Outer Wilds propose quelque chose d’inoubliable pour le joueur que je suis : le jour de la fin du monde, rien de mieux que de partir en camping et manger des guimauves cuites sur le feu tout en jouant de la musique. Car ultimement, rien d’autre n’a d’importance.
Note : attention, cet article contient des informations clefs sur l’intrigue du jeu.
Il est très intéressant de noter qu’Outer Wilds sort à une époque, la fin de la décennie 2010-2020, durant laquelle de nombreuses idéologies collapsologues prennent d’avantage de place dans l’espace médiatique. Fraichement autorisé·e à explorer notre système solaire, on incarne une « petite pierre », surnom donné affectueusement par les plus vieux aux plus jeunes de notre espèce à « quatre yeux ». Certains se demandent encore d’ailleurs l’intérêt d’en avoir quatre quand seulement trois suffisent. Notre mission est simple : partir à la découverte d’une ancienne civilisation ayant peuplé notre système quelques centaines de milliers d’années auparavant. Cependant, notre exploration est bien vite mise à mal puisque l’on découvre, deux jours plus tard, que notre soleil est au bord de devenir une supernova, dont l’explosion rase l’intégralité de notre système et de tout ce qui l’environne.
Pourtant, après cette mort, on se remet à respirer. On se réveille. On est de nouveau à l’aube de notre aventure. Quelque chose dans ce système solaire fait que nous revivons perpétuellement ses dernières heures. Quels peuvent être alors nos objectifs lorsque l’on sait qu’il n’y a pas d’échappatoire ?
Très tôt dans le jeu, nous sommes invités à découvrir la civilisation des Nomais, des êtres extra-terrestres qui arrivent dans notre système solaire en recherche de ce qu’ils nomment « l’œil de l’univers », une entité plus ancienne que l’univers lui-même. En parallèle, on nous suggère de retrouver nous comparses astronautes, partis bien avant nous, et qui se retrouvent aujourd’hui éparpillés sur l’ensemble du système solaire.
Outer Wilds est donc avant tout une quête de savoir et celle-ci se fait à deux niveaux. En tant qu’explorateur·ice, on découvre ce qui est arrivé aux Nomais, ce qu’ils ont fait, leurs prouesses technologiques, etc. Sans que cela ne soit suggéré à un seul moment, j’ai interprété une certaine fascination révérencieuse de la part des habitants d’Âtrebois (le nom donné à notre planète) à l’égard des Nomais. Cette fascination relève du mystique voire de la croyance religieuse. Dès lors, le parallèle entre nous et eux est envisageable. En révélant tout cela, on comprend qu’eux aussi étaient dans une recherche similaire. Eux aussi souhaitent comprendre un être qu’ils pensent être leur supérieur en savoir, en connaissance et en technologie. En soi, le jeu est une mise en abîme de nos actions vidéoludiques. Nous joueur·euse·s révélons le jeu dans lequel nous incarnons un·e explorateur·ice qui révèle à son tour une ancienne civilisation qui elle-même, enfin, tentait de résoudre un mystère. Pourtant, il apparait que cette quête de savoir n’est pas sans conséquence.
En effet, Outer Wilds narre aussi des histoires de civilisations autodestructrices. Les Nomais périrent quasiment tous car ils ne réussirent pas abandonner leurs recherches. En colonisant notre système solaire, ils comprennent bien vite que « l’Œil » ne s’y trouve pas. S’en suit alors des tentatives de plus en plus dangereuses afin de pouvoir déterminer les coordonnées exactes de cette entité dans l’univers. Même si de plus en plus de voix s’élevaient contre cet objectif de vie à l’échelle d’une civilisation, les Nomais ne parvinrent pas à stopper leur mouvement, l’inertie était trop forte. Au bord de leur destruction, on apprend que leur quête de savoir les amena à créer une machine à voyager dans le temps, expliquant ainsi les boucles temporelles. Leurs recherches de savoirs a donc porté un coup fatal au système qui revit perpétuellement ses derniers jours, ses dernières heures. De la même façon, nos propres actions conduisent à la destruction définitive, cette fois, de notre système solaire. En effet, ultimement, nous obtenons la possibilité de nous rendre à l’endroit supposé (par les Nomais) où se trouve « l’Œil », mais pour cela, il est nécessaire d’ôter la ressource d’énergie de la machine à remonter le temps.
Encore une fois, on retrouve cette mise en abîme que j’évoquais tantôt : les Nomais provoquent les conditions de leur disparition, notre avatar explorateur·rice provoque les conditions de la disparition de notre galaxie et nous, en tant que joueurs et joueuses, provoquons la fin du jeu. Je n’ai pas mémoire, au moment où j’écris ces lignes, d’avoir déjà rencontré un tel isomorphisme dans un jeu vidéo entre l’histoire qui nous est racontée (celle des Nomais), le temps de la chose racontée (les actions de notre avatar) et l’action vidéoludique (nous-joueur·euse·s).
De fait, on pourrait se questionner sur le « grand message » du jeu, sa « grande morale ». J’interprète le jeu comme ayant fondamentalement une approche positive sur la destruction du monde et ce, dans le sens où je fais intervenir la notion d’héritage définie par Johnson (1997) : on hérite d’un système et ce n’est pas de notre faute si le système est de telle sorte. Dans Outer Wilds, ce n’est pas notre faute si le système solaire est au bord de l’explosion, nous avons hérité de cette diégèse. Ce n’est pas non plus de notre faute si l’on contribue, en tant qu’astronaute, à sa disparition définitive puisque notre civilisation a toujours eu pour objectif de révéler les secrets des Nomais. Enfin, ce n’est pas de notre faute puisque le système médiatique du jeu vidéo fait que nous en tant que joueur·euse sommes poussé·e·s à atteindre la limite de l’objet informatique. Encore une fois cet isomorphisme explique l’intégralité des strates sémantiques de nos actions sans pour autant nous accuser.
Le jeu se termine sur ce message finalement : il n’y a pas d’échappatoire. C’est ainsi, ça l’a toujours été. Maintenant, la question se pose. Comment nous situons-nous par rapport à ce système que l’on hérite ? Le jeu est déterministe, notre quête de savoir nous amène à accepter inéluctablement notre fin, cependant, cela nous invite à nous interroger sur notre vie de tous les jours. Est-ce que notre monde est déterministe ? S’il l’est, alors tout a déjà été décidé. S’il ne l’est pas, comment nous situons-nous par rapport à celui-ci. Il y a fort à parier que l’on n’est pas capable individuellement de stopper une quelconque inertie, un quelconque mouvement. Outer Wilds contient potentiellement une invitation à en faire le deuil. Cependant, est-ce bien grave, lorsque l’on sait qu’à l’ultime fin, celle qui est inéluctable, celle qui est définitive, nous pourrons être avec nos ami·e·s une dernière fois, pour chanter et manger des guimauves grillées tout en regardant une dernière fois, un ciel étoilé ? ■
Esteban Grine, 2019.
Bibliographie
Johnson, Allan. The Forest and the Trees: Sociology as Life, Practice, and Promise. 1997, https://www.amazon.fr/Forest-Trees-Sociology-Practice-2014-10-12/dp/B01K3I56E8/ref=sr_1_6?__mk_fr_FR=%C3%85M%C3%85%C5%BD%C3%95%C3%91&keywords=allan+g+johnson&qid=1558196961&s=gateway&sr=8-6.