiatique, notamment via l’animation de mon blog.

En effet, mon blog, ou carnet, est pour moi un véritable outil de recherches en allant. Et je pèse ici mes mots. Cela signifie donc que je considère chacun de mes articles comme une part de mon travail de recherches, même si ce travail n’est pas publié en respectant un processus de relecture par les pairs. D’ailleurs, certains de mes articles de blog sont cités dans des publications académiques. Certains concepts que je propose gagnent parfois une certaine légitimité : les mothertales ou encore le slowplay en sont deux exemples. Cette reconnaissance médiatique intervient cependant avant une reconnaissance académique : c’est là un dilemme.

En effet, chacune de mes publications sur mon blog est susceptible d’alimenter une production académique personnelle. Par exemple, en ce moment, je cherche un colloque durant lequel je pourrai présenter plus longuement le slowplay. Or, la seule évocation de ce terme est susceptible de permettre à un comité de reconnaître la personne faisant la proposition.

Bien entendu, c’est le cas dans une autre mesure pour tout chercheur et chercheuse. Cependant, dans mon cas, il est acceptable de faire l’hypothèse que chacune des propositions que je fais pour une communication ou une publication trahissent mon identité.

Ceci étant, et même si la pratique de recherche fausse systématiquement les protocoles scientifiques, j’ai résolu ce dilemme en évitant de me le poser autre part que dans cet article.

Esteban Grine, 2020.