En mai, fait ce qu’il te plait ! (comme venir me voir par exemple… je dis pas que c’est pas cool de pas venir, je dis juste que je vais vérifier que tu n’ai rien d’autre à faire)

Bonjour Internet ! Il s’agit juste d’un petit billet d’annonces car mon actualité de mai va être assez chargée. Comme je n’ai pas forcément le temps de faire de faire sérieusement une vidéo, au moins, il y aura quelque part, sur internet la liste des événements auxquels je vais participer en mai !

Au CRACS – le 11 mai !

Je serai samedi 11 mai au CRACS pour intervenir lors de la table-ronde : « God Mode : comment les jeux vidéo peuvent-ils changer notre vie ? »

Ça va être très très cool, je serai en compagnie de Meggie de Fruyter qui avait communiqué lors du colloque « entre le jeu et le joueur » à Lièges l’an dernier, La développeuse du Dimanche qui tient un carnet de développement sur sa chaîne youtube et la vidéaste Nat’Ali qui streame et propose des analyses de design. Il n’y a pas de raison pour que l’on ne s’amuse pas à cet événement.

Tous les détails sont ici. Cela se passe à Arlon en Belgique et c’est un événement gratuit.

Au STUNFEST – les 17, 18 et 19 mai !

J’étais venu en 2018 et c’était merveilleux. Je reviens donc au moins cette année (moins sûr pour l’an prochain, faut savoir tourner). J’y serai donc pour 2 tables-rondes et une conférence et j’ai vraiment hâte de les voir se dérouler ! L’ensemble des événements se dérouleront à la maison des associations et j’y serai principalement je pense. Cependant, vous devriez pouvoir me trouver dans les couloirs du festival 😉

La conférence que je vais donner s’intitule : « didacticiels et politiques : les jeux vidéo comme systèmes d’apprentissage ». Il s’agira globalement ici d’une présentation de mes travaux de recherches publiés ou présentés. Je compte aussi montrer quelques jeux allant de Tomb Raider 3 (Core Design, 1998) à Breath Of The Wild (Nintendo, 2017) en passant par des jeux vidéo un peu plus obscures. La conférence aura lieu le dimanche 19 mai à 12:30 ! Wouhou !

Je participe aussi à deux tables-rondes :

  • « Jeux dangereux : les écueils de la gamification », vendredi 17 à 18h avec Elisabeth Maler et Romain Vincent.
  • « Le game design de la gentillesse » avec Edwige Lelièvre et Lola Guildou aka la Dév Du Dimanche, samedi 18 à 12h.

Et niveau scientifique ?

C’est là que les choses se gâtent puisqu’entre le CRACS et le Stunfest, je participe en bînome avec Rémi Cayatte à une communication sur le jeu vidéo Fiscal Kombat. J’espère pouvoir enregistrer la communication pour ensuite la publier sur la chaîne mais je reviendrai la partager si cela se fait ! Aussi, bien plus tard dans l’année, je vais communiquer sur le modèle de la narration à n-corps que j’ai ébauché à cette adresse : https://www.chroniquesvideoludiques.com/la-narration-videoludique-est-un-probleme-a-n-corps/ ! J’en reparlerai très probablement ici prochainement.

Jeux-Fleuves et Œuvres-Mondes

Si je regarde mon parcours, mon « itinéraire expérientiel » comme dirait Bernard Perron (2016), de ces quelques derniers mois, il est plutôt évident que j’ai été un joueur de mondes plus ou moins ouverts. Historiquement, cette période commença en septembre avec Shadow Of The Tomb Raider (2018), Spyro : The Reignited Trilogy (2018), Red Dead Redemption 2 (2018), Zelda Breath of The Wild (2017), et enfin Assassin’s Creed Odyssey (2018). J’ai aussi pu m’essayer aux derniers opus de Farcry, bien qu’il faille reconnaitre que ces derniers m’aient bien moins inspiré, même si j’y ai passé de très bons moments. Être joueur de ces mondes ouverts, c’est aussi une organisation temporelle puisque j’ai au minimum consacré 25h pour les plus courts (SOTTR et STRT) à la  centaine d’heure pour Odyssey jusqu’à plusieurs centaines d’heures pour BOTW. De toute évidence, j’ai pu nourrir une réflexion pendant ce temps passé à jouer, pensées qui se sont largement cristallisées autour d’une critique des termes que nous employons aujourd’hui pour caractériser ces jeux. S’ils sont effectivement pertinents pour les catégoriser rapidement et par le plus grand nombre, les « triple AAA », « open-world » et consort sont des notions hautement critiquables car elles n’inscrivent finalement pasces jeux dans une histoire de l’art.

A travers ce billet de recherche, je vais donc aborder cette problématique en proposant de réencastrer ces productions culturelles et médiatiques au sein des Œuvres-Mondes.

Note du 22.04.2019 :

Un merci à toutes les personnes qui ont discuté avec moi pour ce billet, en particuliers Charles qui se reconnaitra.

Du monde ouvert au jeu-fleuve

Originellement, cette réflexion part d’une série de tweets répondant à une question plutôt simple : « pourquoi Assassin’s Creed Odyssey (ACOD) me plait autant ? » Etant donné que je n’ai jamais été un joueur de cette série, il est en effet intriguant que j’ai autant apprécié le dernier opus. Si le setting fut l’une des premières raisons avancées – l’antiquité grecque est une période et une topographie passionnante – j’ai bien vite dérivé en définissant ACOD comme un jeu-fleuve, pour faire le parallèle avec les récits-fleuves. Il s’agit alors de conceptualiser le jeu non pas comme un récit présentant une structure clairement identifiée (début, péripéties, dénouement), mais plutôt comme un monde proposant des arcs narratifs qui ne permettent pas au récit de se conclure. Au moment de la rédaction de ces tweets, je fais alors clairement référence au genre du nekketsu : une bande-dessinée japonaise présentant un groupe de héro·ine·s vivant perpétuellement des péripéties. Dans ces récits, le début et la fin importe généralement peu. Les fins sont particulièrement déceptives il me semble puisqu’elles consistent à perpétuer un statu quo, un contrat établit avec l’audience. C’est ainsi que Goku continue sa quête perpétuelle de puissance, Ranma change de genre au contact de l’eau, Inu Yasha poursuit ses aventures, détective Conan reste jeune, etc.

Si les termes open world ou « monde ouvert » (dont certains, comme le vidéaste francophone Pseudoless, distinguent les caractéristiques) sont significativement pertinents pour une audience déjà connaisseuses des marqueurs pragmatiques qui leurs sont associés, il me semble qu’ils ne transcrivent finalement pas la réalité et la dimension artistique de ce que ces jeux représentent. Par ailleurs, je ne souhaite pas non plus souscrire à un vocabulaire qui me serait imposé par un marché des idées. C’est pourquoi réencastrer ces objets à partir de la littérature me semble pertinent (et avouons-le : poétique). Selon mes premières intuitions, les jeux auxquels je joue en ce moment présentent des caractéristiques proches des romans-fleuves.  

un roman-fleuve contemporain composé pour répondre à cette demande et tirer parti du numérique devrait prendre en compte plusieurs facteurs :
– Avec une narration proposée à la façon d’un flot ininterrompu, la question du début ou de la fin devient moins essentielle ; ce qui compte, c’est la durée de l’immersion ou l’intérêt immédiat.
– La narration a besoin de susciter un effet d’accroche continuel, délivrant une récompense instantanée au lecteur à tout moment du récit.
– La narration doit en outre comporter des dénouements à plus long terme, avec une échéance difficilement prévisible, incitant constamment à une poursuite de la lecture. (Bornet et al., 2014 : 15)

Un jeu-fleuve est donc un récit vidéoludique présentant une narration ininterrompue suscitant une accroche perpétuelle et dont le dénouement dépasse la fin pragmatique de l’objet. La fin d’ACOD n’a pas dans le jeu, tout comme la fin de RDR2 qui est en réalité présente dans le premier Red Dead Redemption. Penser ces jeux comme des jeux-fleuves permet aussi de nous détacher des incohérences propres aux récits qu’ils proposent puisqu’à l’instar des nekketsu, le récit n’a d’importance qu’au moment où il se déroule. Ce qui compte, c’est non pas le cadre ou la globalité mais le moment présent qui se déroule devant le joueur ou la joueuse. C’est durant ce moment que l’émotion doit être suscitée, quitte à ce qu’elle devienne désuète dès la péripétie suivante. De même, c’est aussi par leurs structures internes (les mondes représentés, les points de vue) et externes (leur sérialisation derrière une même franchise ou derrière un même focus) que les jeux proposant des mondes ouverts, particulièrement ceux d’Ubisoft et de Rockstar, fonctionnent aussi bien avec les définitions du roman-fleuve.

La définition qu’elle [Lynette Felber, ndlr] fournit du roman-fleuve (puisqu’elle conserve le mot français, en l’absence d’un équivalent satisfaisant en anglais) rassemble les éléments suivants : étendue supérieure à trois volumes, unité thématique et narrative, « fluidité » du sujet qui conduit à une structure distendue, souvent digressive, et qui donne le sentiment d’un texte inachevé ou infini, extension du temps de la lecture, et enfin choix de sujets vastes comme l’apprentissage, la société, l’histoire, et le temps. (Leblond, 2010 : 14)

Dans tous les cas, ces œuvres (aux intentions créatives totalisantes) ne peuvent qu’être soumises aux incohérences et autres problèmes structurels étant donnée leur complexité. Ces problèmes étaient déjà identifiés dans d’autres œuvres-mondes. Bornet et al notent justement :

tous les écrivains qui ont pratiqué ce genre ont constaté cette difficulté et s’en expliquent souvent de manière directe : en témoignent les crises de découragement racontées aussi bien par Proust que par Martin du Gard ou par Sartre (de Roulet, 2013). Il s’agit de cas particulièrement visibles où le créateur est dépassé par son propre projet. Il cherche alors toutes sortes d’outils et de règles pour ne pas être emporté par la structure qu’il essaie de stabiliser. (Bornet et al., 2014 : 12)

Les jeux-fleuves dépassent largement les équipes qui les créent. Pourtant, ils sont la reproduction au XXI siècles des ambitions démesurées d’écrivains tels que Marcel Proust consacrant les quinze dernières années de sa vie à écrire La Recherche.  C’est pourquoi les jeux que j’ai mentionnés s’inscrivent dans des temporalités qui dépassent largement les œuvres elles-mêmes : le récit d’Assassin’s Creed est plus vaste que la somme de ses épisodes. Tout comme les jeux vidéo développés par Rockstar. Cependant, à l’instar des romans d’Emile Zola ou de Jules Verne, n’importe quel lecteur peut commencer par n’importe quelle porte d’entrée sans que cela soit pénalisé. Dans tous les cas – et c’est plus particulièrement vrai pour les représentants clairement identifiés open-world –, on retrouve un réalisme naturaliste jusqu’au-boutiste dans la représentation des monde que l’on peut traverser. Ces quelques intuitions m’ont donc poussé à préférer l’appellation de jeu-fleuve plutôt que de « triple A open world ». Il me semblait que cette notion décrivait finalement mieux les objets auxquels je jouais. Tels des fleuves, les récits que l’on parcourt peuvent être navigués à n’importe quel instant de leur cours.  D’autres récits les précèdent et les succèdent. Enfin, ils sont indissociables de leur série, de leur vue d’ensemble. Si je conçois RDR2 et Odyssey comme deux jeux-fleuves, ces opus sont indissociables des œuvres-mondes que Rockstar et Ubisoft ont créé et continue de créer.

Du jeu-fleuve à l’œuvre-monde

Dans la continuité de ma pensée, il apparait donc que les jeux-fleuves sont les éléments constitutifs des œuvres-mondes vidéoludiques. Thérenty propose de conceptualiser l’œuvre-monde par rapport à l’intention de son auteur·ice :

L’idée d’une oeuvre-monde, d’une oeuvre littéraire qui tente de créer un monde clos, totalisant et complet, dans une volonté un peu mégalomane de représentation, de décryptage et d’élucidation du monde réel a cependant particulièrement fasciné le XIXe siècle. (Thérenty, 2007)

Dans ma pratique du jeu vidéo, je considère principalement Ubisoft et Rockstar comme les chefs de file, avec probablement l’antériorité attribuée au second. En effet, Rockstar a toujours fait prévaloir ses intentions de représenter l’histoire des Etats-Unis d’une manière plus ou moins réaliste et Grand Theft Auto 3 montre les signes précurseurs de cela. Ce que je retiens particulièrement du propos de Thérenty, c’est aussi l’intention des auteur·ice·s à représenter, formaliser ce qui pourrait être la réalité qu’ils et elles observent. C’est pourquoi je n’intègre finalement pas d’autres jeux qui ont aussi des prétentions à la formalisation d’un univers plus ou moins réalistes ou fantastiques. Par exemple, on pourrait finalement discuter des intentions totalisantes de Breath of the Wild dans la description qui est faite d’Hyrule. On pourrait aussi voir dans d’autres jeux des œuvres-mondes : la série Final Fantasy a toujours plus ou moins revendiqué des représentations complexes des mondes dans lesquels ses récits se déroulent : des systèmes politiques jusqu’à la vie de tous les jours.

C’est pourquoi pour l’instant, ce sont des jeux-fleuves tels que les Assassins’ Creed et les productions R* semble le plus coller aux éléments de définition que je propose. Bien que je ne verrai aucun problème à inclure d’autres jeux tels que Horizon Zero Dawn (Guerilla Games, 2017). L’une des caractéristiques que je note malgré tout est la récurrence des thèmes autour de la famille ou du cercle restreint de socialité des protagonistes. Ainsi, la majeure partie du récit d’ACOD porte sur la famille de Kassandra (ou Alexios) et que les derniers GTA et RDR2 présente des familles (celle des De Santa, la bande du Dutch, la famille spartiate de Kassandra). C’est encore plus remarquable dans les AC puisque le postulat initial reposait sur une potentielle mémoire génétique : c’est un descendant qui explore les vies de ses aïeux. Nous ne sommes finalement pas éloignés de la proposition d’Emile Zola qui par sa famille des Rougon-Macquart. Chacune de ces familles fonctionne comme miroir représentatif du monde.

Zola est l’un des premiers à utiliser la famille comme synecdoque du monde, chaque membre de sa famille renvoyant, au mépris du vraisemblable, à une portion de la société (ce qui permet à Zola de garder encore pour sa part l’amplitude panoramique caractéristique de l’œuvre-monde). (Thérenty, 2007:13)

Autant RDR2 que Odyssey sont les constats des propositions sociographiques. Plutôt que de proposer des expériences centrées sur le récit (comme c’est le cas par exemple dans la série Uncharted où aucune topographie existe en dehors du récit), il donc avant tout question de mondes dans lesquels une foultitude de récits vont se dérouler. A l’instar de Thérenty pour Zola, j’observe des intentions sociographiques de la part des studios que je mentionne depuis le début de ce billet. Par « intentions sociographiques », j’entends la volonté des entreprises développeuses et éditrices de ces titres de représenter des réalités socialement définies dans une temporalité et une topographie.

L’idée d’une œuvre-monde, d’une œuvre littéraire qui tente de créer un monde clos, totalisant et complet, dans une volonté un peu mégalomane de représentation, de décryptage et d’élucidation du monde réel a cependant particulièrement fasciné le XIXe siècle (Thérenty 2007:4).

A partir de cela, on peut alors postuler que les ambitions des œuvres-mondes d’Ubisoft et de Rockstar ne sont pas du tout les mêmes et leur vision de l’histoire ne sont pas non plus les mêmes. Si Rockstar propose des récits clairement centrées sur l’histoire des Etats-Unis du siècle dernier, sans pour autant clairement représenter les localités (Los Santos plutôt que Los Angeles par exemple), Ubisoft propose des jeux-fleuves bien plus éclatés autant au niveau géographique que concernant les périodes historiques. Pour maintenir les comparaisons avec le XIX siècle littéraire, il semble que Rockstar ait une posture proche de celle de Zola tandis qu’Ubisoft présente plutôt l’èthos d’un Jules Verne. Nous pourrions même pousser la réflexion en considérant ces jeux comme des panoramas qui à l’instar de la daguerréotypomanie à laquelle fait référence Matlock : « se fixent comme objectif de rendre la ville visible – et ceci avec autant de plaisir que possible. Les plus diffusées de ces oeuvres sont des petits livres illustrés vendus un franc l’unité dès juin 1840 sous le nom de marque de Physiologies » (Matlcok, 2007).

.L’œuvre-Monde, l’œuvre-ouverte

Ainsi donc, il semble plus convenable de parler d’œuvre-monde pour la globalité des œuvres de R* ou Ubisoft, tout en considérant les incohérences inhérentes à ces productions médiatiques.  L’éditeur de Jules Verne, Hetzel, définissait l’œuvre de son auteur comme un ensemble de romans cosmographiques (Thérenty, 2007). Les jeux-fleuves et les œuvres-mondes vidéoludiques semble être les représentations contemporaines de rêves d’auteur·ice bien plus anciens. Au langage mercatique « d’open world », il mérite une contrepointe que je défendrai dorénavant.  

L’idée d’œuvres totalisantes, babéliennes et inachevables semblent être un aboutissement artistique recherché qui suscite chez l’audience que je suis un émerveillement et l’interrogation de par l’épuisement et les conditions de travail des artistes. En tout état, il me semble que la notion de jeu-fleuve est bien plus révélatrice de toutes ces intentions artistiques et créatrices. A l’instar de la littérature, le jeu vidéo fait œuvre-monde. ■

Esteban Grine, 2019.

Bibliographie

Bornet, Cyril, et al. « La simulation humaine : le roman-fleuve comme terrain d’expérimentation narrative ». Cahiers de Narratologie. Analyse et théorie narratives, no 27, décembre 2014. journals.openedition.org, doi:10.4000/narratologie.7042.

Leblond, Aude. Poétique du roman-fleuve, de Jean-Christophe à Maumort. Paris 3, 2 décembre 2010. www.theses.fr, http://www.theses.fr/2010PA030138.

Matlock, Jann. « « Optique-monde » ». Romantisme, vol. n° 136, no 2, 2007, p. 39‑53.

Thérenty, Marie-Ève. « Avant-propos ». Romantisme, vol. n° 136, no 2, 2007, p. 3‑13.

Comment localiser un jeu vidéo ? Entretien avec Pauline Burny

Esteban Grine : Bonjour Pauline, merci beaucoup d’avoir accepté cet entretien. Pour commencer simplement, est-ce que tu pourrais te présenter ? Ce que tu fais dans la vie, tes recherches, ton parcours…

Pauline Burny : C’est moi qui te remercie d’accorder autant d’intérêt à mon travail !

Je suis une grande passionnée de jeux vidéo, de dessin et de lecture depuis ma plus tendre enfance. De 2013 à 2016, j’ai fait un bachelier en traduction et interprétation à l’Institut Libre Marie Haps en russe/anglais vers le français. Ensuite, en septembre 2016, j’ai entamé un Master en traduction à finalité localisation et terminologie à L’Université de Louvain-la-Neuve (UCL, ndlr). Je suis diplômée depuis septembre 2018.

Tout de suite après être sortie de l’UCL, j’ai commencé à travailler en tant que traductrice. Je traduis à partir du russe, de l’anglais, du néerlandais et parfois du japonais vers le français. En parallèle, je fais également un Master complémentaire en sous-titrage russe/anglais vers le français à l’UCL et je continue de suivre des cours de japonais. J’adore !

Après l’université, j’ai fait mes premiers pas dans le monde de la localisation en participant en tant que localisatrice/relectrice/testeur à des projets de développeurs indépendants. J’ai par exemple localisé, révisé et testé « Aniscience-Little Mouse’s Encyclopedia » (en français : Ravouka la souris scientifique), un jeu éducatif qui apprend aux enfants à mieux connaître la nature. J’ai notamment travaillé sur « Lost Wing » et « Tales of a Spymaster », des jeux qui devraient bientôt paraître !

J’aurais vraiment adoré faire de la recherche dans le domaine des jeux vidéo après la publication de mon mémoire, mais l’occasion ne s’est jamais présentée. En attendant, j’aide des amis qui réalisent leur mémoire en localisation et je continue de dévorer les livres de Clyde Mandelin, Katherine Isbister ou encore Minako O’Hagan et Carmen Mangiron. Qui sait, la chance me sourira peut-être un jour !

EG : comment ton métier de traductrice t’a mené à travailler pour la localisation des jeux vidéo ?

PB : J’ai découvert le monde de la localisation en 3e année de bachelier, en rentrant d’Erasmus. Nous devions suivre un cours présentant l’ensemble des différents champs d’application de la traduction. Nous avons parlé de terminologie, d’adaptation audiovisuelle… et de localisation ! À ce moment-là, j’ai tout de suite su que ce domaine d’étude était fait pour moi. J’aime traduire, mais encore plus traduire en faisant appel à mon côté créatif. On ne s’en rend parfois pas compte, mais localiser un jeu vidéo demande énormément de réflexion et de créativité, que ce soit pour adapter le nom des objets, des personnages ou des monstres. Pokémon est, selon moi, un très bon exemple d’adaptation créative.

EG : Dans la première partie de ton mémoire, tu cites Mia Consalvo qui écrit “les contenus localisés ne sont jamais une image véritable d’un autre pays ou d’une culture. Il s’agit plus d’un pastiche de symboles, d’icônes et des références largement partagées” (Consalvo, 2016 in Burny, 2018:17). Est-ce que tu pourrais développer sur ce que signifie le travail de localisation d’un jeu ?

PB : La localisation est un procédé d’adaptation qui doit permettre au contenu de respecter les valeurs culturelles/idéologiques/sociales de la communauté cible, mais aussi de s’adapter aux formules propres à la langue de cette communauté. Quand un contenu ne convient pas, il peut carrément être censuré. La localisation peut être linguistique et extralinguistique.

Elle est dite « linguistique » lorsque les modifications sont apportées au texte source, et elle est dite « extralinguistique » lorsque les modifications sont apportées aux éléments visuels et aux contenus autres que linguistiques.

Dans mon travail, j’ai distingué plusieurs types de localisations :

  • La localisation de ce qui a trait à la religion : modification du contenu audio, visuel et linguistique ;
  • La localisation de ce qui a trait à la sexualité : ajout ou retrait d’éléments visuels pour masquer la nudité des personnages, adaptation linguistique permettant notamment d’atténuer ou de changer les propos tenus ;
  • La localisation de ce qui a trait à la violence : modification des textures, modification de l’orientation de la caméra pour éviter de voir une scène violente, modification du scénario ;
  • La localisation de ce qui a trait à l’humour : adaptation des jeux de mots et autres éléments humoristiques.

Ces éléments peuvent s’avérer sensibles et poser des problèmes lors de la distribution d’un jeu. La manière de gérer ces différents aspects dépend de l’éditeur, du marché/public visé, de la communauté cible…

EG : A un moment de ton mémoire, tu abordes la traduction de la diégèse, mais aussi des interfaces utilisateur·ice·s (Burny, 2018:304). Considères-tu qu’il y a fondamentalement des différences entre la localisation d’un jeu et la localisation d’autres formes médiatiques ?

PB : Ce type de localisation diffère par son enjeu : dans le cas d’une publicité, par exemple, il s’agira principalement de faire passer un message alors que dans la localisation d’un jeu vidéo, l’enjeu sera de veiller au plaisir vidéoludique du joueur tout en respectant les contraintes imposées par l’adaptation.

EG : Je te propose maintenant d’aborder plus en détail Undertale et la localisation que tu as effectuée pour ton travail de mémoire. Est-ce que tu peux nous expliquer quelle a été ta méthode ? Quels étaient les objectifs (politiques ou scientifiques) que tu avais en tête ?

PB : Lorsque j’ai choisi de localiser Undertale, j’étais avant tout motivée par la complexité linguistique de ce jeu. Je n’avais encore jamais eu l’occasion de travailler sur ce type de contenu dans le cadre de mes études. Undertale représentait un réel défi de traduction et je voulais le relever. Par ailleurs, je voulais apporter ma pierre à l’édifice de la communauté scientifique axée sur la recherche vidéoludique, que je trouve encore trop peu fournie. Je souhaitais aussi que ce travail et ce jeu, qui me tiennent tant à cœur, clôturent mon parcours académique et marquent mes débuts dans le monde de la localisation. Personne dans la faculté n’avait encore travaillé sur ce type de contenu avant moi, ce qui m’a encore plus motivée à me lancer dans cette aventure. J’espère que mon travail aidera les étudiants qui désirent rédiger le même type de mémoire.

EG : Dans ton mémoire, tu fais référence au travail de Bédard sur l’empathie (2015), est-ce que tu pourrais nous parler un peu de l’empathie dans Undertale ? Est-ce que tu retrouves ses catégories dans le jeu ? Est-ce que cela a nourris ton travail de traduction ?  

PB : Dans Undertale, j’ai remarqué que 2 des types d’empathie recensés par Annick Bédard étaient observables :

  • L’empathie d’attachement (présente lorsque le joueur est accompagné de Monster Kid), qui consiste à éprouver de l’affection à l’égard des PNJ accompagnateurs ;
  • L’empathie d’approbation ou de désapprobation, qui vise à mettre le joueur face à une série de choix reflétant ses valeurs morales et déterminant l’issue des événements dans le jeu.

J’ai décidé de traiter le thème de l’empathie même s’il n’a pas eu de réel impact sur ma manière de traduire. Je voulais absolument en parler dans mon introduction, car Undertale est un jeu qui m’a profondément bouleversée et a influencé ma manière de jouer aux RPG : on peut gagner de l’EXP sans devoir faire du mal aux autres. Maintenant, quand je joue à des jeux systématisant l’usage de la violence pour monter de niveau, je ne peux m’empêcher d’avoir mal au cœur pour les ennemis.

Les personnages ont largement contribué à modifier mon comportement de gamer. Par exemple, Asriel Dreemurr est mon personnage préféré dans Undertale. Avant la sortie de Delta Rune, j’ai longtemps cherché sur Internet le moyen de l’aider et de le sortir de l’Underground, car je voulais qu’il ait lui aussi son « happy ending ». Je n’arrivais pas à me contenter de la fin pacifiste d’Undertale. Pour l’anecdote, j’ai également ressenti de la tristesse à la fin de Kingdom Hearts III, au moment de vaincre Xehanort : je voyais la saga d’un personnage qui a marqué toute mon enfance et mon adolescence arriver à son terme. En quelque sorte, une page de ma vie venait de se tourner. Ces deux personnages m’ont confortée dans l’idée que les jeux vidéo sont plus que de simples images et un ensemble de commandes.

EG : Undertale est aussi très connu pour les blagues et autres jeux de mots de ses personnages. Comment t’y es tu prise pour traduire par exemple les jeux de mots de Papyrus et Sans ? Est-ce que tu peux nous raconter un processus de traduction sur lequel tu as eu des difficultés ?

PB : Pour les jeux de mots de Sans et Papyrus, j’ai dû faire énormément de recherches : j’ai consulté des sites dédiés aux blagues d’Halloween, j’ai fait une liste de toutes les expressions idiomatiques contenant le champs lexical des os et j’ai, crois-le ou non, imprimé une image de squelette reprenant l’ensemble de la terminologie relative aux différentes parties du corps humain. Cette image m’a par exemple permis de trouver le mot « métacarpe » qui a donné lieu à l’expression « métacarpe diem » dans mon mémoire. Adapter les jeux de mots fut un travail laborieux, mais j’avais rarement ri autant en traduisant ! Il m’est souvent arrivé d’avoir des fous rires durant la rédaction de mon mémoire.

La création ou l’adaptation de jeux de mots est une gymnastique intellectuelle qu’il faut régulièrement pratiquer et entretenir, notamment en lisant énormément. Plus on a de vocabulaire et de culture générale, plus l’exercice sera facile.

EG : Dans le mémoire, tu fais référence aux équipes amatrices de traduction. Il y a la même chose qui se passe par exemple dans les communautés de scantrad de mangas. Est-ce que tu peux nous expliquer un peu comment ces équipes fonctionnent ?

PB : Dans la traduction amateure, les équipes sont souvent assez éclectiques.

  • Les membres de l’équipe : il peut s’agir de fans (traducteurs professionnels ou non) ayant en commun la même passion pour le contenu traduit et donc une bonne (voire excellente) connaissance du thème traité et de la terminologie qui lui est propre. Il peut également s’agir de simples curieux désireux de participer au projet.
  • Les motivations : (1) participer à la localisation d’un contenu qui les passionne et/ou (2) mettre le contenu localisé à la disposition des autres joueurs et/ou (3) parce qu’ils veulent acquérir de l’expérience en localisation et essayer de se faire un nom, (4)…

J’ai déjà eu l’occasion de travailler sur des projets de localisation en tant que bénévole et j’ai constaté des avantages et des inconvénients à ce type de localisation.

Les avantages : l’expertise et la maîtrise du thème et de la terminologie permettent d’assurer la qualité du texte cible. On a également la possibilité de nouer des contacts avec des professionnels du monde le la localisation et des jeux vidéo ;

Les inconvénients : il arrive que les personnes se lançant dans ce type de projet n’aient pas de formation en traduction et, par conséquent, pas toujours les bons réflexes [harmoniser la terminologie, veiller à respecter l’emploi de symboles propres à la langue cible (p.e : certains oublient que les guillemets anglo-saxons et français sont différents)], il arrive que certaines personnes soient pleines de bonne volonté mais ne connaissent pas suffisamment leur langue maternelle ou la langue source, ce qui donne lieu à des fautes d’orthographe, de sens et de style altérant le résultat final et, de facto, l’expérience vidéoludique. Dans le pire des cas, les gens ne relisent pas le texte qu’ils renvoient au développeur soit par maladresse ou par oubli, soit par désintérêt pour le projet (ça, c’est le pire scénario). J’ai déjà rencontré ce genre de problème en tant que relectrice.

EG : Est-ce que tu aurais des conseils pour les personnes qui souhaitent devenir traductrice de jeux vidéo ?

PB : Pour devenir un bon localisateur, je pense que plusieurs qualités doivent être réunies :

  • La curiosité intellectuelle : lire, jouer et se documenter sont des conditions sine qua non pour devenir un bon localisateur. Personne n’est omniscient. En fonction du type de contenu sur lequel on travaille, il faut savoir accepter de consacrer du temps à la recherche documentaire. Si l’on doit traduire un texte contenant une terminologie très pointue, on ne peut pas se contenter de traduire cette terminologie de manière approximative. C’est une activité chronophage mais nécessaire.
  • L’humilité : Il arrive parfois que l’on soit révisé par un tiers ou que l’on soit soi-même chargé de réviser le texte d’un autre traducteur. Aucune traduction n’est meilleure qu’une autre dans la mesure où elle respecte les attentes du client et le texte source (le texte d’origine). Quand on est révisé, il faut savoir accepter la critique, et quand on est réviseur, il faut aussi savoir reconnaître que notre style n’est pas « le style par excellence ».
  • La responsabilité et le sérieux : En acceptant de participer à la localisation d’un jeu vidéo, que ce soit bénévole ou rémunéré, vous devenez « responsable » de votre contenu. Rendre un texte truffé de fautes d’orthographe ou de sens sera très mal perçu. Il ne faut pas se lancer dans la traduction si on a encore de grosses lacunes dans sa langue maternelle. C’est comme si un architecte construisait une maison en oubliant de mettre des éléments essentiels : la maison s’effondrerait et le client serait mécontent. En plus de l’engagement que vous prenez vis-à-vis du client, rappelez-vous que votre nom et celui des autres membres de l’équipe de localisation peuvent apparaître dans les crédits. Par respect pour eux et pour vous, veillez à être irréprochable. Faire des erreurs est humain – je suis la première à le reconnaître – mais il y a « faute » et « faute ».

EG : Est-ce que tu veux ajouter quelques choses ? Des oublis de ma part ? Des liens pour suivre tes travaux ?

PB : S’il y a des gens intéressés par mon travail, je les invite à télécharger le mémoire sur la page suivante : http://dial.uclouvain.be/memoire/ucl/object/thesis:15107

S’ils souhaitent directement prendre contact avec moi,  je les invite à me contacter :

– Sur Linkedin : https://www.linkedin.com/in/pauline-burny-142ba212b/

– Par e-mail : burnytranslation@gmail.com

EG : Merci beaucoup Pauline ! A bientôt !

PB : Merci à toi ! Stay DETERMINED !

crédits : Pauline Burny

« Florence » n’est pas une histoire d’amour, c’est bien plus.

Florence Yeoh est une jeune femme salariée d’une entreprise. On découvre que plus jeune, elle aimait beaucoup dessiner et que sa vie actuelle, sans être désastreuse ne la satisfait pas entièrement. Un matin, elle rencontre un street artist du nom de Krish et une histoire d’amour va se tisser au fil des séquences proposées par le jeu. Pendant que l’un joue de la musique l’autre le dessine. Krish entre dans une école de musique tandis que la vie salariale rattrape Florence qui retrouve un milieu peu gratifiant. La routine s’installe alors au sein du couple et chacun s’éloigne. Les disputes vont conduire le couple à se séparer et tandis que l’on perd de vue Krish, Florence recommence à dessiner puis à vendre ses créations. Les relations houleuses qu’elle pouvait avoir avec sa mère se simplifient et finalement les deux se retrouvent et se soutiennent. A cheval entre son travail et son art, Florence finit par être exposée dans une galerie. Elle peut désormais vivre de sa passion et quitte son emploi pour devenir artiste à temps plein. Elle adopte un chat et revoie périodiquement sa mère. A la toute fin, le jeu révèle une Florence Yeoh épanouie, heureuse du chemin qu’elle a parcouru et du sentier qui se dessine devant elle.

Florence est un jeu développé par l’équipe du studio Mountains et est sorti le 14 février 2018. Malgré l’histoire romantique qu’il présente, Florence est bien plus : c’est un récit « tranche de vie » qui nous est révélé par une esthétique « bandes-dessinées » ou story board. Florence est un storyboard  jouable. Il met en récit une jeune femme frustrée qui aspire à une vie artistique. La rencontre de Krish n’est pas anodine car même si l’on suppose que la relation est sincère et non toxique, on peut s’interroger sur le fait que Florence pousse Krish à réaliser ce que potentiellement elle aurait aimé faire : une école d’art. En plus d’une histoire d’amour, il est  aussi question dans ce récit de l’émancipation de jeune femme qui a été empêchée par sa famille, puis par son travail, d’accéder à ce qu’elle désirait faire sincèrement : vivre de son art. La solution est d’abord de vivre à travers quelqu’un d’autre : Florence pousse Krish. Celle-ci ne fonctionne pas. Le jeu tient un discours sincère sur les parcours de vie de chacun et promeut l’idée qu’il est important de se sentir en équilibre avec son environnement personnel, professionnel, familial, etc. C’est de cela dont il est fondamentalement question à mon sens dans le jeu. Il est fondamentalement question du bien-être de Florence et on ne peut qu’être heureux·euse pour elle lorsque le jeu se termine.

Les événements ludiques que l’on rencontre nourrissent le propos et le récit. le jeu illustre les maladresses de Florence et de Krish dans leurs discussions en proposant des puzzles plus ou moins compliqués à résoudre. Plus les puzzles sont compliqués et plus les personnages sont gênés pour prendre la parole et inversement, lors des disputes, les éclats sont associés à des puzzles déjà résolus. Florence est un parangon de la rhétorique procédurale et des limites de ce concept. Tous les  éléments du jeu sont finement liés entre eux et indissociables. Dans une certaine mesure, le jeu est pour moi un exemple de ce que j’appelais la narration à n-corps pour définir les récits vidéoludiques. Plutôt que de supposer qu’un élément (par exemple les illustrations) est encastré dans un autre (le gameplay), on effectue des allers et retours  entre les différents corps du jeu. ■

esteban grine, 2019.

Florence, épanouie <3

Le Monopoly et les systèmes de privilèges

Cette article est une traduction libre d’un extrait d’entretien avec Allan G. Johnson, un sociologue étasunien connu pour avoir travaillé sur les systèmes de privilèges. L’extrait choisi est un passage durant lequel il utilise le Monopoly pour explique les dynamiques entre les individus (privilégiés) et les systèmes dans lesquels ces personnes vivent et partagent (des espaces, des richesses, etc.) avec des personnes oppressées. Johnson est pour moi fondateur dans mes travaux de recherches puisque je pose la même question que lui dans le cadre de mes travaux à savoir : comment l’expérience-cadre structure les comportements des joueurs et des joueuses ?

Au passage, mentionnons que Allan G. Johnson est l’un des piliers théoriques des créateur·ice·s de la chaîne « Feminist Frequency ». Cet argument d’autorité me satisfait personnellement et invite toute personne à découvrir l’intégralité de l’interview.

Allan G Johnson on The Gender Knot + Privilege, Power, and Difference (2003). Consulté le 20 mars 2019. https://www.youtube.com/watch?v=DfED0odBQ80.

Esteban Grine, 2019.


« Vous faites référence à ce que j’appelle le modèle individualiste de compréhension du monde, ce qui signifie que tout ce qui se passe, tout ce que nous faisons ou ne faisons pas, revient à définir notre personnalité et c’est tout. C’est à peu près ça. L’explication de la violence, par exemple, est la suivante: « eh bien, il y a ces individus violents dans le monde et ils font ce qu’ils font parce qu’ils sont ce qu’ils sont ». C’est ce que nous dit le modèle individualiste. A ce sujet, J’utilise l’exemple du Monopoly et la raison pour laquelle je ne joue plus au jeu de Monopoly. Lorsque je ne joue pas au Monopoly, je ne me comporte pas de manière aussi impitoyable et cupide, c’est pourquoi j’ai arrêté de jouer à Monopoly.

Alors que se passe-t-il ? Ai-je une personnalité qui entre en jeu lorsque je joue au Monopoly ou bien est-ce que lorsque je joue au Monopoly, je me comporte de manière cupide ? Le modèle de compréhension du monde que je suis en train de défendre est le suivant. Il ne dit pas que les individus ne sont pas importants et que ce qui compte vraiment, ce sont les systèmes sociaux. Le modèle que je défends énonce qu’il existe une relation dynamique entre les systèmes sociaux et nous en tant qu’individus. Nous participons à quelque chose et afin de comprendre ce que nous faisons en tant que participants et, par conséquent, afin de comprendre les conséquences qui en découlent, nous devons comprendre non pas une chose mais deux : (1) nous devons comprendre à quel jeu nous jouons. Quel est le système ? Comment un système nous oblige à nous comporter d’une certaine manière ? Ensuite, (2) nous devons comprendre comment nous agissons en tant qu’individus dans ce système. Quels choix faisons-nous consciemment et inconsciemment par lesquels nous participons ensuite à ce système ?

Si un homme sort dans la rue et agresse sexuellement une femme, dans le modèle individualiste, la tendance serait d’expliquer son comportement uniquement par rapport à sa personnalité, ses motivations du moment, son enfance… Tout cela sert de base à l’explication de son comportement. Le modèle de que je défends énonce au contraire qu’il participe à quelque chose, à un système. C’est comme expliquer le comportement impitoyable de quelqu’un pendant qu’il joue au Monopoly en disant : « hey regarde, c’est juste son caractère d’être comme ça ». Au lieu de dire cela, on pourrait dire : « mais ils jouent au Monopoly ! »

Ma question est donc la suivante : « à quoi jouons-nous quand il s’agit de l’espèce humaine ? Quand il s’agit des questions de genres ? Quand il s’agit des questions liées aux orientations sexuelles ? » Tout ces systèmes incitent les gens (privilégiés, ndlr) à faire des choix qui entraînent ce type de comportements : violences, inégalités et ségrégations injustifiées. Nous devons élargir notre compréhension du système dans lequel nous sommes et de qui nous sommes par rapport à ce système. »

Allan G. Johnson, 2003 traduit par Esteban Grine, 209.

Hilgard et al. (2019) Null Effects of Game Violence, Game Difficulty, and 2D:4D Digit Ratio on Aggressive Behavior.

Cette semaine, nous avons eu l’occasion de voir un article de psychologie sociale publié sur le sujet des jeux vidéo comme facteur causal de comportements violents. A l’instar du travail de critique que j’ai mené de l’étude de Przybylski (2019), je discute ici ce nouveau papier.


Article mis à jour le 11/03/2019 : corrections orthographiques et grammaticales. Merci à Ryker pour sa relecture.


Tout d’abord, une première interrogation survient lorsque les chercheurs énoncent avoir customisé un jeu vidéo afin de contrôler ses potentiels stimuli sur les joueurs. Les auteurs devront dans la suite expliquer minutieusement leur process puisque en plus d’une recherche en psychologie sociale, les auteurs ont réalisé un travail de recherche-création. Les enjeux épistémologiques n’en sont pas des moindres puisque chacune des modifications effectuées doit être expliquée et cadrée. Juste après avoir exposé leur objectif principal, les auteurs font intervenir une hypothèse biologique et tentent d’observer si à partir de cette hypothèse, il est possible de faire un travail de sociologie prédictive :

« Our secondary goal was to test whether the ratio of the lengths of the index and ring fingers (2D:4D ratio), believed to measure prenatal testosterone exposure, predicts aggressive behavior as theorized. » (Hilgard et al 2019:95679761982968).

Ainsi donc, les deux enjeux de l’article sont particulièrement complexes à traiter puisque les auteurs interrogent un potentiel déterminisme biologique (l’exposition prénatale à la testostérone) et un potentiel déterminisme socioconstructiviste. A l’instar de Przybylski (2019), Hilgard et al ne définissent pas ce qu’ils entendent par « jeux violents ». C’est un problème que nous avions déjà observé chez Przybylski et al mais ces derniers avaient mobilisé le système PEGI pour effectuer la catégorisation. Ainsi donc, l’étude de Hilgard et al présente un premier biais puisqu’elle suppose comme évidente la définition de « violent game ». J’ai déjà expliqué pourquoi ce biais rend difficiles les conclusions d’études de réception de ce genre. Par ailleurs, on peut observer de la part de Hilgard et al une méconnaissance certaine des jeux vidéo. Ou plutôt, le format scientifique de ce type d’étude ne permet pas à ses auteurs de prendre le temps nécessaire de réaliser des études de contenus, même brèves. Cela amène de facto des raccourcis qui semblent particulièrement difficile à légitimer. Par exemple, la façon dont les auteurs catégorisent les jeux vidéo avec ce type de raccourcis indiquent des biais évidents de sélection.

« Violent games are often shooter or fighting games, whereas nonviolent games are often racing, puzzle, or sports games. Therefore, whereas such games differ in their violent content, they are also different in their game play, creating a possible confound » (Hilgard et al 2019:95679761982969).

Par la suite, les auteurs présentent enfin les 4 hypothèses qui fondent ce travail de recherche. On s’aperçoit que les hypothèses (1) et (2) semblent tout à fait acceptables. De même, l’hypothèse (4) prend position pour des phénomènes de galvanisation plutôt que de catharsis. Puis, au milieu de ces hypothèses se trouve la (3) qui suppose que : « more masculine 2D:4D digit ratios will be associated with more aggressive behavior » (Hilgard et al, 2019). Autrement dit, des mains plus « masculines » seraient corrélées avec des comportements plus agressifs.

« This study examined the effects of game violence, game difficulty, and 2D:4D ratio on aggressive behavior among college-age men. We made four hypotheses: (Hypothesis 1) Violent video-game content will increase aggressive behavior, (Hypothesis 2) video-game difficulty will increase aggressive behavior, (Hypothesis 3) more masculine 2D:4D digit ratios will be associated with more aggressive behavior, and (Hypothesis 4) these effects will yield superadditive interactions » (Hilgard et al 2019:95679761982970).

Cette troisième hypothèse est fondamentalement intenable puisqu’elle suppose une définition de la « masculinité », exercice que les auteurs ne font pas. Par ailleurs, l’étude a porté sur 446 hommes dont la composition présente elle aussi des biais de sélection. Une lecture plus critique que celle que je propose pourrait aussi légitimement interroger cela depuis une perspective ancrée dans une épistémologie féministe. En soi, les auteurs tentent ici de catégoriser un phénomène biologique par une définition ancrée culturellement.

Sans nous arrêter sur la procédure biologique de mesure des mains (pour laquelle je ne suis pas suffisamment compétant pour critiquer), nous trouvons enfin les jeux modifiés par les développeurs. Sans surprise, il s’agit de hacks du jeu DOOM2, un jeu de 1994. Ici, j’observe un nouveau biais de sélection qui, à mon sens, rend l’étude caduque. La « violence de 2019 » ne peut pas être constatée avec la « violence de 1994 ». Les jeux vidéo sont des objets ancrés dans des périodes historiques. Il eut été plus intéressant de choisir DOOM2016, au hasard. On en vient à la procédure d’enquête des chercheurs. Chaque participant rédigea un essai sur leurs opinions à propos de l’avortement. Puis en binôme, chacun a dû évaluer un faux essai (supposé être celui de l’autre) allant à l’encontre de leurs propres opinions (prochoice / antichoice) puis ils ont joué à DOOM2. Pour la suite de la procédure, un intervenant de l’équipe a demandé aux enquêtés d’effectuer une tâche en étant gênés. Enfin, le scientifique a présenté l’évaluation de l’essai de l’enquêté (mais comme dit plus tôt, l’évaluateur ne l’a pas évalué. Il en a évalué un autre). Ici, il est important de rappeler que les scientifiques ont menti et que leur protocole est difficile à décrire en quelques lignes. Comme d’habitude, les résultats reposent sur l’agrégation de variables puis, par méthode de régression linéaire, les chercheurs ont représenté un ensemble de corrélation sous formes de courbes (qui ont l’air ici de droites, forcément).

La conclusion de Hilgard et al est alors minime par rapport à la question à laquelle les chercheurs tentent de répondre. Ils n’ont observé aucune corrélation entre une session de jeu d’une durée de 15 minutes et des comportements plus violents à l’issue de ladite session. De même, les causes d’un comportement violent semblent noyées entre le contenu (la violence représentée) et la structure (la difficulté effective du jeu). L’ouverture qu’ils en tirent est alors le constat d’un défaut de procédure scientifique puisqu’ils évoquent le besoin de réévaluer si le hacking de jeux violents est pertinent pour observer des liens de causalités entre les jeux et des mécanismes d’agressions. Comme évoqué plus haut, l’hypothèse que les comportements violents sont corrélés à des mains dites « plus masculines » ne tient pas la route, et on peut probablement supposer que Hilgard et al ici souhaitaient en fait invalider cette hypothèse présente dans des études antérieures. En toute fin de papier, les chercheurs énoncent que malgré leurs précautions, une part non négligeable d’enquêtés a dû prendre conscience des enjeux de la recherche, ce qui a inféré potentiellement un certain nombre de biais dans les réponses données.

Conclusion

Globalement, l’article de Hilgard et al s’inscrit dans une tradition typique de la psychologie sociale. Leur tentative de mise en place d’un protocole semble pourtant échouer pour plusieurs raisons qui me semblent être d’avantage structurelles. Comme évoqué, aucune des caractéristiques de la procédure présentée n’est sujette à une remise en cause : pourquoi seulement 15 minutes de jeu ? Pourquoi proposer un jeu de 1994 ? Etc. De même, à aucun moment n’est défini fondamentalement ce qu’est un « jeu violent ». L’absence d’étude de contenus semble être le travers le plus visible de ces études. Cependant, le choix des situations vécues par les enquêtés est aussi concernées par ce travers. Tout semble aller de soi, alors que finalement, une lecture critique interroge l’ensemble. Par ailleurs, l’étude ne présente pas la démarche créative des auteurs pour ce qui relève du hacking de DOOM2, il est donc impossible pour nous de constater les variances effectives proposées. On peut aisément supposer que le choix de DOOM2 est corrélé à sa facilité de modding. Cependant, le choix est légitimement contestable puisqu’il s’agit encore une fois d’un jeu de 1994 alors que les formes de violences dans les productions médiatiques dépassent largement ce qui est aujourd’hui un jeu âgé de 25 ans. En ce sens, nous préférons la conclusion de Bediou et al qui, après avoir défini le genre de JV qu’ils observent, aboutissent à une conclusion mesurée sur la question de l’impact des JV d’action sur les joueurs (2017). Leur étude sera l’occasion d’une nouvelle note de lecture de ma part.

« Overall, the present meta-analysis confirms a medium size impact of habitual action video game play on cognition and a small-to-medium size effect of training young adults with action video games on a few cognitive domains. Yet, much work remains, in particular in leveraging key action mechanics to create action games appropriate across the life span; in carrying out training studies with improved methodology and in particular larger sample sizes and of longer duration (an expensive proposition); in understanding the potential role of expectations in cognitive enhancements and how they may be put to good use rather than considered as a nuisance variable; and in elucidating the appropriate dosage in training regimens, recognizing that different cognitive domains may require different amount of practice to alter » (Bediou et al 2018:103).

Esteban Grine, 2019.

Bibliographie mobilisée

Bediou, Benoit, et al. « Meta-Analysis of Action Video Game Impact on Perceptual, Attentional, and Cognitive Skills. » Psychological Bulletin, vol. 144, no 1, janvier 2018, p. 77‑110. Crossref, doi:10.1037/bul0000130.

Hilgard, Joseph, et al. « Null Effects of Game Violence, Game Difficulty, and 2D:4D Digit Ratio on Aggressive Behavior ». Psychological Science, mars 2019, p. 095679761982968. Crossref, doi:10.1177/0956797619829688.

Przybylski Andrew K., et Weinstein Netta. « Violent video game engagement is not associated with adolescents’ aggressive behaviour: evidence from a registered report ». Royal Society Open Science, vol. 6, no 2, février 2019, p. 171474. royalsocietypublishing.org (Atypon), doi:10.1098/rsos.171474.

Jeux vidéo & digital labor

En attendant les robots, le dernier ouvrage d’Antonio A. Casilli (publié en 2019) porte sur les enjeux de ce qu’il nomme le digital labor. Cette notion définit selon lui le travail « du doigt ». Plus spécifiquement, il opère par cette notion une nouvelle forme de division sociale du travail. Originellement, cette division s’est faite par métier au sein des sociétés puis au sein d’un même métier. Casilli présente ce digital labor comme une forme de travail rémunéré ou non à la tâche. Cependant, les tâches étant tellement morcelées que celles-ci ne définissent dorénavant que des séries de manipulations d’un clavier ou de clics. Dans un chapitre d’ouvrage antérieur, il définissait de manière ouverte le digital labor de la façon suivante :

Par digital labor, nous désignons les activités numériques quotidiennes des usagers des plateformes sociales, d’objets connectés ou d’applications mobiles. Néanmoins, chaque post, chaque photo, chaque saisie et même chaque connexion à ces dispositifs remplit les conditions évoquées dans la définition: produire de la valeur (appropriée par les propriétaires des grandes entreprises technologiques), encadrer la participation (par la mise en place d’obligations et contraintes contractuelles à la contribution et à la coopération contenues dans les conditions générales d’usage), mesurer (moyennant des indicateurs de popularité, réputation, statut, etc.) (Casilli 2015:25).

C’est cette définition que nous retiendrons pour la suite de ce billet. Ce qui attire particulièrement notre regard, c’est que le digital labor décrit un processus de captation des richesses (informationnelles, etc.) créées par des usagers d’un service. Ces usagers peuvent être rémunérés ou non, comme dit précédemment. Dans la suite de ses travaux, Casilli questionne alors les formes d’aliénations plus ou moins heureuses auxquelles les technologies contribuent mais ce n’est pas la direction que je veux aborder maintenant. La question qui anime ce billet est la suivante : quelles sont les formes du digital labor qui sont aujourd’hui associées à nos pratiques vidéoludiques ?


Article mis à jour le 10/03/2019 : corrections orthographiques et grammaticales. Merci à Ryker pour sa relecture.


La plateformisation des écosystèmes et des jeux

Le marché actuel du jeu vidéo semble se concentrer autour des stores (Steam, Epic, Origin, Uplay, Itch, Ps Store, Twitch, Discord, etc.). En se basant sur les travaux de Casilli, nous énonçons que ces stores sont des plateformes dans le sens où ce sont des mécanismes multifaces. Elles ont la charge de coordonner, par algorithmes, et de mettre en relation des usagers produisant de la valeur. Ces usages sont alors réunis en catégories en fonction de ce qu’ils viennent chercher en utilisant ces plateformes.

Pour entreprendre une proposition de réponse, il convient de reprendre l‘explication de Casilli sur le monopole qu’exercent aujourd’hui ces plateformes de ventes dématérialisées. Casilli part d’un double constat. Premièrement, il observe une défaillance de la part des entreprises traditionnelles à extraire et analyser les données que les individus consommateurs produisent. Secondement, il considère que les marchés typiques ne permettent pas la meilleure allocation des ressources. Autrement dit, il y a une « production » (d’informations) non exploitée autant par les entreprises que par les marchés. Les plateformes sont alors des phénomènes permettant de valoriser ce qui était des pertes sèches causées par les entreprises et les marchés traditionnels. Typiquement, une situation telle que cela dans le jeu vidéo correspondrait à la période 1990-2006 puisque durant cette période, aucune production d’information n’arrivait à être captée par les éditeurs de jeux : une fois la copie d’un jeu acheté, plus personne ne se souciait donc de ce qu’il pouvait arriver (nous raccourcissons les traits ici). Dorénavant, des phénomènes comme l’intégration de méta-games tels que les succès sont une façon pour les propriétaires des plateformes de capter les informations produites en jouant.

Rétrospectivement, il est possible de supposer que l’enjeu organisationnel des éditeurs de jeux à partir de 2006 (et donc de la septième génération de consoles) a été de transformer leur activité par une plateformisation de leurs contenus. Cette plateformisation est notamment passée par la mise en place de « launcher » uniques pour les jeux d’un même éditeur. Valve, Origins, Epic et Uplay sont les grands représentants commerciaux mais nous pouvons aussi évoquer Battle.net qui fait l’office pour la société Activision-Blizzard. Ainsi, avec ces launchers, il devient plus aisé d’observer les comportements des joueurs et des joueuses, mais aussi leurs productions.  Ce que l’on entend alors par productions, dans ce cas précis, concerne les évaluations, les notations, l’animation des communautés organisées autour d’un jeu et bien entendu, les contenus vidéoludiques sous la forme de mods ou d’add-ons.

En tout état, il semble que les plateformes sont aujourd’hui les lieux de rencontres principaux entre les acteurs concernés par le jeu vidéo : éditeurs, créateurs, créatrices, joueurs et joueuses. Cette réflexion tient aussi pour les consoles puisque sans parler de stores, il est bien question de médiacenters dont l’environnement permet au propriétaire de capter toutes les formes de digital labor réalisées par les joueuses et les joueurs en jouant. Ainsi donc, dans ce billet, nous soutenons l’idée que si les jeux n’ont pas fondamentalement changé (dans le sens où il n’y a eu que peu de ruptures), ce sont surtout les écosystèmes de jeux vidéo qui ont été plateformisés.

Dès lors, penser les stores et d’une manière général les écosystèmes vidéoludiques comme des plateformes permet de considérer l’acte de jouer (par le biais de ces plateformes) à des jeux vidéo comme des formes de digital labor (Rayna Stamboliyska évoquait le #playbor (notion empruntée à Bruno Vétel) pour parler de cela dans une conversation sur le réseau twitter). Ou plutôt, l’acte de jouer à un jeu vidéo contient désormais une part non négligeable de digital labor, c’est-à-dire une forme de travail qui n’est pas obligatoirement rémunérée reposant sur la production d’informations produites par les joueurs et les joueuses, informations alors captées et traitées par les entreprises.

Le jeu comme digital labor

Casilli identifie trois formes de digital labor : le microtravail, le digital labor à la demande et le travail social en réseau. Dans la suite de cet article, nous allons voir la façon dont s’articulent ces formes de travaux appliqués aux jeux vidéo, notamment en incluant dans notre réflexion les recherches de Bruno Vétel et de Mathieu Cocq qui font aujourd’hui référence sur le sujet.

Le travail social en réseau est potentiellement la forme de digital labor la plus facile à associer à notre objet, le jeu vidéo. Casilli associe cette forme à la production de contenus et à leur partage au sein d’une communauté. On peut alors identifier des pratiques qui rentrent alors dans ce cadre. Par exemple, Steam se repose principalement sur ses features communautaires centralisés sur les pages « hub de la communauté ». Ces pages rassemblent l’ensemble des productions faites par les joueurs : partage des photos prises en jeu, billets sur le forum du jeu, mais aussi des guides, les évaluations, etc. Aucune de ces productions, faites sur la base du volontariat, n’est rémunérée. Il y a alors une confusion ou une difficile distinction entre ce qui relève du travail rémunéré et du travail non rémunéré (hobbys, jeux, etc.). Pour rappel :

la sociologie du travail a de longue date montré le lien qui pouvait unir passion et travail (Loriol et Le Roux, 2015 ; Sarfati, 2012), et c’est dans ce cadre qu’ont pu être pensées les activités des vidéastes sur YouTube ou des blogueur-euses (Flichy, 2010) (Cocq 2018:3).

En jeu, certaines mécaniques mettent en scène des actes productifs dans le seul but d’alimenter des contenus disponibles dans le jeu. Par exemple, Red Dead Redemption 2 propose un mode photo fortement contraignant puisque relié au Social Club de Rockstar. Assassin’s Creed Odyssey propose aussi cela et je me suis retrouvé à prendre plaisir à photographier et à partager des clichés qui apparaissent sur la carte du monde d’autres joueurs qui peuvent à leur tour signaler leur appréciation par un like. Ces exemples de digital labor communautaire sont le constat de nouvelles formes de valorisation de capitaux possédés par des personnes qui décident de mettre ces capitaux à disposition des plateformes. Lorsque je partage une photo prise d’Assassin’s Creed Odyssey, dans le jeu ou auprès de mes réseaux (Twitter, Facebook, etc.), je m’inscris dans une volonté de partage mais aussi dans une recherche d’une valorisation d’une de mes productions.

Dans tous les cas, les plateformes et les jeux eux-mêmes mobilisent des mécanismes incitant au digital labor communautaires. Mathieu Cocq apporte cependant un éclairage particulièrement intéressant pour expliquer les rapports commerciaux implicites ou explicites qui peuvent s’instaurer entre les producteurs de contenus et les plateformes. A partir d’une analyse des mécanismes de Twitch, il met en exergue la notion de capital communautaire qu’il définit comme :

la réputation et la relation de proximité construite par chaque streamer auprès de son audience, matérialisées dans des indicateurs et métriques fournis par la plateforme et gérés par le streamer. Le concept nous permet de comprendre la manière dont l’audience, mais plus encore la relation de proximité avec l’audience du streamer est réifiée (Cocq 2018:11).

Il semble donc plausible que la rémunération de ce digital labor soit fortement corrélée au capital communautaire d’une personne. Ce qui peut expliquer le comportement des personnes non rémunérées, en revanche, peut alors être le fait de vouloir partager (dans une perspective candide donc) et le hope labor, « c’est-à-dire la participation volontaire sur les plateformes dans l’espoir ( hope) d’opportunités professionnelles ultérieures » (Cocq 2018:7).

Le digital labor à la demande et le microtravail sont potentiellement plus complexes à saisir dans le cadre des stores vidéoludiques et des jeux vidéo. Pourtant, des travaux sur ces sujets ont déjà été menés et méritent une attention toute particulière. Pour poursuivre notre réflexion, nous allons principalement nous reposer sur Bruno Vétel. Dans le cadre de ses recherches de thèse, Vétel a observé les farmers, c’est-à-dire des joueurs et de joueuses qui se consacre à des actions répétitives dans le jeu pour ensuite revendre le fruit de ces actions. Cela peut-être des loots, mais aussi d’autres valeurs incrémentales propres à un jeu : de l’expérience ou encore des quantités de monnaies diégétiques (2016). En 2018, il publie une enquête ayant porté sur la situation de joueurs de dofus qui revendent la monnaie diégétique sur des marchés parallèles à des joueurs et des joueuses ne souhaitant pas farmer :

Cette monnaie est revendue sur internet contre des euros à la fraction des joueurs qui ne veulent pas « farmer » pour progresser. Ceux-ci veulent surpasser plus facilement d’autres joueurs, ou tenir le rythme de progression qu’un groupe qui consacre plus de temps qu’eux à jouer en collectif. Sans ce service lucratif, ces joueurs moins persévérants seraient contraints d’abandonner le jeu et en conséquence de cesser de payer leur abonnement mensuel, perdant l’accès complet à ce jeu freemium. (Vétel 2018:209).

Les recherches de Vétel nous permettent de constater que les mécanismes de farming (l’accumulation d’une valeur diégétique) et de grinding (gain d’expérience, etc.) sont des mécaniques particulièrement propices à l’émergence de microtravaux, et donc de digital labor. Bien que nous n’ayons pas fondamentalement exploré le digital labor à la demande, on peut cependant aisément constater son existence. Le jeu vidéo Guild Wars était un terreau pour ces pratiques puisque certains joueurs « haut level » se rendaient spécifiquement dans les premières zones du jeu pour proposer aux joueurs débutants leurs services : accompagnement dans les quêtes, découvertes de nouveaux lieux permettant par la suite de s’y téléporter, etc. Nous faisons ici l’hypothèse que l’instauration d’un système économique dans le jeu est susceptible d’aboutir à des formes de digital labor dans le jeu principalement, mais aussi à des pratiques qui peuvent dépasser le cadre du jeu pour devenir des échanges commerciaux en devise.

En attendant la conclusion

Dans le cadre de ce billet, il semblait important d’illustrer la porosité entre actes vidéoludiques et digital labor. Partant de la typologie des digital labor proposée par Casilli, nous avons tenté de constater la façon dont ce phénomène s’intégrait à l’acte de jouer. Les travaux de Cocq et Vétel, mobilisés ici, sont aussi le constat d’un engouement pour ces questions dans le cadre des game studies. En parallèle, l’actualité de 2018, pour le jeu vidéo, a particulièrement été marquante avec les constats de dérives au sein des studios de production : que cela soit en termes de crunch mais aussi en termes de harcèlements au travail. MissMyu et Thomas Versaveau, deux vidéastes ont particulièrement travaillé ces sujets pour aboutir à des productions médiatiques consacré sur ce versant « producteur » (MissMyu, 2018 ; Game Spectrum, 2019). Dans ce billet, je me suis attaché à intégrer aux game studies les problématiques posées par le digital labor. Aujourd’hui, le play design se doit de permettre de penser les jeux vidéo (et les plateformes) comme des espaces dans lesquels des richesses sont créées afin de pouvoir qualifier les rapports de force entre les éditeurs et les joueurs, entre les producteurs de jeux et les producteurs d’informations.

Esteban Grine, 2019.

Bibliographie :

  • Casilli, A. A. (2015) « Digital labor : travail, technologies et conflictualités », in D. Cardon & A. A. Casilli Qu’est-ce que le digital labor ?, Paris, Editions de l’INA, pp. 10-42.
  • Casilli, A. A. (2019). En attendant les robots. Seuil.
  • Cocq, M., (2018). « Constitution et exploitation du capital communautaire », La nouvelle revue du travail [En ligne], 13 | 2018
  • Vétel, B., (2018), « Les travailleurs pauvres du jeu vidéo », Réseaux, vol. 2, n°208-209, p. 195-228.
  • Vétel, B., (2016). À quoi jouent les « farmers » ? La construction sociotechnique des activités répétitives des joueurs en ligne. Séminaire : “Étudier les cultures du numérique : approches théoriques et empiriques”.

Vidéographie

Incompréhensions anodines

J’écris pour laisser une trace de mon expérience d’Anodyne, jeu indépendant remarqué à l’Indie Game Festival et sorti en 2013. J’écris aussi pour constater aussi que parfois, certains jeux me laissent sans voix, sans pensée.

Anodyne propose à son joueur ou sa joueuse d’incarner Young dans ce qui semble être un parcours initiatique mais qui se révèle suffisamment complexe pour s’éloigner de cette trame narrative typique. En effet, au début, on se retrouve plus ou moins téléporté dans un monde inconnu : The Land, qui semble bien inhospitalier malgré ses habitants. Alors, tel un Link parcourant l’île de Cocolint, on se retrouve à errer à la recherche de clefs, puis d’images, tout en réduisant à néant des gardiens censés protéger Le Briar. Je ne pourrai malheureusement pas en dire plus tant la quête semble pour moi abscons. Je n’ai jamais vraiment su ce que je faisais ou ce que je devais faire pendant les quelques 6 heures de jeu. Totalement perdu, je flânais au grès de mes découvertes et des quelques fulgurances que j’ai pu avoir. J’y ai vécu des moments d’émerveillements : en explorant les toits d’une ville, en discutant avec des entités informatiques ou encore en observant l’horizon depuis une éolienne. J’ai ressenti parfois le dégout et l’horreur : en commettant des meurtres dans une ville ou en parcourant des décors symbolisant un enfer organique. Généralement, je me laissais porter par l’exploration sans grande conviction.

J’ai été amusé par certains dialogues, intrigués par d’autre, dialogues qui semblent être destinés autant à nous en tant que joueur qu’à notre avatar. Mais d’une manière générale, c’est avec une certaine apathie que j’ai terminé le jeu.

Je ne suis pas certain d’avoir compris quoi que ce soit, j’ai plus le sentiment que ce jeu regroupe un ensemble de vignettes où chaque lieu donne un message différent, une leçon différente, peut-être sur le jeu vidéo mais aussi sur nous en tant que joueurs et joueuses. Typiquement, ce jeu m’intrigue et c’est probablement la première fois que j’attribuerai l’adjectif « postmoderne » à un jeu sans avoir un sourire narquois à l’évocation de cette notion. J’ai l’intime conviction que ce jeu propose un espace métaréflexif aux joueurs et joueuses afin de réfléchir sur leurs propres pratiques du jeu, pourvu que ces derniers s’en saisissent. Cependant, en même temps, j’aime bien l’idée que ce jeu, développé sur une petite année, ne possède pas de « grande morale » et qu’au contraire, il ne demande qu’à être parcouru, de manière nonchalante mais sincère. Mon incertitude sur ce jeu est probablement liée à l’expérience, toute aussi incertaine, que j’ai eue.

Esteban Grine, 2019.

Jeux vidéo violents et comportements agressifs, une nouvelle étude corrobore la catharsis

Un récent papier sur les relations houleuses entre les contenus violents des jeux vidéo et les comportements agressifs a beaucoup circulé sur les réseaux sociaux cette semaine. En tout cas, il s’est suffisamment fait remarqué pour que la RTBF en fasse un article[1] (dont le premier paragraphe présente une erreur sur le nombre de personnes constituant l’échantillon). Je pense que ce n’est qu’une question de temps avant que des journaux français s’y intéressent. De facto, j’ai décidé d’en faire une lecture commentée sur twitter que j’ai un peu remanié ici pour en faire un billet présentable.

Globalement l’article commence par un état de l’art tout ce qu’il y a de plus classique dans la littérature anglo-saxonne afin de positionner le débat autour d’un lien de corrélation entre jeu violents et comportements agressifs. L’article poursuit en critiquant les théoriciens de l’apprentissage social (learning theory). Cela nous donne un insight : les chercheurs n’évoquent pas fondamentalement la catharsis alors que tel que je l’interprète, ils s’en revendiquent.

Pour rappel, Zagal (2010) oppose la (social) learning theory à la théorie de la catharsis (le jeu comme exutoire). Par ailleurs, ils expriment que les recherches précédentes constatent surtout un lien avec la frustration. Frustration qui nait d’un « besoin psychologique » de compétences. Hypothèse : ici, les chercheurs font une distinction entre les émotions que l’on peut avoir à l’égard du récit vidéoludique et les émotions que l’on peut avoir à l’égard de l’objet informatique (Frome, 2006).

On retrouve par la suite un tacle légitime fait aux recherches sur le sujet : ces dernières reposent sur les témoignages des joueurs, et donc plein de biais peuvent en émerger. Pour rappel, le témoignage est considéré scientifiquement comme la preuve la moins « solide » (je ne suis pas d’accord avec cela car il me semble nécessaire de procéder au cas par cas en réalité). Du coup, nouvelle méthode, les chercheurs ont transmis des questionnaires à des carers (les représentants légaux des enfants) qui les remplissent en observant l’échantillon de 1004 jeunes.

We measured youth aggression and prosocial behaviour with carer responses using a behavioural screening questionnaire [52] that has been widely employed by researchers, educators and clinicians to assess the psychosocial functioning of children and adolescents ranging in age from 4 to 17 years. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171477)

Cela rajoute une strate de solidité mais je ne suis pas sûr que cela résout les problèmes de biais (c’est devenu des interprétations).

Sans revenir sur la constitution de l’échantillon, car celle-ci semble respecter les standards anglo-saxons (bien que les résultats ne sont pas intégralement partagés), je note cependant que plus de 90% de l’échantillon est composé de jeunes blancs et blanches. Problème : les chercheurs ne reviennent pas vraiment sur les carers qui ont donc rempli les questionnaires. Comme discuté avec un autre collègue chercheur (@MeTaPeRi), l’imprécision faite à l’égard des carers peut au mieux être considéré comme non pertinent ou au pire comme une faute professionnelle. Dans le cas où les carers sont les parents des enfants de l’échantillon, comment ne peut s’interroger sur les biais que peuvent contenir leurs observations ?

Là où je m’interroge, c’est qu’apparemment, il n’y a pas eu d’observation participante formellement énoncées. Les carers n’ont pas non plus regardé jouer ou ne sont pas allé *chez* l’enquêté (dans le cas où il ne s’agirait pas de personnes vivant avec l’enquêté). Le temps d’observation n’est pas non plus évoqué (sauf si j’ai mal lu, c’est possible).

C’est à partir de ce moment que l’article devient de moins en moins clair. La méthode est la suivante : les carers remplisse le SDQ (questionnaire sur les comportements agressifs) tandis que les jeunes remplissent un mini questionnaire sur leurs pratiques vidéoludiques.

Globalement, je passe les tableaux de résultat car tout est dit dans leur résumé :

Sensitivity and exploratory analyses indicated these null effects extended across multiple operationalizations of violent game engagement and when the focus was on another behavioural outcome, namely, prosocial behaviour. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171474)

A ce stade de la lecture, j’observe deux biais et non des moindres. Le premier concerne la non remise en cause du cadre des définitions proposées par l’ESRB et PEGI pour définir si un jeu contient des propos violents. Et ça, je veux dire, c’est probablement pas la faute des chercheurs car vu le temps passé pour cette recherche, ils ne pouvaient probablement pas remettre tout en cause non plus… BREF ! Se reposer sur ces outils (PEGI et ESRB), c’est donc inscrire plus ou moins sa réflexion dans un cadre d’analyse fourni par un consortium industriel qui s’autorégule. Pour Rappel, PEGI n’est PAS un système d’évaluation produit par un gouvernement ou l’union européenne. C’est l’ISFE qui le gère (qui est un lobby des publishers).

Le second problème fondamental que je vois à l’article concerne le fait qu’il ne définit pas les comportements agressifs. Il ne définit pas non plus ce que les chercheurs entendent par « violence ». On comprend avec le SDQ que les comportements observés sont individuels. Autrement dit, l’article n’aborde pas les violences qui peuvent être le résultats d’oppressions systémiques. Par exemple, le SDQ ne regarde pas si un jeune va harceler ou oppresser des personnes issues de minorités spécifiques.

Du coup, après avoir évité un premier écueil (celui des témoignages), l’article échoue à distinguer les formes de comportements violents que peuvent avoir les enfants. Et je pense que c’est ce manque le plus aujourd’hui au débat. Avant d’interroger la causalité qu’un jeu violent peut avoir, il est nécessaire de distinguer les violences systémiques, des violences individuelles, des comportements pro-sociaux, des comportements agressifs. On peut avec des comportements pro-sociaux tout en reproduisant des violences systémiques. (Personnellement, si je devais faire un article sur le sujet, ce serait vraiment mon point d’entrée).

Ce dernier problème que je souligne est un comble quand on s’aperçoit que les chercheurs eux-mêmes avouent la nécessité de changer de cadre théorique, d’un nouveau standard pour l’interprétation des significations issues des jeux vidéo :

Given interactive media and their effects are inherently subjective, we believe working toward adoption of a new standard for interpreting the practical significance of media effects would serve the literature well as a benchmark against which putative effects of emergent technologies such as virtual reality, augmented reality and artificial intelligence may be judged. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171485)

En définitive, l’article conclut à l’absence de corrélation significative entre les contenus des jeux vidéo et les comportements agressifs ou pro-sociaux des adolescents :

Results from these confirmatory analyses provided evidence that adolescents’ recent violent video game play is not a statistically or practically significant correlate of their aggressive behaviour as judged by carers. Preregistered sensitivity and exploratory analyses demonstrated this finding was consistent across three different operationalizations of violent game content and two ways of measuring key adolescent behaviours relating to aggressive and prosocial behaviours. In other words, we found adolescents were not more or less likely to engage in aggressive or prosocial behaviours as a function of the amount of time they devoted to playing violent games. (Przybylski Andrew K. and Weinstein Netta :171486)

Ainsi donc, il s’agit donc d’un article qui en proposant une nouvelle méthodologie apporte de nouveaux résultats corroborant les théories de la catharsis. C’est donc plutôt quelque chose d’intéressant et de pertinent (bien que personnellement, je reste particulièrement critique de cela). Cependant, on peut être un peu déçu que les chercheurs, conscients du besoin changer de cadre, reproduisent une recherche toute somme typique des papiers anglo-saxons.

En guise de conclusion personnelle, l’article est pertinent et il rejoint mon corpus de thèse. Les chercheurs pointent d’ailleurs les limites de leur travail et reconnaissent que leur méthodologie puisse être faussée (self-reported) tout en faisant un appel du pied aux entreprises qui ont plein de données sur leurs joueurs·euses. La conclusion du papier est malgré tout intéressante : ce n’est pas parce qu’on joue à un jeu contenant des propos violents (selon l’ESRB ou PEGI) qu’un·e jeune adoptera des comportements agressifs. Comme déjà énoncé, le papier n’interroge pas les oppressions systémiques et c’est pour moi son plus gros défaut. ■

Esteban Grine, 2019.

Sources mobilisées :


Przybylski Andrew K., et Weinstein Netta. « Violent video game engagement is not associated with adolescents’ aggressive behaviour: evidence from a registered report ». Royal Society Open Science 6, no 2 (2019): 171474. https://doi.org/10.1098/rsos.171474.

Revues de presse :


« Pas de lien entre les jeux vidéo violents et l’agressivité des adolescents selon une étude d’Oxford ». RTBF Info, 15 février 2019. https://www.rtbf.be/info/medias/detail_pas-de-lien-entre-les-jeux-video-violents-et-l-agressivite-des-adolescents-selon-une-etude-d-oxford?id=10146438.

« Violent Video Games Found Not to Be Associated with Adolescent Aggression | University of Oxford ». Consulté le 16 février 2019. http://www.ox.ac.uk/news/2019-02-13-violent-video-games-found-not-be-associated-adolescent-aggression.


[1] « Pas de lien entre les jeux vidéo violents et l’agressivité des adolescents selon une étude d’Oxford ». RTBF Info, 15 février 2019. https://www.rtbf.be/info/medias/detail_pas-de-lien-entre-les-jeux-video-violents-et-l-agressivite-des-adolescents-selon-une-etude-d-oxford?id=10146438.

PikuNiku et littératures enfantines

PikuNiku est un jeu que j’ai suivi depuis 2016 et pour lequel je nourris un amour sans fin. J’ai aussi eu un plaisir à suivre son développement pendant ces quelques années : les quelques nouvelles ou animations qui paraissaient étaient toujours un régal. Cela fait donc entre deux et trois ans que j’étais convaincu que j’allais analyser ce jeu de manière sérieuse et scientifique. Pourtant, rien n’y fait, PikuNiku dépasse mon entendement. Par deux fois puisque c’est le nombre de fois que j’ai parcouru le mode histoire du jeu. Deux fois que je n’ai plus envie de proposer une analyse sérieuse, le jeu me laisse dans un état de béatitude.

Après donc une petite dizaine d’heures, histoire d’obtenir l’ensemble des collectibles, je me retrouve devant mon écran, à ne rien vouloir écrire. Parce que c’est ce finalement dont il est question maintenant. Je n’ai plus envie d’écrire sur PikuNiku. Les jeu est brillant. Il présente des sociétés anarchistes reposant sur des biens communs qu’un propriétaire capitaliste privatise. Même si les citoyens ne sont pas conscients des plans machiavéliques de Mr Sunshine, on finit par rejoindre une résistance qui va peu à peu avoir l’avantage sur « le méchant », qui se trouve finalement être quelqu’un de bien triste et seul. Autrement dit, PikuNiku propose une version colorée et « Monsieur Madame » de la légende de Guy Fawkes ou de « V pour Vendetta ». Par contre, cette fois, l’histoire se finit par le succès des résistants dont nous faisons partie, un peu malgré nous.

Le hasard joue parfois de drôles de tours. Il y a peu, j’écrivais sur l’importance de faire des analyses « premier degré » des jeux auxquels nous jouons. J’évoquais notamment Undertale et ce pourquoi il était important pour moi de le considérer sans second degré. Je crois avoir avec PikuNiku un nouvel exemple. Le jeu est fondamentalement bienveillant autant avec son joueur ou sa joueuse qu’avec ses PNJs. Les intrigues se résolvent aussi vite qu’elles se nouent et toutes les solutions sont simples. C’est peut-être ce que je retiendrai : dans PikuNiku, c’est simple d’être gentil avec son prochain. C’est aussi simple d’aller à l’encontre d’une conspiration menée par un entreprise. C’est aussi simple de se faire de nouveaux amis quand on se montre respectueux et empathiques. C’est aussi simple de réparer ses erreurs. Etrangement, je trouve les personnages de PikuNiku plus mesurés que ce que je peux voir dans d’autres médias. C’est un jeu dans lequel on nous pardonne lorsque l’on présente nos excuses. Toutes les situations qui peuvent virer au conflit sont vite résolues et il n’y a pas d’escalade de la violence.  

Pour toutes ces raisons, je n’ai rien à dire sur ce jeu. J’ai littéralement passé une dizaine d’heures avec le sourire. Cela m’arrive très peu finalement lorsque je joue, alors, il me semble que c’est suffisamment important pour le mentionner. C’est typiquement le jeu que j’imagine parcourir avec mes futurs progénitures, si cela se présente un jour. Il est fondamentalement bienveillant et est un formidable exemple à donner. C’est peut-être cela qu’il faudrait dire en guise de conclusion. PikuNiku est comme un livre pour enfant tellement bien écrit que n’importe qui aurait envie d’y plonger.

Esteban Grine, 2019.


PikuNiku est un jeu de Rémi Forcadell, Arnaud De Bock, Calum Bowen & Alan Zucconi

Le site officiel : https://pikuniku.net/

La page itch.io : https://devolverdigital.itch.io/pikuniku