Incarner le présent et l’actuel – Breath Of The Wild

Breath Of The Wild comme incarnation du présent et de l’actuel

J’approche de la bataille finale contre Ganon et des dizaines de sujets me viennent en tête lorsque je pense à Zelda Breath Of The Wild. Après un premier billet sur la perte de repères et l’impossibilité d’appréhender le monde, je souhaite maintenant parler de la façon dont Zelda BOTW incarne son époque.

De manière plus générale à Nintendo, les jeux sortis sur Switch sont les reflets de notre époque. Si Mario Odyssey est pour moi l’objet le plus représentatif des jeux vidéo en 2017 et le plus cumulatif en termes de mécaniques de gameplay, Zelda cristallise les pratiques des individus dans leurs vies de tous les jours. Mario prétexte une pluralité de royaumes afin de créer des atmosphères et des ambiances différentes. Cela se matérialise en de nombreuses références artistiques. Chaque monde se distingue de l’autre par des particularités en termes de direction artistique : pixel art, hyper réalisme, low-poly, etc. Ses mécaniques proviennent de nombreux anciens jeux issus de la série des Mario 3D mais aussi d’autres licences : impossible de ne pas reconnaitre Kirby lorsque Mario se transforme et acquière les compétences des monstres. Mario Odyssey incarne le Nintendo 2017 tout en transportant l’héritage de la maison en lui redonnant une couleur actuelle. C’est un exercice périlleux qui semble malgré tout avoir conquis son public. De même, le dernier Mario adopte et s’adapte aux codes actuels du jeu vidéo : de nombreuses récompenses permettant des sessions courtes de jeux. Le JV est passé sur smartphones et se joue lorsque nous sommes dans nos transports en commun, alors Mario doit aussi proposer des situations permettant à ce genre de sessions vidéoludiques d’apparaitre. Il le fait avec brios quoique venant peut-être en contradiction avec l’expérience recherchée par des joueurs un peu plus anciens et qui avait déjà été habitués à un certain format par les Mario 3D.

Zelda Breath Of The Wild propose lui aussi une aventure qui s’adapte aux pratiques actuelles du jeu vidéo en 2017. Permettre  des sessions courtes comme des sessions longues, voilà ce que l’on comprend en jouant à ce jeu. Le sentiment de liberté proposé par le jeu doit aller en dehors du jeu : une simple sauvegarde et l’on peut directement éteindre la console. On comprend alors pourquoi les donjons, les sanctuaires, sont bien plus petits et les énigmes plus segmentées, parcellées. Il faut pouvoir reprendre une partie sans avoir à se remémorer la ou les précédentes sessions. Ceci est clairement un point commun aux nouvelles itérations de Zelda et Mario, mais, en tant qu’incarnation du présent, Zelda va beaucoup plus loin. En effet, BOTW ne fait pas que s’adapter aux pratiques vidéoludiques d’aujourd’hui, il reflète les pratiques que les gens, joueurs ou non, ont dans leur vie quotidienne. L’aspect définitivement technologique de BOTW est un premier indice de cela mais c’est surtout l’utilisation de ces technologies qui incarne le présent que nous vivons : rien de mieux que des armes qui se brisent pour refléter l’obsolescence programmée, rien de mieux que la tablette Sheika pour représenter les smartphones.

Breath Of The Wild brille par la traduction en moment vidéoludique de ce qui nous vivons dans la réalité. Link incarné par le ou la joueuse, en utilisant la tablette Sheika centrale dans le jeu, ne fait que reproduire des applications et des comportements qu’il ou elle a dans sa vie quotidienne. La compréhension et l’appréhension du monde passe par cette tablette, ce smartphone. Il est intéressant alors d’observer un changement radical entre les précédents opus et celui-ci puisque ce dernier concentre dans un même objet de nombreuses applications tandis que les anciens proposaient d’utiliser un objet pour chaque application. BOTW traduit cette concentration des usages que nous vivons tous les jours depuis une quinzaine d’années. De l’objet lié à un seul usage, nous sommes passé au tout-en-un absolu, au media center plutôt que consoles, aux smartphones plutôt que de multiples outils de bureautique.

Ainsi, Zelda BOTW et Mario Odyssey incarnent ce qu’il y a de plus actuels à propos des jeux vidéo. Par leurs mécaniques, ils actualisent des formules et des gameplay afin de : (1) mobiliser des ressources et des compétences en termes de game design internes dans le but de leur offrir une nouvelle jeunesse (c’est le cas des mécaniques de gameplay Mario Odyssey) ; (2) dresser un état de l’art en termes de direction artistique ; (3) tenir des promesses longuement tenues et soutenues (la promesse  de l’exploration des mondes ouverts comme finalité en soi entre autres) et ; (4) ludifier des comportements et des pratiques actuelles, c’est le cas de BOTW qui utilise intelligemment l’idée du smartphone pour en faire un véritable outil d’appréhension du monde. ■

Esteban Grine, 2017.

Appréhender le monde, promesse non tenue – Breath Of The Wild

Appréhender le monde, promesse non tenue de Zelda Breath Of The wild

Rassembler ses pensées pour écrire sur Breath Of the Wild est un exercice complexe. L’immensité du monde qui nous est proposé rend la tâche difficile. De facto cela peut être un excellent point d’entrée : cette impossibilité à concevoir Hyrule comme un monde fini, entier. Dans une précédente tentative de billet, je comparais Zelda Majora’s Mask et SUPERHOT. Je considère ces deux jeux comme des oxymores. Dans le premier, nous errons dans un monde qui ne fait pas attention à nous tandis que le second nous place au centre de tout, de l’espace et du temps. C’est d’ailleurs l’un des points remarquable de SUPERHOT : la façon dont il critique le nombrilisme de l’acte vidéoludique mais peut-être que j’y reviendrais un jour. Ce qui importe, c’est que dans ces deux cas, nous nous retrouvons malgré tout face des jeux nous laissant prendre la mesure de la grandeur, de la taille des environnements explorables.

Dans Majora, le monde est finalement très bien circonscrit et les actions du joueurs aussi, autant dans l’espace que dans la temporalité du jeu. Au bout d’un certain moment, on arrive à comprendre l’ensemble des enjeux qui y sont développés. On peut, malgré le fait qu’en tant que joueur nous soyons rejetés, appréhender le monde. C’est cette notion qui m’intéresse particulièrement ici : appréhender le monde. Au contraire, dans SUPERHOT, nous sommes dès le début du jeu totalement au contrôle d’absolument tous les paramètres et le jeu (ou plutôt les game designers) en est totalement au courant. Nous appréhendons les mondes qui nous sont proposés. Ce sont des matières plastiques avec lesquelles les joueurs composent. Dans ce billet, je résume finalement les propositions que nous font les jeux vidéo à cette appréhension du monde.

A travers ces deux exemples, ce que j’essaie de démontrer, c’est que peu importe la place du joueur, à côté ou central dans la trame scénaristique, les mondes sont finis dans leur code informatique et dans leurs représentations. C’est à mon sens la promesse la plus banale que peut nous faire un jeu vidéo. A mesure que notre compétence et notre maitrise grandissent, le monde perd de sa splendeur, de son immensité pour être ramené à sa représentation rationnelle. C’est peut-être ce désenchantement du monde qu’évoquait Damastès en citant Max Weber. Pour reformuler simplement la chose, les game designers & designeuses nous font la promesse de désenchanter le monde virtuel dans lequel nous évoluons.

Je ne vois absolument pas cela comme un problème. A aucun moment, dans ma vie de joueur, je ne me suis questionné sur cela et c’est sur ce point que Zelda Breath Of The Wild tranche totalement dans mon expérience. Je n’arrive pas à conceptualiser le moment où je considérerais le monde dans sa finitude. Pourtant, il est évident que par son code informatique, le jeu « fait œuvre »  dans sa complétude et sa complexité. Cependant, dans esthétique, je n’arrive pas à voir le moment où je serais « désenchanté ». J’ai l’impression que ma courbe de compétences n’est pas liée au désenchantement du monde  contrairement aux autres jeux et notamment ceux que j’ai cités. Et cela m’a aussi questionné par rapport à d’autres jeux de rôle comme Skyrim ou Oblivion qui sont deux jeux immenses en termes d’espaces explorables mais à aucun moment je ne me suis dit que je ne pouvais pas « maitriser » ces jeux, leurs intrigues, etc. Même dans Horizon Zero Dawn que j’ai beaucoup aimé, j’ai vécu la même chose.

Dans la temporalité de l’acte de jouer, c’était la maitrise et la compréhension qui précédait l’ennui. Rétrospectivement, j’ai l’impression que cela a toujours été le cas dans tous les jeux auxquels j’ai joués. Pour Breath Of The Wild, j’ai l’impression que c’est l’inverse qui va se produire. Je vais d’abord m’ennuyer avant de comprendre ou de rationaliser les terres d’Hyrule.  Mes propos peuvent sembler durs ou trop scientifiques mais autrement formulés, cela veut dire que l’univers restera (après mon passage) enchanté, merveilleux. C’est une nouvelle promesse vidéoludique qui s’offre. Sans forcer la rationalisation du monde, les comportements ludiques deviennent, pour paraphraser Guillaume Grandjean : « gratuits et cela ouvre… des perspectives… artistiques ? ». ■

Esteban Grine, 2017.

Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie

Ce que dit le game design des rétroactions en pédagogie

Les rétroactions sont un sujet qui interroge aujourd’hui en pédagogie mais il peut être intéressant de faire un pas de côté pour observer la façon dont le design et le game design abordent cette question. Dans cette courte présentation, nous allons donc évoquer quelques objets ludiques et la façon dont ils diffusent des messages, des idéologies et des feedbacks à leurs joueurs.

Notre premier exemple concerne le jeu Monopoly, jeu initialement nommé The Landlord’s Game d’Elizabeth Magie conçu comme une critique de l’accaparement des Terres. Autrement dit, il s’agit d’une critique de la privatisation des Terres et presque de la pensée de John Locke. Le monopoly dans sa version actuelle par ses mécaniques de gameplay est tout l’inverse. Les règles contenant les différents feedbacks qui doivent être appliqués à la suite des actions des joueurs soutiennent un discours certes capitaliste mais il convient de pousser un peu plus en qualifiant cette forme de capitalisme : à savoir que la seule économie viable est celle des monopoles privés. par ailleurs, il convient de rappeler que les TRC, les règles de jeux et/ou de feedback s’inscrivent dans un contexte contenant des représentations schématisées ou réalistes qui coconstruisent le sens donné aux rétroactions. C’est pourquoi il est intéressant de voir le Paris représenté par le Monopoly :

Le deuxième jeu que je souhaite évoquer est le trivial Pursuit. Ce jeu est présenté comme le jeu des connaissances or il convient de spécifier cela en énonçant qu’il s’agit d’une ludification d’un système d’évaluation des connaissances. Ainsi, les rétroactions, ou plutôt les inter-réactions qui apparaissent dans le jeu s’ancrent dans une perspective sommative ; il devient donc intéressant de questionner si nous pouvons réellement considérer le Trivial Pursuit comme un jeu ayant une affordance, c’est à dire une capacité à suggérer sa propre utilisation, pour un usage pédagogique. Nous faisons l’hypothèse que ce type de jeux ne favorise pas l’émergence de situations potentielles d’apprentissage. il semble donc important de constater ici le nécessaire alignement entre l’intention, l’objectif, l’approche pédagogique et le type de rétroactions. le trivial pursuit met en exergue justement les incohérences qu’il peut y avoir entre tous ces éléments.

Notre dernier exemple concerne les jeux vidéo et plus particulièrement un certain type de comportement. En effet, il est important d’observer que lorsque nous parlons de gameplay, nous associons une structure de règles (le game) à un comportement ludique (le play). de part leur structure codée et donc rigide, on peut supposer que les jeux vidéo contraignent fortement le comportement du ou de la joueuse. Or, les game studies acceptent généralement le postulat que plus une situation est contraignante et plus le ou la joueuse fera preuve d’imagination pour se jouer du système. Les exemples les plus flagrants sont notamment contenus dans la pratique du speedrunning. Dans ce cadre, les intentions des game designers ne sont plus respectées et les joueurs mettent en place des logiques et des stratégies de détournement rendant inefficaces les techniques de rétroaction. Le game design et les jeux nous permettent donc de mettre l’accent sur les limites des systèmes et la façon dont les joueurs les exploitent. Les parallèles avec la pédagogie deviennent alors aisément observables. Les rétroactions donnent des indications sur les comportements que les apprenants doivent adopter pour s’assurer une réussite dans le système et ce, en minimisant l’effort effectué.

A travers nos exemples, nous montrons que le game design peut éclairer notre compréhension des techniques de rétroactions en classe. En effet, les jeux et encore plus les jeux vidéo rationalisent ces processus et les inscrivent dans des situations potentielles d’apprentissage. Ces dernières restent potentielles car en fonction de l’alignement pédagogique mais aussi du contexte pragmatique dans lequel se déroule l’activité de jeu, leur affordance s’en retrouvera soit potentiellement renforcée soit potentiellement diminuée ; ou du moins, les apprentissages ne seront pas identiques.  Le premier enseignement que nous retenons est le caractère constant, obligatoire et  généralement immédiat des formes de rétroactions présentes dans les jeux vidéo. Le second enseignement que nous observons est qu’un alignement est nécessaire entre l’objectif, le challenge et les rétroactions afin de ne pas créer d’incohérence (sauf si cela est voulu) à l’intérieur de la zone intermédiaire d’expérience du jeu (Winnicott, 1971). Il convient donc de questionner et de qualifier autant les rétroactions que les approches pédagogiques dans lesquelles elles s’inscrivent. Le dernier enseignement que nous définissons concerne les comportements et les réponses que peuvent effectuer les joueurs et les joueuses aux rétroactions. En effet, la mise en place d’un système d’évaluations ou de rétroactions invite l’apprenant ayant une attitude ludique (Huizinga, 1938) à tester et analyser les limites dudit système par la mise en place de règles régulatives (Duflo, 1997). Les boucles d’inter-réaction peuvent susciter aux joueurs  de donner un sens nouveau ou plutôt une nouvelle couche de significations à la communication ayant lieu, et ce, sans pour autant que cela soit conscientisé par les autres parties prenantes : le game design dans notre cas, l’accompagnateur ou l’accompagnatrice dans un contexte pédagogique.  ■

Esteban Grine, 2017.

 

Oublie-moi mon amour – Bury Me My Love

Oublie-moi mon amour – Regrette-moi mon amour

Je viens de terminer « Enterre-moi Mon Amour » (abrégé BMML par la suite). Enfin, terminer est un bien grand mot. Je viens d’atteindre plutôt l’une des fins proposées par le jeu et pas l’une des plus heureuses. Au contraire, j’ai découvert avec béatitude et surprise en sortant mon téléphone de la poche de mon manteau une fin tragique, incertaine et brutale.

Nour venait d’atteindre la Croatie et à cause de certaines circonstances, a dû se rendre à la police, sur mon conseil en plus. Sauf que la police n’a pas été tendre. Je ne sais pas ce qu’il s’est passé par la suite mais cela m’interroge, forcément. Cette découverte a été assez surprenante puisque lorsque je prie mon smartphone, j’étais alors dans la voiture de ma sœur me conduisant chez mes parents. Comble de tout cela, j’étais assez grognon car je racontais l’amende que la SNCF venait de m’infliger. Bref, bien que nous étions en train de rire de mon litige, je n’étais pas spécialement dans un état d’esprit particulièrement assidu lorsque j’ouvris BMML. Quelle ne fut pas ma surprise de découvrir l’écran de fin du jeu, de manière si directe, abrupte. Je dois avouer que je n’ai pas compris ce qu’il s’était passé, une heure plus tôt, tout allait à peu près bien et pourtant, je me retrouvais avec un message audio particulièrement pessimiste de la part de Nour.

Au début, je ne savais pas quoi faire, complétement étourdi par la nouvelle. Puis très vite, je me suis fait la réflexion que ce n’était pas grave car je peux recommencer l’histoire, le jeu m’invite en plus à faire cela.

« Ce n’est pas grave car je peux recommencer l’histoire » ? Voilà une phrase bien récurrente dans les discours plutôt égoïste des joueurs et des joueuses. Peu importe le comportement et le sens que l’on donne à l’acte de jouer puisque dans tous les cas, on peut recommencer soit grâce à une savestate soit grâce tout simplement à la possibilité de recommencer une toute nouvelle partie. En recommençant, j’avais le pouvoir d’effacer le regret que je ressentais. Cependant, efface-t-on vraiment aussi simplement que cela une expérience vécu ? Je veux dire : même si’il s’agit bien d’une fiction que j’ai observé et à laquelle j’ai parfois participé, j’ai malgré tout ressenti des émotions suffisamment forte pour les considérer comme réelles.

Je ne fais pas partie des gens qui cloisonnent l’acte de jouer à un jeu vidéo à quelque chose en dehors de la réalité. Au contraire, je m’inspire beaucoup de la pensée de Jacques Henriot (sous couleur de jouer, 1989) qui considère l’idée de jeu comme étant un deuxième niveau de sens attribué à des actions ayant réellement un impact sur la réalité. Autrement dit, si le jeu se trouve dans la tête des gens, les comportements, eux, surviennent bien dans la réalité. Tout cela pour dire que finalement, même si BMML est une fiction, cela ne m’empêche pas de la considérer comme faisant partie de ma réalité. Comprenez-moi bien, je ne suis pas en train de dire que j’applique un univers fictionnel à la réalité. C’est tout l’inverse : j’étends ce que je considère comme la réalité à des objets de fiction puisque ceux-ci, peu importe le sens qu’ils ont, m’ont suscité d’agir de certaines façons.

Pendant cette semaine durant laquelle j’ai joué, j’ai suivi Nour, elle a agis en fonction de mes prépositions. Malgré tout, il n’y a pas eu de fin heureuse : je n’ai pas été un Dieu lui permettant de s’extraire de sa condition de personnage syrienne non joueuse. Et tout cela me chagrine énormément : « pourquoi ? Pourquoi est-elle punie ? Pourquoi suis-je puni ? Je n’ai rien fait de mal, je crois. Laissez-moi une seconde chance ! »

D’où le dilemme qui se pose maintenant au joueur que je suis : qui suis-je pour avoir une seconde chance ? N’est-ce pas là un désir égoïste ? Un besoin de rédemption ? Pourtant ce n’est qu’un jeu. Ou pas finalement, BMML, que je le veuille ou non, a pris plus de place dans mes pensées que n’importe quel autre jeu cette semaine et me voir écrire ces mots ne fait que renforcer l’idée que je me fais que « ceci n’a jamais été un jeu » pour faire un petit clin d’œil à Bateson et ça célèbre phrase : « ceci est un jeu ».

Depuis le début de mes recherches je n’ai eu de cesse que de m’intéresser à certaines émotions dont celle du regret qui s’exprime en jouant, en prenant part à certaines fictions proposées par un jeu vidéo. Je regrette, clairement, les comportements et les propositions que j’ai faite à Nour : « pourquoi lui ai-je dit d’aller à la police ? Quel bêtise inconsciente de ma part… » Et j’ai joué à un nombre suffisant de jeux m’invitant à réfléchir sur cela : Undertale, The Witness, NieR AutomatA, Pony Island et maintenant BMML.  Tous ces jeux invitent le joueur à adopter une démarche réflexive sur ce que c’est que de jouer et des engagements moraux que l’acte vidéoludique implique. Par exemple, Pony Island invite le joueur ou la joueuse à totalement supprimer le jeu et à ne jamais y rejouer sous prétexte qu’il s’agit de la seule façon de libérer définitivement les protagonistes liés au récit. Pareillement, Undertale invite son ou sa joueuse à ne pas recommencer le jeu une fois la true pacifist route réalisée. Undertale veut faire comprendre à son ou sa joueuse que ce n’est pas grave de ne pas essayer de tout faire ou tout voir par pur égoïsme vidéoludique. NieR Automata oblige le ou la joueuse à supprimer sa sauvegarde pour atteindre la fin E. The Witness quant à lui possède un puzzle extrêmement difficile car aléatoire afin d’empêcher la complétion totale.

Tous ces jeux et les game designers qui sont derrière, veulent que le ou la joueuse comprennent qu’il ne faut pas jouer de manière égoïste, qu’il faut savoir s’arrêter pour laisser la fiction à elle-même. Recommencer une partie sur BMML, cela implique que je ferais revivre toutes les horreurs que Nour a déjà vécu une fois sans qu’elle s’en souvienne et ce, par pur plaisir personnel. Je n’agis plus pour elle, j’agis pour que moi, joueur, me sente bien. Je réduis mon expérience et les éléments du jeu à ce qu’ils sont réellement : des variables d’un code informatique. Est-ce vraiment ce que je souhaite faire de BMML ?

Je regrette sincèrement que l’histoire se soit conclue de la sorte, pourtant, ai-je le droit de « réécrire » cette histoire sous prétexte que cela me fend le cœur ? Suis-je en train d’enfermer Nour dans les limbes d’un jeu vidéo ? L’obligeant à revivre les atrocités qu’elle m’a racontés ? A-t-on déjà réécrit de grands récits ? Oui, et à chaque fois, son message premier perdait en intensité. La tragédie que vit Nour ne deviendrait-elle pas juste une histoire comme celles d’autres jeux si je recommence le jeu ?

Au contraire, je dois protéger cela, je dois chérir ce sentiment de regret que j’ai, cela ne transforme que plus le regard que je porte aux réfugiés que nous devrions accueillir les bras ouverts. Je dois aussi protéger cette expérience, afin qu’elle reste vive dans ma mémoire, brulée au fer rouge. Recommencer le jeu, c’est oublier la tragédie que l’immigration forcée de Nour est. Recommencer le jeu, c’est oublier ce qu’il s’est passé en faisant semblant. Je refuse. Je ne jouerais plus jamais à « Enterre-Moi Mon Amour ». Je veux que ce regret immensément réel que j’éprouve reste vivant dans ma mémoire. Je dois maintenant apprendre à vivre avec.

Esteban Grine, 2017.

Loin Du Bruit, loin des autres – Far from Noise

Loin du bruit, loin des autres.

Nous sommes dans une voiture, sur le rebord d’une falaise. Chaque mouvement pourrait être le dernier et nous nous balançons entre la vie et la mort dans un temps qui semble suspendu. Entre la vie et la mort c’est le moment de réfléchir sur tout le reste. Un cerf, poète, philosophe, nous accompagnera.

J’ai fait deux parties dans Far From Noise. La première jouée en « découverte », j’ai fait les choix qui me semblaient les plus en accord avec ce que je pensais, et j’ai atteint une des fins. Puis j’ai recommencé une partie, cette fois en jouant un personnage. J’ai décidé d’être très égocentrique, négatif et tenter de faire fuir les autres par tous les moyens.

Et c’est cette partie qui m’a fait comprendre ce qu’est Far From Noise. C’est en centrant mon personnage sur lui-même que j’ai compris que ce jeu est un appel à s’ouvrir aux autres.
S’ouvrir aux autres pour aussi mieux se connaitre soi-même, et pour s’apporter mutuellement de nouvelles perspectives, de nouvelles façons d’aborder la vie. En ne parlant que de moi-même, je n’ai rien appris sur la personne prisonnière de la voiture. Je n’ai rien appris de son passé, de ses souvenirs, de ce qui l’a conduit dans cette situation, de ses rêves, de ses espoirs. Je n’étais pas dans l’échange, alors le jeu non plus.

S’ouvrir aux autres c’est aussi s’ouvrir à la nature, à ce qui nous entoure, aux spectacles constants de la vie. Fermé à tout et obsédé par le problème de la voiture. Je n’ai pas pris le temps d’observer autour de moi ce qui se passait. J’ai fait fuir tout ce qui pouvait rompre l’équilibre de la voiture, fuyant par la même occasion de nouvelles rencontres. Fermé aux merveilleux qui se déroulait devant moi. Finis le jeu en ayant loupé nombre de moment touchant comme les discussions sous les constellations ou la simple contemplation de l’océan.

Et puis la fin du jeu est arrivée bien vite. Le cerf abandonnant toute tentative de discussion. Non pas dédaigneux ou vexé mais attristé par la fermeté avec laquelle mon personnage refusait l’échange. La mauvaise fin du jeu. Celle où l’on meurt. Mais ce n’est pas le balancement de la voiture qui m’a tué. Ce qui m’a tué c’est l’effondrement du sol autour de moi. Une métaphore très certainement.

Far from Noise c’est un jeu poétique qui véhicule des messages d’ouverture et d’acceptation. Prendre le temps de l’introspection, prendre le temps de contempler ce qui est autour, prendre le temps de se distancer des souvenirs et des a priori, prendre le temps de se plonger dans ses souvenirs. Accepter les autres, s’accepter soi-même, accepter de changer, accepter la discussion, accepter que les autres change, accepter les autres sans les juger.

Far from Noise aborde des thèmes très beaux, sincères et touchants. C’est un jeu qui a résonné avec beaucoup de moment de ma vie et qui m’a particulièrement ému. Ma deuxième partie de Far From Noise m’a fait réaliser ce que j’ai pu louper en étant obtus à certains moments de ma vie. Il m’a fait me replonger avec mélancolie dans mes souvenirs. Mais aussi comprendre à quel point j’avais eu raison de faire certains choix, de tenter la discussion et l’échange. ■

Un bot pourrait faire ça, 2017.

Attends-moi mon amour – Bury Me My Love

Attends-moi mon amour – Bury Me My Love

J’ai commencé la semaine dernière “Enterre-moi mon amour” de The Pixel Hunt et Pierrec de l’Oujevipo. Cela fait donc maintenant un peu plus de 4 jours que j’accompagne Nour dans son périple pour me rejoindre, ou Majd, cela n’est pas important. Parfois Majd, parfois moi, je suis ses périples.

Cela fait donc 4 jours que je « joue » à ce jeu car j’ai choisi de le faire en temps réel, c’est-à-dire que la progression s’effectue avec le temps véritablement nécessaire à Nour pour aller d’une étape à une autre. Au moment où j’écris ces lignes, Nour doit d’ailleurs arriver à la frontière bulgare. Après avoir passé deux jours à Istanbul, elle trouva un passeur pouvant la déposer avant la frontière. Mais là je m’inquiète. Je m’inquiète car elle n’a pas pensé à prendre une lampe torche, et je n’ai pas eu la possibilité de lui proposer d’en prendre une… La réalité est que même si j’avais eu ce choix, je n’y aurais probablement pas songé, ou je l’aurais tout simplement défaussé.

Bref, je suis dans l’attente. Nour est déconnectée, il n’y a pas d’internet et je dois bien composer avec les informations que j’ai pour le moment. Je nourris mon imagination de ses périples, croisant les doigts pour que rien ne puisse lui arriver. C’est difficile d’avoir totalement confiance dans ces cas-là, on se retrouve bloqué, entre notre impuissance et l’obligation de totalement croire en la personne qui nous répond sans jamais nous parler de vive-voix.

L’un des tours de force de « Bury Me My Love » réside précisément dans sa façon de maintenir son joueur dans l’attente. de nombreuses fois, j’avais critiqué justement cette façon de game designer une expérience vidéoludique. J’avais été très véhément à propos des idle games qui obligent le ou la joueuse à ne pas jouer sous couvert d’une mécanique ludique spécialement mise en place pour susciter un comportement d’achat : « tu veux jouer ? passe par la caisse et tu n’auras pas à attendre ton tour ». « Enterre moi mon amour » use pourtant de la même mécanique et in fine déconstruit tous les arguments des plus fidèles ludologues qui pensent que « seul le gameplay compte », contrairement aux assets et au scénario qui importent peu. Or, nous avons là un cas flagrant et brillant de l’utilisation de « l’attente » comme élément essentiel du game design d’un jeu et ce, pour des raisons scénaristiques plutôt que mercantiles comme c’est le cas des idle games. Pareil, cette attente ne sert pas à influencer le joueur et l’inciter à revenir par l’obtention d’une carotte tel un bonus d’expérience.

Ici, l’attente est scénarisée et cela invite le joueur à guetter toutes nouvelles informations provenant de Nour. A guetter son téléphone, espérant avoir une nouvelle qui pourrait nous rassurer. L’attente permet aussi de prendre la mesure de l’exploit humain que c’est de vouloir rejoindre l’Europe. Cela nous incite à penser à Nour même quand nous ne jouons pas au jeu. Au milieu d’une réunion de travail, on en vient à se dire : « est-ce qu’elle m’a écrit ? J’espère qu’elle n’a pas eu de soucis… », lors de son trajet pour attraper le métropolitain : « tiens ! Je n’ai toujours pas eu de nouvelles ». Il y a un mélange entre notre vie et celle de Nour, entre notre réalité et cette fiction inspirée de faits réels et quotidien dans le monde.

L’attente me fait ressentir une empathie immense pour Nour, pour les immigré.e.s qui tous les jours depuis le début de cette guerre, cherchent à rejoindre l’Europe, fausse terre d’asile et complice de ce qui se passe là-bas. L’attente me fait comprendre aussi ce qu’est de rester, loin, impuissant, des personnes que nous aimons et qui luttent pour nous rejoindre. Je n’ai jamais vécu cette situation. Je croise les doigts pour ne jamais la vivre mais je crois que « Enterre-moi mon anour » m’aide à ressentir, un peu, sans comprendre, sans être « à la place de ».

Je crois que ce jeu m’aide à ressentir à toute petite échelle ce que d’autres, moins fortuné.e.s, ont vécu ou subissent exactement au moment où j’écris ces mots. ■

Esteban Grine, 2017.

Papillons roses, fleurs bleues et culture intensive

Minecraft peut se présenter comme un jeu de survie, quoi que l’intention de ses auteurs soit, il n’en est pas un. Stardew Valley peut se dévoiler comme une simulation agricole, quoi que l’on en pense, il n’en n’est pas seulement un. Depuis 2009 apparaissent des jeux « bacs à sable » dans lesquels il est possible de faire tout ce que l’on désire et ce, dans une certaine mesure autorisée par le gameplay du jeu. Cependant, je vais prendre le temps dans ce court billet – et avec l’exemple des deux jeux mentionnés – de démontrer que ces jeux présentés comme tels ne sont que des métaphores à différent niveau de l’esprit capitaliste d’exploitation.  

Minecraft se présente comme un jeu dans lequel il est possible de faire tout ce que l’on veut et en effet, lorsque l’on arrive dans un nouveau monde, son immensité nous écrase. L’absence de limite à son univers laisse le ou la joueuse supposer d’une liberté totale. A mon sens, il ne s’agit là que d’une illusion des plus banales associées au jeu vidéo : la promesse d’un monde dans lequel son ou sa joueuse pourra s’épanouir bien plus que dans sa réalité quotidienne. Ainsi, penser que Minecraft est un jeu d’exploration ou un jeu de survie dans lequel le joueur doit plutôt lutter contre un monde hostile est généralement l’une des premières définitions que l’on présente pour parler du jeu à un non initié. Or, je m’oppose clairement à cette idée « d’hostilité du monde » qui me semble être une caractéristique importante pour définir le « jeu vidéo de survie ». Il me semble au contraire que les mondes de Minecraft sont l’exact opposé de l’hostilité. Ce sont des jardins d’Eden dans lesquels le joueur a tout à disposition et considère tout ce qui l’entoure comme une ressource potentiel lui servant à optimiser son bien-être. A mon sens, l’exploitation de l’environnement est précisément le cœur du gameplay de Minecraft. Lorsque j’observe les interactions possibles et permises par le système de règles, il apparait clairement que ces actions ou interactions ne sont pas téléonomiques. Elles ne sont pas une finalité en elles-mêmes. Par contre, elles servent le ou la joueuse dans une certaine recherche d’une situation de bien-être dans le jeu. Je fais aussi l’hypothèse que ce bien-être passe, dans Minecraft¸ par un aspect matériel.

Ainsi, les environnements de ce jeu ne sont pas intéressants car il est possible d’explorer mais plutôt à cause du fait qu’ils proposent une affordance particulière à leur exploitation et leur optimisation de rendement. C’est en ce sens que je vois une distinction entre Minecraft, qui propose un certain degré d’exploration, à d’autres jeux qui focalisent tout leur gameplay à ce sujet comme c’est le cas pour Proteus. Impossible alors de ne pas rapprocher Minecraft de la pensée de John Locke qui voyait dans le travail le moyen de l’être humain à s’approprier, à mettre un droit de propriété sur quelque chose de naturel : c’est par le travail qu’un lieu devient une propriété. Il me semble que cela convient particulièrement au gameplay de Minecraft : le joueur s’approprie l’environnement en l’exploitant et en le transformant de sorte à ce que tout serve son bien-être. En regardant certains Playthrough, on s’aperçoit aussi qu’un plaisir esthétique dans Minecraft nait de l’optimisation et de la capacité de rendement d’une construction. Les différentes fermes automatisées nous permettent de constater cela. Ainsi, par son gameplay finalement très orienté, nous supposons que Minecraft est un jeu diffusant principalement des idées libérales autour de la privatisation des ressources mais plus généralement du rôle de la Nature comme source du bien-être du ou de la joueuse. Ainsi, il s’agit, je pense, d’une erreur que de le considérer comme un jeu de survie. « jeu d’exploitation » semble être plus approprié je pense.

C’est là où l’on peut tisser des parallèles avec Stardew Valley. Il se démarque de Minecraft dans le sens où les environnements ne sont plus générés aléatoirement et que le territoire exploitable par le ou la joueuse est circonscrit à un petit pourcentage de la map totale. Il s’agit en plus d’un terrain particulier où la propriété était déjà déterminée avant l’arrivée du ou de la joueuse : il n’est donc pas question de l’appropriation d’un espace vierge de l’activité humaine comme dans Minecraft. Cependant, le mélange des codes et des mécaniques ludiques fait que l’on peut se passer du « gameplay d’exploitation » pour se concentrer sur d’autres aspects du jeu. Là où c’est peut-être moins le cas dans Minecraft. Ainsi, les deux jeux semblent présenter des valeurs finalement libérales et capitalistes, ils se distinguent par la façon dont le joueur va appréhender le jeu. Je fais ici l’hypothèse que dans Minecraft, le ou la joueuse adopte un comportement qui pourrait être rapproché de l’organisation scientifique du travail de Taylor. Il serait alors question d’optimisation mais aussi de rationalisation de la production. A l’opposé, Stardew Valley, bien que proposant des mécaniques  très proches, déstructure l’activité du ou de la joueuse en proposant une multitude d’activités variés mais aussi de contextes créateurs de sens autres que simplement la recherche du bien-être personnel. Bien qu’étant libéral et capitaliste, le jeu laisse beaucoup plus d’espaces potentiels de sens.

A mon avis, les deux expériences sont donc très différentes en termes sémiotiques. Si les deux jeux proposent des bases de gameplay similaires, il apparait, à la conclusion de ce court billet, que Minecraft affirme bien plus son discours libéral, colonialiste et capitaliste que Stardew Valley. Ce dernier en possède un similaire mais le dilue dans des activités multiples dont les contextes atténuent le message au profit d’autres valeurs progressistes. Il ne s’agit là que d’un court billet mais il conviendrait d’approfondir ces lectures de ces deux jeux tout en intégrant d’autres objets comme Don’t Starve qui semble quant à lui véritablement proposer une expérience de survie. ■

Esteban Grine, 2017.

Super Game Lab Turbo

Super Game Lab Turbo : retour sur le colloque « penser (avec) la culture vidéoludique »

Pour citer cet article : Giner, E., 2017, Super Game Lab Turbo : Retour sur le colloque « penser avec la culture vidéoludique », Carnet des jeunes chercheurs du Crem, https://ajccrem.hypotheses.org/380

Les 4, 5 et 6 octobres s’est déroulé le colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique » organisé par le gamelab et l’université de Lausanne. Cela a permis de cristalliser l’état de la recherche mais aussi des expérimentations liées de près ou de loin au jeu vidéo et ce, au niveau de la francophonie européenne et nord-américaine puisque les participant·e·s venaient du Canada, de la Belgique, de la Suisse et enfin de la France. La conférence inaugurale de Krichane et Javet (2017) notent aussi que cet événement est un jalon pour la légitimation du jeu vidéo en tant qu’objet de recherche en Suisse mais aussi en Europe francophone.

Le colloque a proposé plusieurs axes exploratoires afin d’illustrer la pluralité des recherches actuelles sur le jeu vidéo. Le premier, que nous déterminons a posteriori du colloque, concerne l’évolution des discours et de la légitimation progressive de l’objet au niveau scientifique et politique. Ainsi, Perret et Maître (2017) ont chacun évoqué les représentations négatives des jeux vidéo dans les médias suisses. Maître note qu’à la décennie 90, « en Suisse, la Nes est devenue tellement importante que le mot Nintendo était utilisé comme synonyme de « jeux vidéo » ». Le champ lexical du jeu vidéo était alors employé pour définir une génération : « génération Nintendo, génération Game Boy ». Michael Perret déconstruit dans son intervention le lexique et les discours contenus dans certaines émissions. La conclusion de ces deux interventions fait écho à ce que postulait déjà Mc Luhan concernant le « dernier des médias » : la dernière forme médiatique est toujours l’objet de critiques virulentes. Cependant, il est nécessaire de contraster les recherches de Perret et Maître en évoquant les communications de Coville et Meunier (2017). Leurs exposés ont pour leur part évoqué la légitimation historique dans les discours politiques du jeu vidéo (Coville) et l’évolution d’une communauté scientifique organisée autour de l’objet (Meunier).  Coville constate notamment qu’un récit tenu par les acteurs économiques sur la fuite des cerveaux et la concurrence internationale a permis de mobiliser les acteurs institutionnels et politiques dans les années 2000. Cela a conduit à la création d’un crédit d’impôt pour la création de jeu vidéo géré par le CNC, marqueur pragmatique permettant de considérer le jeu vidéo comme un objet culturel. Meunier interroge la circulation des savoirs vidéoludiques. Elle constate que cette circulation est due à de nombreux acteurs universitaires, techniques et privés. Etant donné la pluralité des acteurs, elle note que « Les Game Jams sont des endroits propices pour le savoir » (2017). Ces quatre interventions ont été l’occasion de montrer l’évolution du jeu vidéo : d’abord média décrié par les journalistes, il est reconnu par le politique dans les années 2000. La recherche quant à elle produit de plus en plus de connaissances sur cet objet et s’il n’est pas encore définitivement reconnu institutionnellement, les chercheur·se·s se mobilisent dans le but de l’introduire à l’université. A cela s’ajoute les interventions de Xanthos et Jacquin (2017) et de Dozo et Krywicki (2017) qui interrogent respectivement 1/ la complexité linguistique des jeux de cartes et 2/ l’apparition des « beaux livres » consacrés aux jeux vidéo et souvent écrits par des journalistes. L’existence de ces derniers objets nous conforte dans l’idée que le jeu vidéo est un objet artistique. Enfin, Hurel (2017) constate l’importance des sphères amatrices dans la compréhension du jeu vidéo comme objet culturel ainsi que dans sa diffusion auprès de communautés parfois très restreintes.

Le jeu vidéo, lorsqu’il n’est pas une activité aliénante reproduisant des systèmes de production – Vetel, dans sa communication, évoque les activités lucratives liées à la gestion de serveurs « Dofus » privé, (2017) – est aussi devenu un enjeu pour l’éducation nationale et la pédagogie de manière générale. Nous avons donc pu écouter des retours d’expériences de plusieurs expérimentations. Philipette (2017) a proposé un retour d’expérience sur la ludification qu’il a pratiqué dans ses cours notamment en utilisant des outils comme « ClassCraft », un service qui permet la scénarisation de cours en implémentant des mécaniques de jeux de rôle. Par ailleurs, deux axes se sont distingués et illustrent les utilisations du jeu vidéo comme un support d’apprentissage.

Le premier axe fait l’hypothèse que le jeu vidéo peut être un support utilisable par des enseignants. En ce sens, il s’agit de réutiliser des jeux déjà existants et de créer des scénarios pédagogiques applicables dans des contextes particulièrement hétérogènes. Ainsi, Vincent et Lalu (2017) avaient une communication à propos de l’utilisation de jeux vidéo dans la cadre de l’apprentissage de l’histoire au collège. Vincent a notamment alerté sur l’intérêt d’évoquer les jeux vidéo en classe puisque il a observé que les élèves questionnent la véracité des propos tenus dans les jeux vidéo et par les enseignants en comparant les deux entre eux. Ils soutiennent aussi l’hypothèse de Berry, à savoir que les jeux vidéo ne sont pas des dispositifs d’apprentissage mais des activités qui peuvent générer des situations d’apprentissages. Dès lors, c’est à l’enseignant que revient la tâche de faire émerger ces dernières par la création de scénarios pédagogiques par exemple. El Mansouri et Biagioli (2017) sont intervenues sur la création et l’utilisation d’un jeu sérieux afin de sensibiliser les apprenants (dans ce cas plutôt des enfants) aux questions de nutritions. Leur présentation a offert un post-mortem intéressant dans la réalisation du jeu créé par elles-mêmes. Biagioli a rappelé l’importance d’équilibrer, ou plutôt d’aligner, les objectifs didactiques, pédagogiques avec les objectifs financiers. Enfin, Thiaux, Andlauer et Bolka-Tabary (2017) ont présenté une évaluation d’une expérimentation pédagogique mobilisant le jeu Minecraft. Ce dernier trouve sa place justifiée notamment par le fait qu’il mobiliser le « build », l’acte de construire et de modéliser l’environnement vidéoludique comme mode d’engagement du joueur ou de la joueuse (Lucas, 2017). Pour reprendre Houssaye (1993), nous retenons que les observations qu’elles ont faites constatent les changements de rôles que peuvent avoir les élèves dans un processus pédagogiques. Si la majorité considère avoir appris, les chercheuses notent aussi des cas où certains élèves prennent la position du fou ou du mort dans le triangle pédagogique. Dès lors, le non-respect des règles du jeu par ces élèves peut devenir perturbateurs, sans pour autant que cela soit incorrigible. Par ailleurs et comme l’énonce Barnabé et Delbouille (2017), le jeu vidéo montre un intérêt de par l’invitation à la réflexivité qu’il suscite. Ces dernières constatent notamment que l’avatar, considéré comme un pont vers le monde fictionnel oblige le ou la joueuse à prendre ou laisser le contrôle du jeu, l’invitant alors à questionner sa posture. Dès lors, il semble que ce soit une piste une de réflexion dans l’usage pédagogique qui peut être fait d’un jeu vidéo.

Le deuxième axe d’utilisation du jeu vidéo comme objet pédagogique concerne cette fois non pas l’utilisation mais la création d’objet vidéoludique. C’est alors de ce processus de création qu’émergent les apprentissages.  Dans ce cadre, la création de jeux est alors mobilisée afin de permettre des apprentissages propres à la matière enseignée mais aussi parfois avec l’espoir de permettre d’autres apprentissages sous formes d’externalités. Piñeros et Zabban (2017) ont notamment constaté les intérêts d’adopter une telle démarche à l’université Paris 13 avec la création d’un FabLab dédié à la création de jeux. Cet espace est utilisé de manière formelle, dans un cadre pédagogique précis, mais aussi informelle afin de créer une communauté de pratiques et d’intérêts avec les étudiants notamment. Lorsque le cadre géographique ne convient pas, c’est alors sur la temporalité que peuvent jouer les enseignants comme le montrent Quinche (2017), Chollet (2017) et Congy (2017). Balli (2017) énonce aussi que les game jams peuvent aussi servir de terrain et de méthodologie dans un cadre de recherche-action. Ces chercheur·e·s ont mobilisé la création de jeu dans des temporalités différentes en allant du très court (gamejam) au très long (sur un semestre) pour Congy. Ce dernier profita de son expérimentation pour sensibiliser ses étudiants en game design à d’autres disciplines comme l’histoire. Verbesselt et Hurel (2017) notent aussi l’intérêt de la création de jeux dans les actions citoyennes ou militantes, parfois avec une emphase sur l’importance des amateurs (Hurel, 2017) dans ce type de créations. Ces dernières sont alors le support d’échanges, de débats et de partages.

Il apparait que des grandes thématiques se sont dégagées de ce colloque autour de la pédagogie mais aussi de manière assez large autour de la légitimation de l’objet jeu vidéo comme objet culturel et de recherches. En tant qu’objet culturel, les différentes communications ont constaté les premières perceptions qu’avait le public à propos du jeu vidéo et la façon dont ses représentations associées ont évolué. D’un objet lointain voire dangereux, il a été récupéré par les communautés institutionnelles, politiques, scientifiques et amatrices pour aujourd’hui s’affirmer comme un objet culturel pleinement intégré aux loisirs et aux fictions. La présence de 4 pays francophones réunis au même endroit laisse présager un avenir intéressant et optimiste pour la recherche et la légitimation du jeu vidéo, en espérant que les prochaines éditions de ce colloque puissent aussi accueillir encore plus de pays francophones. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Bibliographie

Balli, F., 2017, Les game jams comme méthode d’apprentissage expérientiel et de co-création interdisciplinaire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Barnabé, F ., Delbouille, J., 2017, Jeu, narration et réflexivité: le rôle de l’avatar, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Chollet, A., 2017, Quand «Game Dev Tycoon» s’invite à l’Université : retour d’expérience sur le concours de programmation «Code Game Jam», Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Congy, A., 2017, Le visual novel historique comme champ d’expérimentation du game design et de la fictionnalisation de l’Histoire, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Coville, M., 2017, Formuler le jeu vidéo comme un « bien culturel ». Politiques publiques françaises & reconnaissance culturelle des jeux vidéo, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Dozo, B-O., Krywicki, B., 2017, «Beaux livres» sur les jeux vidéo et presse vidéoludique: transferts et transformations du capital ludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

El Mansouri, M., Biagioli, N., 2017, Concevoir un jeu vidéo éducatif: quels enjeux culturels, didactiques et ludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Hurel, P-Y., 2017, L’amateurisme comme processus au cœur de la culture vidéoludique, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Lalu, J., Vincent, R., 2017, Et si on jouait à l’Histoire, histoire de jouer? , Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Lucas, J-F., 2017, Le «build», mode d’engagement et médiateur de l’expérience narrative spatialisée dans les univers vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Maître, A., 2017, Entre dénonciation et éloge de la «Nintendomanie»: les représentations des jeux vidéo dans les médias romands durant les années 1990, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Perret, M., 2017, « Parlons-en de ces problèmes » : la configuration de l’addiction et de la violence dans les jeux vidéo immersifs dans Temps Présent, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Philippette, T., 2017, Ludicisation dans l’enseignement supérieur: travaux de groupe et évaluation continue à travers Classcraft, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Quinche, F., 2017, Processus de création de serious games, recherche de critères de conception pour favoriser l’intégration dans l’enseignement, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Meunier, S., 2017, Questionner les circulations internationales des savoirs vidéoludiques, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Thiault, F., Andlauer, L., Bolka-Tabary, L., 2017, Utilisation pédagogique du jeu Minecraft.edu dans un dispositif interdisciplinaire en collège, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Verbesselt, M., Hurel, P-Y., 2017, Ateliers de (dé)construction de jeux vidéo : une question de démocratie culturelle, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Vétel, B., 2017, De l’émulation d’un jeu en ligne au travail des gérants de serveurs illégaux, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Xanthos, A., Jacquin, J., 2017, Approche de l’évolution de la complexité linguistique dans un jeu de cartes numérique: l’exemple d’Hearthstone, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

Zabban, V., Pineros, N., 2017, Ce que le jeu fait au travail et à la relation pédagogique: créer et utiliser un jeu à l’université. Le cas d’Erasmus Hispanicus, Communication présentée au colloque « Penser (avec) la culture vidéoludique », Lausanne, Suisse.

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Les boloss des belles games – Majora’s Mask

Les boloss des belles games – Majora’s Mask

C’est l’histoire de Skull Kid, un ptit keum qui essaie de se placer lead singer dans son groupe de rap.

Sauf qu’il se fait tej car son crew en a trop marre de le voir chier des textes péraves.

Le gonz, il se retrouve dans la misère sociale : pas d’alloc, pas de chômage, en mode cigale chez La Fontaine.

En plus il en grave sur le caillou car il vit dans une société ultralibérale qui le traite comme un schlague des familles à la rue et qui l’empêche d’avoir une mutuelle étudiante.

Du coup, lui, il a grave la rage et commence à mettre des balayettes dans toutes les coucougnettes. Et là, il trouve une arme, un masque qui lui donne des pouvoirs de bombes atomiques.

Le p’tit gonz, il se sent plus pisser, se fout sur le clocher et se met à gueuler : « Ah, vous m’avez regardé crever, je vais tous vous niquer ! »

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Toi, t’incarnes un immigré, le genre à faire des 3/8 avec tous les métiers du monde mais à quand même te faire traiter de feignant par des blaireaux incapables de faire ton boulot. En plus, en passant la frontière, tu te fais racketter en mode « papier s’il vous plait ».

Alors toi, t’arrives à bourg-clocher en loozdé et tu veux t’intégrer, du coup tu fais les pires jobs : tu commences par nettoyer les chiottes du roi mojo. Le salaud, c’était bien crado, du coup, tu nettoies ça façon « écuries d’Augias ». Puis, tu fais de la plomberie façon Mario, puis tu répares le chauffage des Goron pour enfin faire quoi ? Enterrer des morts au lieu de les manger.

Bref, tu crèves au boulot comme un galérien pendant que les habitants de bourg clocher, qui ont des papiers d’identité se touchent la bite en préparer une grande messe capitaliste même si un missile de taille intersidérale s’apprête à leur péter à la gueule, ces bâtards. Tout ça, c’est à cause de ce p’tit con de Skull Kid qui s’est fait avoir par un gourou du nom de Majora.

Majora, c’est un dictateur façon Trump ou Kim Jung-un. Il zehef grave de la vie, son seul délire, c’est de toucher le zizi de p’tits garçons qui sont séquestrés sur la lune.

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Alors toi, tu décides qu’il y en marre et tu mets des claques à ce branleur de Skull Kid. Tu lui dis : « hey, sale schlague, maintenant tu vas arrêter de chialer et te mettre à bosser. Y’a des gens qui t’aiment quand même et que maintenant tu peux sortir un skeud sur le fait d’être devenu méchant puis gentil façon PNL ».

Majora, tu lui défourailles la gueule à coup d’épée. Son délire avec les p’tits enfants, ça doit cesser.

Pendant ce temps, la société, elle, elle s’en bat les couilles de ton combat de vegan féministe. Ils sont tous en train de s’enjailler dans la tripaille de leur délire néolibéral du style « ah bah tu vois, y’avait pas besoin de s’inquiéter, consommons les ressources de la planète, jusqu’à en crever, de toutes façon, on sera sauvé ! ».

Ces fascistes en plus, ils t’ont même pas invité à leur fête, t’as même pas droit à un p’tit cocktail. Alors toi, tu te casses, de toute façon, tout le monde t’a déjà oublié.

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C’est l’abandon de soi à une cause plus grande

C’est l’histoire d’un Jean qui danse pour se moquer de la société

C’est comprendre que même si on fait des choses importantes, nous ne sommes pas des héros

C’est la fin des temps, répétée, avec acharnement

C’est Zelda Majora’s Mask.

Esteban Grine, 2017.

 

Vidéo, poésie et jeux vidéo

Ce billet est un complément à un futur article à paraître à la suite d’un colloque auquel je participe.

Vidéo, poésie et jeux vidéo

L’une des ouvertures que je fais dans mon article sur les vidéastes francophones se consacrant au jeu vidéo est l’une des évolutions que je nomme bêtement : « la vidéo poétique sur le jeu vidéo ». Je définis cette dernière comme une vidéo présentant un éthos particulier et dont la caractéristique centrale est que des moments de gameplay sont considérés comme de la matière plastique. Le ou la vidéaste joue alors avec cette matière dans l’objectif de susciter certaines émotions chez son audience observatrice. Jusque-là, rien de nouveau, ou du moins, rien de distinguable par rapport à d’autres vidéos tenant des discours sur les jeux vidéo. C’est pourquoi j’ajoute à cela une caractéristique lyrique directement identifiable et reconnaissable aux paroles tenues par le ou la vidéaste. Ce n’est donc plus simplement un discours pour convaincre mais aussi un discours « pour parler », « pour le plaisir de parler ». Il s’agit donc à mon sens de formes textuelles proches de la poésie en vers ou en prose voire même d’autres formes poétiques : rap, slam, etc.

C’est véritablement pour moi une piste de réflexion très intéressante que je vais poursuivre. Pouvons-nous parler de discours lyrique sur le jeu vidéo ? Je pense, après quelques recherches que j’ai effectuées, que l’on pourrait considérer 2017 comme une année charnière. La scène francophone des vidéastes semblent aujourd’hui mature pour tester de nouvelles expérimentations vidéo et vidéoludiques. Alors, bien sûr, je pourrais évoquer les vidéos de rap à propos de Call Of Duty et il faudra probablement que je m’y consacre un jour mais disons que je fais l’hypothèse dans ce billet que jamais auparavant il n’y a eu autant de discours métatextuels, métacommunicationnels à propos du jeu vidéo dans les vidéos parlant de jeu vidéo ou dans les vidéos parlant d’autre chose mais avec le vocabulaire et un discours au premier degré sur les jeux vidéo.

Avec cette année qui se termine, il y a deux auteurs que je vais retenir et qui je pense, ont ouvert cette voie en 2017. Pier-re a toujours proposé des formats expérimentaux mais sa vidéo « Un vide — pensées de mes idéaux » (qui joue d’ailleurs déjà très bien sur le double sens avec son trait d’union ici écrit en tiret) fait partie des premiers, je crois, « slams vidéoludiques » (à défaut d’un autre terme plus approprié). La seconde, plus personnelle est celle du créateur Pierre Olbius qui partage un texte à propos de la dépression et qui est mis en récit, mêlant informations hyper objectives (heures précises énoncées à la voix), alternances de rythmes par la musique (suscitant l’immergence et l’émergence pour assurer une posture réflexive chez l’audience), fin brutale, images oppressives/apaisantes. Je pense que nous pourrions aussi remonter plus tôt cette année, notamment avec le texte de Tifor pour les « madeleines vidéoludiques », mis en forme par ce dernier et lu par Damastès. Je fais avec ces trois exemples le constat que certains vidéastes, aujourd’hui, veulent « esthétiser » leurs productions vidéo, leur discours et le reste. C’est pour moi annonciateur de la légitimation totale du jeu vidéo. L’une des pistes que je veux maintenant exploiter, si j’ai le temps, est donc la suivante : j’observe un transfert d’intérêt des créateur.ice.s présent.e.s sur les plateformes vidéos. Auparavant, la vidéo servait un propos sur le jeu vidéo, je constate que l’inverse est très facilement observable aujourd’hui et cela mérite d’y attacher de l’importance puisque dans ce dernier cas, le jeu vidéo est implicitement considéré comme légitime. ■

Esteban Grine, 2017.