Un battement, une éternité – Far From Noise

Un battement, une éternité – Far From Noise

De nombreuses fois il m’est arrivé de me trouver dans un entre deux, un moment hors du temps dans lequel je me retrouve bloquer entre plusieurs volontés incohérentes. D’un côté je souhaitais faire marche arrière, en essayant vainement d’annuler ce que j’avais déclenché et de l’autre, je souhaitais embrasser ce futur effrayant car inconnu.

« Far From Noise » raconte cela, en poétisant le rapport que l’on a avec la peur de l’inconnu mais aussi avec la peur du monde qui nous entoure. De nombreux sujets. Oui, c’est sûr, ce jeu aborde de nombreuses problématiques : peur des étrangers, déconstruction personnelle, acceptation du fait que le monde ne tourne pas autour de nous. Il y a de nombreuses leçons de vie dans ce jeu et son auteur, Georges Batchelor, les aborde aux détours d’une discussion que le ou la joueuse entretient avec un cerf, apparition du fantastique dans un récit pragmatique. Serait-ce une hallucination ? Une déité ? Le jeu n’y répond jamais. De manière générale, le jeu ne propose aucune réponse aux questions soulevées par la conductrice, égarée, entre terre et mer.

Au fur et à mesure de la discussion, le cerf déconstruit nos arguments en les dissolvant dans une philosophie relativiste et absolue. Tout est relatif, alors pourquoi ne pas embrasser cela ? Voilà l’une des propositions du jeu. Accepter le fait de ne pas être maître de son seul destin et que ce n’est pas grave si demain, tout s’arrête. Ce n’est pas grave pour le monde qui lui, par l’horizon, restera beau, immuable, un tout absolu.

Far From Noise est beau, pas seulement dans ses graphismes mais bien dans le message qu’il porte. Il faut défaire les préjugés que nous avons, en relativisant notre situation et ce, pour ne plus avoir peur de l’inconnu mais aussi des inconnus. C’est un autre message que le jeu nous propose ici. Ponctuellement surpris par l’irruption de nouveaux animaux, c’est à chaque fois la peur qui déclenche une réaction de la conductrice et c’est en prenant le temps d’observer pour mieux les comprendre qu’elle finit par éprouver de la sympathie pour ces créatures. Je ne suis pas plus importante qu’elles. On peut s’arrêter ici mais l’on peut aussi y voir un message de paix ainsi qu’une méthode : comprendre l’autre et prendre conscience de son existence, c’est un premier pas vers un monde meilleur.

C’est aussi un premier pas nous permettant de comprendre, qu’au bord du ravin, entre naissance et mort, que nous ne sommes pas si importants que cela et c’est par les relations avec les autres que nous pouvons alors comprendre notre vie. Accepter ce relativisme dont le cerf est l’allégorie, c’est ne plus avoir peur de l’inconnu, c’est accepter la fatalité des choses et notre petitesse, lorsque nous sommes face à face avec l’éternité, sous un ciel étoilé. Et tout cela ne rend le monde que plus beau à mes yeux. ■

Esteban Grine, 2017.

Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo

Pour citer ce poster : Esteban Giner. Identifier les apprentissages et évaluer les potentiels pédagogiques des jeux vidéo. 39e session d’études de l’Association pour le développement des méthodologies d’évaluation en éducation (ADMEE-Canada), Nov 2017, Québec, Canada. 〈hal-01636221〉

L’émergence soudaine des jeux vidéo dans la pédagogie remonte au début des années 2000 avec l’apparition de nouveaux mots-valises comme « gamification » et « serious game ». Bogost, pour observer cette tendance ou plutôt ce nouveau genre de jeux, qualifia les jeux contenant un message et dont l’objectif était de convaincre ses joueurs de « persuasive game » (Bogost, 2006). A ce moment, il intégrait dans cette catégorie de nombreux jeux dont les « serious games ». Ces jeux se définissent de la sorte aujourd’hui car ils contiennent des messages soutenus par des institutions. En parallèle de ce nouveau marché qui s’ouvrait pour les développeurs, ce sont développés les jeux indépendants, mot-valise lui-aussi ne faisant que référence à des jeux produits et édité en dehors des entreprises de référence sur le marché : Ubisoft, Blizzard, Activision, etc. Ces jeux indés proposaient pour certains des expériences moins dirigistes pour les joueurs. Par ailleurs, on commence à voir apparaitre des témoignages d’enseignants, tous niveaux concernés, à propos d’apprenants questionnant la véracité des propos tenus dans les jeux à leurs enseignants ou inversement, questionnant les propos du pédagogue en les comparant à ceux des jeux vidéo (Lalu, Vincent, 2017). La question de l’identification des apprentissages et l’évaluation de ces objets culturels n’en est que plus légitimé.

La méthode que nous proposons a plusieurs objectifs orientés premièrement vers l’éducation au média « jeu vidéo » et secondement, à la détermination de leur pertinence dans un cadre pédagogique plus ou moins formalisé. Ainsi, il s’agit de pouvoir catégoriser les discours et les approches pédagogiques mobilisés par le game designer pour transmettre un message, puisque dans notre cas, le jeu est considéré comme une forme communicationnelle (Bateson, 1977). Par ailleurs, il est aussi nécessaire d’observer la réception de ces discours afin d’évaluer le potentiel pédagogique d’un jeu vidéo.

Le triangle pédagogique des jeux vidéo

Dans le cadre de notre proposition, nous pouvons considérer les jeux vidéo comme présentant des situations potentielles d’apprentissages formalisées à partir de la définition de Houssaye du triangle pédagogique. Dans ce cadre-là, l’expérience vidéoludique est considérée comme une forme de communication dans laquelle trois acteurs sont présents : l’étudiant-joueur, le gameplay-savoir et enfin l’enseignant-game design.  Le premier est celui supposé apprendre. Le second correspond à l’ensemble des connaissances contenues dans le jeu. Nous restons volontairement vague à ce sujet puisque nous incluons véritablement l’ensemble des éléments permettant au jeu d’exister (les assets¸ les décors, les mécaniques, le code informatique, etc.). Enfin le dernier est celui qui scénarise l’expérience du joueur. On évoque ici uniquement le game design puisque nous supposons que jouer à un jeu vidéo est une forme de communication asynchrone et intermédiée mais il s’agit surtout du game designer auquel nous faisons référence. Le triangle pédagogique est intéressant dans le sens où celui-ci suppose qu’une relation entre deux acteurs est privilégiée par rapport aux deux autres. En observant le jeu tout comme le joueur, leurs caractéristiques et les contextes, il devient possible d’établir un ensemble de marqueurs pragmatiques permettant d’inférer sur les intentions de chacun.

Les boucles pédagogiques dans les jeux vidéo

Dès les premiers ouvrages consacrés au game design, le concept de « boucle » est apparu. Il fait notamment référence aux « boucles informatique » (loop) qui permettent à un programme de répéter un ensemble d’action. La boucle pédagogique que nous proposons est quand-à-elle calquée sur la « boucle de gameplay » qui retient les 3 éléments suivant : un objectif, un challenge et une récompense. Pour notre boucle, nous faisons intervenir cette fois un objectif pédagogique, des éléments de gameplay et enfin une récompense ou une punition. Il est important de comprendre que même si les jeux vidéo peuvent contenir des objectifs pédagogiques formalisés, dans notre méthode, ces objectifs sont déterminés a posteriori par le joueur (le chercheur, l’enseignant ou l’apprenant) et il est nécessaire d’aller observer leur orientation puisqu’en fonction de cette dernière, ils seront différents. Ces objectifs sont alors liés à des éléments vidéoludiques manipulables ou non par le joueur et apparaissant selon une certaine mise en récit de l’acte de jeu par le game design.

L’événement d’apprentissage-enseignement intervient après, lorsque le joueur manipule les éléments de gameplay et qu’il obtient une rétroaction formalisée dans le jeu par une punition ou une récompense. Cependant, malgré la rétroaction, l’apprentissage n’est pas forcément constatable dans le sens où notre chemin prend en compte la pluralité des contextes pragmatiques (Genvo, 2013). Ce concept prend en compte le lieu et la temporalité dans lesquels l’acte de jouer apparait mais aussi le joueur, son niveau de compétence, sa littératie vidéoludique (c’est-à-dire sa compétence à analyser les jeux vidéo comme des objets culturels, Zagal, 2010) ainsi que son parcours et ses préférences en termes d’expériences de jeux recherchées.

Ainsi, avec la boucle pédagogique, nous proposons un outil de cadrage permettant de formaliser et d’analyser la façon dont un apprentissage peut apparaitre dans le cadre d’une session de jeu. Cependant, nous rappelons qu’il s’agit là d’une situation potentielle d’apprentissage dont l’apparition prend en compte les éléments que nous proposons. Par ailleurs, cela donne aussi des indices sur quel facteur nous pouvons infléchir en tant qu’accompagnateur ou formateur.

Qualifier la liberté du joueur dans son apprentissage

Après avoir formalisé la façon dont un apprentissage potentiel peut apparaitre en jouant à un jeu vidéo, il convient de revenir sur les événements d’apprentissage-enseignement (EAE) puisque c’est à partir de cette grille de lecture que 1/ nous allons pouvoir définir le discours contenu dans un jeu à propos d’un phénomène et 2/ nous allons pouvoir aussi proposer des directions à l’accompagnateur dans la posture qu’il doit avoir dans l’acte de jouer de l’apprenant.

Pour observer les EAE, nous nous basons sur la grille de lecture proposée par Poumay & Leclerc (2008). Celle-ci est pertinente puisqu’elle nous permet de qualifier les intentions pédagogiques d’un·e game designer à partir du game design. Dès lors, nous pouvons représenter les différentes situations rencontrées par le joueur sur un continuum persuasivité-expressivité. Selon Bogost (2006), un jeu persuasif est un jeu qui contient un message et qui cherche à convaincre (persuader) son joueur tandis que jeu expressif est un jeu proposant des situations permettant aux joueurs d’expérimenter des phénomènes qui ne lui serait pas forcément possible dans sa vie personnelle (genvo,2016). Par exemple, si nous prenons le cas d’un jeu ne proposant que des phases d’exploration, alors nous pouvons faire l’hypothèse que le game designer ne cherche pas à imposer le discours que le jeu contient. A l’opposé, un jeu ne proposant que des phases d’exercisation est quand-à-lui persuasif dans le sens où l’apprentissage est dirigiste. C’est par exemple le cas de certains jeux thérapeutiques utilisés dans certains programmes de rééducation.

Observer les EAE permet dans un premier temps de définir la façon dont les joueurs vont potentiellement apprendre les objets définis par les objectifs pédagogiques. Dans le cadre d’un terrain mené en juin 2017 en situation formelle d’apprentissage (un TD mené avec des étudiants de L1 en sciences de l’information et de la communication, nous avons constaté que les EAE proposant une plus grande liberté au joueur étaient plus approprié à des situations informelles de jeu et donc inadapté dans le cadre d’un cours formel mobilisant un jeu. Cependant, nous faisons l’hypothèse que cette apprentissage, lorsqu’il survient, abouti à des questionnements plus pérennes dans le temps chez les joueurs.

De manière plus général à propos de ce terrain mené, nous pouvons formuler quelques premières hypothèses. Premièrement, nos observations semblent confirmer les hypothèses de Zagal (2010), à savoir qu’il y aurait une corrélation entre la compétence du joueur et les situations d’apprentissages qu’ils peuvent observer et recenser. Deuxièmement, nous observons une corrélation entre les apprentissages et le contexte dans lequel la session de jeu se produit. Les apprentissages ne sont pas forcément moindres dans une situation par rapport à une autre mais ils seraient orientés différemment et fonction des objectifs du joueur et des contextes de jeu. Dernièrement et dans les sessions durant lesquelles des joueurs observent d’autres joueurs, il apparait que l’observation en miroir permet d’interroger sa propre expérience du jeu joué.

Conclusion

Les différentes modélisations que nous avons proposées dans ce poster nous permettent, dans une démarche d’éducation aux médias mais aussi d’analyse critique, d’observer et de qualifier les apprentissages potentiels issus d’une situation de jeu. Les premiers résultats constatent que si les jeux recèlent un potentiel, il apparait nécessaire de proposer une situation de jeu encadrée par un·e accompagnteur·ice en fonction des EAE observés. Lorsque le jeu est expressif, l’accompagnateur devra peut-être canaliser ou du moins susciter des pistes de réflexion à l’apprenant. Au contraire, lorsque le jeu est plutôt persuasif, l’accompagnateur devra soit renforcer les apprentissages potentiels dans le jeu s’il souhaite maintenir un certain alignement avec le message du jeu ,soit permettre une distanciation du joueur avec le jeu potentiellement dans une perspective d’éducation aux médias. ■

Esteban Grine, 2017.

Bibliographie

Bogost, I. (2007). Persuasive Games: The Expressive Power of Videogames. Cambridge, MA: The MIT Press.
Genvo, S. (2016). Defining and designing expressive games: the case of Keys of a gamespace | Kinephanos. Consulté à l’adresse http://www.kinephanos.ca/2016/defining-and-designing-expressive-games/
Houssaye, J., & Collectif. (2009). Pédagogie : une encyclopédie pour aujourd’hui. Issy-les-Moulineaux: ESF Editeur.
Leclercq, Poumay. (2008). Le Modèle des Evénements d’Apprentissage – Enseignement.

Sisyphe, l’enfer et Scanner Sombre

Sisyphe, l’enfer et Scanner Sombre

Scanner Sombre est un jeu qui pose la question suivante : serions-nous plus heureux si comme Sisyphe, nous parvenions à comprendre que notre monde est absurde, à accepter notre destin et pourtant à rester heureux ? Dans ce jeu, notre avatar est un géologue professionnel ou amateur qui explore un ensemble de grottes. La découverte progressive de l’environnement nous permet de comprendre ce qu’il s’est passé : nous incarnons une personne morte a côté de son dernier campement après être descendu trop profondément. Notre progression en tant que joueur est en fait le chemin qu’a parcouru ce géologue avant de mourir : le jeu illustre par son level design le regret de notre incarnation en nous proposant donc revenir sur nos pas, de parcourir à rebours notre dernier voyage, loin de notre famille.

C’est donc son regret qui l’enchaîne au lieu de sa mort et il essaie tant bien que mal a obtenir une forme de rédemption. En tout cas, le jeu nous met a sa place lors d’une de ses tentatives de libération dont la sortie de la grotte en est la métaphore. le souvenir de sa famille est l’incarnation de son regret, de son attache matérielle et cela qui lui ferme les portes de sa rédemption.

Il n’y a pas grand chose d’autre à dire sur ce jeu mais ce qui m’a frappé, c’est que l’on y voit ici une illustration du mythe de Cisyphe, motif récurrent dans les jeux vidéo. A la fin du jeu, une cinématique se déclenche et vient nous suggérer qu’une force divine nous oblige a retourner au point de notre mort. Le paradis nous est interdit, lecture mythologique qui donne sens à nos actions effectuées lors de notre parcours. Tout ce que nous avions fait est vain puisque soumis à un éternel recommencement.

Les jeux vidéo mettent ponctuellement cette idée de cycle au cœur de leur narration. Le joueur a une action qui déroule une narration linéaire mais qui s’intègre dans une boucle répétitive : c’est linéaire pour nous mais cyclique lorsque l’on prend du recul. Il n’y a donc ni début ni fin à ces jeux. En tant que joueur, nous attrapons le train en marche, pensant qu’il s’agit du dernier, alors que les concepts de « début » et de « fin » ne s’appliquent plus depuis bien longtemps.

The Witness propose lui aussi cette lecture d’éternel recommencement, de nirvana interdit au joueur. Arrivé à l’une des fins du jeu, la première pour la majorité, le jeu nous place dans un état similaire à celui de Scanner Sombre, notre avatar flotte et traverse l’ensemble des environnements que nous avons parcouru, défait tout ce que nous avons fait puis nous replace à notre point de départ.

Dans cette perspective, il apparait que certains jeux vidéo reproduisent des systèmes aliénants dans lesquels des sujets-joueurs sont obligés de recommencer inlassablement les mêmes actions, les mêmes tâches. Nous pourrions aller plus loin en supposant que c’est finalement le cas de tous les jeux vidéo : à chaque nouvelle partie, nous recommençons, toujours, inlassablement, les mêmes actions avec quelques différences dont nous sommes les seuls à pouvoir observer. Pour ces deux jeux, c’est clairement explicite et cela nous pousse à nous interroger sur ce que c’est finalement que de jouer. Scanner Sombre et The Witness nous suggèrent que ce comportement n’est finalement pas si éloigné de ce que faisait Sisyphe, voué à amener une pierre en haut d’une colline pour qu’elle redescende immédiatement, l’obligeant alors à recommencer.

Continuer à jouer à un jeu vidéo n’est finalement rien d’autre que cela : des comportements répétitifs mais sur lesquels on décide arbitrairement d’y associer un sens ludique, comme si cela excusait notre incapacité à accepter nos aliénations. Le fait que cela soit explicite dans Scanner Sombre et The Witness nous fait comprendre pourquoi il devient nécessaire de s’arrêter de jouer : nos actions sont vouées à être défaites puis répétées comme dans un enfer dans lequel nous serions obligés d’effectuer encore et toujours les mêmes travaux. ■

Esteban Grine, 2017.

Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur.

Pour Undertale, l’humain est bon, pas le joueur

Undertale est un jeu sorti il y a bientôt deux ans maintenant. A la suite d’une campagne réussie sur Kickstarter, son créateur, Toby Fox, a pu se lancer pleinement dans la réalisation de son jeu. Le développement aboutit alors sur l’objet que l’on connait aujourd’hui. Sitôt sorti, sitôt encensé, le jeu a connu un succès immédiat et sa communauté a très vite grandit jusqu’à être aujourd’hui l’une des plus bavardes sur son jeu de prédilection autant sur les réseaux qu’en termes de création de contenus « fanmade ».

Pourtant, aujourd’hui, je ne vois toujours pas d’analyse approfondie du jeu hormis quelques théories sérieuses ou complotistes venant étayer certaines représentations que certains joueurs ont sur le jeu. Plutôt que d’attaquer ces théories, je préfère donc proposer la mienne qui comme cela fut le cas pour mes articles sur Majora’s Mask (2001) ou The Witness (2016) ne vient pas imposer une vision ou une compréhension du jeu. Ainsi, dans ce papier je vais soutenir la thèse suivante : pour Undertale (et Toby Fox), l’humain est bon, mais pas le joueur. Je présente la thèse sous cette forme paradoxale (le joueur est forcément humain donc bon et mauvais) car il me semble que cela incarne au plus profond ce que le jeu veut transmettre et questionner : l’éthique et la morale des joueurs. Ce faisant, je me positionne en contradiction des personnes l’ayant attaqué sur sa simplicité scénaristique. Je soutiens au contraire que le jeu est bien plus subtil et bien plus doux-amer que laisse paraitre sa première lecture, son premier parcours.

Pour argumenter ma position, je vais principalement m’appuyer sur des textes et articles de pédagogie et de game design. Ainsi, dans une première partie de cet article, nous verrons la façon qu’Undertale  a de diffuser les systèmes de représentations et de valeurs. Dans une deuxième partie, il sera nécessaire d’illustrer la façon qu’a le jeu d’orienter le comportement réflexif du joueur : comment celui-ci, en jouant au jeu, réfléchit sur ses comportements et sur sa façon d’interagir en société ? Enfin, nous verrons dans une dernière partie par quelle méthode le jeu manipule le joueur pour lui faire ressentir le regret et le remord.

Entre expressivité et persuasion, l’objectif de Toby Fox

Undertale est un jeu dont les inspirations remontent aux jeux de rôle japonais. Nombreuses sont les personnes à avoir déjà pointé du doigt earthbound comme étant le père spirituel du jeu. Toby Fox est originaire d’une communauté de fan et de modders. Dans un entretien donné Joël Couture, Toby Fow expliquait qu’en plus de mother, l’auteur s’inspirait aussi de Shin Megami Tensei. Les prémisses de l’aventure sont simples : un ou une héro amnésique se retrouve dans un donjon (l’underworld) et doit le parcourir afin de terminer l’aventure.

Undertale est un jeu qui est à cheval entre son côté expressif et son côté persuasif. En effet, il propose au joueur de ne pas combattre, ou plutôt d’éviter les conflits avec les différents monstres composant le bestiaire du jeu. Pour ce faire, l’option Act lors des moments de combats propose un menu avec des choix plutôt humoristiques afin de résoudre les combats de manière pacifiste. Ce faisant, le gameplay du jeu se rapproche alors du genre expressif dans le sens où il n’impose pas un discours particulier au joueur et n’oblige à aucun moment ce dernier de se comporter d’une façon précise. Cependant, cela vient en contradiction avec le discours tenu par certains personnages dont Toriel, deuxième PNJ rencontré après l’antagoniste principal du jeu qui nous demande de manière plutôt formelle de ne pas tuer de monstres vivant dans l’underworld. D’entrée de jeux donc, undertale enseigne au joueur selon une approche réceptive (Leclerc & Poumay, 2008) de ne pas commettre de crime puis nous laisse expérimenter et faire l’exercice de cela de manière libre. De même tout au long du jeu, il n’y aura pas véritablement de punition ou de game over lié à un mauvais choix à un mauvais moment du joueur. Les seuls moments véritables de mort vidéoludique ont lieu durant les combats rencontrés et ceux-ci sont directement liés à la compétence du joueur. Une fois, la première proposition faite par Toriel de ne pas tuer, le game design ne revient plus sur cela et laisse le joueur faire comme bon lui semble. C’est là où le côté procédural et algorithmique de l’histoire devient particulièrement intéressant puisque le joueur se retrouve sanctionné positivement ou négativement sans que cela soit clairement formel. De même, la punition n’est pas immédiate. Cela a pour conséquence de duper le joueur jusqu’au moment où un twist scénaristique apparait tout en le faisant prendre conscience que plus durement de son comportement. Nous avons déjà montré dans un précédent article sur la réflexivité la façon qu’avait le game design de responsabiliser le joueur de ses actes vidéoludiques.

Undertale est un jeu profondément humaniste. Il nous invite à interroger notre façon de jouer et ce que nous considérons de ludique. En ce sens, finalement, Toby Fox développe un game design et une pensée proche de celle de Miguel Sicart notamment. Ce dernier considère le fait de jouer comme un acte moral et éthique pour le joueur, non pas forcément que le jeu change le système moral du joueur mais plutôt que ce dernier engage son système éthique et moral dans sa façon de jouer. Ainsi, les actions qui ont lieu durant le jeu sont le reflet, le constat visible et observable de l’éthique et de la morale du joueur. Dès lors, l’idée centrale d’undertale en se présentant comme un RPG dans lequel nous pouvons éviter le meurtre d’ennemis est de dresser une critique générale sur les jeux vidéo actuels. Ces derniers, au contraire, engagent le joueur dans des actions immorales (même si elles n’ont aucun impact). L’objectif du game designer dans undertale est alors de proposer autre chose que la ludoformation de la mise à mort.

Undertale comme critique du comportement de joueur

Ainsi, dans ce jeu, il y a une première critique de notre façon de jouer. Toby Fox, volontairement ou involontairement, critique le fait que nous, joueurs et joueuses, puissions-nous amuser à mettre à mort des personnages fictifs sous prétexte que le côté ludique de l’activité excuse la morbidité de cet acte. Mais ce n’est pas tout. Une deuxième critique de notre façon de jouer se dresse de manière plus fine en filigrane de nos actions dans le jeu. En effet, si cela aura échappé au joueur, il apparait tout de même important de mentionner que le jeu undertale invite son joueur à ne pas accumuler. Autrement dit, undertale est aussi un jeu de rôle qui rejette toute forme d’accumulation capitalistique. Cela est particulièrement intéressant notamment lorsque l’on s’aperçoit que les jeux critiquant le capitalisme, de près ou de loin, reproduisent des schèmes et des modèles de fonctionnement (des règles structurées dans ce cadre-là) reproduisant notre société capitalistique. Undertale nous invite donc à ne pas conserver particulièrement de l’argent, où en tout cas à le dépenser régulièrement et uniquement sur ce qui est nécessaire : de la nourriture principalement et qui en plus est produite localement (on saluera ici la prise en compte des circuits courts mais aussi du respect de la saisonnalité des produits). Par ailleurs, deux fois dans le jeu, il nous est proposé de financer des causes humanitaires : la protection des araignées. Enfin, Fox profite d’un rapide passage pour dresser une critique du coût exorbitant des études aux Etats-Unis, de la précarité des étudiants mais aussi du manque de débouchés à la sortie du diplôme en présentant le personnage du vendeur Temmie. Celui-ci, ou celle-là, travaille pour financer ces études dans le magasin du village Temmie. Le joueur peut l’aider pour financer ses études (en payant un prix exorbitant et qui nécessite que le joueur effectue des tâches répétitives pendant un certain temps). A son retour des études, Temmie reprend son poste de vendeur comme si de rien n’était : aucune progression sociale ne semble permise alors, malgré l’obtention d’un diplôme.

Ces deux critiques faites à l’encontre des jeux vidéo se retrouve tout d’abord dans les combats que nous verrons plus loin mais surtout dans un seul élément du jeu qui pour nous vient constater cela. Undertale cristallise ses critiques de la violence vidéoludique et des logiques capitalistiques dans sa gestion des points d’expérience. En effet, in fine, avec tous les messages qui nous sont envoyés lors du jeu mais principalement par Toriel, au tout début, on nous invite à ne pas commettre de meurtre. Or, en règle générale, le fait de combattre des ennemis apportent de l’expérience si on les tue. Le fait de passer des niveaux relève en effet d’une logique d’accumulation (de points). Mais dans undertale, le fait de résoudre des conflits de manière pacifique n’en n’apporte pas. Ainsi, si l’on souhaite mener une « route pacifiste », notre avatar restera toujours au premier niveau sans franchir le second. Avec cette lecture, le message est clair : être pacifiste, c’est ne pas accumuler plus que nécessaire. On pourrait même pousser cette réflexion en rapprochant le gameplay du jeu comme l’un des premiers gameplay incarnant des logiques de décroissance. Dans cette perspective, le jeu de Toby Fox prend alors une dimension bien plus importante dans l’histoire du jeu vidéo.

Un dernier point qui semble constater notre hypothèse  sur cette lecture anticapitaliste concerne les différents impacts que peut avoir le joueur sur l’environnement vidéoludique par rapport aux RPGs orthodoxes et les jeux vidéo en général. En effet, dans la plupart des jeux, les joueurs peuvent explorer des univers mis à leur disposition en tant que potentielle ressource exploitable. Par exemple, dans les jeux Final Fantasy, un joueur peut entrer dans la maison d’un PNJ, fouiller les rangements disposés ici et là (on peut supposer un lien de propriété en calquant les règles régissant notre réalité à la diégèse du jeu) et, finalement, obtenir des objets. Dans les jeux Oblivion & Skyrim, le joueur peut faire du commerce avec n’importe quel marchand, peu importe le besoin de ce dernier. Enfin, les ressources s’inscrivent généralement dans des mécanismes de développement durable et de non exclusivité : dans Pokémon Go, il n’y a pas un nombre fini de pokémons par exemple. Cependant, dans undertale, quasiment tous les objets, hormis les objets de restauration de la santé (hamburgers, nourriture variées), sont contenus dans un ensemble fini de ressources. Dès lors, le joueur ne peut exploiter son environnement comme bon lui semble et comme dans tout autre jeu vidéo. Très tôt, en début de partie, le joueur va arriver devant un saladier rempli de bonbons. Le jeu fait la demande de n’en prendre qu’un seul, or, il est possible de se resservir. Le jeu va alors graduellement faire comprendre que ce n’est pas un bon comportement à avoir jusqu’à ce que le saladier se renverse sur le sol, rendant la ressource inutilisable. Il est ici intéressant de reformuler ce qu’il se passe dans cette situation de la façon suivante : la surexploitation d’une ressource la rend à terme inexploitable de manière durable et détériore l’environnement dans lequel elle se trouve. On retrouve aussi cet ensemble fini de ressources dans le nombre de monstres par zone du jeu : il n’y a pas de griding possible dans undertale. Au bout d’un certain nombre de combat, les zones deviennent vides : voici un nouvel exemple de la surexploitation du joueur sur l’environnement vidéoludique. C’est aussi à ce moment que le game design doit nous interroger sur la morale et l’éthique des comportements que nous avons en jouant : de quoi ces comportements sont-ils le reflet ? Une première interprétation serait qu’ils reflètent nos us et coutumes capitalistique et d’exploitation dans le monde physique.

Nous venons donc de proposer une interprétation décroissante d’undertale dans le sens où le gameplay illustre une critique de la violence et de certaines logiques capitalistiques. Ainsi, il ne faut pas non plus trop se soucier du terme employé de « décroissance ». Au contraire, il faut simplement retenir qu’undertale se pose comme l’un des représentants, peut-être le parangon ultime, d’une façon de jouer « hétérodoxe » dans le sens où le jeu propose autre chose que ce qui forme l’orthodoxie vidéoludique, à savoir la reproduction ludifiée des schèmes et des logiques néo-libérales et capitalistiques.

Combats, mises à mort & empathie pour notre prochain

Nous avons constaté notamment qu’undertale critique les comportements habituels des joueurs dans le sens où ceux-ci s’inscrivent dans des logiques oppressives. Il convient maintenant de revenir plus en détail sur  son système de combat et comment celui-ci diffuse les valeurs souhaitées par Toby Fox. Encore mieux, il convient de revenir sur la mise en récit, précisément, de l’antagonisme vidéoludique. Encore une fois, undertale dresse une critique des systèmes de combat usuels des RPGs. Le premier élément qui doit sauter aux yeux est qu’à aucun moment le jeu oblige le joueur à agir d’une certaine façon. Mieux, le game design met l’ensemble des éléments à égalité en affichant les quatre boutons d’actions sur une même ligne et de taille égale. Par exemple, c’est le contraire de ce que l’on trouve dans les jeux Pokémon récents qui mettent clairement en avant le choix d’attaquer. Ici, les options sont d’égals à égals et seul le bouton « Mercy » changera de couleur pour nous signaler que le combat peut se terminer en épargnant le ou les antagonistes. Par ailleurs et comme je l’ai déjà montré dans mon article scientifique sur la réflexivité (Giner, 2017), le jeu alterne les rythmes des séquences dans ces combats en misant sur l’humour et le potache lorsqu’il s’agit de résoudre les conflits de manière pacifique. C’est pourquoi nous n’allons pas nous y attarder outre mesure ici. Par contre, il convient d’aborder plus en détail l’attitude du joueur et la façon qu’a ce dernier de se refermer sur ses vieilles habitudes. Undertale est un jeu qui dès le début a été présenté comme un RPG dont les combats peuvent se conclure par la non-violence du joueur. Or, comme le rappelle Joël Couture dans son livre « Fallen Down » (2017), les joueurs n’arrivent pas forcément à voir les opportunités et les possibilités puisque ceux-ci n’arrivent pas forcément à sortir de leurs habitudes. Cela est particulièrement flagrant à la fin de zone de didacticiel lorsque nous devons affronter Toriel (qui est un jeu de mots pour « tutorial », « ‘torial », « Toriel »). Lors de ce combat, le joueur doit sans cesse choisir l’option « mercy » pour enfin avoir la possibilité d’épargner ce personnage. Le problème est que l’on ne voit pas immédiatement l’impact que le choix répété de « mercy » : autrement dit, il n’y a pas de feedbacks immédiats. Ainsi, malgré tous les paratextes que l’on a pu avoir ainsi que les messages dans le jeu, on a l’impression de se retrouver bloqué et d’être obligé à tuer Toriel. L’échec ressenti par le joueur jouant en souhaitant appliquer la proposition d’undertale  n’est donc pas de « perdre un combat » mais de solder un combat par la mort de son opposant. Chose qui arrive malgré tout fréquemment lors des premières runs se concluant en « neutral route ».

Encore une fois, il s’agit là d’illustrer la critique que fait undertale des habitudes et des réflexes des joueurs. Couture (2017) soutient la thèse, avec laquelle je suis d’accord, que le jeu et son game design parviennent à créer des liens affectifs envers les personnages non-joueurs. Il s’agit là bien entendu à une affection éprouvée pour des personnages de fiction, chose finalement assez banalisée dans les œuvres culturelles. Or, là où le jeu se distingue concerne la façon dont il arrive à faire ressentir une douleur émotionnelle réelle liée à un comportement du joueur se concluant sur la mort d’un personnage apprécié. Le jeu a ce génie de construire tout son game design sur la notion de regret, émotion ressentie par le joueur.

Le regret comme moteur de la thèse du jeu

Le regret est une émotion importante dans les jeux vidéo puisque c’est l’une des seules émotions qui peut être uniquement ressentie en jouant. Cependant, il convient de spécifier un peu ce que nous entendons par « regret ». Ainsi, nous considérons uniquement le regret uniquement en rapport à la fiction. Cela signifie que la personne ressentant cette émotion doit avoir eu un comportement formalisé dans la fiction qu’il parcoure. De plus, il faut que ce comportement et ses conséquences soient irréversibles. Or, généralement dans les jeux vidéo, toute action peut être rendue nulle. C’est alors à partir de ce point de départ et de ce qui a précédemment été constaté dans ce papier que Toby Fox a bâti son piège.  

Undertale est un jeu qui piège son joueur à cause de ses réflexes et de son attitude ludique et grâce au regret que cela va lui causer. Pour construire mon raisonnement cependant, nous avons besoin d’étayer mon propos autour de la construction narrative du jeu. Undertale propose une histoire qui ne se découvre que de manière très progressive et sur plusieurs runs, c’est-à-dire sur une répétition du début à la fin du jeu – nous reviendrons dans un prochain papier sur l’utilisation des cycles et des répétitions dans les jeux vidéo pour diffuser des messages et des discours. Autrement formulé, il faut comprendre que le récit, la narration, dévoile l’histoire générale sur trois parcours du jeu. Le joueur doit donc refaire le jeu au minimum deux fois et selon certaines spécificités pour atteindre les 100% de complétion et véritablement pouvoir dire « j’ai fini le jeu ». Ainsi, généralement, la première run se conclut par une fin neutre. Le jeu nous propose ensuite de refaire le parcours pour atteindre la « true pacifist ending ». A la toute fin de cette route, Flowey, l’antagoniste principal du jeu, apparait pour prévenir le joueur de ne pas poursuivre sa complétion du jeu sous prétexte que les personnages sont maintenant heureux. Recommencer n’aurait alors pas d’impact et qu’il y aura un reset complet. Il s’agit là du véritable test du jeu. Tout le game design et la critique du jeu vidéo orthodoxe qui est faite progressivement conduit à ce moment fatidique du choix. Ce choix peut être formulé de la manière suivante : le jeu nous demande de manière quasi formelle d’arrêter d’être joueur, ou du moins, d’être un joueur normal dont la pratique s’inscrit dans l’orthodoxie vidéoludique. J’avais déjà constaté, à travers les Sessions Innocentes (des sessions de jeu durant lesquelles je filme des personnes jouant peu à des jeux vidéo), qu’il était plus facile pour une personne de respecter son système de valeurs durant l’activité vidéoludique. Ainsi, l’hypothèse que je formule ici et que lorsque le discours d’un jeu entre en conflit avec le système de valeur d’un non-joueur relatif (dans le sens où il ou elle joue très peu), ce dernier va facilement terminer sa session de jeu avec l’idée qu’il ne veut pas aller dans le sens du jeu : le conflit entre le joueur et le game designer (à travers le jeu) se solde par le refus du joueur à poursuivre / à jouer.

Pour résumer ma pensée, ou plutôt la reformuler, j’interprète undertale comme une critique de nos habitudes vidéoludiques. Celles-ci sont orthodoxes car elles dérivent de notre société orientée capitaliste et néo-libérale, ce qui se retrouve dans les jeux vidéo mainstream mais aussi malgré tout dans les plus petites productions. Le moment durant lequel Flowey nous invite à ne plus jouer, le joueur sait déjà plus ou moins que pour continuer à dévoiler l’histoire, il devra exécuter la genocide route. Or, cela signifie faire table rase de tout ce qui a été déjà parcouru et surtout, cela signifie revenir à une conception orthodoxe du jeu vidéo où les personnages ne sont rien de plus que des ressources exploitables par le joueur. Si ce dernier choisit de parcourir la genocide route, alors il émet une préférence pour son plaisir vidéoludique plutôt que pour le respect d’une demande formelle (et indirecte de la part du game designer). Le test que présente Toby Fox est donc fait pour savoir si, après la true pacifist ending, le joueur va reprendre un comportement oppressif et habituel dans les jeux vidéo.

La Genocide Route, ultime alerte avant la punition finale

Ainsi, dans la lecture que je propose, la genocide route n’existe finalement que pour piéger un certain profil de joueur de jeu vidéo : ceux qui font preuve et qui maintienne leur attitude ludique malgré tous les messages et les invitations faites au joueur pour justement ne pas poursuivre  l’aventure. En ce sens, chacun des nouveaux éléments de gameplay amenés lors de ce parcours peuvent être interprétés comme des éléments testant la volonté du joueur à poursuivre et que nous pouvons lister. Premièrement, le maintien de ce parcours nécessite la mise à mort de tous les monstres de chaque zone. De même, il faudra aussi mettre en terme aux vies des personnages secondaires de l’intrigue : Toriel, Papyrus, Undyne et Sans qui sont chacun des pics de difficulté obligeant le joueur à essayer à de multiples reprises pour enfin réussir. « Stay determined » est le message apparaissant à chacune des morts et si lors des neutral routes et de la true pacifist run, cela pouvait nous remplir d’espoir, lors de la genocide route, il cache un piège pervers puisqu’il nourrit l’esprit guerrier et ludique du joueur : il doit battre les bosses se présentant devant lui, peu importe le coût que cela aura. Deuxièmement, l’ambiance proposée devient pénible et lourde à supporter : les décors sont vide, plus aucun PNJ ne se présente et tout ce qui faisait la saveur des runs neutres et pacifistes disparait : le joueur est laissé seul à lui-même avec pour seule mécanique de se battre de manière répétée et perpétuelle. Undertale devient un jeu orthodoxe et ce, dans sa plus simple expression : coloniser des territoires et abattre des éléments considérés « ennemis ».

Pourtant, il ne s’agit pas non plus pour Toby Fox de critiquer uniquement les jeux mainstream mais plutôt d’atteindre le joueur autrement. Pour rappel, l’objectif de Fox est, dans notre lecture de l’œuvre,  de critiquer les pratiques normées, standardisées des joueurs. Pour ce faire, il nous propose de parcourir une première fois le jeu. A la fin de celle-ci, un premier groupe de joueur totalement convaincu peut s’arrêter après avoir compris le message, un deuxième groupe continu. Ce groupe parcours une seconde fois le jeu en rendant tout « mieux » lors de la true pacifist route, objectif alors visé par ce groupe. A la fin de cette run, il y a à nouveau deux groupes : ceux qui vont arrêter de jouer car ils ont été suffisamment touchés par le message proposé par le jeu (qui pour rappel est que jouer est un acte moral et avec des conséquences) et ceux qui malgré toutes les mises en garde, veulent poursuivre et parcourir la genocide route. La seule stratégie, et à notre sens la plus pertinente à ce niveau de Toby Fox, est alors de faire ressentir à ces joueurs (ceux qui n’ont jamais arrêté) les émotions les plus fortes pouvant être ressenties en jouant : le regret et la culpabilité.

Cycles et châtiment du joueur pour ses méfaits

La genocide route n’existe que pour culpabiliser et susciter le regret chez les joueurs n’ayant toujours pas compris le message de Toby Fox. Le piège dressé par ce dernier pour leur faire comprendre n’en devient que plus intéressant et pertinent à étudier d’un point de vue critique et scientifique puisque cela interroge directement le rapport que peut avoir une audience à la fiction elle-même. L’une des caractéristiques les plus intéressantes des jeux vidéo, par rapport à d’autres médias, est sa capacité à nous faire ressentir soit de la fierté, soit du regret par rapport aux éléments d’une fiction. En effet, en nous obligeant à prendre part à l’action, les émotions suscitées sont différentes. L’une des spécificités des jeux vidéo (si elles existent) serait alors de penser ces objets comme des outils créant des passerelles émotionnelles directes avec les éléments fictionnels. Autrement formulé, l’une des spécificités du jeu vidéo serait de créer un sentiment de responsabilité de l’audience vis-à-vis de la fiction. Ainsi, si undertale avait été un film, le meurtre de Toriel nous aurait probablement peinés, attristés, sans plus. Or, le fait que nous soyons l’auteur de ce meurtre transforme l‘expérience et notre rapport à la fiction. l’objectif serait de créer un rapport à la fiction différent du cinéma ou de la littérature ou de toutes formes narratives. Les émotions suscitées sont alors différentes. « Nous » sommes les meurtriers qui perpétuons des comportements oppressifs dans les jeux vidéo.  De notre point de vue cependant et malgré la puissance de ces émotions et leur capacité à nous toucher, les jeux vidéo orthodoxes nous déresponsabilise vis-à-vis de ce qui se produit dans la fiction – les jeux sont comme des cercles magiques dans lesquels les actions produites n’ont pas d’impact en dehors. Là où se distingue undertale, encore une fois, réside dans le fait qu’il ne déresponsabilise pas ses joueurs et ce, en intégrant la notion d’héritage, presque au sens schumpétérien du terme : nous laissons des traces et le jeu se souvient de toutes nos actions, même celles que nous regrettons et que nous aimerions bien effacer. Sur ce sujet, Joël Couture explique bien le sentiment de regret qu’ont pu avoir les joueurs en tuant certains personnages non-joueurs. Si le joueur ne comprend pas le message de Toby Fox pendant le jeu, la genocide route existe pour lui faire comprendre a posteriori. Contrairement à d’autres jeux, notamment les titres de Telltales, qui ôte le poids de la culpabilité à son joueur en l’invitant à rejouer la fiction autrement, undertale ne pardonne jamais les crimes commis par le joueur. Après la genocide¸ le joueur ne pourra plus jamais atteindre la true pacifist ending. A la toute fin de cette dernière, si elle est parcourue après une la genocide, l’avatar change et nous observe par un regard camera glaçant : le jeu se souvient de nos actions, de nos torts. Toby Fox fait alors de son jeu un véritable miroir de l’âme du joueur. Au fond, celui-ci est un monstre et n’accédera pas à la rédemption généralement offerte par les jeux orthodoxes.

Le joueur, cette monstruosité aux yeux d’Undertale

Alors le joueur, empli de regret, se retrouve devant un choix. Soit il décide de défausser le message du jeu sous prétexte que « ceci est un jeu » (Bateson, 1977), auquel cas le game design du jeu aura définitivement échoué à transmettre le message de Fox. Soit le joueur accepte son statut de « monstre » et décide de remédier à cela et changeant son comportement dans les futurs jeux auxquels il jouera. En commençant notre article, nous avions pour objectif de soutenir la thèse qu’undertale questionne le comportement éthique du joueur. Reformulé, undertale nous interroge et propose une réponse à la question : « qu’est-ce que jouer de manière éthique ? ». La réponse que nous pourrions ébaucher serait alors la suivante : jouer de manière éthique à undertale, c’est parcourir le jeu en respectant les exigences de la true pacifist route. Plus généralement, Toby Fox nous invite à interroger la façon dont nous jouons et les comportements que nous avons lors de nos sessions vidéoludiques. Les conclusions de Fox semblent proches de celles de Miguel Sicart lorsque ce dernier, dans Play Matters, dit que nous transposons nos systèmes éthiques et moraux dans les façons que nous avons de jouer. Partant de ce propos, si nous jouons à tuer des cibles considérées ennemis dans un jeu, c’est parce que finalement nous reconnaissons une certaine forme ludique au meurtre dans notre société. Fox et Sicart reconnaissent donc les jeux vidéo comme des supports d’expression de nos systèmes de valeurs. Il ne s’agit alors pas de questionner les impacts que peuvent avoir les jeux vidéo mais plutôt de faire éclater au grand jour les vérités fondamentales du jeu vidéo. Pour Fox, ces dernières reposent sur la violence, l’oppression, la pensée capitaliste et les comportements coloniaux. Si les Humains, malgré cela, restent bons, c’est parce qu’en l’absence d’une attitude ludique fortement marquée, ils arrêtent de jouer lorsqu’ils comprennent le message du jeu ou lorsque celui-ci entre en contradiction avec leur système de valeurs. Les joueurs, par contre, maintienne leur attitude ludique et ce, peu importent les comportements atroces commis ou qu’ils s’apprêtent à commettre. C’est en ce sens, que je pense pouvoir affirmer que pour undertale¸ l’humain et bon, pas le joueur. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Le sens caché de The Last Of Us – CT05

Que ferons-nous le jour de la fin du monde ? En supposant déjà que nous survivions les premiers de ces derniers jours. Comment la vie s’organiserait dans les anciennes villes conquises par la végétation ?

S’il y a bien eu une catastrophe dans The last of us, celle-ci s’est terminée il y a bien longtemps après le début de notre périple. On découvre alors une société humaine qui tente, tant bien que mal, de se réorganiser. On se retrouve alors dans une dystopie dans laquelle les civils doivent jongler entre le peur de l’armée et la peur des bandes organisées. Ce n’est pas cela qui me frappé, ni même ces nouvelles créatures vraisemblablement apparues pour venger la planète de l’espèce humaine.

The last of us est tâché de ce motif de fiction récurrent autant dans les œuvres occidentales qu’orientales. Je parle ici du voyage en Occident ou du moins vers l’ouest, le Far West de l’Amérique. C’est cette recherche d’une terre d’asile, d’un Eldorado qui ancre le récit de Joël et Élie dans un imaginaire prophétique puisque il s’agit aussi de deux noms évocateurs de la mythologie biblique. Élie est le prophète qui annonce le retour du messie à la fin des temps et Joël est lui aussi porteur d’un parole religieuse. Puis vient le motif de la rédemption. Joël, ayant échoué à protéger sa fille lors du démarrage de l’épidémie se retrouve avec une nouvelle personne à protéger, métaphore du parent qui doit assurer le futur de sa progéniture. Enfin, le dernier motif est celui de l’héritage. Deux générations dont l’une qui doit promettre et permettre un monde meilleur à la suivante. L’échec d’une génération humaine à fournir un niveau de vie durable à la suivante.

On retrouve ainsi donc les éléments qui font les récits à succès. Une quête, intergénérationnelle, d’un être protégeant un autre et in fine le sort du monde. Plus encore que cette quête de rédemption, the last of us est un récit qui raconte la fin d’une ère. Malgré toutes ces créatures étranges, horrifiques et zombifères, il s’agit du récit de l’affaissement de notre civilisation sur elle-même. Et l façon dont les humains restants ont tenté vainement du survivre alors que tout repère disparaissait.

Durant notre voyage vers l’ouest, nous traversons des dizaines de maisons et de lieux. Tous racontent qui étaient leurs occupants et comment ils tentèrent vainement de fuir.

Tout au long du jeu, des éléments symbolisant la traversée vont marquer notre voyage et en être les objectifs. Dès le début du jeu, le pont est le symbole de cet objectif. Il faut traverser le fleuve, qu’il soit le Styx ou un autre. Sarah dans ses bras, le pont devient l’objectif du joueur. Mais il n’y arrive pas à ce moment. Plus tard dans le jeu, nous retrouvons ce pont, à nouveau objectif des protagonistes. Le jeu fait de nombreuses références à son propre récit. On l’aperçoit en fond puis, on le revoit dans un cabinet d’architecture, probablement celui qui l’a construit. Puis nous y arrivons enfin mais celui-ci est cassé, l’empêchant de remplir son office. À de nombreuses reprises, le joueur doit bâtir et traverse des cours d’eau : il oscille entre la vie et la mort. D’abord à la centrale où la coopération est nécessaire pour le traverser puis à l’hôpital. Moment clef de l’intrigue puisque Élie y perd connaissance. Elle passe alors de l’autre côté. Puis à la toute fin du jeu, en l’incarnant, nous traversons un ruisseau ridicule comme si le jeu nous narguait : « ce n’était pas si compliqué vois-tu ». Nous revenons alors dans le monde des vivants, auprès de la ville de Tommy, seul bastion autonome et pérenne que l’on croise. Le jeu joue beaucoup sur cette idée de cours d’eau à traverser. Impossible de ne pas y voir une métaphore des allers et retours que font Joël et Élie entre le monde des vivants et celui des morts.

Impossible aussi de ne pas voir que les cours d’eau que l’on veut traverser se font de plus en plus petits au fur et à mesure de notre avancée dans le jeu. On peut y voir l’évolution psychologique des personnages. En voyageant ensembles, les obstacles auparavant insurmontables redeviennent envisageables. Ce n’est qu’une lecture d’un détail, critiquable mais qui fait sens dans cette analyse.

Les morts, nous en croisons des centaines. Comme ces cadavres que l’on trouve dans les maisons, dans les salles de bains mais aussi parfois dans leur lit ou dans l’une des pièces de leur ancienne maison. Et ces monstres difformes, qui étaient-ils ? Probablement les habitants mêmes des lieux que nous traversons. Le jeu nous donne des indices sur qui ils étaient. Comme ce cadavre que l’on découvre à la fin de l’automne devant un égout que l’on s’apprête à traverser. En regardant ce corps misérable, on s’interroge sur la personne qui mourut de cette manière,  isolée. Puis l’on se souvient que plus tôt, nous avions visité une épave dans laquelle une note nous indiquait que son propriétaire s’était décidé à revenir sur terre. Voilà un mystère résolu, le pauvre marin a du se faire attaquer par des bandits ou des claqueurs et son histoire s’est arrêtée de manière brutale, immédiate.

The last of us peut d’ailleurs se résumer à cela : nous explorons des lieux qui ont auparavant été vivants. En voyageant, nous découvrons leurs histoires et celles de leurs occupants. Difficile de ne pas s’imaginer quelles ont pu être les personnes y ayant vécu ? En s’arrêtant pour observer les environnements, on découvre l’histoire de ces familles décomposées. On remarque que ce couple venait ou allait avoir un nouveau-né. On comprend que cette chambre appartenait à un adolescent. On en vient à ressentir de l’empathie pour ces personnes qui ont disparu. On remarque que cela bureau appartenait à quelqu’un affirmant un côté lubrique. On remarque sur cet autre bureau qu’il appartenait à une personne aimant sa conjointe. On remarque qu’Elie récupère un jouet afin de l’offrir à un enfant qu’elle rencontre. On finit par comprendre que de nombreux monstres que nous tuons sur le chemin étaient probablement les occupants originels de ces lieux, de ces maisons que nous traversons.

En ce sens, la traversée des égouts habités devient l’une des séquences les plus poignants que le jeu nous offre. En arrivant, on découvre une poupée. On se demande immédiatement comment elle a pu atterrir ici. Le jeu nous prépare à la découverte d’un campement. Arrivé devant une porte colorée et bariolée, on s’imagine qu’il s’agissait d’un campement d’enfants. Les règles du groupe nous confortent à ce moment dans cette lecture : mal écrire et sur des détails qui peuvent paraître insouciant. Très vite, les environnements et les quelques bribes d’informations que nous trouvions ici et là nous font comprendre que des adultes étaient présents et que ce campement reproduisait une organisation sociale avant l’épidémie. Il devient alors possible de récolter les morceaux de l’histoire de ces lieux uniquement par l’observation. Le travail devait probablement être organisé de manière collective entre l’alimentation, l’entretien des vêtements, la récupération de l’eau et l’éducation des enfants.

C’est dans ce mieux que sont clairement évoqué des enfants ayant survécu à l’épidémie. De plus, vu les lieux, ils avaient probablement la tâche d’assurer la cohésion sociale : c’était le lien qui maintenait les adultes et leur donner un objectif commun.

On découvre plus tard que cette tentative a été un échec puisqu’en entrant dans une salle, proche de la sortie, on découvre les cadavres des enfants à côté de l’adulte leur ayant donné la mort avant de lui-même se suicider. Encore une fois, cela conforte la lecture de ce jeu comme une lettre d’excuse d’une génération humaine n’ayant pas réussi à protéger la suivante.

La fin de cette séquence est tout aussi marquante et mode de sens. Nous rentrons dans ces lieux par une grille qui ne peut être ouverte par quelqu’un d’autre qu’un humain. On s’aperçoit que la sortie à elle aussi être condamnée par d’autres survivants. Cela nous suggère que les monstres que nous tuons sont en réalité les anciens habitants de ces lieux. Rien ne se perd, tout ce transforme. C’est l’une des observations les plus importantes à prendre en compte. Tous les claqueurs et les coureurs que nous abattons ont été des êtres humains et pour la plupart, les habitants, les propriétaires ou les locataires de ces maisons que nous traversons.

L’imagerie est d’autant plus forte que nous incarnons des personnes porteuses de noms bibliques. Sans aller dans la surinterprétation, il y a un certain goût d’expiation des péchés que l’homme a commis. Comme s’il était temps, non pas de perpétuer ou de guérir un monde en ruine mais plutôt, tel que Noé, bâtir une arche afin de protéger quelques individus choisis comme Élie dont la miraculeuse guérison n’est jamais expliquée : intervention du divin dans un monde brutal et sanglant.

Cette lecture est constatée par le choix que fait Joël à la toute fin du jeu. En mentant à Élie, il faut le choix d’abandonner l’ancien monde. On peut d’ailleurs y voir une référence à la bande dessinée « the watchmen » qui se conclut aussi par un mensonge sur lequel sera bâtie la nouvelle organisation humaine. Bref, l’humain a échoué, il ne sert à rien de vouloir rafistoler les morceaux restants. En ce sens, pour une rare fois dans le jeu vidéo, on voit une proposition progressiste si rompt avec le conservatisme ambiant. En mentant Joël fait le choix de rompre avec l’ancienne civilisation qui est dans le jeu incarné par l’autocratie au début du jeu et par les lucioles dont la logique manichéenne créé des doubles standards : pour eux, c’est par le meurtre que l’on sauvera l’humanité.

L’histoire de the last of us dépasse donc un manichéisme orthodoxe pour offrir une vision plus pessimiste mais aussi plus nuancée de la nature humaine. Il faut avancer, peu importe les pertes, une espèce de grands Bond en avant, obligatoire et destructeur. Chaque saison se conclut par la mort ou la disparition d’un personnage clef de l’intrigue. Le monde des vivants se referme petite à petit sur le duo central qui ne survit qu’à travers une relation symbiotique : la vie de l’un n’a pas de sens si l’autre meurt. Une génération humaine n’a de sens que si la suivante survit. On comprend alors pourquoi Joël fait le choix de sauver Elie tout en lui mentant. Jusqu’au bout, il la protégera.

The Last Of Us raconte donc cette histoire. Une génération qui acceptera de vivre moins bien que ce qu’elle a connue pour sauver et protéger la suivante. Sans concession, Joël réalise cela avec son périple. Etre parent n’a pas de sens si nos enfants vivront plus mal. Il y a beaucoup de chose à critiquer dans The Last Of Us, mais son message, le sens caché que je lui trouve, en font une fable de notre époque, de la façon dont les dernières générations humaines ont tiré un trait sur les suivantes et leur recherche de rédemption quand il sera trop tard, dans 100 ans, quand nous serons tous morts. ■

Esteban Grine, 2017.

 

Le joueur, ce rouage mécanique – Café Philo

Retranscription d’une discussion ayant eu lieu le 18/04/2017 sur le discord de la revue LCV ! Venez nous voir ! <3

https://discord.gg/unbNmbW

Le joueur, ce rouage mécanique

Café Philo – Acte 1, scène 1

Esteban

Je conseille aussi la lecture de David Sudnow : Pilgrim in the Microworld, (1983) qui raconte l’histoire d’un pianiste devenu accro aux jeu vidéo sur Atari ! Et qui compare la pratique du JV à la pratique de son instrument ! Je pense que Vled le connait déjà !

Vled

Je connaissais pas mais je trouve la comparaison pertinente et raccord avec la science !

Esteban

Oui !

Damastès

La science ? Mais non, c’est surtout une très belle histoire ! Sans cœur de scientifique huhuhu…

Gaga

Surtout qu’à l’époque, il n’y avait pas de jeux musicaux donc le rapprochement n’était surement pas très évident pour les gens.

Esteban

Apparemment, c’est une grosse référence pour ceux qui l’ont lu.. pas encore pour ma part… Mais il raconte son expérience, presque au sens d’un témoignage. Il a quasiment vu l’existence du speedrun presque 20 ans avant son apparition, genre le speedrun comme étant le fait de jouer « à la perfection ». Il émet l’hypothèse aussi qu’il existerait aussi pour chaque jeu une « partition » permettant de jouer parfaitement et cette partition devrait être exécutée par le joueur.

Damastès

Et que fait-il de l’interprétation ? Les pianistes ne sont pas des interprètes ?

Esteban

Oui je pense qu’il en parle… comme je le disais, je n’ai pas encore lu le bouquin. Mais en vrai… la place du joueur et son véritable impact dans l’acte de jouer à un jeu vidéo… y’a un vrai gros gros débat en fait. Est-ce que le joueur s’exprime vraiment ? ou n’est-ce qu’un rouage de la machine-récit ?

Gaga

Tout dépend du jeu aussi tu diras !

Esteban

Non pas forcément Gaga, même ceux laissant une grande potentialité d’expressions. Certains hardcores te disent que tant que tu restes dans ce qu’accepte le code du jeu, tu restes dans un espace délimité de comportements possibles prévus. En gros, tant que tu ne softlock pas le jeu, tu restes dans l’espace prévu par le game design, mais c’est un extrême hein.

Damastès

Je pense cependant qu’il n’y a pas meilleur espace que le jeux vidéo pour questionner et mettre en pratique la désobéissance.

Gaga

Hum je suis pas d’accord, dans un jeu, tu peux très bien créer ton propre jeu, complètement différent de ce pourquoi le jeu à été créé à la base, l’espace n’est pas si limité que ça : tu peux jouer en évitant le meurtre par exemple ou en finissant le plus rapidement possible. Moi je vois plus le jeu comme un langage et le joueur comme l’écrivain.

Esteban

Aaah oui bien sûr ! Je ne faisais que relater une posture théorique !

Gaga

Damastès le voyou !

Esteban

Personnellement, dans le cadre de mes recherches, je pose l’hypothèse que justement le JV permet aux joueurs de s’exprimer et d’exprimer leurs systèmes de représentations, etc. Mais c’est tout à fait discutable comme point de départ haha. En fait, pour reprendre ton propos Gaga, même si tu prends un exemple du style minecraft, tout ce que font les joueurs même les trucs les plus extravagants restent dans un espace fini de potentiels : la barrière étant le crash du jeu ou son softlock. C’est un peu difficile à expliquer mais en gros même si les développeurs ne connaissent pas tous les potentiels, bah ils connaissent par contre l’espace dans lequel ils sont contenus. Cette pensée s’apparente beaucoup à nos compréhension de l’infini.

Baptiste

Je suis pas d’accord, maintenant je m’en vais.

Esteban

Genre, on sait ce que représente un ensemble infini mais on connait pas tous ses éléments.

Vled

J’ai hâte de parler de l’œuvre ouverte c’est carrément dans le sujet haha.

Esteban

C’est aussi pourquoi la notion « d’émergence » est vachement critiquée.

Baptiste

Non, en vrai pour moi le fait de dire « oui mais c’était déjà prévu » c’est non.

Esteban

Ah mais c’est passionnant l’œuvre ouverte.

Baptiste

A partir du moment où le joueur choisit comment il veut jouer il modifie l’expérience de jeu.

Vled

Oui Esteban !

Baptiste

Et donc il est l’interprète comme précédemment énoncé.

Esteban

Bon faut que je le lise mais je suis toujours sur lector in fabula et les limites de l’interprétation.

Gaga

Moi, je vois que la barrière n’existe potentiellement pas. Rien qu’à voir le TAS de mario world où le type reprogramme le jeu pour que sa devienne un pong et un autre jeu donc je pense qu’il soit possible de trouver un bug dans tous les jeux qui permet de faire ça de toute façon, et ça, c’est pas possible de le penser en tant que développeur.

Esteban

La barrière, elle est délimitée par les softlocks mais cela montre aussi le moment où l’auteur ne maîtrise plus totalement son œuvre puisqu’il ne connaît pas lui-même chacun des éléments et des solutions, alternatives comprises dans l’espace de potentiels qu’il a créé. Honnêtement, le pire, c’est que les éléments théoriques sur lesquels se repose cette posture sont ultra béton. Le pire du pire, c’est que je postule l’inverse dans mes recherches hahaha.

Baptiste

C’est chiant les trucs théoriques. Baser ce qu’on dit juste sur des faits précis et tout je trouve ça tellement pas intéressant. C’est pour ça que j’ai du mal avec « le créateur a tout prévu et pis c’est tout ».

Esteban

Non non, je précise bien que le créateur n’a absolument pas tout prévu…

Baptiste

Nan mais c’est pas contre ce que tu dis, c’est contre la théorie que tu énonçais avant !

Esteban

… Juste que l’objet final est limité par son code dans tous les cas.

Baptiste

Oui c’est ce que je voulais dire.

Discussion entre Baptiste.L, Gaga, Damastès, Vled Tapas & Esteban Grine, 2017.

 

Vivre dans un monde post Zelda Breath Of The Wild – Lettre Ouverte

Vivre dans un monde post Zelda Breath Of The Wild – Lettre Ouverte

Bonjour Internet,

Un mois après la sortie de Breath of the Wild, le monde ne semble pas s’être encore remis de la sortie du dernier Zelda. De mon côté, ne possédant ni de Switch ni de Wii U, je n’ai pas pu poser mes mains sur le jeu. Je n’y ai d’ailleurs toujours pas joué et je résiste le plus possible à toutes tentations spoliant ma future découverte du jeu (qui devrait avoir lieu en décembre prochain).

En parallèle, j’ai attendu très longtemps Horizon Zero Dawn, premier jeu développé par Guerilla Game auquel je joue et étonnament, c’est un jeu qui ressemble, à bien des aspects, au dernier Zelda. Dans ces deux jeux, nous incarnons un/e héro/ine qui évolue dans un monde post-apocalyptique avec des machines zoomorphiques. Dans les deux, nous découvrons un monde hostile pour l’être humain. Dans les deux, nous devons aussi chasser et cueillir pour améliorer nos équipements ou se restaurer la santé. N’ayant pas joué à Zelda, il me serait bien impossible de pousser la comparaison plus loin. Déjà là, je projette énormément les quelques représentations que j’ai de Zelda BOTW qui me reste encore presque totalement inconnu. Par contre, je commence à très bien connaitre Horizon (abrégé HZD) puisque en peu moins de 20 heures, j’ai, disons, découvert environ 25% du jeu. Je tiens aussi à formuler que ce jeu m’émerveille, je le trouve excellent, même avec son scénario convenu. HZD réussit tous ses paris : proposer un monde ouvert, dans lequel on peut explorer à loisir, le système de quêtes est classique mais efficace. Un petit système de crafting est présent. La progression du personnage du type levelling n’est pas non plus un écran de fumée. BREF, tout est bon dans ce jeu. Même plus, les game designers ont vraiment eu le soucis du détail. De même, on ressent la volonté de proposer un discours inclusif : le jeu représente des personnages fortes et forts et de toutes les origines géographiques.

Cependant, il existe un problème avec ce jeu, malheureusement : il est sorti en même temps que le dernier Zelda et c’est terrible pour plusieurs raisons. Premièrement, HZD risque de tomber dans le puits sans fond des triple A sympas mais normés. Secondement, tous ses défauts éclatent au visage du joueur qui dorénavant a une certaine compétence vidéoludique en matière de jeu en monde ouvert et qui connait l’existence de BOTW. Dernièrement et je vais être clair : c’est bien fait pour lui ! Tanpis ! HZD n’a pas eu de chance, Zelda semble tellement meilleur que la moyenne que n’importe lequel de ses concurrents ne fait pas le poids ! Alors, il faut tout de même convenir que ces arguments ne reposent sur hypothèse assez lourde : le fait que BOTW révolutionne le genre et çà, seul le temps, disons au minimum 5 ans pour être gentils, nous dira s’il y aura vraiment eu un avant et un après Zelda Breath Of The Wild.

Mais maintenant, comment doit se comporter le joueur sachant que son jeu en monde ouvert ne tient pas la route lorsqu’il est comparé au dernier jeu de Nintendo ? Tout d’abord, c’est injuste de dire cela, formulons cela de la façon suivante : comment jouer à un jeu open world post Zelda avec un jeu open world ante Zelda ?

HZD a fait de nombreux efforts pour proposer une expérience vidéoludique honnête. Et c’est le cas, en plus de son monde et de son gameplay, le jeu propose de nombreux paramètres afin de personnaliser son expérience du jeu. C’est ainsi que je me suis retrouvé à désactiver l’intégralité des paramètres qu’il m’était possible de cacher. Je ne vois aucune information à l’écran, sauf quand j’effleure le pavé tactile de la manette, ce qui a pour conséquence d’afficher les éléments certains éléments du HUD : la boussole, la barre de vie, l’équipement, etc. Je qualifie d’ailleurs dorénavant les HUD comme des formes de « pollutions visuelles vidéoludiques ». Entre temps, j’ai joué à Assassin’s Creed Unity qui possède un HUD surchargé et cela a été très pénible. En 2017, il est peut être temps de se rééduquer soi-même en ôtant toutes ces informations rendant n’importe quel monde ouvert linéaire au possible. Dans HZD, j’ai désactivé toutes les quêtes. Lorsqu’une nouvelle se lance suite à une discussion avec un PNJ, je fais l’effort d’aller dans le menu pour de suite la désactiver car sinon, un marqueur extra-diégétique indiquant l’objectif de la quête reste affiché : une plaie, laissez moi me perdre comme un grand. Bref : j’ai tout désactivé et je joue en difficulté maximale. Je ne vois même plus mon viseur lorsque je tire à l’arc. Il se trouve que j’ai découvert sa forme en regardant la dernière vidéo de Game Next Door ! Enfin, je passe une grande partie de mon temps de jeu avec l’appareil photo. L’usage que j’en fais a d’ailleurs évolué. Si au début, je m’en servais pour documenter mon exploration et pour en faire un usage esthétique (la recherche du beau, etc.), je l’utilise de plus en plus maintenant pour observer et pouvoir me déplacer librement dans une situation de jeu qui devient alors une « scène » dans laquelle je peux observer tous ses détails : avez-vous déjà fait un zoom sur les libellules de HZD ? Avez-vous trouver des angles de vues qui anthropomorphisent certains bâtiment ? C’est un véritable jeu dans le jeu.

https://horizonlogbook.tumblr.com/post/159411700966/from-a-certain-perspective-these-buildings-found

Cette façon de jouer complexifie volontairement l’expérience de jeu mais je peux dorénavant tirer quelques conclusions qui vont totalement à rebours de certains témoignages de joueurs de HZD. Tout d’abord, je me perds sans arrêt et c’est un bonheur. Il m’est impossible d’associer ce jeu à un quelconque aspect linéaire. A chaque fois que je suis perdu, je dois aller voir ma carte dans les menus, à replanifier ma route et repartir. La temporalité nécessaire pour terminer une quête n’est alors plus du tout la même. Par ailleurs, mes objectifs n’étant plus affichés à l’écran, je passe mon temps à les oublier et à me détourner du chemin pour faire d’autres choses. Mon expérience du jeu est alors tout sauf linéaire. Certains ont pu dire que l’environnement du jeu était finalement oubliable. Je suis totalement en désaccord avec cela. Le fait de ne pas afficher les objectifs, d’utiliser l’appareil photo du jeu fait que je me souviens particulièrement bien des endroits que j’ai parcouru. Ce qui est vrai par contre est que j’ai une méconnaissance (aberrante pour certains) du monde dans lequel j’évolue : je ne connais pas les noms des lieux que j’explore, je me souviens très peu des noms des différents PNJ, monstres et autres ennemis. Plusieurs fois, il m’est arrivé d’oublier que j’avais des points à dépenser pour acquérir de nouvelles compétences (le maximum a été de 8 points accumulés au total). L’une des plus grosses difficultés que je rencontre est que je n’affiche pas le viseur de mon arc. De cela, j’ai retenu que j’étais particulièrement nul à distance, mais je progresse et je ressent cette progression. Jamais dans un jeu vidéo, il ne m’était arrivé d’être aussi heureux d’avoir fait mouche. La difficulté maximale du jeu accentue tout ce que je dis : j’évite énormément d’ennemis. Lorsque je dois me battre contre l’un d’eux, je dois me montrer extrêmement vigilant car la mort est quasi immédiate si je me fais toucher.De même, je n’ai aucune stratégies orthodoxes pour me battre contre certains ennemis. Je ne connais quasiment pas les machines, leurs points faibles, ni même leurs points de vie : pour ces derniers, je compte en « nombre de coups donnés ». Par exemple, il me faut 4 coups pour abattre un Watcher, pour mettre à terre une machine « dent de sabre » (je ne connais pas son vrai nom), je dois d’abord l’étourdir avec un cable électrique puis lui faire une attaque lorsqu’il est au sol et je dois répéter cela entre 4 et 5 fois.

Tous ces détails font que mon expérience de Horizon Zero Dawn est l’une des plus plaisantes que j’ai en monde ouvert. A l’issue de ma réflexion, voici donc la conclusion que je propose. Après la sortie du dernier Zelda, il est dorénavant plus que temps de se rééduquer à la façon qu’il faut pour appréhender un jeu open world. Je pense qu’il m’est aujourd’hui nécessaire de désactiver le plus d’informations possibles venant m’assister dans mon expérience. Ensuite, je désactive tout ce qui peut être une forme de pollution visuelle : les marqueurs de quêtes entre autres. Enfin, mettre la difficulté au maximum fait que je suis beaucoup plus précautionneux lorsque je me lance dans la découverte d’un nouveau territoire : je suis contraint par le gameplay et mes actions ont beaucoup plus d’impacts sur mon parcours de jeu (une petite erreur peut avoir pour conséquence ma mort vidéoludique). Tout cela transforme la temporalité de l’acte de jouer. Celle-ci est marquée par une progression plus lente mais l’expérience finale ne se retrouve pas à être quelque chose « aussitôt consommée, aussitôt oubliée ». ■

Esteban Grine, 2017.

[EN] What Reigns are made of. The building and breaking of a medieval political simulator.

Note de l’auteur : cet article a été rédigé dans la langue de Tim Schaeffer Shakespeare afin de pouvoir constituer un compte-rendu de la séance du séminaire InGame de mars dernier pour mes camarades du groupe Facebook Historical Game Studies Network, dont la plupart sont anglophones.

What Reigns are made of.

The building and breaking of a medieval political simulator.

 

A lot has been said about Reigns (Nerial, 2016). The game is a best seller, a popular and critical hit, won various awards and prizes and stands out as one of the best games of the year. That’s why I will be assuming that the reader of this article has played the game, and I’ll not explain all of its mechanics in details.

But whitin this avalanche of feedbacks, the silence of historians -or at least people that have an interest in an historical approach and understanding of videogames- always seem deafening. Is this great piece of game design really unable to bear some kind of historical argument about the past ? Is it saying something about the medieval era at all, or more generally something about history, politics or the past ?

I don’t know if many historically oriented game criticism has emerged about this particular game yet, but I’ll propose to bring my two cents. And I do it with quite a bit of confidence since I’m not an expert nor a pioneer, and I’m adressing a larger audience of scholars and non-scholars that find it fruitful to think the overlap of videogames and historical discourse.

To build (or not) to break. The making of Reigns

My approach and research interest deals essentially with the construction of the videogames, and the ways various elements are chosen, transformed, sewed together in order to be functional as both games and historical argument and discourse. A process I call, drawing from E. Aarseth’s expression, ludoformation.

Thanks to a friend of mine and fellow Ph.D student (Guillaume Grandjean, coordinator extraordinaire) I had the occasion to be invited to a students’ seminar (séminaire d’élèves) held at the Ecole Normal Supérieure in Paris. The purpose of this seminar is each month or so to invite a game designer to present the game he/she made, and to engage in a conversation with a scholar/expert/critical support, along with the audience. On March 14th, the game was Reigns, the invited author was François Alliot, and I was the guest/co-host.

During the course of this seminar, I was pleased to see that François really was incline to engage in a critical reflexion on his creation, more especially in terms of political and historical meaning. Although he reaffirmed several times that « it’s just a game » after all, he acknowledges that games do have an expressive potential, as games. And that’s why all of us were gathered here.

My first interventions were about his historical influences. A broad topic, which was quicky precised to his literary, « scientific » knowledge of history. He did study a bit of history in high school, and uses his recollections of (medieval) history as an inspiration. The term here is really important : more than a pile of knowledge and a vast literature review, what was the most significant in the making of Reigns was his historical understanding, an interest in the mechanics more than in the collection of facts. Actually, he explained that the core mechanic of the game came first.

The idea was to build a game based on a very basic binary interaction : swipe left, of swipe right to make a choice. The historical subject of Reigns is choice, reduced to its simplest (and maybe more effective ?) expression. But is « choice » per se an historical element ? The past is filled with political decisions, tactical manoeuvres, tales of romance, betrayal and glory, but depicting such typical – a-historical ?- types of events is not necesserily depicting « the past ». That’s why the attention to the specific context of such kind of events, and to recreate for the player not just « choice », but the kind of choice an historical agent could be presented to.

I presented my first contact with the game by talking about the « historical games » I’ve been playing since I was a teenager : huge interfaces, rich backgrounds full of details and historical data (dates, events, characters, weapons…). Heavy on the toggles, buttons and switches. A ludic experience I’m still quite fond of, but I must admit that I really wasn’t familiar with a game like Reigns, a game that realizes the fusion of « Game of Thrones and Tinder », as our host said.

Breaking Reigns to build history

And as François explained later on, building Reigns was largely a matter of deconstruction. At a certain level of development, he went into a phase where he planned to « break Reigns », in order to make it a better game. Since he was building a game about choice, strategic and political thinking, the idea was to take out visibility and information in the interface to really make it a game where the focal point is on the decision process itself. And in my opinion it is a crucial point for a historical game such as Reigns to be efficient.

I strongly agree with the game designer’s position : playing a game is not solely about finding out an optimum, a perfect set of moves. It’s not about the mathematical theory of games, where games structures are bound to be broken and resolved (try to engage in a game of chess with an opponent that has a perfect comprehension of the patterns to apply !). It really seem to be about decision in uncertainty, about the expression of contingency, the anticipation of consequences and the possibility to play again, to play differently. While the first version of Reigns integrated numerical information about the precise consequences and the choice the player was about to make, driving his/her attention to the sole numbers, the final version sets an imperative for the player to actually… Play the move. And that’s also why the portraits of the characters are so minimalistic.

This also can be seen through the way randomness is implemented into the game’s narrative. Rather than a classic « branching paths » narrative, closing multiple choices as the player in engaging into one of the branches, Reigns is constructed using a « probabilistic-driven narrative ». By choosing one of the two possibilities (left or right, yes or no…) he will be oriented not only towards a single choice that necessarily follows the previous one (a card that is presented to him), but to a complete pool of choices. In that pool of new choices, one will me randomly selected, but the thing is that some of the choices in that pool are more likely to happen than others. There’s a combination that we can see right in the formal building of the game, that’s an argument about the past as a matter of decision, for an agent that is both free and constrained, facing determination, randomness and the possibility of free choice.

And all of this is functioning as the player remains free, because he thinks about his actions as an expression of his freedom. A freedom that we could define as « an action in the ignorance of the causes that determine them ». Spinoza is just a few swipes away from where we stand.

Historical mechanics. The balancing of powers in Reigns

More than just a specific medieval simulation, is Reigns something like a machiavellian political simulation ? What is reminiscent of Machiavel’s political thinking in the game is not that you have to plan evil schemes, betray or lie contantly -despire to popular opinion, that’s not what the florentine theorician was suggesting. The gameplay is an invitation for the agent (the player and/as the king) to disconnect moral sense and political sense, what is the tactical move and what’s the strategical move. Reigns is not about capitalizing points or currencies, but deals with the conservation of a fragile equilibrium.

Therefore I can’t help but thinking about the evolution of the term saggitator in the political thinking’s lexicon, in terms of signification. While originally the figure of the saggitator whas supposed to refer to a tempered and contant sovereign, to the king as a balanced ruler.

He utilizes his bow and arrow as a shooter measuring each of his strikes, pondering upon the consequences of him hitting the target. He has responsibilities, must be trained, both morally and and physically. But the word is later used in a different perspective. As we progress through the late Middle Ages, this figure tends to stand more and more for an allegory of the king as a modern politican, who deploys schemes and strategies in order to succeed in his actions, who’s a keeper of the arcana imperii, the power’s secrets.

In other words, the conscient bearer of arms has become a tactician and a sharp shooter that pays more and more attention to the target(s).

The player can obviously think about what’s the thing that should be done in order to be a loyal, caring and moral king. But there’s also and more importantly what’s the decision that must me taken in the moment, in order to survive. One can’t do much good if one’s dead. In Machiavel’s words, the gameplay in Reigns deals with the necessity of keeping the power stable. The duty of the monarch and his reason for being is to be virtuous, that is to say to rule, guided by a capacity to confront opposition, to prevent potential disasters, to catch opportunities… To sit on the throne next to the fortune.

There’s a multiple level of strategic thinking in Reigns : the strategic move the king has to make as the player of his game, a game in which he has to survive. His time within the structure (his play) will eventually determine which kind of player he is.

We are almost touching what’s « historical » in a videogame such as Reigns. To some extend, a game is « historical » as he’s able to present that, in « the past », was « present », a situation of agents, acting within structures, facing challenges, contingency and feeling engaged in the pursuit of a goal. Though they are contextually and chronologically distinct, what we are referring to as « the past » may not be fundamentally and ontologically different than our present, or at least there are elements of continuity between the two.

The system of the past that Reigns is describing is not a « perfect system ». As François described it, a « perfect system », containing a single solution, an optimum to find, is putting the player into a prison. The history that’s to be read in a videogame, actually is not to be read, but to be played : therefore it’s an unbalanced system, a structure that allow room for decision or indecision, good and bad choices, short and long term consequences.

Conclusion. What Reigns are made of.

To conclude, I’ll just try to sum up my thoughts about historical perspectives in game studies based on what I learned in the course of the seminar, and drawing from the case of Reigns.

The shift that I think is happening in (historical) game studies is that :

First, historians are more and more interested in investigating the field of games studies with the disciplinary tools and methods ; and as a consequence are more likely to find historical questions and issues in videogames, integrating them in the meantime in the field of historical genres.

Secondly, while thinking about games as historical discourse, they tend to focus a bit more on why and how is a said game history, and not only why it is not. We evolved in the idea that regarding history, between academic knowledge and videogames it’s the rupture that was significant, not the continuity, the things in common. This may be changing as I write these lines.

Finally, somehow developing historical videogames -or writing history in the form of videogames- could be quite an efficient form of counterfactual/« what if » history. Judging from what I’ve been told, and based upon my experience of the game, even though it’s not filled with accurate dates, places and precise representations of the middle ages that are depicted in our books and articles, Reigns is definitely saying something about the past. Something like : the past is a human process, it’s not bound to be linear, teleological. If we are to seek ways to understand the past, videogames might be on to something.

And yet, « it’s just a game » also meant to me that videogames not here to replace anything like books or articles. They’re not the perfect and long awaited form to answer the historical question that hasn’t be addressed yet, nor the miracle way to learn all about past eras. Videogames are an efficent way to present something quite specific about the past.

Are the claims they bear about the past true or false, scientific, philosophical, historical knowledge ? It’s debatable as always. But it’s definitely something that shouldn’t be swiped away. ■

 

Julien Bazile.

Université de Lorraine / Université de Sherbrooke

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The Beginner’s Guide, une introduction à la pensée d’Umberto Eco

The beginner’s Guide est un jeu fantastique, non pas que son gameplay soit particulièrement incroyable. Je n’irais pas non plus jusqu’à dire qu’il s’agit d’un jeu auquel il faut avoir joué pour justifier d’une certaine culture vidéoludique. Sorti en 2015, TBG offre quelque chose de très rare et d’extrêmement précieux dans le paysage du Jeu Vidéo : il propose une vision d’auteur, une véritable réflexion sur le médium et sur la relation qu’entretient le joueur avec le développeur. Cependant, serait-il trop prétentieux de supposer qu’il n’y a qu’une seule et unique façon de comprendre TBG ? Parce que finalement, c’est contre cette idée que lutte Davey Wreden dans ce jeu. Il lutte d’ailleurs contre beaucoup de préconçus autour du jeu vidéo mais clairement, dans The Beginner’s Guide, Wreden dresse une critique acerbe de la façon dont les joueurs et les critiques récupèrent des œuvres vidéoludiques et transforment le message initial du jeu, ou du moins, tentent d’imposer une certaine vision, une certaine compréhension comme étant la seule et unique “bonne” compréhension.

BeginnersGuideSpot2Et plus je parcourais le jeu, plus je commençais à raccrocher le propos de Wreden à un très grand penseur du XXème siècle. Par le passé, lorsque j’avais parcouru pour la première fois le très intéressant Stanley Parable j’avais tout simplement aimé cette expérience. La relation que l’on développe avec le narrateur m’avait bluffé à l’époque. Cependant, je n’avais pas poussé la réflexion plus loin. J’y voyais alors un jeu qui invitait le joueur à s’interroger sur la notion de choix dans les Jeux Vidéo, comme toutes les analyses qui ont été publiées à ce moment d’ailleurs. Cependant, avec The Beginner’s Guide, l’œuvre de Wreden a fait sens nouveau. J’ai cette impression que Wreden est en train de formaliser une théorie du jeu vidéo. Alors quand je parle de “théorie” je ne pense pas qu’il s’agit d’une théorie absolue qui s’appliquerait dans toutes situations mais plutôt une certaine réflexion sur Jeu Vidéo, à l’instar de ce que Jonathan Blow est lui aussi en train de faire dans une autre direction.

Et cette réflexion, soutenue par Wreden, existe depuis quelques temps dans la recherche. En effet, je soutiens la thèse que Stanley Parable et The Beginner’s Guide sont des relectures et des adaptations vidéoludiques de deux œuvres fondamentales de la pensée d’Umberto Eco que sont respectivement Lector in Fabula et les Limites de l’interprétation. Ce qui est donc extraordinaire dans les œuvres de Wreden, c’est à quel point ses jeux présentent des similitudes avec les réflexions proposées avec les travaux d’Umberto Eco.

Le rôle du joueur-lecteur

Pour faire très simple, Lector In Fabola, sous-titré “le rôle du lecteur”, est un essai sur la participation du lecteur dans la co-construction du récit avec l’auteur. Je ne vais pas revenir sur l’intégralité de l’essai mais je vais aborder l’une des idées et théories centrales. Celle-ci concerne le concept de “Lecteur-Modèle”. En effet, dans son essai, Eco critique énormément le schéma “classique” de la communication. Ce schéma “classique” représente l’acte de communication sous la forme d’un transfert d’un message entre un émetteur et un récepteur. Adapté à la lecture, ce schéma prend la forme d’un acte de communication entre un auteur et un lecteur au travers d’un medium : le livre. Or, Umberto Eco propose de conceptualiser le lecteur comme une figure extrêmement active dans la construction d’un récit. En effet, le message transmis par l’auteur est composé de “codes”. Cependant, ces “codes” ne font pas forcément référence aux mêmes choses chez le lecteur et l’auteur. Ainsi, lorsque le lecteur décode le message d’un livre, il apporte de nombreuses références personnelles. Eco utilisait notamment la très belle expression de “promenades inférentielles” pour exprimer le fait que le lecteur puise dans son “stock” de connaissances pour décoder le message d’un livre ; et ce décodage ne correspond pas forcément aux idées de l’auteur. Dès lors et avec cette conception de la littérature, on s’aperçoit du caractère interactif de l’acte de lecture. Cette acte conduit forcément à la co-construction d’un texte final qui n’est de facto pas totalement le texte que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, ce dernier a pour tâche de mettre en place une stratégie discursive, un terme un peu barbare qui signifie une idée plutôt simple : une stratégie qui doit susciter l’adhésion du lecteur ciblé et le maintenir dans son acte de lecture. Donc au travers de l’œuvre, l’auteur doit mettre en place toute une stratégie dont le seul but est de s’assurer que le lecteur parcourra l’intégralité du texte.

begg3Cette idée est forcément connexe de la notion de choix dans le parcours d’une œuvre ou d’un média. Le lecteur fait le choix de “coopérer ou non” avec l’auteur afin que le récit se poursuive ; et cela suscite une question directe à notre sujet : le joueur fait-il plus de choix qu’un lecteur ? Voilà une question forcément enflammée qui est au centre de nombreux débat entre joueurs de Jeux (vidéo, de rôle, de plateaux). Ainsi, la stratégie d’un Jeu ou d’un livre est de restreindre le plus possible les choix du joueur/lecteur afin que le message transmis corresponde le plus possible à ce que souhaite transmettre l’auteur, tout en donnant l’illusion d’une très grande liberté d’action. Dans cette logique, le choix est une illusion nécessaire pour le joueur car ce sont les choix qu’il pense faire qui donnent véritablement “sens” à l’expérience. L’art du Game Designer est donc de créer de la contingence tout en créant l’illusion de la prise de décision. Nous pourrions aller plus loin en énonçant que selon Wreden, l’art du Game Design est de créer l’illusion de la contingence.

L’illusion du choix comme mécanique central chez Wreden

"Suivre l'aventure"
« Suivre l’aventure »

Cette illusion du choix et la participation volontaire et active du joueur est le cœur du gameplay de Stanley Parable. Dans ce jeu, Wreden, au travers du narrateur, propose une expérience scriptée au joueur. Cependant, contrairement à un jeu d’aventure du type TellTale,  le jeu laisse le “choix” au joueur de poursuivre ou non l’aventure selon le script prévu par le narrateur. Tout l’objectif du joueur va donc être de s’émanciper du script et de créer de l’émergence, attention spoiler : sans jamais y arriver. La thèse de Stanley Parable est donc très tranchée : le joueur ne peut pas sortir du cadre du jeu, il n’y a pas de “liberté” qui ne soient pas déjà prévues par l’auteur (cela correspond notamment à l’idée de Colas Duflo qui énonce que c’est la règle du jeu qui crée la liberté du joueur). Malgré la sensation de contrôle, c’est toujours le game designer qui est aux commandes. Cette thèse est sans compromis puisque cela remet aussi en cause l’idée de gameplay émergent. Pour Wreden dans Stanley Parable, l’émergence n’existe tout simplement pas dans une activité ludique aussi rationalisée que le jeu vidéo.

Finalement, on retrouve dans ce jeu de nombreuses idées d’Umberto Eco concernant la nécessaire participation du joueur au bon déroulement de l’histoire. Le joueur doit être “volontaire”, il doit accepter de se laissé convaincre afin de poursuivre l’œuvre. Cependant, tout le gameplay du jeu réside dans la proposition suivante : le joueur doit essayer de s’émanciper de la narration, il doit tester les limites du jeu pour constater par lui-même que la liberté dans un jeu n’est qu’une illusion. Le fait est que nous nous apercevons bien vite que toute les situations imaginées par le joueur pour “sortir” du jeu ont déjà été imaginées par le développeur. Autrement dit, toutes les actions ont déjà été prévues, déterminées. Il n’y aurait donc que des jeux à progression : où le gameplay est totalement scénarisé par le game design.

Quand les jeux « refusent » de faire progresser le joueur

On retrouve aussi cette même thématique dans The Beginner’s Guide. Cependant, celle-ci est présentée d’une autre manière. Dans Stanley Parable, la progression est relativement simple. Or, TBG propose des expériences vidéoludiques qui sont en réalité quasiment insurmontables pour le joueur. Contrairement à ce qui a été énoncé concernant la stratégie discursive d’une œuvre, les jeux de Coda, le développeur des jeux qui nous sont présentés, ont mis en place une stratégie empêchant la progression du joueur. Ce dernier ne peut avancer que grâce à la présence de Davey, le narrateur qui au fur et à mesure, nous créer des passes-droits. Encore une fois, la volonté du joueur est mise à rude épreuve car bien que parfois, il lui est possible de résoudre par lui-même les situations de gameplay et bien, nous supposons qu’il va plutôt choisir de faire confiance au narrateur pour que celui-ci lui face vivre les expériences plus rapidement. Encore une fois, Wreden soutient la thèse que le joueur ne peut quasiment rien faire sans le développeur et qu’il ne peut interagir que parce que cela a été déterminé et autorisé par le développeur. Il y a d’ailleurs dans The Beginner’s Guide des passages impossibles à passer sans que le joueur “consente” à se faire aider par le narrateur.

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Ici, l’expérience proposée au joueur est extrêmement limitée, il ne fait que parcourir un « niveau en couloir » mais une fois que le narrateur « supprime les murs », le joueur découvre un dédale immense qu’il n’aurait jamais pu découvrir seul.

Ainsi, nous constatons que TBG et Stanley Parable sont de formidables incarnations vidéoludiques du concept de Lecteur-Modèle développé par Umberto Eco. Les deux œuvres proposent chacune une réflexion de Wreden sur le rôle du joueur lorsque ce dernier joue et c’est une vision finalement très marquée, volontairement ou involontairement, par la pensée d’Eco mais TBG va encore plus loin en abordant la récupération d’une œuvre par le lecteur ou le critique. On entend par “récupération” le moment un individu ajoute du sens à une œuvre qui n’est pas souhaité pour l’auteur originel de ladite œuvre. Nous abordons donc maintenant le cas de la sur-interprétation des œuvres ou le fait de les dénaturer dans le but de mettre en valeur sa personne, en tant que critique, plutôt que l’œuvre elle-même. Wreden dresse donc une critique acerbe de ce phénomène mais aussi de la critique en général. Je conseille vivement au lecteur d’aller se renseigner concernant l’analyse de la personne du “développeur” dans TBG car nous ne nous y attarderons pas ici.

The Beginner’s Guide : les limites de l’interprétation

BeginnersGuideSpot2Dans le dernier jeu de Wreden, l’histoire est la suivante : la personne de Davey nous propose d’explorer les jeux d’un développeur obscure nommé Coda. Il s’agit donc finalement d’une visite guidée puisque l’œuvre de Coda est commentée par Davey en même temps que nous la partageons. Pour continuer les parallèles que nous dressions auparavant. The Beginner’s Guide est la version vidéoludique d’une œuvre littéraire commentée dans laquelle le lecteur lit, par exemple, un livre de Zola et en même temps les commentaires de bas de pages faits pour nous aider à comprendre la diégèse ou la volonté de l’auteur. Ainsi, si le titre semblait assez abscons, on comprend ici qu’il s’agit d’une sorte de manuel d’introduction à l’œuvre d’un auteur ; Coda, dans ce cas. A mon sens finalement, il s’agit aussi d’une introduction à la pensée d’Umberto Eco. Le jeu nous propose donc un contexte similaire puisque nous ne jouons pas seuls les jeux développés par Coda. Nous sommes simplement invités à parcourir les niveaux selon l’angle du narrateur. Ainsi, au tout début du jeu, il s’agit surtout d’une expérience qui cherche à nous partager la compréhension qu’a le narrateur des œuvres de Coda.

Ainsi, nous avons vu dans les précédents paragraphes que l’expérience proposée par The Beginner’s Guide est un pari risqué. Il s’agit véritablement de quelque chose d’atypique puisque si nous devions résumer le jeu en une phrase, il s’agirait d’énoncer que TBG est un jeu qui a pour objectif de partager la compréhension d’un corpus de Jeux d’un développeur par un Critique ou tout simplement une personne appréciant le travail du-dit développeur. Cependant, le twist final du jeu nous énonce que le narrateur, le critique, a en réalité modifié les jeux du développeurs afin que ceux-ci correspondent à sa représentation, à ses théories, d’où la référence au deuxième livre d’Umberto Eco : Les limites de l’interprétation. Dans ce second livre, Eco propose une méthode pour définir ce qu’est le travail de critique et les limites que ce dernier doit se fixer afin de respecter la volonté de l’auteur. C’est ce constat qui est dressé dans The Beginner’s Guide.

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Dans l’un des derniers niveaux du jeu, Coda s’adresse directement au narrateur en lui demandant explicitement de ne plus détourner le message originel de ses jeux. En tant que joueur, on apprend par la même occasion que le narrateur nous a menti. En effet, très tôt dans le jeu, ce dernier nous énonce que Coda conclut ses jeux en ajoutant un lampadaire dans le dernier lieu visité par le joueur de chaque expérience. Or, il apparait à la fin du jeu qu’il s’agissait en fait du narrateur qui rajoutait ces lampadaires à la fin. Nous pouvons interpréter cela de deux façons. Premièrement, nous comprenons cela comme une critique de la quête éternelle de sens de la part des fans. Au fil de leurs réflexions, ceux-ci se sentent obligés de rationaliser et de combler tous les trous laissés par l’auteur. Cela peut atteindre son paroxysme lorsque ces fans modifient les œuvres initiales pour mieux correspondre à leur représentation de l’œuvre. Secondement, et conséquence de du premier point, Wreden dresse une critique acerbe des biais de confirmation que les lecteurs-joueurs mettent en place lorsqu’ils élaborent leur théorie pour comprendre l’œuvre. Selon Wreden, ces derniers supposent automatiquement que leur représentation est la seule “bonne” représentation et une fois cette dernière élaborée, les lecteurs-joueurs vont chercher dans l’œuvre uniquement des faits confirmant leur représentation/théorie. C’est ce que l’on appelle en épistémologie un biais de confirmation. 2015-09-29_00047-noscaleC’est ce qui se produit avec Davey, le narrateur. Si au début du jeu, sa réflexion semble cohérente, On s’aperçoit rapidement qu’il ne cherche dans les jeux de Coda que des phénomènes qui viennent soutenir ses théories en occultant de nombreux pans des jeux. Wreden critique aussi le public des critiques qui ne remet pas assez en question les schèmes logiques de ces derniers. Dans le jeu, cela se traduit par la totale confiance que l’on accorde extrêmement rapidement au narrateur. Il est aussi intéressant de noter que l’on va suspend alors notre esprit critique puisque nous avons en face qui fait office d’autorité. Il a tout un discours du narrateur expliquant sa relation avec le développeur. Une brève étude du discours fait apparaitre qu’il s’agit là d’une simple stratégie cherchant à convaincre le récepteur que l’émetteur est “compétent” et que le premier peut accorder sa confiance au second.

Les jeux de Davey Wreden sont des introductions à la sémiotique.

Davey Wreden, au travers de ces deux jeux a su nous proposer une conception intéressante du jeu vidéo. Celui est un médium (un message donc si l’on souhaite faire référence à Mc Luhan) qui met en place une stratégie discursive créant de la contingence et un sentiment de liberté au joueur tout en sachant que cette dernière est fictive. Cependant, on s’aperçoit que Wreden fait finalement référence aux propos d’Umberto Eco, volontairement ou involontairement. En effet, Wreden et Eco sont tous les deux d’accord pour énoncer que le lecteur-joueur est un acteur important dans la co-construction d’un récit, d’une histoire narrée. C’est finalement ce dernier qui effectue l’action et qui poursuit l’histoire, l’écrivain et le développeur ont donc énormément besoin d’obtenir la validation du lecteur-joueur. Sans cela, le récit ne peut se mettre en place.

Wreden et Eco semblent aussi d’accord pour placer des limites à l’interprétation, cette dernière ne doit pas porter atteinte au message que l’auteur souhaite transmettre. Ainsi, bien que les deux penseurs acceptent le nombre infini de possibles interprétations, ils mettent tous deux l’accent sur le besoin d’une méthode afin de limiter ce qui peut être des biais cognitifs difficilement repérables. ■

Esteban Grine, 2016

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Sources :

Eco, U. (1985). Lector in fabula ou coopération interprétative dans les textes narratifs (trad. de l’it. par M. Bouzaher). Paris, Grasset.
Eco, U. (1992). Les limites de l’interprétation. Grasset.
Wreden, D. (2011) The Stanley Parable.
Wreden, D. (2015) The Beginner’s Guide.

 

Lieve Oma, les grands-mères sont plus cools que les trolls

Lorsque l’on souhaite commencer une critique que l’on veut intéressante, il est normalement souhaitable d’accrocher le lecteur avec une citation courte dont l’impacte se fera ressentir pendant toute la lecture. C’est pourquoi si je souhaitais parler de Lieve Oma, un petit chef-d’oeuvre vidéoludique créé par Florian Veltman et sorti en 2016, et bien je commencerais par citer le titre d’un célèbre article de Gonzalo Frasca sorti dans le premier volume de la revue scientifique Game Studies en 2001.

snapshot20160703120528“Les Grands-mères sont plus cools que les trolls”. Pour le lecteur averti, il deviendra donc évident que nous allons soutenir cette thèse puisque l’ensemble des mécaniques de gameplay de Lieve Oma n’ont pour seul objectif que de prouver cela. L’objectif de Frasca, dans cet article, était de soutenir l’idée que les jeux vidéo sont des œuvres tout à fait capables pour diffuser des émotions fortes aux joueurs et pas seulement celles liées à l’amusement, le fun et l’humour. Les jeux vidéo permettent aussi de partager la tristesse, la compassion ou tout simplement l’empathie. En 2001 donc, Frasca militait pour l’apparition de plus de jeux qui proposaient des expériences émotionnelles fortes liées au partage d’histoire de la vie ordinaire. Je vous rassure, il milite toujours pour cela mais en 2016 et avec les extraordinaires jeux que sont Paper Please, Undertale, Hyper Light Drifter, Cibele, Lieve Oma et tant d’autres, on peut dire que son vœu a été exaucé.

« Partons à la cueillette aux champignons »

Mais revenons à notre sujet. Lieve Oma vous met dans la peau d’un jeune enfant qui part à la cueillette aux champignons avec sa grand-mère suite au récent divorce de ses parents. Cependant, ce serait une erreur de penser que le jeu ne se résume qu’à cela. Il est tout d’abord intéressant de noter qu’il fait parti du genre des “Jeux Expressifs”. Ce concept, qui a  été mis en avant par Sébastien Genvo, permet de regrouper les jeux vidéo dont l’objectif est la transmission d’émotions sans imposer un discours ou une vision. Ainsi, contrairement aux Persuasive Games de Ian Bogost, les Expressive Games sont seulement là pour vous partager des émotions sans chercher à convaincre ou persuader le joueur. Ils ne vous disent pas s’il y a une bonne façon de penser ou tout simplement s’il y a une bonne façon de vivre une expérience. Ils sont là et c’est après au joueur uniquement de s’installer confortablement dans une posture réflexive. C’est ce dernier qui doit tirer ses propres conclusions. Lieve Oma fait donc partie de cette seconde catégorie. Son game design nous permet de ressentir ce qu’a vécu Florian Veltman à un moment particuliers de sa vie : le divorce de ses parents et la période de transition qui a suivi.

snapshot20160703120633Lieve Oma, derrière ses couleurs pastels, est un jeu aux thématiques graves : il s’agit de faire ressentir aux joueurs ce qu’est la perte de ses repères lorsque le cadre familiale se déconstruit. Ce jeu, c’est aussi une lettre d’amour aux relations entre grands-parents et petits-enfants. Lorsque la cellule familiale se déconstruit, les grands-parents sont là pour assurer une forme de relais dans la construction identitaire de l’enfant. Enfin, Florian Veltman voulait nous faire partager l’importance de la relation qu’il entretient avec sa grand-mère.

Un gameplay focalisé sur « Oma »

Ainsi, après avoir défini les objectifs de ce jeu, nous allons maintenant montrer comment il arrive à faire cela par son game design et son gameplay.

Tout d’abord, il est particulièrement intéressant de noter comment le gameplay du jeu est focalisé sur la Grand Mère et non sur l’avatar du joueur. Ainsi, plutôt que de centrer le cadre de l’action sur notre personnage, le jeu centre notre attention sur la grand-mère et c’est véritablement en s’éloignant que le jeu recadrera la caméra sur le personnage du joueur. Cependant, ce recadrage n’intervient qu’au tout dernier moment, lorsque l’on est le plus éloigné. Ici, implicitement, l’objectif est de nous faire comprendre que nous en tant que joueur, nous devons concentrer notre attention sur cette “Oma”. Un autre mécanisme s’ajoute à cela pour venir renforcer ce sentiment. Le jeu nous permet de courir. Cependant dès que nous sommes trop loin de notre grand-mère, nous ne pouvons plus que marcher. Ici, le jeu nous oblige à évoluer en fonction d’un certain périmètre dont le centre est “Oma”.

Ainsi, le jeu nous oblige par son gameplay à rester proche de la grand-mère. Cependant, un dernier mécanisme s’ajoute pour nous faire comprendre que nous sommes un enfant. Lorsque nous marchons tranquillement aux cotés d’Oma, nous nous apercevons que celle-ci marche plus vite que nous. Nous devons donc nous remettre à courir par à-coup pour rester au même niveau. Dans d’autres jeux, cela serait perçu comme un défaut classique, un syndrome qui fait tâche dans tous les jeux comportant des quêtes d’accompagnement. Ici, ce mécanisme est utilisé pour symboliser notre jeune âge : nous incarnons un enfant et le jeu nous rappelle ce que c’est d’en être un marchant à coté d’un adulte grâce à cela.

Tout cela permet de constater que le jeu nous installe dans une position vulnérable. Nous ne sommes pas en équilibre dans nos interactions sociales. Ce sentiment est renforcé par les couleurs utilisées par Veltman dans le character design et l’environment design de son jeu. En effet, “Lieve Oma” nous installe dans une forêt en automne. L’environnement fait parti d’un tout. Notons particulièrement les couleurs de la grand-mère. Celles-ci symbolisent la relation qu’a ce personnage avec la forêt. Le manteau d’Oma est d’ailleurs de la même couleur que celle des arbres et c’est doublement intéressant. Premièrement, cela attache forcément des connotations de longévité et de résistance au temps et aux chocs de la vie. Il devient facile d’assimiler la grand-mère à un arbre, une force de la nature, quelque chose d’immuable et qui ne peut pas s’effondrer. Secondement, Et bien cela donne le sentiment que la forêt et la grand-mère ne sont en faite qu’une seule et même entité qui accueille de manière bienveillante l’enfant que nous incarnons.

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Les jeux de couleurs sont aussi extrêmement intéressants entre notre avatar et le reste du jeu. Nous avons démontré dans le précédent paragraphe que la forêt et notre grand-mère partageaient un ensemble de points communs or, notre personnage se retrouve en bleu. Alors bien entendu, il est facile de dire qu’il s’agit de la couleur complémentaire de l’automne et des couleurs utilisées pour la forêt. De plus, nous pouvons aussi noter que cela permet de créer un sentiment d’étrangeté. Notre avatar ne se sent pas encore à sa place dans ce nouvel environnement et cela se manifeste par sa couleur bleue qui dénote totalement du reste du jeu. Cela nous fait enfin ressentir qu’en incarnant cet enfant, nous ne nous sentons pas encore à notre place dans cette environnement, dans cette forêt, avec notre grand-mère.

La poésie dans le game design de « Lieve Oma »

Nous avons déjà bien étayé notre propos sur le jeu et pourtant, il faut maintenant que nous abordions comment la mécanique principale du jeu est amené par le game design. En effet, nous avons montré comment le jeu arrivait à nous faire comprendre que nous devions nous concentrer sur notre grand-mère et qu’en tant qu’enfant, nous ne sentions pas à l’aise dans cet environnement. Florian Veltman propose un game design tout en finesse et poésie. En effet, il veut que le joueur se comporte d’une façon très précise pour lui communiquer une certaine expérience. Très tôt dans le jeu, on nous indique par un feedback extra-diégétique qu’il faut ramasser des champignons. Ici, le jeu trompe complètement le joueur. Ce dernier va partir tête baissée à la recherche de champignons sans faire attention à la grand-mère qui poursuit quand à elle son chemin. Cependant, progressivement et grâce aux mécaniques que nous avons déjà expliquées, le joueur va moins se concentrer sur les champignons et finir par tout simplement marcher aux cotés de sa grand-mère. L’auteur, par les mécaniques qu’il a mises en place, veut nous faire vivre son jeu de cette façon précise : il veut que l’on se comporte comme un enfant courant partout au début d’une balade puis finissant par rester aux cotés des adultes. N’est-ce pas de cette façon que tout le monde s’est comporté étant enfant ? Veltman ajoute tout de même une incitation pour pousser le joueur à faire cela : lorsque ce dernier est proche d’Oma, cela déclenche des boucles de dialogues. par cette simple mécanique, le joueur est incité à resté près de sa grand-mère vidéoludique.

snapshot20160703120646Et avec ce dernier constat, nous venons de mettre l’accent sur la boucle fondamentale de gameplay : le joueur marche à coté d’Oma et les récompenses de ce comportement sont les lignes de dialogues pour enfin comprendre les enjeux de l’histoire de Lieve Oma. Au fur et à mesure des dialogue, nous apprenons, que les parents de l’enfant ont divorcé et que celui-ci, ne comprend pas véritablement pourquoi tout est en train de se déconstruire : tous ses repères s’effondrent. C’est pourquoi il décide de partager avec sa grand-mère ses inquiétudes. Ces dernières portent sur l’abandon progressif de ses anciens amis, la peur de rencontrer de nouveaux camarades et enfin, de ne plus avoir d’espace lui appartenant avec ses objets, son univers.

La diégèse du jeu prend aussi en compte cette ouverture de l’enfant à sa grand-mère. En effet, Veltman a bien su designer le moment où le joueur commence à vraiment écouter la discussion entre l’enfant et la grand-mère. En même temps, le jeu nous fait traverser plusieurs tableaux allant de l’automne  symbolisée par ses couleurs marrons orangées puis Hiver et enfin le printemps. Le jeu nous fait aussi traverser dans ce même ordre les saisons mais en incluant un écart d’une quinzaine d’années entre le premier automne que l’on traverse et l’hiver. Ainsi, c’est toute une symbolique passionnante qui se met en place : l’automne correspond au problème que l’enfant vit et sa fermeture sur le monde extérieur. L’hiver laisse beaucoup de place à l’interprétation : n’étant pas accompagné par notre “Oma”, on peut supposer que cela correspond au moment de sa (future) disparition. Enfin, le printemps est symbolisé par la venue progressive de la couleur verte dans la forêt et c’est précisément le moment où l’enfant finit d’exposer l’ensemble de ses angoisses à sa grand-mère et quand il commence à se sentir réconforté.

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Lieve Oma, un petit trésor du Jeu Expressif

Lieve Oma est donc un petit jeu qui cache un trésor de game design. Son seul objectif est de nous faire comprendre la relation que Veltman entretient avec sa grand-mère et quelle importance elle a eu lors du divorce de ses parents. Au début du jeu, si l’on ne comprend pas bien pourquoi nous partons cueillir des champignons, il est évident après coup qu’Oma nous y a emmené pour nous faire changer d’air. Et Clairement, le jeu réussit parfaitement son objectif. Veltman s’impose aussi comme l’un des grands Game Designers de la vie ordinaire, des gens normaux et des situations banales. Lieve Oma fait partie des rares expériences à nous engager émotionnellement de manière aussi douce-amère. Ce petit roller-coaster émotionnel nous a fait traverser une forêt et une tranche de vie difficile. Il nous fait comprendre ce que vit un enfant qui doit affronter la déconstruction d’une famille pour en reconstruire une nouvelle, peut-être plus petite ou plus grande, çà, le jeu ne nous le dit pas. Cependant, il précise bien que tout finit toujours par s’arranger et qu’il y a un après. ■

Esteban Grine, 2016

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Sources :

Frasca, G. (2001). The Sims: Grandmothers are cooler than trolls. Game Studies, 1(1).
Veltman, F. (2016). « Lieve Oma » https://vltmn.itch.io/lieve-oma